Archives par mot-clé : moyen français

une Ballade satirique sur la vie curiale

Sujet :  poésies,  ballade médiévale, poésie satirique, moyen français, vie curiale, dépravation, immoralité, flatterie, satire.
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Anonyme
Ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons de rester au XVe siècle, avec une nouvelle ballade satirique sur la vie de cour. Le monde médiéval, et, peut-être plus particulièrement encore, le tardif, n’a pas été avare de poésies et de textes sur ce sujet : au Moyen Âge central et au XIIIe siècle, il y eut Jean de Meung, Rutebeuf et d’autres. Plus tard encore, au XIVe et XVe siècle, on se souvient d’auteurs comme Philippe de Vitry, Eustache Deschamps, Alain Chartier, Jean Meschinot, etc… De fait, la liste pourrait être longue des satires médiévales qui dénoncent l’hypocrisie, l’immoralité, le dévoiement, ou encore les flatteries et les manœuvres calculées qui entourent les couloirs du pouvoir et les couronnes.

Les travers de cette vie curiale sont souvent présentés de manière détachée de la personnalité du prince ou du seigneur qui y règne. C’est alors comme une sorte d’univers « parasite » autonome qui se met en place, un peu comme une fatalité induite par les jeux de pouvoir et l’éternelle comédie humaine (voir, par exemple, deux ballades d’Eustache Deschamps ou encore cet extrait des Lunettes des Princes de Jean Meschinot ). Dans d’autres cas, on adresse le pouvoir, ou on le rend plus directement responsable de laisser vivre et perdurer ce poison. Eustache Deschamps et d’autres mettront même, en avant, l’ingratitude des princes vis à vis de leurs serviteurs de cour (« Je muir de froit, l’en m’a payé du vent« ).

Une ballade des « maximes de court »

On peut trouver la pièce du jour, à la fin d’un ouvrage daté du milieu du XVIIIe siècle : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne ». Cette compilation de poésies du Moyen Âge tardif présente en exergue « La Danse aux aveugles » de Pierre Michault ainsi que quelques autres œuvres de cet auteur médiéval, prêtre et poète à la cour de Bourgogne. On notera, au passage des erreurs d’attribution comme par exemple la  » Complainte de tres haulte et vertueuse dame ma dame Ysabel de Bourbon, contesse de Charrolois« , souvent attribuée à Pierre Michault et qu’on a fini par restituer à son auteur original : Amé (ou Aimé) de Montgesoie.

Sources et attributions

Lambert Douxfils, le compilateur du XVIIIe siècle a décidé de faire suivre ces pièces d’une sélection d’autres textes empruntés au même manuscrit (ou d’autres ?) de la bibliothèque des ducs de Bourgogne. Certains sont signés, d’autres, dans la dernière partie de l’ouvrage sont anonymes. Le compilateur ne donne pas la référence précise du ou des ouvrages anciens sur lequel il s’est appuyé. Pour remonter aux sources, nous serons donc quittes de plonger dans les nombreux manuscrits répertoriés faisant mention de la dance aux aveugles ou d’autres textes cité par l’éditeur, sans être tout à fait certain que les ouvrages en question, à près de 300 ans de là, soient présents à la BnF, sur Gallica ou sur une autre Bibliothèque numérique. Recherche en cours… A moi Arlima(.net) !

Du point de vue de son contenu et au moins sur le fond, cette ballade des « Maximes de court » aurait pu être signée de la plume d’un Eustache Deschamps, voire même d’un Chartier. Toutefois, dans le manuscrit dont l’a extraite son éditeur, elle est supposée être demeurée anonyme. Pour l’instant et après des premières recherches, elle ne semble pas avoir été attribuée plus tardivement à un auteur reconnu. On notera que le premier vers n’est pas sans évoquer un rondeau de Blosseville que nous avions déjà présenté par ailleurs (voir pour contrefaire l’amoureux, Trois rondeaux de Blosseville à la cour d’Orléans), mais cela ne préjuge en rien de son attribution.


