Sujet : codex de Montpellier, musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, chants polyphoniques, motets, fine amor Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Qui d’amours se plaint, Lux magna Auteur : Anonyme Interprète : Anonymous 4
Album : Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993-94)
Bonjour à tous,
elui qui « d’amour se plaint » et n’en a pas aimé jusqu’aux doux maux, comment pourrait-il prétendre avoir jamais aimé, ou plutôt, avoir jamais su le faire en amant loyal et véritable ?
Dans ses formes littéraires et poétiques les plus exacerbées, le Moyen Âge codifie un amour qu’il encense jusqu’à dans sa non réalisation, dans ses souffrances, dans son attente et dans un désir inassouvi, voué, peut-être, à ne jamais devoir se poser sur son objet. Toutes ces tensions n’ont pas de prix. Mieux même, si elles n’étaient pas partie intégrante de l’expérience, ou si l’amant devait ne pas s’en délecter et s’y complaire, alors son amour ne serait pas vraiment l’amour. Il n’en serait pas digne et son cœur ne serait pas assez grand.
La fine amor : des formes « psychologiques » aux formes sociales
Au delà de ces aspects psychologiques codifiés qui pourraient nous paraître tortueux à certains égards, le monde médiéval peut encore se plaire à ajouter une dimension sociale transgressive à son amour courtois.
On le chante encore volontiers, quand il devient sulfureux et qu’il s’affirme envers et contre tous : contre la raison, contre les médisants, contre les conventions sociales, contre le devoir des époux, contre le cloisonnement entre la petite et moyenne noblesse et la haute : le chevalier amoureux de la reine, le troubadour et petit seigneur en émoi pour une princesse lointaine et qu’il n’a jamais vu, le vassal ou le poète (bien né mais pas suffisamment) qui flirte avec la belle de son suzerain ou qui louche, avec convoitise, sur la fille ou la cousine de ce dernier. Le poète a-t-il alors, comme seule excuse ou comme seul refuge, son unique volonté d’éluder le passage à l’acte ? Non, pas toujours, même si le loyal amant pourrait parfois, comme il nous le dit, « mourir » pour un seul baiser.
A l’opposé de ces transgressions, le monde médiéval pourra encore faire entrer certains codes de cette fine amor dans le sentiment religieux. Devenu pur et chaste, on appliquera alors à la vierge et au culte marial cet amour de loin et inaccessible. Les codes sont les mêmes, leur vocation change. D’une certaine façons, ils sont alors plus normatifs ou « compatibles » au sens médiéval chrétien du terme.
Aujourd’hui, c’est sous sa forme profane, datée des XIIe et XIIIe siècles que nous vous invitons à retrouver cette lyrique courtoise. Nous serons, pour le faire, en compagnie du codex de Montpellier et d’un très beau quatuor féminin. Pour la transcription en graphie moderne de la pièce que nous avons choisie, nous nous appuierons, une nouvelle fois, sur l’ouvrage Recueil de Motets français des XIIe et XIIIe siècles de Gaston Raynaud (1881).
La courtoisie mise en musique
dans le codex H196 de Montpellier
Avec ses 395 feuillets garnis de compositions et de motets annotés musicalement, le Chansonnier de Montpellier H196 chante cette fine amor, à travers des pièces assez courtes et demeurées anonymes ( consulter ce manuscrit médiéval en ligne). La chanson médiévale du jour s’inscrit tout entière dans cette tradition courtoise. On verra que le poète y fait une véritable apologie des (doux) maux d’amour. Tout en les gardant tacites, il nous expliquera que celui qui aime loyalement et qui a du cœur, ne s’en plaindra jamais et n’en ressentira aucun mal. Mieux même, quand il aura trouvé et éprouvé ces maux, les bienfaits et la récompense n’en seront que plus grands, au bout du chemin.
« Qui d’amours se plaint » par la quatuor féminin Anonymous 4
Love’s Illusion ou le chansonnier de Montpellier par le quatuor féminin Anonymous 4
Nous vous avons déjà touché un mot dans un article précédent, du quatuor américain Anonymous 4, mais aussi de leur albumLove’s illusion. Sortie en 1994, cette production faisait une large place au codex de Montpellier avec 29 pièces toutes issues du célèbre manuscrit médiéval. Avec près de 65 minutes d’écoute, Love’s Illusion, Motets français des XIIIe et XIVe sièclesa été réédité en 2005 chez Harmonia mundi USA. Il est donc toujoursdisponible à la vente au format CD ou dématérialisé.
