Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vengeance, Vierge, chevalier Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Se óme fezér de grado pola Virgen algún ben, Interprètes : Rosa Gallica (régizenei együttes)
Bonjour à tous,
ous poursuivons notre voyage du côté de l’Espagne médiévale, avec les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille, toutes entières dédiées au culte marial. Aujourd’hui, nous approchons de plus près la .Cantiga 207. Elle nous conte l’histoire d’un chevalier fervent serviteur de la Sainte qui, voulant venger son fils assassiné par un autre chevalier, accorda finalement son pardon au meurtrier et le relâchera après avoir vu l’image de la vierge (sans doute une statue) dans une église. Il est donc question ici de miracle puisque le poète nous conte même qu’ayant vu l’homme faire montre de clémence, la statue s’inclina et l’en remercia.
La Cantiga 207 par l’Ensemble médiéval Rosa Gallica musique ancienne
L’Ensemble médiéval Rosa Gallica
C’est, cette fois, du côté de la Hongrie que nous entraîne l’interprétation de la cantate du jour. Nous la devons à un tout jeune groupe qui s’est formé en 2014.
En prenant le nom de Rosa Gallica, (nom latin de la Rose de Provins), ces créateurs ont aussi tenu à marquer clairement leur intérêt pour le répertoire galaïco- portugais du moyen-âge central et notamment les Cantigas de Santa Maria d’Alphonse le Sage. De fait, ils se produisent depuis quelques années déjà, sur la scène hongroise dans un spectacle qui leur est totalement consacré.
La formation trouve en réalité ses origines dans un trio de joyeux musiciens du nom de Sub Rosa présent dans le champ de la musique médiévale depuis 1999. A l’occasion du projet autour des Cantigas, les trois artistes ont décidé d’élargir leur collaboration à plusieurs autres musiciens de talent, dont notamment une chanteuse à la superbe voix : Anna Orsolya Juhász.
Bien que n’ayant pour l’instant qu’une carrière relativement courte, on doit déjà à Rosa Gallica deux mini-CDs ainsi qu’un livre audio autour de Cantigas. Vous pourrez retrouver ces productions ainsi que des musiques à télécharger sur leur site web. Dans le même temps, le Trio Sub-Rosa continue de produire ses propres spectacles ou albums sur un répertoire plus profane et festif mais qui reste centré sur le moyen-âge central et même plus spécifiquement le XIIIe siècle.
La Cantiga de Santa Maria 207
La vengeance d’un chevalier
Esta é como un cavaleiro poderoso levava a mal outro por un fillo que lle matara, e soltó-o en ũa eigreja de Santa María, e disse-lle a Magestade “gracías” porên.
Celle-ci raconte comment un chevalier puissant en voulait (malmenait) à un autre qui avait tué son fils, et le relâcha dans une église de Sainte-Marie, et sa majesté lui dit « Merci » pour cela.
Se óme fezér de grado pola Virgen algún ben, demostrar-ll’ averá ela sinaes que lle praz ên.
Si vous accomplissez avec bonne volonté, quelque bonne action pour la vierge, elle vous montrera les signes qu’elle s’en réjouit.
Desto vos direi miragre, ond’ averedes sabor, que mostrou Santa María con merce’ e con amor a un mui bon cavaleiro e séu quito servidor, que ena servir metía séu coraçôn e séu sen.
Se óme fezér de grado pola Virgen algún ben…
A ce propos, je vous conterai d’un miracle, que vous goûterez la saveur Qui montre la miséricorde et l’amour de Sainte Marie envers un bon chevalier qui était son serviteur et qui mettait son cœur et son intelligence à la servir.
El avía un séu fillo que sabía mais amar ca si, e un cavaleiro matou-llo. E con pesar do fillo foi el prendê-lo, e quiséra-o matar u el séu fillo matara, que lle non valvésse ren.
Se óme fezér de grado pola Virgen algún ben…
Il avait un fils à qui il donnait beaucoup d’amour Mais, hélas, un chevalier le tua. Et portant la tristesse Du fils qu’on lui avait pris, il voulut le tuer à l’endroit même où l’autre avait tué son fils, même si cela ne servait à rien.