Maximes de Court

Qui ne contrefait l’amoureux ,
Qui ne scet faindre son penser.
Qui ne rit sans estre joyeux.
Qui ne scet souvent rigouler,
Qui ne scet braire ou hault chanter ,
Qui n’a dequoy estre jolys .
Qui n’a le bec au vent toudys .
Qui n’a ung peu du poil du lourt ;
En verité c’est ung chetifs,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Qui n’est un petit envieux.
Qui ne scet son maistre flater.
Qui ne devient gloux ou precieux ,
Qui n’aprent a dissimuler,
Qui n’est maistre du bas vouler.
Qui ne scet acquerir amys ,
Qui n’est du bas mestier apris,
Qui n’aprent a faire le sourt ;
Je vous dis bien qu’en ce pays
Il n’a que faire d’estre a Court,

Qui veut estre religieux,
Qui ne scet boire & banqueter,
Qui ne veult estre convoiteux ,
Qui ne scet prendre sans donner ,
Qui veut de conscience user ,
Qui de pratique n’est garnis ,
Qui de demander n’est hardis
Selon le temps qui ores court;
Par le corps Dieu de paradis ,
Il n’a que faire d’estre a Court.

Princes, es haultes Cours jadis ,
N’estois recullis ne ouys
Nul qui fust vicieux ne lourt ;
Ains a present il m’est advis ,
Que qui de vices n’est remplis
Il n’a que faire d’estre a Court.


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

NP : l’enluminure de l’image d’en-tête (banquet à la cour) est tiré du manuscrit médiéval Français 12574. Cet ouvrage ayant pour titre « Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe » est daté du XVe siècle. Il est actuellement conservé à la BnF et consultable sur Gallica au lien suivant).

Quatrain : l’homme de raison & l’homme de cour

Sujet :  poésies courtes,  quatrain, poésie satirique, moyen français, XVe siècle, Moyen Âge tardif, auteur anonyme.

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous proposons un quatrain qui, tout bien considéré, pourrait être de circonstances. Demeurée anonyme, cette poésie courte nous provient du Moyen Âge tardif. Elle est tirée d’une compilation de pièces médiévales qu’on peut retrouver dans l’ouvrage : « La Danse aux Aveugles et autres poésies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne » (édition de 1748 chez André Joseph Panckoucke Libraire).

Si toute la première partie de cet ouvrage reproduit la Danse aux aveugles de Pierre Michault, ce quatrain demeuré anonyme apparait dans sa deuxième partie, aux cotés de quelques autres poésies courtes et proverbe du même type. Ces pièces viennent en prélude d’un texte intitulé : Le Petit Traittiet du Malheur de la France et demeuré, lui aussi, anonyme. De notre côté et au vue du contexte, il nous est bien difficile de nous retenir de trouver dans ce quatrain, quelques accents d’actualité.


Poésie médiévale Quatrain anonyme

L’homme vivant selon raison,
Considéré le temps qui court,
Est plus aisé en sa maison
Que ne sont ceux qui sont en Court.

Quatrain anonyme du XVe siècle


Vie normale vs vie curiale

Ce quatrain oppose la tranquillité et la sagesse d’une vie normale aux vicissitudes d’une vie de cour, proche des couloirs du pouvoir. Historiquement, cette critique de la vie curiale, déjà présente dans la littérature du Moyen Âge central, le devient encore plus à l’approche du Moyen Âge tardif. On se souvient au XIVe et XVe siècles des envolées d’un Eustache Deschamps sur ce même sujet, du Dit de Franc Gontier de Philippe de Vitry ou encore du Curial de Alain Chartier dont voici un court extrait :

« Les abus de la court et la manière des gens curiaux sont telz que jamez homme n’y est souffert durer sans estre corrumpu, ou n’y est souffert soy eslever s’il n’est corrumpable« . (…) « Telz sont les ouvraiges de court, que les simples y sont mesprisez, les vertueux enviez et les arrogans orgueilleux en perilz mortelz« . Le Curial, Alain Chartier

Dans le reste du passage, Chartier donnera mille détails pour exhorter son frère à préférer sa vie paisible et à se tenir, le plus éloigné possible, des folies de la cour.