Membres de la formation Anonymous 4 : Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer, Johanna Rose
« Qui d’amours se plaint » , paroles en vieux français et clés de vocabulaire
NB : concernant la traduction littérale de cette pièce, du vieux-français vers une langue plus actuelle, nous l’avons jugé un peu inutile pour le moment. A quelques clés de vocabulaire près, que nous vous indiquons, cette chanson se comprend, finalement, assez bien .
Qui d’amours se plaint Omques de cuer n’ama Car nus qui bien aint (aime loyalement) D’amours ne se clama (se plaindre); Ja loiaus amans ne se feindra (hésiter, manquer de courage) Ne ne se pleindra Des doz maus d’amer ja, Nuit ne jor tant n’en avra, (nuit et jour, il n’en aura jamais assez) Car douçour si trés grant i trovera Qui bon cuer a, Que ja mal ne sentira. Por ce ne departira (se séparer, s’en défaire) Nus tant n’en dira De cele que tou mon cuer a : Touz jors est la, Ja voir ne s’em partira, Car quant les maus trovés a, Si doz les biens partrovera (partrover : trouver) : Trop douz si les a.
En vous souhaitant une excellente journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, virelai, maître de musique, chanson, amour courtois. Titre : Loyauté vueil tous jours maintenir Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge Interprète : René Zosso Album : Anthologie de la chanson française, des trouvères à la Pléiade (2005)
Bonjour à tous,
ous partons, aujourd’hui, du côté des « trouvères » ou même plutôt d’un maître de musique et compositeur du XIVe siècle. Tribut sera fait au talent musical de Guillaume de Machaut et à sa maîtrise parfaite de la lyrique courtoise.
Loyauté vueil tous jours maintenir : une chanson baladée courtoise
Cette pièce se classe comme une chanson baladée monodique. Le poète y confirme sa loyauté et son amour envers sa dame. Las ! Rien n’est jamais simple en courtoisie. Elle se dérobe à lui, et privé de la voir, le poète souffre et se languit. Qu’importe. Dut-il en pâtir ou en mourir, il lui demeurera fidèle et patient, en se pliant ainsi, rigoureusement, à l’exercice de la fin’amor et ses codes. On n’en attendait pas moins de lui.
Côte interprétation, c’est René Zosso qui nous la donnera a cappella. Loin des versions lyriques habituelles autour du répertoire médiéval, la voix enlevée et rugueuse du grand vielliste et chanteur suisse revisitera cette pièce avec une force et une énergie unique. C’est une de ses signatures, celle qui a fait son succès et qui nous le fait autant apprécier.
Sources modernes & manuscrits anciens
Vous pourrez retrouver cette pièce retranscrite dans un grand nombre d’éditions des œuvres de Machaut. Depuis le XIXe siècle, les médiévistes et les spécialistes de littérature du Moyen Âge, comme certains musicologues en ont produit des quantités. Pour l’occasion, nous avons opté pour celle de Vladimir Chichmaref : Guillaume de Machaut Poésies Lyriques – Edition complète en deux parties avec Introduction, Glossaire et Fac-similés ( 1909).
Du point de vue des sources anciennes, on trouvera cette pièce annotée musicalement dans l’ouvrage Français 1586(photo ci-dessus), actuellement conservé au département des manuscrits de la BnF (à consulter ici sur gallica). Daté du milieu du XIVe, ce manuscrit médiéval qui contient l’œuvre de Guillaume de Machaut, est, à ce jour, un des plus ancien manuscrit illustré, connu, de l’auteur. On suppose même que le compositeur médiéval a pu participer ou suivre de près sa réalisation. C’est dire toute la valeur historique de ce document.