E el levando-o preso en ũa eigreja ‘ntrou, e o pres’ entrou pós ele, e el del non se nembrou; e pois que viu a omagen da Virgen i, o soltou, e omildou-s’ a omagen e disso “graças” porên.
Se óme fezér de grado pola Virgen algún ben…
Et comme il l’avait fait prisonnier, il entra dans une église, Et le prisonnier entra après lui, et ce dernier ne se souvenait plus de lui ; Et après qu’il ait vu l’image (statue) de la Vierge, il le relâcha, Et alors « l’image » s’inclina et dit « Merci pour cela ».
Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale, poésie satirique, sirvantes, sirvantois, occitan Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « Dirai vos senes duptansa» Interprètes : Ensemble Tre Fontane Album : Nuits Occitanes (2014)
Bonjour à tous,
a chanson médiévale du jour nous ramène vers l’un des premiers troubadours qui se trouve être aussi , sans doute, l’un des plus fascinants d’entre eux pour sa poésie hermétique si difficilement saisissable et son style unique.
A des lieues de la lyrique courtoise
Contrairement à nombre d’artistes, musiciens et poètes occitans contemporains de Marcabru et qui s’affairaient déjà à codifier la poésie en « l’enchâssant » dans la lyrique courtoise, au point quelquefois de l’y noyer entièrement, notre auteur médiéval du jour n’a pas chanté la fine amor (fin’amor). Il en a même plus volontiers pris le total contre pied. Ecole idéaliste et courtoise contre école réaliste, dont Marcabru se serait fait un brillant chef de file (1) ? Les choses sont dans les faits un peu plus nuancés, mais en tout cas, sur bien des thèmes et le concernant, sa poésie se tient dans l’invective et la satire et l’amour n’y échappe pas (sauf à l’exception qu’il soit de nature divine). A ce sujet, les manuscrits anciens contenant les vidas des troubadours enfonceront d’ailleurs le clou :
« Trobaire fo dels premiers q’om se recort. De caitivetz vers e de caitivetz sirventes fez ; e dis mal de las femnas e d’amor. » Le Parnasse occitanien. S.° Palaye. Manuscrit de Saibante. (1819)
« Il fut l’un des premiers troubadours dont on se souvient. Il fit des vers misérables* et de misérables serventois : et il médit des femmes et de l’amour. » (misérable n’adresse sans doute pas tant ici le style que l’état d’esprit ou la condition du poète).
« Dirai vos senes duptansa », de Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane
Le Marcabru de l’Ensemble Tre Fontane
L’interprétation du jour nous offre le grand plaisir de recroiser la route de l’excellent Ensemble médiéval Tre Fontane dont nous avons parlé dans un article récent. Loin des rivages du chant lyrique qui couvre une partie importante du répertoire médiéval, cette version très « terrienne » etpleine d’une émotion bien plantée de Jean-Luc Madier, semble vraiment faire écho à celui qui disait dans ses vers et de sa propre voix qu’elle était « rude » ou rauque.
Les troubadours Aquitains Le chant des Troubadours – Vol. 1
La chanson Dirai vos senes duptansa est tirée d’un album de 1991 de la formation aquitaine et française. On y retrouve onze pièces occitanes issues du répertoire des tous premiers troubadours du moyen-âge central. Marcabru y côtoie Jaufrey Rudel mais aussi Guillaume de Poitiers, IXe Duc d’Aquitaine (Guillaume le Troubadour).
