Archives par mot-clé : moyen age

Une chanson « légère et ordinaire » de giraut de bornelh

Sujet  : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, sirventès, serventois, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, trobar leu
Période   : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s
Auteur   :  Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil, Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)
Titre : Leu chansonet’e vil

Bonjour à tous,

près avoir partagé des éléments de biographie sur le troubadour Giraud de Bornelh, nous vous présentons, aujourd’hui, une de ses chansons. Sa partition d’époque ne nous est pas parvenue, les groupes qui s’y sont essayés ont donc dû composer ou, plus souvent, s’adonner à l’art du contrafactum en plaquant sur les vers de Giraud une autre mélodie médiévale.

« Leu chansonet’e vil » : une intention de clarté

Classée comme un sirventes, cette chanson du troubadour limousin affiche, dès le départ, des intentions de légèreté et même de clarté, en se positionnant dans le registre du « trobar leu ». Pourtant, comme on le verra, la distance temporelle et linguistique, autant que le style (qui demeure largement allusif) la rendent encore difficile à saisir. Hors de son contexte médiéval, et même une fois traduite, elle ne se livre donc pas si facilement et continue de conserver quelques mystères.

Sources médiévales et manuscrits

Guiraut de Bornelh - Manuscrit médiéval Ms Français 12473

Pour les sources manuscrites, on pourra citer le Chansonnier provençal ou Chansonnier K, sous la cote (Mss Français 12473) au département des manuscrits de la BnF. On y ajoutera encore un autre chansonnier conservé, en Italie, à la Bibliothèque Universitaire d’Estense. Sous la cote alfa.r.4.4, le Canzoniere provenzale estense, connu encore comme le chansonnier D, contient lui aussi un grand nombre de chansons de troubadours occitans et provençaux (consulter en ligne ici).

Traduction et interprétation

Pour une première approche de traduction, nous nous sommes appuyés sur diverses sources avec des recherches complémentaires autour de l’occitan médiéval. A ce stade, pourtant, il nous faut bien l’admettre, quelques flottements subsistent. Aussi, nous dirons qu’il s’agit d’une première version qui gagnerait à être retravaillée. Nous vous la présentons plus bas dans cet article.

Pour son interprétation, un certain nombre de formations médiévales s’y sont attaquées, et nous avons choisi ici la version présentée par l’Ensemble médiéval Tre Fontane dans le deuxième opus de leurs travaux consacrés au Chant des Troubadours.

Un superbe version de la chanson de Giraud de Bornelh par Tre Fontane

l’Ensemble Tre Fontane :
le Chant des Troubadours Vol 2

Nous avons déjà eu l’occasion de parler, à plusieurs reprises, de l’Ensemble Tre Fontane et ses grandes qualités. Née au milieu des années 80, cette belle formation a fait du Moyen Âge et des troubadours occitan, un de ses grands répertoires d’élection (voir portrait de cette formation).

En 1993, deux ans après la sortie du volume 1 de leur Chant des Troubadours, autour des compositeurs médiévaux originaires d’Aquitaine, Tre Fontane poursuivait son exploration musicale avec les troubadours du Périgord. Le Volume 2 s’avéra tout aussi réussi que le premier. On pouvait y retrouver une sélection de 11 pièces pour 53 minutes de durée et quatre grands auteurs et poètes occitans du Moyen Âge : Arnaud de Mareuil, Bertrand de Born, Arnaud Daniel et enfin Guiraud de Bornelh.

Une version énergique et enlevée

Album de musique médiévale : chants des troubadours

Pour cette chanson de Giraud, qui clôt d’ailleurs l’album, Tre Fontane a fait un choix mélodique et instrumental plutôt enlevé ; leur version nous entraîne plein sud, aux confins de l’Andalousie, avec des influences même très directement orientales. Sur cette orchestration généreuse et rythmée, la voix puissante et bien posée de Jean-luc Madier vient faire littéralement décoller l’ensemble. Une fois de plus, l’essai est transformé et Tre Fontane parvient à faire revivre et à actualiser un monde occitan médiéval qu’on croyait disparu dans les couloirs du temps.

Sorti originellement chez Adda, l’album a déjà été réédité plusieurs fois. On peut toujours le trouver en ligne au format CD et même sous forme digitalisée. Voici un lien utile pour plus d’informations : Le chant des troubadours vol.2 : Périgord

Les membres de Tre fontane sur cet album

Chant, Jean Luc Madier. Flûtes, Chalémie, Maurice Moncozet. Flûtes, cornamuse : Hervé Berteaux. Vielle à roue, Pascal Lefeuvre. Oud, Thomas Bienabe. Daf, percussions, derbouka, Jacques Détraz.