Loyauté vueil tous jours maintenir interprétée par René Zosso
Anthologie de la chanson française : naissance de la chanson française
Dans le courant du XXe siècle, on doit à la maison EPM de s’être attaquée au vaste sujet de la chanson française avec l’idée d’en produire une anthologie. Au sortir, la période couverte part du Moyen Âge pour aller jusqu’aux années 80, pour une anthologie qui se décline en un nombre important d’albums. Rangés par période, ces derniers peuvent même, à l’occasion, être catégorisés par thème : chansons de métiers, chansons sur la condition féminine, etc…
L’objet déborde donc largement de notre strict propos (médiéval) et nous laisserons le soin aux éventuels intéressés par les divers coffrets d’effectuer des recherches adéquates. Nous nous arrêterons, quant à nous, à l’album du jour qui porte sur la naissance de la chanson française et qui a pour titre : Anthologie de la chanson française : des trouvères à la Pléiade.
« Des trouvères à la Pléiade », l’album
En accord avec son titre, cet album prend l’histoire de la chanson à partir des trouvères. Il se situe même plus vers le Moyen Âge tardif et la renaissance qu’au Moyen Âge central.
Du point de vue contenu, il est assez généreux avec 24 chansons présentées pour plus d’une heure dix d’écoute. En plus de certaines pièces anonymes du XIIIe siècle, on y trouvera quelques compositions de Thibaut de Champagne, et côté XIVe siècle, la pièce de Machaut du jour. Pour le reste, le XVe siècle et le XVIe y trouvent une place de choix avec du Clément Marot, du Ronsard, ou encore un nombre important de chansons issues du Manuscrit de Bayeux. Du point de vue de l’interprétation, René Zosso y est clairement à l’honneur avec pas moins de 5 pièces. On y croise aussi, avec plaisir, de nombreux autres chanteurs talentueux dont Gabriel Yacoub, Mélane Favennec et même, de manière plus inattendue, Pierre Perret.
Enregistré dans le courant de l’année 1996, cet album a fait l’objet d’une réédition (repackaging) courant 2005. A ce titre, on le trouve toujours disponible à la distribution en ligne au format CD ou même dématérialisé : Anthologie de la chanson française – des trouvères à la Pléiade.
« Loyauté vueil tous jours maintenir » Chanson baladée de Guillaume de Machaut
Loyauté vueil tous jours maintenir (1) Et de cuer servir Ma dame debonnaire (douce, bonne, aimable).
Mon cuer y vueil et mon desir Mettre sans retraire (renoncer, reculer, faire retraite) Ne ja ne m’en quier departir (veux séparer), Ains vueil toudis faire Son tres dous voloir sans repentir Et li obeir Comme amis, sans meffaire. Loyauté.
Mais Amour fait mon cuer languir Et si m’est contraire (contrarier, incommoder) N’elle ne me daingne garir, Ne je ne puis plaire A la bele que j’aim et desir, Qui à son plaisir Me puet faire et deffaire. Loyauté vueil tous jours maintenir.
Las! si ne sçay que devenir Ne quelle part traire, (ni de quel côté tirer, aller) Quant aler ne puis ne venir Au tres dous repaire, Où celle maint qui me fait morir, Quant veoir n’oïr Ne puis son dous viaire. Loyauté vueil tous jours maintenir Et de cuer servir Ma dame debonnaire.
(1) Pour faire le parallèle entre valeurs chevaleresque et courtoisie, il est intéressant de noter qu’une devise portant « C’est pour loiauté maintenir » fut remarquée par Machaut à l’occasion d’un de ses voyages en Orient. Selon ses vers, il la trouva utilisée par une corporation de chevaliers chrétiens stationnés en Nicosie (Chypre) : l’Ordre de l’épée. Peut-être l’a-t-il en partie reprise ici au compte de la fin’amor et en référence à cela.
De toutes couleurs espuré, Et s’avoit en lettres d’or entour, Qui estoient faites à tour, Disans, bien m’en doit souvenir : « C’est pour loiauté maintenir » Car je l’ay mille fois veu Sur les chevaliers et leu. »
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, biographie, troubadours, portrait, vidas, naissance de l’art des troubadours Auteur médiéval : Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1126) Période : Moyen Âge central, XIIe siècle Ouvrage :La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s. Gérard Zuchetto, éd Tròba Vox, 2020 (2e édition)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous nous étions promis de tirer le portrait de Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine, seigneur et poète que l’histoire nous désigne encore comme le tout premier troubadour du Moyen Âge. « A tout seigneur, tout honneur », notre plaisir est, aujourd’hui, doublé puisque c’est avec Gérard Zuchetto que nous allons le faire. Ce talentueux musicologue, chanteur et musicien chercheur, spécialiste de ces questions nous fait, en effet, la grande faveur de nous autoriser à partager, ici, un extrait de son ouvrage La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours des XIIe-XIIIe siècles : celui qui concerne, justement, la présentation du comte Guilhem de Peiteus, ainsi que des éléments de sa biographie .