Cette production a le grand intérêt de rassembler la totalité des mélodies qui nous sont parvenues de ces trois auteurs. On pourra encore y trouver trois autres compositions de la même période : une de Guilhelm de Figueira, une autre de Gausbert Amiel et enfin une dernière demeurée anonyme. L’album ne semble pas réédité pour l’instant mais on en trouve encore quelques exemplaires d’occasion en ligne. Voici un lien utile (à date) pour les dénicher : Tre Fontane – Le chant des Troubadours Vol 1/ Les Troubadours Aquitains
Dirai vos senes duptansa
Comme nous le disions plus haut, il ne faut pas attendre de Marcabru qu’il se coule dans la peau du fine amant fébrile qui se « muir d’amourette ». C’est bien plutôt dans celle du désabusé et de celui qui se défie d’aimer qu’il faut le chercher. Dans cette chanson qu’il entend nous livrer « sans hésitation », il vient même nous conter dans le détail, tout ce qu’il pense des tortueux sentiers et des pièges de l’Amour. Tout cela n’est, à l’évidence, pas pour lui et il se fait même un devoir d’interpeller son public dans chacune de ses strophes pour mieux l’éveiller et le mettre en garde: « Ecoutez ! »
Comme pour les autres traductions que nous vous avons déjà proposées de cet auteur, nous nous appuyons largement ici sur celles du Docteur et écrivain Jean-Marie Lucien Dejeanne dans son ouvrage intitulé Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Mais comme on ne se refait pas, nous les combinons tout de même avec des sources supplémentaires (dictionnaires, autres traductions, etc…). Au final, elles n’ont pas la prétention d’être parfaites et pourraient même sans doute prêter le flanc à l’argumentation mais, encore une fois, le propos est d’approcher la poésie de cet auteur.
Dirai vos senes duptansa
les Paroles en occitan & leur traduction
I Dirai vos senes duptansa D’aquest vers la comensansa Li mot fan de ver semblansa; – Escoutatz ! – Qui ves Proeza balansa Semblansa fai de malvatz.
Je vous dirai sans hésitation de ce vers, le commencement Les mots ont du vrai, la semblance (l’apparence de la vérité) ! Écoutez ! Celui qui, face à l’excellence (bonne parole, prouesse, exploit), hésite me fait l’effet d’un méchant (un mauvais, un scélérat).
II Jovens faill e fraing e brisa, Et Amors es d’aital guisa De totz cessais a ces prisa, – Escoutatz ! – Chascus en pren sa devisa, Ja pois no’n sera cuitatz.
Jeunesse déchoit, tombe et se brise. Et Amour est de telle sorte Qu’à tous ceux qu’il soumet, il prélève le cens (une redevance, un tribut) Écoutez ! Chacun en doit sa part (Que chacun se le tienne pour dit ? ) Jamais plus, après cela, il n’en sera quitte (dispensé).
III Amors vai com la belluja Que coa-l fuec en la suja Art lo fust e la festuja, – Escoutatz ! – E non sap vas quai part fuja Cel qui del fuec es gastatz.
L’Amour est comme l’étincelle Qui couve le feu dans la suie, puis brûle le bois et la paille, Écoutez ! Et il ne sait plus de quel côté fuir, Celui qui est dévoré par le feu.
IV Dirai vos d’Amor com signa; De sai guarda, de lai guigna, Sai baiza, de lai rechigna, – Escoutatz ! – Plus sera dreicha que ligna Quand ieu serai sos privatz.
Je vous dirai comment Amour s’y prend D’un côté, il regarde, de l’autre il fait des clins d’œil ; D’un côté, il donne des baisers, de l’autre, il grimace. — Écoutez ! Il sera plus droit qu’une ligne Quand je serai son familier.
V Amors soli’ esser drecha, Mas er’es torta e brecha Et a coillida tal decha – Escoutatz ! – Lai ou non pot mordre, lecha Plus aspramens no fai chatz.
Amour jadis avait coutume d’être droit, mais aujourd’hui il est tordu et ébréché, et il a pris cette habitude (ce défaut ) Écoutez ! Là où il ne peut mordre, il lèche, Avec un langue plus âpre que celle du chat.
VI Greu sera mais Amors vera Pos del mel triet la céra Anz sap si pelar la pera – Escoutatz ! – Doussa’us er com chans de lera Si sol la coa-l troncatz.
Difficilement Amour sera désormais sincère Depuis le jour il put séparer la cire du miel ; C’est pour lui-même qu’il pèle la poire. Écoutez ! Il sera doux pour vous comme le chant de la lyre Si seulement vous lui coupez la queue.
VII Ab diables pren barata Qui fals’ Amor acoata, No·il cal c’autra verga·l bata ; – Escoutatz ! – Plus non sent que cel qui’s grata Tro que s’es vius escorjatz.