Leu chansonet’e vil de Giraud de Bornelh
avec adaptation en français moderne (V1.001)

Leu chansonet’e vil
M’auri’a obs a far
Que pogues enviar
En Alvernh’al Dalfi.
Pero, s’el drech chami
Pogues n’Eblon trobar,
Be.lh poiria mandar
Qu’eu dic qu’en l’escurzir
Non es l’afans,
Mas en l’obr’esclarzir.

Je m’attacherai à faire
Une chanson légère et ordinaire
Que je puisse envoyer
Au Dauphin, en Auvergne .
Mais si, sur le droit chemin,
Elle peut trouver Sire Eblon (1)
Elle pourrait bien lui être adressé (envoyé)
Puisque je dis que l’effort (la difficulté)

N’est pas de ‘rendre l’œuvre (le propos) obscur
Mais plutôt de l’éclaircir.

E qui de fort fozil
No vol coltel tocar,
Ja no.l cut afilar
En un mol sembeli!
Car ges aiga de vi
No fetz Deus al manjar,
Ans se volc esalzar
E fetz esdevenir
D’aiga qu’er’ans
Pois vi per melhs grazir.

Et celui qui, sur la pierre à polir (le dur fusil)
Ne veut poser son couteau
Jamais il ne pourra l’aiguiser
Avec une douce peau de zibeline.
Car en rien, Dieu ne nous fit
de l’eau à partir du vin pour nous nourrir.
Au lieu de cela, il voulut s’élever
Et transforma
L’eau qui était là
En vin afin qu’on puisse mieux lui rendre grâce.

E qui dins so cortil,
On om no.l pot forsar,
Se vana d’aiudar,
Pois no fai, mas qu’en ri,
Pro a de que.s chasti,
E qui de sol gabar
Vol sos clameus paiar,
Ja Deus re can dezir
Noca l’enans
Ni li lais avenir.

Et celui qui, dans sa forteresse (enclos, cour)
Où nul homme ne peut pénétrer par force
Se vante d’aider
Et puis, n’en fait rien, mais en rit
Tirerait profit à se châtier lui-même (qu’on le blâme, réprimande).
Et celui qui veut payer ses créanciers,
A coup de plaisanteries, (Et celui qui parlant seul, continue de croire qu’il est écouté ?)
Ne pourra espérer une seule chose venant de Dieu
Jamais il ne le put
Et il ne le pourra par la suite.

Per qu’eu d’ome sotil
Que sap so melhs triar
No.m met a chastiar
Ni fort no.m n’atai!
Mas un pauc me desvi,
Car non o posc mudar-
Tan m’es greu a portar-
Qui no sap eissernir
Cans d’entre tans
Ni cui com al partir.

C’est pour cette raison que l’homme subtil
Qui sait discerner ce qui est bien pour lui
Ne me blâme jamais
Pas plus que le fort ne m’inquiète (me cause de tort) !
Mais je me suis un peu égaré
,
Je ne peux m’en empêcher –
Tant cela m’est lourd à porter –
Celui qui ne sait pas discerner
Une chanson d’une dispute (entre toutes les autres?)
Ne peut savoir comment les départager (séparer, répartir)
.

E si.lh fach son gentil
A la valor levar,
Aissi.s fan a guidar
C’om s’en sen, a la fi!
Que lo savis me di
Que ges al mech tensar
No dei ome lauzar
Per so ben escremir
Ni per colps grans,
Que.l pretz pen al fenir.

Et si les faits sont bons (gracieux favorables)
Pour hausser la valeur (d’un homme)
Ainsi ils nous guideront
Comme on pourra le voir, à la fin !
Puisque les sages me disent
Qu’au milieu d’un conflit,
Je ne dois louer un homme,
Pour ses qualités à combattre,
Ni pour les grands coups
(qu’il donne ?),
Puisque la valeur (le mérite) véritable n’est connue qu’à la fin.


E qui ja per un fil
Pen pretz, c’om sol amar,
Greu poira pois trobar,
Si.s romp, qui ferm lo li!
C’a pauc en un trai
No son li ric avar,
C’aissi, co.s degr’alzar
Per els e revenir
Pretz e bobans
E jois, l’en fan fugir.