Une enluminure de la cour de Bourgogne

Sur l’image en-tête d’article, le président de la république française Emmanuel Macron reçoit des mains de son conseil scientifique, un 60eme rapport sur la situation sanitaire, établissant la nécessité absolue d’un 14eme confinement. Bon ça va, je plaisante… Cette enluminure est tirée du Cod. 2549, Romance ou Chronique de Girart de Roussillon. Elle représente le duc de Bourgogne Philippe le Bon en train de recevoir la chronique. Ce manuscrit ancien, daté du milieu du XVe est conservé à la Bibliothèque nationale autrichienne de Vienne.

Une belle journée
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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TREIZAIN : Amours déçues pour Melin De Saint Gelais

Sujet :  poésies courtes,  poésie de cour, treizain, moyen français, courtoisie, manuscrit ancien.
Période :   XVIe, renaissance, hiver du Moyen Âge
Auteur  :  Mellin Sainct-Gelays ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558)
Ouvrage  :    Œuvres complètes de Mellin Sainct-Gelays  par Proper Blanchemain, T2 (1873)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous piochons dans le legs du poète de cour Melin de Saint-Gelais pour en tirer un joli treizain sentimental, mâtiné de déception. Dans ses œuvres complètes au sujet de l’auteur renaissant (op cité), Prosper Blanchemain constatait son incapacité à vraiment déchiffrer cette poésie. Il est vrai que Melin y laissait quelques flottements.


Définition : en poésie, un « treizain » désigne une strophe ou même un poème complet de 13 vers. Dans cette acception, ce mot demeure désormais assez peu usité et hors du contexte de la versification, ses autres sens l’ont emporté : 1/monnaie du Moyen Âge ou dans certaines régions, 2/série de pièces offertes par le futur marié à sa promise au moment des épousailles.


Treizain de Mellin de Sainct Gelays illustré
T

Cour, jeux courtois et courtoisie ?

On ne connait pas la destinataire de cet treizain et, si Melin de Saint Gelais n’y livre pas quantité de détails, on peut tout de même avancer quelques commentaires. Sur le fond, on retrouve notre poète en amant ou prétendant piqué au vif par une dame qu’il a, semble-t-il, longtemps courtisée (ou peut-être même fréquentée) sans parvenir à susciter chez elle l’intérêt souhaité. Il se sent même assez clairement instrumentalisé, puisque voulant la toucher par ses vers, il fait le constat de n’être parvenu qu’à la flatter, se faisant, malgré lui, la voix du miroir de la fable (« miroir miroir dis moi qui est la plus belle« ).

S’il plane, dans cette poésie, comme un parfum de rupture, on ne peut s’empêcher de lire entre les lignes, la survivance d’une certaine forme de courtoisie (sous réserve de s’entendre sur les définitions). i.e. Le poète, en position basse, a envoyé, sans relâche, ses vers en direction de la dame pour la conquérir, attendant en retour un assentiment ou une réciprocité qui n’est pas venue. Si on peut supposer que non, on ne peut vraiment savoir si l’amour a déjà été ou non consommé. Rien n’est clair, non plus, sur le statut de la dame ou ses éventuels engagements. Nous ne sommes donc plus, ici, dans la définition stricte de l’Amour courtois médiéval cher à Gaston Paris, mais la posture, la façon de courtiser qu’on peut y déchiffrer, ont des résonnances courtoises.

Quant à la chute (magistrale) avec cette « ignorance » que le poète s’inflige contre la « cruauté » qu’il prête à la dame, on pourrait y lire plusieurs choses. Fait elle allusion à la naïveté du poète d’avoir cru pouvoir conquérir sa muse, à son méjugement pour avoir pensé qu’elle franchirait la distance et se laisserait toucher par ses avances ? Ou, peut-être encore, se réfère-t-il à l’ignorance dans laquelle lui-même était tenu de certains engagements existants de la dame ou de certaines dispositions d’esprit de cette dernière (déjà perdantes) à son encontre ? Dans tous les cas, loin des jeux courtois, l’auteur ne semble pas disposé à se comporter en loyal amant docile, prompt à endurer toujours plus. La muse pourra garder les textes et s’y mirer à loisir. Il reprend ses engagements. Et dans un ultime sursaut, il se libère de sa « prison d’amour » sur les plans poétique, épistolaire et factuel. Un peu de discrétion sur toute l’affaire, voilà tout ce qu’il attend d’elle.