Il passe un marché avec le diable, Celui qui s’unit à Fausse Amour; Point n’est besoin qu’une autre verge le batte ; Écoutez ! Il ne sent pas plus que celui qui se gratte jusqu’à ce qu’il se soit écorché vif.
VIII Amors es mout de mal avi Mil homes a mortz ses glavi, Dieus non fetz tant fort gramavi; – Escoutatz ! – Que tot nesci del plus savi Non fassa, si’l ten al latz.
Amour est de très mauvais lignage ; Mille hommes il a tué sans glaive . Dieu n’a pas créé de plus terrible enchanteur (savant, beau parleur), Écoutez ! Qui, du plus sage, un sot (fou) Ne fasse, s’il le tient dans ses lacs.
IX Amors a uzatge d’ega Que tot jorn vol c’om la sega E ditz que no’l dara trega – Escoutatz ! – Mas que puej de leg’en lega, Sia dejus o disnatz.
Amour se conduit comme la jument Qui, tout le jour, veut qu’on la suive Et dit qu’elle n’accordera aucune trêve, Écoutez ! Mais qui vous fait monter, lieue après lieue, Que vous soyez à jeun ou repu.
X Cujatz vos qu’ieu non conosca D’Amor s’es orba o losca? Sos digz aplan’et entosca, – Escoutatz ! – Plus suau poing qu’una mosca Mas plus greu n’es hom sanatz.
Croyez-vous que je ne sache point Si Amour est aveugle ou borgne ? Ses paroles caressent et empoisonnent, Écoutez ! Sa piqûre est plus douce que celle de l’abeille, Mais on en guérit plus difficilement.
XI Qui per sen de femna reigna Dreitz es que mals li-n aveigna, Si cum la letra·ns enseigna; – Escoutatz ! – Malaventura·us en veigna Si tuich no vos en gardatz !
Celui qui se laisse conduire par la raison d’une femme Il est juste que le mal lui advienne, Comme l’Écriture nous l’enseigne : Écoutez ! Malheur vous en viendra Si vous ne vous en gardez !
XII Marcabrus, fills Marcabruna, Fo engenratz en tal luna Qu’el sap d’Amor cum degruna, – Escoutatz ! – Quez anc non amet neguna, Ni d’autra non fo amatz.
Marcabru, fils de Marcabrune, Fut engendré sous telle étoile Qu’il sait comment Amour s’égrène; Écoutez ! Jamais il n’aima nulle femme, Ni d’aucune ne fut aimé.
En vous souhaitant une agréable journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : trouvère, langue d’oïl, vieux français, poésie, chanson médiévale, lyrique courtoise Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Chrétien de Troyes (1135-1185) Titre : « Amors, tençon et bataille» Interprète : Ensemble Tre Fontane Album : Musiques à la Cour d’Aliénor d’Aquitaine (2007)
Bonjour à tous,
ous repartons aujourd’hui au XIIe siècle vers les premières trouvères de la France médiévale et même vers l’un des plus célèbres d’entre eux bien qu’il doive sa renommée à d’autres talents qu’ à ses chansons lyriques. Eclipsé par le caractère « monumental » de ses romans arthuriens, on en oublierait presque, en effet, que Chrétien de Troyes compte aussi parmi des premiers à avoir transposé les codes de la lyrique courtoise d’Oc dans cette langue d’Oïl qui allait donner naissance, à travers le temps, au français moderne (voir conférence de Richard Trachsler pour mieux cerner cette notion de célébrité).
Il faut dire aussi que l’auteur du célèbre Conte de Graal, du Chevalier au Lion ou encore du Lancelot, chevalier de la charrette pour ne citer que ceux-là, ne nous a pas laissé quantité de chansons et il demeure encore plus vrai que les quelques unes qu’on pensait devoir lui attribuer ont été longtemps sujettes à caution. Si on l’avait, en effet, crédité d’une demi dizaine de pièces, du côté des médiévistes et experts de ces questions, il semble qu’on soit enclin à ne désormais à n’en retenir que deux pour certaines.