Et si par un fil
Sont suspendues les valeurs, que nous avons l’habitude de priser,
Il sera encore plus dur de trouver
S’il se brise, qui pourra le lier solidement à nouveau !
Car peu nombreux
Sont les riches qui ne soient pas avares,
De telle sorte que quand ils devraient augmenter (monter d’un cran leurs dépenses, leurs valeurs ?)
Pour faire revenir (ramener, restaurer)
Les mérites, les fastes
Et la joie. Ils les font fuir.

Mas eu tri un de mil,
Pero no l’aus nomnar
Per paor d’encuzar
Que.lh dreisses lo coissi!
C’oi del ser al mati
No pot re melhurar
Ni ja apres sopar
No l’auziretz re dir,
Qu’eis lo mazans
No n’esch’apres dormir.

Moi j’en choisis un entre mille
Mais je n’ose le nommer
De peur qu’on me reproche
De redresser ses oreillers !
(de le soigner, le flatter inconsidérément)
Puisqu’aujourd’hui, du soir au matin,
Rien ne peux s’améliorer,
Ni même après souper,
Je n’entends dire un mot
Dont le bruit tapageur
Ne naisse qu’une fois endormi (après dormir).

Era.m torn en umil
Vas mo Bel-Senhor char!
Ren als no.lh sai comtar
Mas que s’amors m’auci.
Ai, plus mal assesi
Noca.m saup envirar
Qu’era no posc pauzar!
Ans trebalh e consir
Si que mos chans
Es ja pres del delir.

E deuria.l mandar
Mo Sobre-Totz e dir
Que.l maier dans
Er seus, si.m fai falhir.

Maintenant, je me tourne avec humilité
Vers ma chère Bel Senhor (2)
Il n’est rien que je sache lui conter
Si ce n’est que son amour me tue.
Ah, jamais pire assassin,
Je n’aurais pu espérer trouver
Puisque désormais, je ne trouve aucun repos !
Au contraire, les tourments et les soucis font
Que mon chant
Est déjà sur le point de s’effacer.

Et je devrais l’envoyer
A mon Sobre-Totz (3) et dire
Quel grand dommage serait le sien,
S’il me faisait défaut (abandonner).


Notes

(1) Eblon : sire Eble II de Ventadour (1086-1155) (voir article sur Guillaume d’Aquitaine) ? S’il s’agissait de lui, il s’agirait d’une allégorie puisque il y a peu de chance qu’il soit encore vivant au moment où Giraut de Borneil écrit ces lignes.

(2) C’est ainsi qu’il nomme sa dame peut-être la fille ainée de Raimon II, vicomte de Turenne ( The Cansos and Sirventes of the Troubadour, Giraut de Borneil, A critical Edition, Ruth Verity Sharman, Ed Cambridge 1989).

(3) Un des razos nous dit qu’il s’agit de Raimon-Bernard de Rovinha (Rouvenac).

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Le Villon de jean favier et 5 médiévisteS pour un programme d’exception signé france culture

Sujet  : poésie médiévale, moyen-français,  historiens médiévistes, littérature médiévale, biographie.
Auteur : François Villon    (1431-?1463)
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre Les Lundis de l’Histoire, France Culture
Ouvrage :  François Villon, Jean Favier, Fayard (1982)

Bonjour à tous,

e 1966 à 2014, France Culture a présenté, chaque début de semaine, en milieu d’après-midi, un programme dédié à la passion de l’Histoire et à ses plus grands auteurs et chercheurs. Cette émission d’anthologie avait pour titre Les Lundis de l’Histoire. Las ! après une longue aventure de presque 50 ans, elle s’est finalement, arrêtée avec le décès de Jacques le Goff qui l’avait animée, de son brillant esprit, dès 1968.

Cinq experts pour éclairer la biographie et l’oeuvre de François Villon

Actuellement, on peut trouver, sur le site de France Culture, un nombre important de podcasts des Lundis de l’Histoire. Ils couvrent une période allant de 2005 à 2014. Pourtant, à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait d’archives publiques sur les éditions précédentes de cette grande émission. Tout en étant heureux de retrouver déjà près de 400 opus sur le site de la radio, on peut le déplorer, en espérant que le futur verra naître un tel projet. En près d’un demi-siècle, ce programme radiophonique a, en effet, vu passer, sous la houlette du médiéviste Jacques Le Goff, les plus prestigieux historiens et esprits du temps ; elle a aussi traité tous les thèmes, finissant, par entrer, à son tour, dans l’Histoire, mais aussi dans l’Histoire de l’Histoire, soit l’Historiographie.