Sources manuscrites historiques

Melin de Saint-Gelais - manuscrit médiéval ancien

On pourra retrouver cette poésie dans le manuscrit Français 885, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Daté de la deuxième moitié du XVIe siècle, cet ouvrage, plutôt sobre, contient des poésies de Melin de Saint-Gelais, sur un total de 240 feuillets (à consulter en ligne ici). Il s’agit vraisemblablement d’une copie d’un autre manuscrit : le Vaticane Ms. Reg. Lat. 1493.

La poésie du jour se trouve, vers la fin du BN Fr 885 (fol 218). Dans son ouvrage de 1873, Prosper Blanchemain l’a classée au côté d’un vingtaine d’autres pièces inédites de Saint Gelais tirées de ce même manuscrit. Du point de vue stylistique, ce treizain est rondement mené par Melin et son sens de la chute, ici en miroir, entre cruauté et ignorance, le fait littéralement décoller. Au contraire de certains textes plus anciens et plus ardus, le moyen-français du XVIe siècle gomme les distances avec notre français moderne et cette accessibilité permet à cette poésie de toucher efficacement au but, même si elle conserve ses mystères.


Melin en poète amoureux brûlé à son propre feu

Voyant mon feu tant d’estés et d’hyvers
Continuer et de plus en plus croistre,
J’avois conclu de brusler tous mes vers
Pour ne les veoir plus heureus que le maistre
(lui-même),
Et leur doner par espreuve à cognoistre
Ce qu’ils n’ont sceu de moy vous exprimer.

Mais, vous taschant à moy seul enflammer
Et estimant en eux vos beaultez vivres,
Les avés mis pres de vous à délivre.

Gardés-les donc puis qu’il vous plait, madame,
Sans leur donner d’autruy la privauté,
Car, s’ils sont v(e)us, nous deus en aurons blasme,
Moy d’ignorance et vous de cruauté.

Treizain – Melin de Saint Gelais


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Le Villon de jean favier et 5 médiévisteS pour un programme d’exception signé france culture

Sujet  : poésie médiévale, moyen-français,  historiens médiévistes, littérature médiévale, biographie.
Auteur : François Villon    (1431-?1463)
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre Les Lundis de l’Histoire, France Culture
Ouvrage :  François Villon, Jean Favier, Fayard (1982)

Bonjour à tous,

e 1966 à 2014, France Culture a présenté, chaque début de semaine, en milieu d’après-midi, un programme dédié à la passion de l’Histoire et à ses plus grands auteurs et chercheurs. Cette émission d’anthologie avait pour titre Les Lundis de l’Histoire. Las ! après une longue aventure de presque 50 ans, elle s’est finalement, arrêtée avec le décès de Jacques le Goff qui l’avait animée, de son brillant esprit, dès 1968.

Cinq experts pour éclairer la biographie et l’oeuvre de François Villon

Actuellement, on peut trouver, sur le site de France Culture, un nombre important de podcasts des Lundis de l’Histoire. Ils couvrent une période allant de 2005 à 2014. Pourtant, à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait d’archives publiques sur les éditions précédentes de cette grande émission. Tout en étant heureux de retrouver déjà près de 400 opus sur le site de la radio, on peut le déplorer, en espérant que le futur verra naître un tel projet. En près d’un demi-siècle, ce programme radiophonique a, en effet, vu passer, sous la houlette du médiéviste Jacques Le Goff, les plus prestigieux historiens et esprits du temps ; elle a aussi traité tous les thèmes, finissant, par entrer, à son tour, dans l’Histoire, mais aussi dans l’Histoire de l’Histoire, soit l’Historiographie.