On doit cette clarification aux analyses de la philologue et romaniste Marie-Claire Zai dans son ouvrage Les chansons courtoises de Chrétien de Troyes, daté de 1974. Jusqu’à nouvel ordre et selon son expertise, il nous reste donc deux chansons lyriques de Chrétien de Troyes à nous mettre sous la dent: D’Amors, qui m’a tolu a moi, pièce sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus tard dans le temps, et celle du jour Amors, tençon et bataille.
Amors, tençon et bataille dans les manuscrits anciens
On ne retrouve pas cette chanson de Chrétien dans quantité de manuscrits mais seulement dans deux d’entre eux.
L’un est conservé à la BnF. Il s’agit du MS Français 20050 (photo ci-dessous). Connu encore sous le nom de Chansonnier français de Saint-Germain des Prés, ce manuscrit, écrit à plusieurs mains, comprend 173 feuillets et on peut y trouver des chansons, romances et pastourelles du moyen-âge central. Il est daté du XIIIe siècle.
Amors, tençon et bataille, de Chrétien de Troyes, MS Français 20050; Bnf, departement des Manuscrits.
Le second ouvrage est conservé en Suisse à la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne (Burgerbibliothek). Nomenclaturé Manuscrit de Berne 389 (Cod 389) ou encore Chansonnier Français C ou trouvère C. Il est également daté du XIIIe siècle mais est largement plus étoffé que le précédent puisqu’il contient 249 feuillets. On y trouve des chansons de trouvères (anonymes ou attribuées) et il présente. en tout, la bagatelle de 524 pièces médiévales dont un grand nombre n’existe que dans cette source, c’est dire s’il est précieux. Vous pourrez trouver plus d’articles à son sujet ici.
La chanson médiévale de Chrétien de Troyes « Amors, tençon et bataille » dans le Manuscrit de Berne 389 ou chansonnier Français C
Amors,tençon et bataille, Chrétien de Troyes par l’Ensemble Tre fortuna
L’Ensemble Tre Fontane A l’exploration de l’Art de « trobar »
Fondé en 1985 par trois musiciens français originaires d’Aquitaine, l’Ensemble médiéval Tre Fontane s’est donné pour objectif, dès sa création, d’explorer le répertoire des troubadours et trouveurs du Moyen-âge central. Chants sacrés, chansons profanes, depuis plus de 30 ans, la formation a continué sur sa lancée en proposant concerts, spectacles, animations mais aussi stages et ateliers.
Au titre de sa longue carrière, Tre Fontane a produit près d’une douzaine d’albums sous différents labels : contes du moyen-âge, art des jongleurs, chants de troubadours, … Pour l’instant, on peut retrouver facilement en ligne quatre d’entre eux parmi les plus récents. L’un est dédié au troubadour Jaufre Rudel (2011), un autre propose la découverte des chants de l’Andalousie et de l’Occitanie médiévales en collaboration avec le célèbre musicien espagnol Eduardo Paniaga et son ensemble (1998), un troisième celle du Codex cistercien de las Huelgas, monastère célèbre du Moyen-âge, sur la route de Compostelle (1997) et enfin un quatrième dont est tiré la pièce du jour.
Musiques à la Cour d’Aliénor D’Aquitaine
En 2007, l’Ensemble nous gratifiait donc d’un album très inspiré, ayant pour titre Musiques à la Cour D’Aliénor D’Aquitaine. On pouvait y retrouver 12 pièces représentatives de ce bouillonnement et de ce carrefour culturel qui tint place à la cour de cette grande dame du Moyen-âge. Et ce n’est sans doute pas par hasard que celle qui fut Reine de France et d’Angleterre. mais aussilapetite fille de Guillaume IX d’Aquitaine, le premier des troubadours, favorisa les rencontres entre les cultures de la France du Sud en Oc, du Nord en Oïl mais encore avec celle de l’Angleterre médiévale. Cette dynamique se prolongera jusqu’à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor, dont Chrétien de Troyes fut contemporain et même encore deux générations plus tard, à travers le petit fils de cette dernière, Thibaut de Champagne.