Dans l’attente de voir, peut-être un jour, des archives complètes, aujourd’hui, il nous faut rendre grâce à la très littéraire chaîne Youtube Eclair Brut de Arthur Yasmine (jeune auteur qui a, par ailleurs, déjà fait publier plusieurs ouvrages de poésies) pour être parvenue, une fois de plus, à débusquer une pièce rare. Issue d’une édition des Lundis de l’histoire diffusée à l’automne 1982, ce programme réunit quatre éminents experts du moyen âge, auxquels on ajoutera, bien sûr, l’animateur lui même : l’historien Jacques le Goff. Le thème de cette émission nous est cher puisqu’elle traite de François de Montcorbier, que nous connaissons tous mieux sous le nom de François Villon ; ce programme d’exception fut enregistré à l’occasion de la sortie, cette même année 1982, par Jean Favier (lui-même grand historien de la période médiévale) de son ouvrage : « François Villon » chez Fayard.

Villon, son oeuvre et sa vie, sous l’œil de grands chercheurs et historiens du XXe siècle

Un Villon plus réel que jamais

« Des écoles aux tavernes, du port en Grève au cimetière des Innocents, de la cour chevaleresque du roi René au bouge de la Grosse Margot, les véritables héros de ce livre sont la vie et la mort, Dieu et la Fortune, l’amour et la haine, la justice et la misère. Mais l’oeil du poète est malicieux, et il a cent facettes. »

François Villon, Jean Favier ( Fayard, 1982)

Plus qu’un tour complet de l’œuvre de Villon, on abordera, dans ce programme, des éléments au plus près de la vie de cet auteur du Moyen Âge tardif. C’est même d’ailleurs tout l’intérêt de cette émission même si, bien entendu, les deux ne peuvent être démêlées si facilement : comme pour bien des auteurs de cette période, l’œuvre alimente nécessairement une partie de ce que les historiens tentent de déduire de sa biographie, même en y mettant, bien sûr, tous les guillemets que cela suppose. Sur Villon, il existe heureusement quelques sources historiques et juridiques sur lesquels on peut s’appuyer pour effectuer quelques croisements supplémentaires.

Loin des caricatures faciles

On le doit sans nul doute aux esprits éclairés qui l’ont animé voilà près de 40 ans, mais un des atouts majeurs de ce programme est de soulever des questions tout à fait ouvertes sur la vie véritable de Villon. Pour peu, on y découvre presque un nouveau Villon, petit clerc, qui pourrait bien s’être démené pour tenter de devenir un auteur suffisamment reconnu pour en vivre. Aurait-il conçu son testament comme une sorte de book ? Angles nouveaux, hypothèses plus qu’affirmations, discussions et réflexions nourries en tout cas. On n’y tombe jamais dans la caricature facile et un peu romanesque d’un Villon repris à la sauce du XXe siècle : mauvais garçon, poète maudit, fornicateur et jouisseur patenté, voleur, criminel notoire, peut-être même coquillard, etc… Le tableau est impressionniste, il se découvre par petites touches entre ombre et lumière.

Au sortir, vous en apprendrez sur Villon dans cette émission qui remet un peu les pendules à l’heure, tout en se défendant de trancher aveuglément. On s’y posera des questions sur l’itinéraire professionnel comme sur les errances de Villon. On interrogera aussi, au passage, cette Ballade contre les ennemis de la France que nous avons déjà abondamment commentée. Était-elle une commande ou plutôt l’oeuvre spontanée d’un Villon naturellement attaché aux valeurs de la France ? Elle laissera nos intervenants un peu désaccordés aux portes du mystère. On y fera encore de belles incursions dans le Paris du milieu du XVe siècle et dans le cœur de ses tavernes.

De la vulgarisation en histoire

Au sortir de cette approche tout en nuances, qui ne craindra pas de laisser en chemin de belles interrogations et quelques espaces vides habités de mystère, on ne pourra s’empêcher de se dire que Jacques le Goff faisait encore, ici, la démonstration d’une chose : on pouvait (et on peut sans doute toujours) réunir autour d’une table d’excellents chercheurs universitaires et de brillants historiens tout en réussissant à faire une émission qui s’adresse à tout le monde, au public averti comme au grand public. Le tout sans tomber dans une histoire schématique, simplifiée, ni dans une sorte de « vulgate » narrative à un seul degré. Et s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation » (concept un peu fourre-tout dont il faut quelquefois se défier en ce qu’il commence à la sortie des laboratoires pour finir on ne sait où, et quelquefois jusque dans des productions à des lieues des vérités historiques sous prétexte de les mettre à portée), mais, soit, s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation », disais-je, alors elle devrait donner le La ou au moins de vraies lettres de noblesses à sa définition.