Quelques notes sur le débat des origines
Où et comment naissent les idées et les formes culturelles ? C’est un thème cher aux ethnologues ou aux anthropologues culturels, comme on les nomme quelquefois. Concernant l’origine de l’art des troubadours, ce vaste sujet a été balayé plus qu’à son tour par les médiévistes et les folkloristes, depuis le XIXe siècle. On pourrait même se divertir à la lecture de certaines envolées ou oppositions entre certains débats nord/sud (de France) ou encore entre orientalistes et occidentalistes. Il suffit, pour cela, de marcher dans les traces de l’historiographie et, par exemple, de relire quelques passages de l’Histoire des trouvères du très normand et, sans doute, un peu partisan, Abbé Delarue pour mesurer la taille de certains grands écarts entre hypothèse d’un art provençal ex-nihilo et revendications d’origines nordiques et celtiques.
Un poète de langue d’oc peut en cacher un autre ?
Avant notre comte Guillaume, n’y-a-t-il eu « quelques épaules de géants pour lui permettre de voir plus loin » ? Sans même s’éloigner du pays d’Oc et concernant la reconnaissance d’une paternité entière de l’art des troubadours à notre cher coens de Poetieus, on pourrait, avec Maria Dimistrescu, se poser la question de la possible influence, sur la poésie de notre noble seigneur, de certains de ses contemporains, et notamment de Eble II de Ventadour.
Selon la médiéviste, l’homme, lui-même vicomte de Ventadorn et vassal de Guilhem, aurait pu être, pour ce dernier et pour d’autres, une sorte de mentor en poésie. C’est en tout cas la thèse qu’elle défendit à la fin des années 60. Elle alla même au delà de la simple idée d’inspiration en formant l’hypothèse que certaines chansons attribuées à notre troubadour du jour auraient bien pu avoir été reprises par lui, mais écrites de première main, par cet autre poète et seigneur languedocien (voir Èble II de Ventadorn et Guillaume IX d’Aquitaine – Cahiers de civilisation médiévale n°43 (1968), Maria Dimistrescu). Il faut dire que le double registre de notre troubadour « bifronte », capable de manier, avec virtuosité, grivoiserie et courtoisie, pouvait avoir de quoi dérouter. Quoiqu’il en soit, l’hypothèse soulevée par la médiéviste ne put jamais véritablement être tranchée. En l’absence de sources écrites d’époque permettant de l’établir, elle a donc rejoint le rang des spéculations invérifiables (infalsifiables dirait Popper) et à ce jour, Guillaume IX d’Aquitaine n’a pas été officiellement détrôné de son statut légitime de premier des troubadours.
Mais alors quoi ? Pour le reste, cet art des troubadours, est-ce une forme culturelle totalement ex-nihilo ? Est-ce encore une variation, une adaptation, un « contrepied », un art qui naît à la faveur de la féodalité et de ses nouvelles normes politiques et relationnelles, ou encore une réponse, qui pourrait prendre, par endroits, des allures de contre feu à la réforme grégorienne (voir Amour courtois : le point avec 3 experts ou encore réflexions sur la naissance de l’amour courtois) ? Tout cela est possible mais, au delà de toute hypothèse et avec 800 à 900 ans de recul, il résulte que l’art des troubadours fait encore figure de nouveauté culturelle aux formes originales : nouvel exercice littéraire, nouvelle façon de versifier, nouveaux codes qui vont promouvoir, au moins dans le verbe, de nouveaux modèles relationnels, de nouvelles formes du sentiment amoureux, etc…
La Tròba de Gerard Zuchetto
ou l’invention lyrique occitane des troubadours
Laissons là le grand débat des origines sur l’art des troubadours. Il est nécessairement complexe comme le sont tous les objets culturels et leur circulation. Il est temps de s’engager sur les pas du comte, pour lever un coin du voile sur sa personnalité, son art et quelques uns de ses vers, accompagné de notre érudit du jour, Gerard Zuchetto, en le remerciant encore chaleureusement de cette contribution.