Ainsi, dans cet album, c’est un peu de ces trois influences culturelles que l’on retrouve : de Guillaume le troubadour à son arrière petit-fils Richard Coeur de Lyon et sa célèbre complainte, en passante par Thibaut de champagne, l’incontournable Bernard de Ventadorn et encore d’autres noms célèbres, aux côtés de pièces non signées de ces XIIe et XIIIe siècles. Cette production étant toujours édité, comme nous le disions plus haut, voici un lien utile pour en écouter des extraits ou l’acquérir au format CD ou MP3 : Album Musiques a la cour d’Aliénor d’Aquitaine [Explicit]
I. Amors tençon et bataille Vers son champion a prise, Qui por li tant se travaille Q’a desrainier sa franchise A tote s’entente mise. S’est droiz q’a merci li vaille, Mais ele tant ne lo prise Que de s’aïe li chaille.
II. Qui qe por Amor m’asaille, Senz loier et sanz faintise Prez sui q’a l’estor m’en aille, Qe bien ai la peine aprise. Mais je criem q’en mon servise Guerre et [aïne] li faille: Ne quier estre en nule guise Si frans q’en moi n’ait sa taille.
III. Fols cuers legiers ne volages Ne puet d’amors rien aprendre. Tels n’est pas li miens corages, Qui sert senz merci atendre. Ainz que m’i cudasse prendre, Fu vers li durs et salvages; Or me plaist, senz raison rendre, K’en son prou soit mes damages.
IV. Nuns, s’il n’est cortois et sages, Ne puet d’Amors riens aprendre; Mais tels en est li usages, Dont nus ne se seit deffendre, Q’ele vuet l’entree vandre. Et quels en est li passages? Raison li covient despandre Et mettre mesure en gages.
V. Molt m’a chier Amors vendue S’anor et sa seignorie, K’a l’entreie ai despendue Mesure et raison guerpie. Lor consalz ne lor aïe Ne me soit jamais rendue! Je lor fail de compaignie: N’i aient nule atendue.
VI. D’Amors ne sai nule issue, Ne ja nus ne la me die! Muër puet en ceste mue Ma plume tote ma vie, Mes cuers n’i muerat mie; S’ai g’en celi m’atendue Qe je dout qi ne m’ocie, Ne por ceu cuers ne remue.
VII. Se merciz ne m’en aïe Et pitiez, qi est perdue, Tart iert la guerre fenie Que j’ai lonc tens maintenue!
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, chanson, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, vierge, Moyen Âge chrétien, Espagne médiévale Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Titre : Cantiga 1 « Des oge mais…» Auteur : Alphonse X (1221-1284) Interprète : Ensemble Antequera, Johannette Zomer Album : Eno Nome de Maria, Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage (2001)
Bonjour à tous,
n suivant le fil des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse le Sage, que nous nous sommes pris à traduire et commenter depuis quelque temps déjà, nous revenons aujourd’hui à leur source en vous présentant la première de ce recueil de chansons médiévales dédiées à la Sainte, sur le ton et à la manière d’un troubadour.
Dans cette première Cantiga, le poète nous explique sa résolution de ne plus exercer son art de « trouver » qu’en l’honneur de la vierge Marie, ce qu’il fera tout au long de ce volumineux ouvrage. Il y passe aussi en revue, les grands moments de la vie de la Sainte et toutes les bonnes raisons qu’il y voit de lui dédier ses vers et sa foi.
Que les amateurs de musique, mais aussi d’Histoire médiévale trouvent ici de quoi mieux comprendre les fondements de ce culte Marial, dont nous ne finissons pas de souligner l’importance au sein d’un Moyen Âge européen et chrétien qui a fait du Salut, une question primordiale et de la Sainte, une voie d’exception pour l’atteindre. Dans ceux que ces traductions pourraient encore intéresser, nous n’oublions pas non plus, les chrétiens qui nous lisent. Qu’ils leur plaisent de trouver ici, l’antique témoignage de cet amour et cette foi véritables que l’homme médiéval a voué à Marie et, pourquoi pas, les bases de quelques chants inspirés.
La Cantiga de Santa Maria 1 par L’Ensemble Antiquera
L’Ensemble médiéval Antequera
Fondée dans le courant des années 90, par sept musiciens venus de pays différents, avec une large représentation de la Hollande, l’Ensemble Antequera s’est spécialisé dans un répertoire touchant les musiques médiévales espagnoles. Sous le nom d’Antequera on ne leur connait que deux albums, celui dont est issu la pièce présentée ci-dessus, et un autre sur les musiques juives et chrétiennes de l’Espagne médiévale.