Jean Favier : grand historien-archiviste des XXeme-XXIeme siècle

Eléments de biographie

Jean Favier (1932-2014) est un historien archiviste chartiste des XXe et XXIe siècles. Egalement agrégé d’histoire, il suivit une brillante carrière universitaire débuté à Rennes puis Rouen et qui le conduisit finalement à être directeur d’Etudes à la prestigieuse Ecole Pratiques des Hautes Etudes. Il y officia de longues années, avant d’aller enseigner la Paléographie médiévale à la Sorbonne.

Au cours de son parcours, il a également été très actif dans le domaine de la culture ; il a notamment conduit, pendant plus de 20 ans, de grandes œuvres et travaux pour les archives nationales. Entre autres fonctions notables, on le retrouvera également président de l’Académie des Belles Lettres et, dans le domaine de la publication, directeur de la Revue Historique pendant 25 ans. Son action dans le domaine de la Culture, de l’Histoire et des Archives lui ont valu de nombreux titres honorifiques. Pour l’ensemble de son parcours et de ses contributions, Jean Favier est à juste titre, reconnu, à la fois comme un grand historien médiéviste et comme un grand serviteur de l’Etat.

L’ouvrage de Jean Favier sur François Villon

Ce livre est encore édité chez Fayard au format broché. Voici un lien utile pour plus d’informations : François Villon

Quelques autres publications

Si les contributions et publications de Jean Favier ne se sont pas cantonnées au Moyen Âge, il a tout de même produit un nombre considérable d’ouvrages dans ce domaine. Citons pour exemple : Philippe le Bel (1978, Fayard), La Guerre de Cent Ans (sorti chez Fayard en 1980 et qui lui vaudra plusieurs prix), La France féodale (1995, GLM ). Sur les circuits des affaires et le monde économique médiéval, on pourra également lire De l’Or et des épices : naissance de l’homme d’affaires au Moyen Âge (1987, Fayard), ou encore le Bourgeois de Paris au Moyen Âge (2012, Tallandier). Enfin, on pourra compléter cette esquisse de bibliographie par des ouvrages comme Louis XI (2001, Fayard) ou Les Plantagenêts  : origines et destin d’un empire (2004, Fayard), et on mentionnera encore son impressionnant Dictionnaire de la France Médiévale, sorti en 1993, chez Fayard également.

Les autres intervenants de cette émission

Philippe Contamine grand historien et universitaire, longtemps enseignant d’histoire du Moyen Âge à Paris X, puis à Paris V (voir son excellente conférence sur les Français aux temps médiévaux)

Félix Lecoy (1903-1997): philologue, romaniste et universitaire, spécialisé en littérature médiévale. Enseignant au Collège de France (chaire de langue et littérature française du Moyen Âge).

Bernard Guénée (1927-2010) : enseignant-chercheur, académicien et historien français, normalien, professeur émérite d’Histoire médiévale à La Sorbonne, directeur d’études  à l’EPHE.

Jacques le Goff (1924-2014) : historien-médiéviste, directeur de l’EPHE, co-directeur de la revue Les Annales, co-producteur et présentateur de l’émission les Lundis de l’Histoire. A l’image des trois autres, il est difficile de résumer son parcours en 2 phrases, mais disons que dans la ligne de la Nouvelle histoire, il a fait de l’histoire des mentalités du Moyen Âge et de l’anthropologie historique de l’Occident médiéval ses grandes spécialités. (voir d’autres articles à son sujet sur le site)

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Saadi : HUMILITÉ contre vanité intellectuelle et ORGUEIL

Sujet    : citations médiévales, sagesse persane,   conte moral, vanité, orgueil, science, apprentissage, humilité.
Période    : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur  :   Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage   :  Le Boustan  (Bustan) ou Verger,  traduction de  Charles Barbier de Meynard   (1880)


« Le vase qui déborde ne peut plus rien recevoir. (…) Suivez l’exemple de Saadi : parcourez le monde en renonçant à toute chose et vous reviendrez le cœur plein de science.« 

Mocharrafoddin SaadiChapitre IV De l’Humilité – Le Boustan


Bonjour à tous,

ous le savez, il nous arrive de sortir des frontières de l’Europe médiévale pour aller voir, un peu plus loin, ce qui se pense et ce qui s’écrit. Durant ces pérégrinations, nos pas nous ont souvent entraîné du côté du Moyen-Orient ; c’est encore le cas aujourd’hui, puisque nous revoilà dans la Perse du XIIIe siècle : celle du conteur et voyageur Mocharrafoddin Saadi.