Avant même de lui laisser la parole, précisons que son ouvrage dont est tiré ce portrait de Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitiers, est toujours disponible à la vente en librairie ou en ligne. Il a même fait l’objet d’une toute nouvelle édition en 2020.
Au format broché, vous y découvrirez plus de 800 pages sur le sujet des troubadours. En dehors de votre librairie habituelle, vous pourrez le trouver en ligne au lien suivant : La troba : L’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe siècles. Inutile d’ajouter que nous vous le recommandons vivement.
Sur ce, nous vous laissons en bonne compagnie, en vous souhaitant une excellente lecture.
Une biographie de Guilhem de Peiteus – Guilhem de Poitiers par G Zuchetto.
Farai un vers de dreg nien Je ferai un vers sur le droit néant
Qu’eu port d’aicel mestier la flor Car moi je porte de ce métier la fleur
L’inventeur !
L’un des premiers troubadours connus fut un des plus grands seigneurs de l’Europe médiévale : lo coms de Peiteus, Guilhem, septième comte de Poitou et neuvième duc d’Aquitaine, né en 1071.
Lorsqu’il hérite de son père, en 1086, le Poitou, la Gascogne, l’Angoumois et le Limousin, des territoires immenses entre Nord et Sud, de l’Anjou aux Pyrénées, et d’Est en Ouest du Massif central à l’Atlantique, ses domaines sont bien plus importants que ceux du roi de France, Philippe Ier, qui ne contrôle réellement à la même époque qu’un petit fief autour de Paris, Etampes et Orléans, la “little France”, pour les Anglais, une île.
Bon chevalier d’armes, jovial et vantard, le fier vicomte du Limousin est poète. Il chante pour réjouir ses companhos, compagnons de batailles et de distractions.
Companho farai un vers [pauc] convinen et aura·i mais de foudatz no·i a de sen et er totz mesclatz d’amor e de joi e de joven.
Compagnons, je ferai un vers peu convenable et il y aura plus de folie que de bon sens et il sera tout mêlé d’amour, de joie et de jeunesse !
Pour chanter amor, joi e joven, le seigneur de Poitiers l’exprime en romans, terme qui désigne la langue occitane en opposition au latin :
Merce quier a mon companho s’anc li fi tort qu’il m’o perdo et eu prec en Jesus del tron et en romans et en lati.
Je demande merci à mon compagnon si jamais je lui fis tort qu’il me pardonne et je prie Jésus sur son trône en romans et en latin.
A l’exemple des joglars, ces jongleurs-musiciens aux multiples talents qui allaient par les chemins vendre leurs services, mais avec la finesse du lettré, ce grand trichador de domnas se joue des mots et les versifie adroitement pour plaire aux dames et les tromper : Si·m vol midons… Ma dame veut me donner son amour, je suis prêt à le prendre, à l’en remercier, à le cacher, et à la flatter et à dire et faire ce qu’il lui plaît, et à honorer son mérite et à élever ses louanges…Guilhem annonce ainsi l’aube du trobar :
Mout jauzens me prenc en amar un joi don plus mi volh aizir…
Très joyeux je me prends à aimer une joie dont je veux jouir davantage…
A l’amour légitime, Guilhem, qui s’était marié avec Ermengarda d’Anjou, puis avec Filipa, veuve du roi d’Aragon, préfère l’amour hors du contrat social et politique, l’amour hors du mariage-arrangement organisé par la classe seigneuriale et béni par l’Église. Au légat pontifical Girart, évêque d’Angoulême, entièrement chauve, qui lui fit reproche de ses “liaisons dangereuses” avec la vicomtesse de Chatellerault, surnommée la dangeroza, il rétorqua : “Tu pourras peigner tes cheveux sur le front avant que je répudie la vicomtesse !”