Dans l’attente de voir, peut-être un jour, des archives complètes, aujourd’hui, il nous faut rendre grâce à la très littéraire chaîne Youtube Eclair Brut de Arthur Yasmine (jeune auteur qui a, par ailleurs, déjà fait publier plusieurs ouvrages de poésies) pour être parvenue, une fois de plus, à débusquer une pièce rare. Issue d’une édition des Lundis de l’histoire diffusée à l’automne 1982, ce programme réunit quatre éminents experts du moyen âge, auxquels on ajoutera, bien sûr, l’animateur lui même : l’historien Jacques le Goff. Le thème de cette émission nous est cher puisqu’elle traite de François de Montcorbier, que nous connaissons tous mieux sous le nom de François Villon ; ce programme d’exception fut enregistré à l’occasion de la sortie, cette même année 1982, par Jean Favier (lui-même grand historien de la période médiévale) de son ouvrage : « François Villon » chez Fayard.

Villon, son oeuvre et sa vie, sous l’œil de grands chercheurs et historiens du XXe siècle

Un Villon plus réel que jamais

« Des écoles aux tavernes, du port en Grève au cimetière des Innocents, de la cour chevaleresque du roi René au bouge de la Grosse Margot, les véritables héros de ce livre sont la vie et la mort, Dieu et la Fortune, l’amour et la haine, la justice et la misère. Mais l’oeil du poète est malicieux, et il a cent facettes. »

François Villon, Jean Favier ( Fayard, 1982)

Plus qu’un tour complet de l’œuvre de Villon, on abordera, dans ce programme, des éléments au plus près de la vie de cet auteur du Moyen Âge tardif. C’est même d’ailleurs tout l’intérêt de cette émission même si, bien entendu, les deux ne peuvent être démêlées si facilement : comme pour bien des auteurs de cette période, l’œuvre alimente nécessairement une partie de ce que les historiens tentent de déduire de sa biographie, même en y mettant, bien sûr, tous les guillemets que cela suppose. Sur Villon, il existe heureusement quelques sources historiques et juridiques sur lesquels on peut s’appuyer pour effectuer quelques croisements supplémentaires.

Loin des caricatures faciles

On le doit sans nul doute aux esprits éclairés qui l’ont animé voilà près de 40 ans, mais un des atouts majeurs de ce programme est de soulever des questions tout à fait ouvertes sur la vie véritable de Villon. Pour peu, on y découvre presque un nouveau Villon, petit clerc, qui pourrait bien s’être démené pour tenter de devenir un auteur suffisamment reconnu pour en vivre. Aurait-il conçu son testament comme une sorte de book ? Angles nouveaux, hypothèses plus qu’affirmations, discussions et réflexions nourries en tout cas. On n’y tombe jamais dans la caricature facile et un peu romanesque d’un Villon repris à la sauce du XXe siècle : mauvais garçon, poète maudit, fornicateur et jouisseur patenté, voleur, criminel notoire, peut-être même coquillard, etc… Le tableau est impressionniste, il se découvre par petites touches entre ombre et lumière.

Au sortir, vous en apprendrez sur Villon dans cette émission qui remet un peu les pendules à l’heure, tout en se défendant de trancher aveuglément. On s’y posera des questions sur l’itinéraire professionnel comme sur les errances de Villon. On interrogera aussi, au passage, cette Ballade contre les ennemis de la France que nous avons déjà abondamment commentée. Était-elle une commande ou plutôt l’oeuvre spontanée d’un Villon naturellement attaché aux valeurs de la France ? Elle laissera nos intervenants un peu désaccordés aux portes du mystère. On y fera encore de belles incursions dans le Paris du milieu du XVe siècle et dans le cœur de ses tavernes.