La pire des ignorances

« Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. »

Socrate – Platon, l’Apologie de Socrate

Le petit conte du jour est une anecdote édifiante contre l’orgueil et la vanité intellectuelle. Saadi nous y enseigne qu’il n’est plus grand ennemi de la connaissance que la prétention de celui qui pense déjà tout savoir ; ajoutons pour notre compte que c’est même, sans doute, la pire forme d’ignorance.

Ainsi donc, pour pouvoir se remplir de « science », il faut être vide d’aprioris, mais surtout ne pas être plein de soi-même. En creux, on retrouvera l’idée d’une certaine humilité nécessaire dans l’apprentissage. Même si les philosophes grecs anciens ne l’ont pas toujours mise en exergue, on la retrouve relativement présente dans l’histoire de l’éducation et de la pédagogie.

L’humilité, valeur morale,
de Saadi à l’Occident médiéval

En tant que valeur morale en soi, l’humilité est omniprésente dans l’histoire des religions et des spiritualités. Les récits de transmission de la tradition asiatique et les relations de maître à disciple en sont remplis et, cinq siècles avant notre ère, Lao Tseu nous en contait déjà les vertus : « Toute noblesse vient de l’humilité. »

Cette même humilité sera louée par Saadi, à plusieurs reprises, dans ses œuvres. Il y consacrera même un chapitre entier du Boustan dont est tirée l’histoire du jour.

« L’humilité, voilà la règle (tarikat) du derviche. Toi qui aspires à la grandeur, sois petit et humble, c’est par là seulement que tu parviendras au faîte ; l’homme doué d’une raison supérieure s’incline humblement, comme l’arbre qui penche vers la terre ses rameaux chargés de fruits.

SaadiChapitre IV De l’Humilité – Le Boustan

Devant les hommes, devant Dieu, valeur sociale, valeur morale, valeur d’apprentissage, comme dans de nombreuses spiritualités, c’est, chez lui, une valeur à tiroirs, extensible du monde spirituel au monde réel. Dans le conte du jour, en « contrepoison de l’orgueil » pour paraphraser Voltaire, cette leçon d’humilité sera personnifiée par Abou’l-Hassan Gouschiar (442- 494), grand astronome du cinquième siècle, originaire de la province iranienne du Guilan ; le célèbre personnage refusera même de délivrer son enseignement à un prétendant à l’apprentissage, trop imbu de lui-même.

Au même moment, à des lieues de là, dans le Moyen Âge occidental et sous l’égide du christianisme, l’humilité trouvera également de nombreux arguments sous la plume d’un certain nombre d’auteurs. Ainsi, entre autres exemples, Rutebeuf, contemporain de Saadi, nous en montera la voie dans ses œuvres :


« Humiliteiz est si grant dame
Qu’ele ne crient home ne fame,
Et li Frere qui la maintiennent
Tout le roiaume en lor main tiennent »

Rutebeuf Ci encoumence li diz de la mensonge

Un peu plus tard encore, Eustache Deschamps écrira : « Humilité attrait le cuer des gens  » exhortant les puissants à la pratiquer, en en faisant, presque même, un argument de séduction.

une citation illustrée de Saadi

Gouschiâr et l’astrologue vaniteux

Un homme qui joignait a quelques connaissances astrologiques un orgueil insensé, fit un long voyage pour aller chez Gouschiâr ; il se présenta, le cœur plein du désir d’apprendre et la tête troublée par les fumées de l’orgueil. Le savant se détourna de lui sans lui apprendre un mot de la science qu’il enseignait ; mais lorsque l’étranger, déçu dans son attente, se préparait à partir, l’illustre astrologue lui dit :

— Tu crois être un savant accompli : mais le vase qui déborde ne peut plus rien recevoir. La vanité remplit ton cœur et voilà pourquoi tu t’en vas les mains vides. Il fallait te présenter à moi sans prétentions, si tu voulais partir riche de connaissances.

– Suivez l’exemple de Saadi : parcourez le monde en renonçant à toute chose et vous reviendrez le cœur plein de science.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

Au temps du portugal médiéval, LE chant d’amour d’un roi poète à sa dame

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_central

Sujet    :  troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie, chansons médiévales, cantigas de amor, musique médiévale, fin’amor.
Période  : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe s
Titre  :   Sen seu mandad’ oir e a non vi
Auteur  : Denis 1er du Portugal  (1261-1325)
Interprète   : Ensemble Tapestry
Album :  Faces of a Woman 2008

Bonjour à tous,

ontre l’image du trouvère ou du troubadour en guenilles, qui erre, au jour le jour, de châteaux en châteaux, pour mendier sa pitance, les sources historiques nous ont plutôt laissé l’image d’un art poétique et musical auquel s’adonnent les lettrés aisés du Moyen Âge. Pas vraiment miséreux, ils sont nobles, de petite, moyenne ou haute condition, et parmi les plus célèbres d’entre eux, on compte même des seigneurs et encore, quelquefois, des comtes, des princes et des rois.