Le comte est “Ennemi de toute pudeur et de toute sainteté”, écrit Geoffroy Le Gros, un chroniqueur de l’époque. Ce libertin joyeux et fanfaron, n’est pourtant pas un rustre, il recommande à ses auditeurs et surtout au fin aman, l’amant pur :
Obediensa deu portar a manhtas gens qui vol amar e conve li que sapcha far faitz avinens e que gart en cort de parlar vilanamens.
Il doit montrer obédience / obéissance à maintes gens celui qui veut aimer et il lui convient de savoir accomplir des faits avenants et de se garder, à la cour, de parler comme un vilain.
Guilhem invente les mots-clefs et les règles du trobar, et il se vante d’être le premier, l’inventeur. Et, sûr de sa valeur de trobador e d’amador, il tient à exposer son métier : “J’ai nom Maître infaillible et jamais ma maîtresse ne m’aura une nuit sans vouloir m’avoir le lendemain car je suis si bien instruit en ce métier, et je m’en vante, que je puis gagner mon pain sur tous les marchés.” Il se donne lui-même le titre de maistre certa, maître infaillible, en amour comme en poésie.
Guilhem de Peiteus, l’homme politique et chef d’Etat, ne fut ni un grand batailleur, ni un conquérant zélé. Au retour d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, sentant sa fin proche, le poète écrivit son adieu au monde, Pois de chantar…, en tant que troubadour, comte de Poitiers et chrétien. Guilhem mourut à Poitiers le 10 février 1126 après quarante ans de règne, et l’on suppose qu’il fut enterré en l’abbaye de Saint-Jean-l’Évangéliste à Montierneuf.
La biographie tardive résume sa vie en quelques lignes laconiques : Lo coms de Peiteus si fo uns dels maiors cortes del mon e dels maiors trichadors de domnas, e bon cavalier d’armas e larcs de domneiar ; e saup ben trobar e cantar. Le comte de Poitiers fut l’un des plus grands courtois du monde et le plus grand trompeur de dames, et bon chevalier d’armes et généreux en amour; et il sut bien trouver et chanter.
Sur les onze vers connus de Guilhem de Peiteus, seuls deux poèmes nous ont été transmis avec les mélodies en notation carrée : Companhos farai un vers pauc convinen et Pois de chantar m’es pres talens.
Le début de la mélodie Pois de chantar m’es pres talens… se retrouve dans le jeu de Sainte Agnès, un mystère du XIVe siècle écrit en langue d’oc, dont le planctus, Bel senher Deus tu sias grasitz…, comporte cette indication : Et faciunt omnes simul planctum in sonu comitis pictavensis. La chanson de Guilhem, ou bien sa façon de chanter, devait avoir marqué les mémoires, pour être imitée plus de deux cents ans après ! Dès les premiers chants courtois nous sont posées les questions d’interprétation des troubadours : comment chanter, dire ou réciter les poèmes lyriques ? Quelquefois les auteurs eux-mêmes ou les chroniqueurs de l’époque nous donnent des éléments de réflexion : Orderic Vital, historiographe, contemporain de Guilhem rapporte que ce dernier “en homme joyeux et plein d’esprit récita souvent ses misères de captivité en compagnie de rois et de personnages importants en déclamant des vers rythmés avec des modulations subtiles.” [Historia Ecclesiastica X 21] Ces “modulations” faisaient-elles référence à un jeu de voix exagéré de comédien ou bien à une imitation virtuose des ornementations mélodiques de la liturgie ?
Guilhem, qui avait délaissé le latin de l’Église, s’était-il amusé à détourner la musique liturgique en composant des poèmes sur des airs existant déjà dans les tropes et les versus, par défi et pour réjouir ses compagnons ?
Les Maîtres du troubar : Guilhem de Peiteus – Guilhem de Poitiers (1071-1126) – La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s. (Tròba Vox, 2020)
Gérard Zuchetto
Sources : Manuscrit (s) à notation musicale : STMart. fol. 51v ; F : Chigi fol 81 Principale (s) édition (s) : Jeanroy Alfred, Les Chansons de Guillaume IX duc d’Aquitaine, Paris, 1913 et 1927 (Ed. Champion) ; Durrson Werner, Wilhelm von Aquitanien. Gesammelte Lieder, Zurich, 1969 ; Pasero Nicolo, Gugliemo IX, poesie, Modena, 1973 (Società tipografica editrice Modenese) ; Bezzola Reto Guillaume IX et les origines de l’amour courtois, Paris, 1940 (Romania vol. LXVI) ; Payen Jean- Charles, Le Prince d’Aquitaine. Essai sur Guillaume IX et son oeuvre, Paris, 1980 (Champion) Miniature : BNF Ms. fr.12473, fol.128
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Interprète : Esther Lamandier Titre : Cantiga Santa Maria 384, « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » Album : Alfonso el Sabio. Cantigas de Santa Maria (1981)
Bonjour à tous,
e qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X de Castille. Récits de miracles autour de la sainte, témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être recompilées et retranscrites au XIIIe siècle et en galaïco-portugais par le souverain de Castille, un grand nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale.