La formation n’a plus fait parler d’elle depuis longtemps déjà et on ne trouve hélas aucun site web, ni même une page Facebook en ligne pour nous donner plus de détails sur elle. La plupart des artistes l’ayant composée sont en revanche toujours actifs dans le champ des musiques anciennes. En voici la liste : Sabine van der Heyden ( chant, vièle à roue) Carlos Ferreira Santos (chant), Sarah Walden (vièle), Lucas van Gent (flûte et rebab) René Genis (luth), Michèle Claude et Robert Siwak (percussion).
Eno Nome de Maria Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage
Dans le courant de l’année 2001, l’Ensemble Antequera enregistrait à Paris, à la Chapelle de l’hôpital Notre-Dame de Bonsecours, un album dédié aux Cantigas d’Alphonse X, en proposant 12 pièces choisies de ce vaste répertoire. Rejoint pour l’occasion par la très reconnue cantatrice soprano néerlandaise Johannette Zomer, l’album fut largement salué et on n’en trouve encore d’excellentes critiques en ligne.
Dans son approche des cantigas, la formation a accordé une large place à l’improvisation et a aussi fait une belle part à des variations mélodiques où viennent se mêler les influences du berceau méditerranéen et les tons chauds de la musique séfarade ou arabe de cette période. Sommes-nous proches de l’interprétation qu’en faisaient les troubadours de l’époque ? Difficile de l’affirmer même si l’on peut supposer que ces derniers s’adonnaient aussi aux digressions et aux improvisations.
Se souvenant du goût et de l’ouverture d’esprit du souverain de Castille pour les cultures présentes sur le territoire de l’Espagne d’alors (voir portrait d’Alphonse X),, on pourra encore tout à fait rejoindre l’esprit de cette interprétation et en comprendre mieux le cheminement. En se fiant aux manuscrits anciens autour de ces Cantigas, on y retrouve également illustrée une pléthore d’instruments qui laisse présumer encore de la richesse des sonorités et des interprétations auxquelles ses chansons médiévales pouvaient être sujettes.
Ajoutons encore que dans cet album où l’Ensemble déroule chaque pièce, avec délectation, on reconnaîtra la maîtrise d’un répertoire déjà longuement éprouvé. Cette production fait, en effet, suite à plus de dix ans de pratique par l’Ensemble Antequera des Cantigas de Santa Maria et il en est, en quelque sorte, le couronnement. Du côté distribution, il est toujours édité et vous pourrez le trouver à l’adresse suivante : Cantigas de Santa Maria: Eno nome de Maria.
Des oge mais quer’ eu trobar les résolutions pieuses d’un Troubadour
NB. Cette traduction n’a absolument aucune prétention de rejoindre la force et la poésie de l’originale. Ce n’est vraiment qu’un guide de compréhension générale. Dans le même esprit, nous avons aussi maintenu autant que faire se peut et au détriment du style, l’ordre des phrases pour coller à la version originale. Il est évident qu’une véritable adaptation supposerait un sérieux remaniement.
Esta é a primeira cantiga de loor de Santa María, ementando os séte goios que ouve de séu Fillo.
Ceci est la première Cantiga de louanges à Sainte-Marie, nous rappelant les sept joies qu’elle reçut de son fils.
Des oge mais quér’ éu trobar pola Sennor onrrada, en que Déus quis carne fillar bẽeita e sagrada, por nos dar gran soldada no séu reino e nos erdar por séus de sa masnada de vida perlongada, sen avermos pois a passar per mórt’ outra vegada.
A partir d’aujourd’hui, je ne veux plus « trouver » (chanter et composer)
Que pour la Dame Honorée, En laquelle Dieu voulut se faire chair, Bénite et sacrée, Pour nous donner une grande foi En son règne et nous faire héritage A ceux de sa Maison (Mesnie) De la vie éternelle Sans que nous n’ayons plus à passer Par la mort, une autre fois.