Une Cantiga de amor de Denis 1er du Portugal dans la pure tradition courtoise

A cheval sur le XIIIe et le XIVe siècle, il y eut, au temps du Portugal médiéval, un monarque qui laissa son empreinte à la fois dans les développements économiques et commerciaux de son pays, comme dans les lettres. Il a pour nom Denis 1er du Portugal et il est le sixième souverain de ce royaume. Si on l’a surnommé le « roi laboureur » ou « agriculteur » (lavrador) pour sa politique rurale, c’est aussi un roi poète par son legs. Il nous est parvenu, en effet, un peu moins de 140 pièces variées de sa plume. Essentiellement profanes et rédigées en galaïco-portugais, on y trouve quelques cantigas de maldizer ou de maldecir (chansons satiriques et humoristiques), mais surtout des pièces plus courtoises comme des cantigas de amigo ou des cantigas de amor.

La pièce du jour appartient à cette dernière catégorie. Au Moyen Âge, quand il est question de se prêter à l’exercice des valeurs courtoises et de la fin’amor, le statut n’a rien à y voir. Ainsi, bien que Souverain de son état, on retrouvera, dans cette chanson, un poète transi se lamentant sur le sort que pourra bien lui réserver la dame de son cœur. Il nous conte, en effet, avoir manqué à ses devoirs de loyal amant en négligeant, depuis quelque temps, de la visiter et, du même coup, de répondre à ses attentes. Aussi, s’inquiète-t-il des représailles qu’il pourrait avoir à en subir.

A l’image des cantigas de amigo de cette période, mais aussi d’autres pièces auxquelles le roi poète du Portugal nous a habitué, le style de cette poésie est épuré. Les mots sont simples et le refrain met l’emphase sur l’émotion, en l’occurrence l’inquiétude du loyal amant face aux suites de son éloignement. Nous ne connaissons pas les causes, ni la durée de ce dernier, mais les codes sont bien ceux de la courtoisie. Pour découvrir cette chanson, nous vous en proposons ici une version en provenance des Etats-Unis, avec l’ensemble Tapestry.

L’ensemble américain Tapestry

A l’origine, Tapestry est un ensemble musical féminin, et même un trio, qui a vu le jour en 1995 à Boston. Il a été fondé par trois chanteuses ayant déjà largement fait leurs armes dans les répertoires des musiques anciennes et médiévales : Laurie Monahan. Cette mezzo soprano avait déjà cofondé l’ensemble Projet Ars Nova et a également joué longtemps aux côtés de l’ensemble Sequentia. On l’a trouve aussi liée à la célèbre école suisse Schola Cantorum Basiliensis. Cristi Catt est, quant à elle, une voix soprano qui a collaboré à des ensembles de prestige tels que la Boston Camerata, l’Ensemble PAN également, et d’autres formations de musiques anciennes. Enfin, Daniela Tošić,  chanteuse mezzo-soprano à alto, a travaillé, elle aussi, avec cette même grande famille d’artistes américains spécialisés dans les musiques anciennes : le Blue Heron, l’ensemble PAN, mais encore, entre autres références, avec la Donna Musicale d’Indianapolis.

Musiques médiévales, folk et traditionnelles : le goût de l’éclectisme

L'ensemble musical Tapestry
De droite à gauche, les fondatrices de Tapestry Daniela Tošić, Laurie Monahan et Cristi Catt.

Le répertoire de l’ensemble Tapestry est assez éclectique et ne se cantonne pas à la simple période médiévale. Si on a vu le trio, dans sa discographie, restituer un certain nombre de pièces de Hildegarde de Bingen, on a pu aussi le trouver sur des choses bien plus modernes avec des chansons issues du répertoire traditionnel ou folk anglo-saxon (irlandais, américain, …) ou même des compositions baroques à contemporaines.

On retrouvera même cette « élasticité », au sein des mêmes programmes où pourront se mêler des chansons de troubaritz du Moyen Âge français, avec des pièces en provenance de l’Espagne médiévale ou de la tradition séfarade, aux côtés de musiques des XIXe et XXeme siècle. Au final, du point de vue artistique, la formation ne se ferme sur rien et les regroupements qu’elle opère se font plutôt sur l’inspiration d’une thématique que d’une période. Pour avoir plus de détails sur quelques uns de leurs programmes ou leur discographie, vous pourrez consulter ici leur site web officiel (en anglais).