De la vulgarisation en histoire

Au sortir de cette approche tout en nuances, qui ne craindra pas de laisser en chemin de belles interrogations et quelques espaces vides habités de mystère, on ne pourra s’empêcher de se dire que Jacques le Goff faisait encore, ici, la démonstration d’une chose : on pouvait (et on peut sans doute toujours) réunir autour d’une table d’excellents chercheurs universitaires et de brillants historiens tout en réussissant à faire une émission qui s’adresse à tout le monde, au public averti comme au grand public. Le tout sans tomber dans une histoire schématique, simplifiée, ni dans une sorte de « vulgate » narrative à un seul degré. Et s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation » (concept un peu fourre-tout dont il faut quelquefois se défier en ce qu’il commence à la sortie des laboratoires pour finir on ne sait où, et quelquefois jusque dans des productions à des lieues des vérités historiques sous prétexte de les mettre à portée), mais, soit, s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation », disais-je, alors elle devrait donner le La ou au moins de vraies lettres de noblesses à sa définition.

Jean Favier : grand historien-archiviste des XXeme-XXIeme siècle

Eléments de biographie

Jean Favier (1932-2014) est un historien archiviste chartiste des XXe et XXIe siècles. Egalement agrégé d’histoire, il suivit une brillante carrière universitaire débuté à Rennes puis Rouen et qui le conduisit finalement à être directeur d’Etudes à la prestigieuse Ecole Pratiques des Hautes Etudes. Il y officia de longues années, avant d’aller enseigner la Paléographie médiévale à la Sorbonne.

Au cours de son parcours, il a également été très actif dans le domaine de la culture ; il a notamment conduit, pendant plus de 20 ans, de grandes œuvres et travaux pour les archives nationales. Entre autres fonctions notables, on le retrouvera également président de l’Académie des Belles Lettres et, dans le domaine de la publication, directeur de la Revue Historique pendant 25 ans. Son action dans le domaine de la Culture, de l’Histoire et des Archives lui ont valu de nombreux titres honorifiques. Pour l’ensemble de son parcours et de ses contributions, Jean Favier est à juste titre, reconnu, à la fois comme un grand historien médiéviste et comme un grand serviteur de l’Etat.

L’ouvrage de Jean Favier sur François Villon

Ce livre est encore édité chez Fayard au format broché. Voici un lien utile pour plus d’informations : François Villon

Quelques autres publications

Si les contributions et publications de Jean Favier ne se sont pas cantonnées au Moyen Âge, il a tout de même produit un nombre considérable d’ouvrages dans ce domaine. Citons pour exemple : Philippe le Bel (1978, Fayard), La Guerre de Cent Ans (sorti chez Fayard en 1980 et qui lui vaudra plusieurs prix), La France féodale (1995, GLM ). Sur les circuits des affaires et le monde économique médiéval, on pourra également lire De l’Or et des épices : naissance de l’homme d’affaires au Moyen Âge (1987, Fayard), ou encore le Bourgeois de Paris au Moyen Âge (2012, Tallandier). Enfin, on pourra compléter cette esquisse de bibliographie par des ouvrages comme Louis XI (2001, Fayard) ou Les Plantagenêts  : origines et destin d’un empire (2004, Fayard), et on mentionnera encore son impressionnant Dictionnaire de la France Médiévale, sorti en 1993, chez Fayard également.

Les autres intervenants de cette émission

Philippe Contamine grand historien et universitaire, longtemps enseignant d’histoire du Moyen Âge à Paris X, puis à Paris V (voir son excellente conférence sur les Français aux temps médiévaux)

Félix Lecoy (1903-1997): philologue, romaniste et universitaire, spécialisé en littérature médiévale. Enseignant au Collège de France (chaire de langue et littérature française du Moyen Âge).

Bernard Guénée (1927-2010) : enseignant-chercheur, académicien et historien français, normalien, professeur émérite d’Histoire médiévale à La Sorbonne, directeur d’études  à l’EPHE.

Jacques le Goff (1924-2014) : historien-médiéviste, directeur de l’EPHE, co-directeur de la revue Les Annales, co-producteur et présentateur de l’émission les Lundis de l’Histoire. A l’image des trois autres, il est difficile de résumer son parcours en 2 phrases, mais disons que dans la ligne de la Nouvelle histoire, il a fait de l’histoire des mentalités du Moyen Âge et de l’anthropologie historique de l’Occident médiéval ses grandes spécialités. (voir d’autres articles à son sujet sur le site)

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.