E porên quéro começar como foi saüdada de Gabrïél, u lle chamar foi: “Benaventurada Virgen, de Déus amada: do que o mund’ á de salvar ficas óra prennada; e demais ta cunnada Elisabét, que foi dultar, é end’ envergonnada”.
Et pour cela je veux commencer à conter Comment elle fut saluée Par Gabriel qui vint l’appeler : « Bienheureuse Vierge, aimée de Dieu : De celui qui doit sauver le monde Tu es maintenant enceinte, Comme ta cousine Elisabeth, qui doutait et marchait dans la honte.
E demais quéro-ll’ enmentar como chegou canssada a Beleên e foi pousar no portal da entrada, u pariu sen tardada Jesú-Crist’, e foi-o deitar, como mollér menguada, u deitan a cevada, no presév’, e apousentar ontre bestias d’ arada.
Et je veux dire encore, Comme elle arriva épuisée A Bethléem y se réfugia A la porte d’entrée Et enfanta sans tarder, Jésus-Christ, et alla l’étendre Comme une femme miséreuse Là où l’on verse l’orge (mangeoire ) dans la crèche, et l’installa parmi les bêtes de trait.
E non ar quéro obridar com’ ángeos cantada loor a Déus foron cantar e “paz en térra dada”; nen como a contrada aos tres Reis en Ultramar ouv’ a strela mostrada, por que sen demorada vẽéron sa oférta dar estranna e preçada.
Et je ne veux pas oublier Comme les anges s’en furent chanter Leur cantique de louanges à Dieu « Que la Paix sur la terre soit donnée », Ni comment l’étoile montra la contrée Aux trois rois d’outre-mer, Pour que, sans tarder, Ils viennent faire leurs offrandes Etranges et précieuses.
Outra razôn quéro contar que ll’ ouve pois contada a Madalena: com’ estar viu a pédr’ entornada do sepulcr’ e guardada do ángeo, que lle falar foi e disse: “Coitada mollér, sei confortada, ca Jesú, que vẽes buscar, resurgiu madurgada.”
Et je voudrais conter un autre épisode,, Que vous avez déjà entendu conter C’est comment Madeleine vit la pierre entrouverte du sépulcre, gardé Par l’ange qui vint à lui parler et lui dit « Pauvre femme (malheureuse), Console-toi, Jésus que tu es venu chercher, Est ressuscité à l’aube.
E ar quéro-vos demostrar gran lediç’ aficada que ouv’ ela, u viu alçar a nuv’ enlumẽada séu Fill’; e pois alçada foi, viron ángeos andar ontr’ a gent’ assũada, mui desaconsellada, dizend’: “Assí verrá julgar est’ é cousa provada.”
Et je veux encore vous montrer La très grande joie Qu’elle reçut, quand elle vit s’élever Dans un nuage empli de lumière Son fils, Et après qu’il fut élevé Ils virent les anges passer entre les gens rassemblés là et qui étaient très déconcertés En disant « C’est ainsi qu’il viendra juger, ceci en est la preuve. » (cela est chose prouvée)
Nen quéro de dizer leixar de como foi chegada a graça que Déus envïar lle quis, atán grãada, que por el’ esforçada foi a companna que juntar fez Déus, e enssinada, de Spírit’ avondada, por que soubéron preegar lógo sen alongada.
Et je ne veux non plus cesser de dire Comment lui parvint La grâce si grande que Dieu voulut lui envoyer Afin que, par elle, soit renforcée L’armée apostolique que Dieu (Jésus) avait levée, Enseignée et enrichie par l’Esprit Saint, Grâce à quoi ils surent pêcher, par la suite, sans détour.
E, par Déus, non é de calar como foi corõada, quando séu Fillo a levar quis, des que foi passada deste mund’ e juntada con el no céo, par a par, e Reínna chamada, Filla, Madr’ e Crïada; e porên nos dev’ ajudar, ca x’ é nóss’ avogada.
Et, par Dieu, ce n’est pas chose à taire, Que de conter comment elle fut couronnée, Quand son fils voulut l’emporter Au moment où elle passa dans l’autre monde Et comment ils s’unirent Côte à côte, dans le ciel Pour qu’elle soit nommée Reine, Fille, mère et servante; Et pour cela elle doit nous aider, Car elle est notre avocate.