L’album Faces of Woman : les visages de la femme

Cet album sorti en 2008 est le fruit de cette approche plus thématique qu’historique ou géographique dont nous parlions plus haut. Il s’agit, en effet, pour Tapestry d’y mettre en exergue des portraits de femmes ayant marqué leur époque soit qu’elles aient composé elles-même certaines chansons présentées dans l’album soit qu’elles aient inspiré les poètes et compositeurs. Au total, dix-huit pièces sont donc au menu pour approximativement 90 minutes d’écoute. Nous nous permettons de reprenons ici les mots de All Music Guide qui avait salué l’album, à sa sortie :

Album de musiques médiévales, anciennes de Tapestry

 » Tapestry tisse ici un mélange de contes, de musique et de poésies pour révéler les multiples visages de la femme, allant de l’abbesse mystique du XIIe siècle Hildegarde von Bingen à la pirate irlandaise du XVIe siècle, Grace O’Malley. Musique de troubadours féminines, chants traditionnels, berceuses complètent ce fascinant portrait d’un femme. les sélections vont des motets médiévaux à des chansons folkloriques européennes ou américaines et jusqu’à même des pièces composées plus récemment. (…) Cette belle collection devrait intéresser les fans de musique ancienne, ceux de musique folk du monde et de mélanges de voix féminines. »

Du côté médiéval, on y trouvera une seule pièce de Don Denis (celle du jour), aux côtés d’une composition de Beatriz de Dia, un motet anonyme ainsi que deux pièces de Sainte Hildegarde. Pour le reste, le répertoire fait une grand bon dans le temps avec des pièces plus traditionnelles, folk, ou même classiques avec des compositeurs du XXe s, comme Sergey Rachmaninov, Joan Szymko, ou encore Malvina Reynolds.

Notons qu’au fil de ses albums, Tapestry s’est entouré de divers autres artistes. Ainsi pour Faces of woman, il comptait notamment avec la collaboration de la musicienne, vielliste, harpiste et multi-instrumentiste Shira Kammen. On trouve encore cet album à la distribution. Pour plus d’informations ou pour le pré-écouter, voir le lien suivant : Faces of a Woman, Ensemble Tapestry


« Non sei como me salv’ a mia senhor » :
la cantiga en galaïco-portugais et son adaptation

Non sei como me salv’ a mia senhor
se me Deus ant’ os seus olhos levar,
ca, par Deus, non hei como m’ assalvar
que me non julgue por seu traedor,
pois tamanho temp’ á que guareci
sen seu mandad’ oir e a non vi.

Je ne sais pas de quelle manière ma dame me secourrait
Si Dieu m’emportait sous ses yeux
Car, par Dieu, je ne sais comment éviter
Qu’elle ne me juge comme traître à sa cause,
Puisque voilà fort longtemps que je suis
Sans la voir, ni entendre un mot d’elle ( mandad :
ses volontés, ses demandes ?).

E sei eu mui ben no meu coraçon
o que mia senhor fremosa fará
depois que ant’ ela for: julgar-m’ á
por seu traedor con mui gran razon,
pois tamanho temp’ á que guareci
sen seu mandad’ oir e a non vi.

Et je sais très bien en mon cœur
Ce que ferait ma belle dame
Après que je me sois présenté face à elle
;
Elle me jugerait, avec raison, comme un traître,
Puisque voilà fort longtemps que je suis
Sans la voir, ni entendre un mot d’elle
.

E, pois tamanho foi o erro meu,
que lhe fiz torto tan descomunal,
se mi a sa mui gran mesura non val,
julgar-m’ á por en por traedor seu,
pois tamanho temp’ á que guareci
sen seu mandad’ oir e a non vi.

Se o juizo passar assi,
ai eu, cativ’! e que será de min?

Et puisque mon erreur fut tant grande
Et que je lui ai fait un tort immérité (grand, hors du commun),
Si sa grande mansuétude (mesure) ne me vient pas en aide,
Elle devra me juger pour tout cela comme un traître
Puisque voilà fort longtemps que je suis
Sans la voir, ni entendre un mot d’elle
.

Si elle me juge de telle manière (si le jugement se passe de cette façon),
Hélas (Aïe, Oh), Malheur ! Qu’adviendra-t-il de moi ?


En vous souhaitant une belle journée.

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.