On le sait, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial. Dans la littérature médiévale, on trouvera ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la Sainte, chez quantité de nos auteurs, trouvères, poètes, clercs ou même religieux, de Rutebeuf à Villon. La vierge Marie est alors, cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et qui sait écouter. Elle est aussi celle qui, par sa bonté et l’oreille qu’il lui prête, pourra peut-être intercéder en faveur du prieur ou du dévot auprès de son fils le Christ, la chair de Tout Puissant, Dieu mort en croix.
Le Salut pour un moine dévot à la vierge
La cantiga d’aujourd’hui est un nouveau récit de miracle. On y apprendra, ou en tout cas le poète nous contera, que dans les manières de louer la Sainte, entre imagerie, iconographie, prières, et autres, celle qui consiste à louer son nom est une des plus appréciées. Ici c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie, l’écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. L’histoire se posera aussi comme une confirmation déjà acquise dans le culte marial : la dévotion à la sainte peut ouvrir, au croyant, les portes du salut.
Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien si, au bout du chemin de vie et quelque soit sa durée, se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme nous l’avions vu dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas de « transhumanisme ici, pas plus que de défi lancé à la longévité dans ce monde-ci, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas, ici-bas, mais dans le monde suivant.
La cantiga de Santa Maria 384 par Esther Lamanthier
Esther Lamandier et Alphonse le Sage
En 1980, la belle et talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.
Tout entière dédiée aux Cantigas de Santa Maria, la production fut enregistrée à l’Abbaye de l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, l’album proposait 20 pièces interprétées par la musicienne et artiste, accompagnée de son seul
talent vocal et instrumental. La cantiga 384 que nous vous présentons aujourd’hui ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther Lamandier.
La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne
Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Desto direi un miragre, segundo me foi contado, que aveo a un monge bõo e ben ordinado e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado, e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté, Qui arriva à un bon moine bien ordonné, Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Este mui bon clerigo era e mui de grado liia nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia; may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ; Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie, Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté…
A primeyra era ouro, coor rica e fremosa a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa; e a outra d’azur era, coor mui maravillosa que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La première était d’or, couleur riche et belle Semblable à la Vierge noble et très précieuse ; L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.
Celle qui, pour sa beauté…
A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella; onde cada a destas coores mui ben semella aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La troisième, est appelée rose, car c’est une couleur vermeille ; Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.
Celle qui, pour sa beauté…
Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo, beyjando-o ameude por vençer o emigo diabo que sempre punna de nos meter en errores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué, L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.
Celle qui, pour sa beauté…
Onde foi a vegada que jazia mui doente da grand’ enfermidade, de que era en possente; e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Mais vint un temps où il tomba gravement souffrant D’une grande maladie, qu’il avait contracté. Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.
Celle qui, pour sa beauté…
O abade e os monges todos veer-o veron, e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron que lle tevesse companna; e pois ali esteveron un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé et les moines vinrent tous le voir, Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines
Celle qui, pour sa beauté…
Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo, e viu que ao leyto se chegava passo yndo, e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Apparut en rêve au frère qui gardait le moine, Et il vit qu’elle s’approchait du lit, Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).
Celle qui, pour sa beauté…
Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas, levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas, e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs, Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.
Celle qui, pour sa beauté…
Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna. E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna; e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle, Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet, Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.
Celle qui, pour sa beauté…
Mantenente o abade chegou y cono convento, que eram y de companna ben oyteenta ou çento; e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines, Qui était une communauté de près de 80 ou 100 Et le frère leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour le connaître ) Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».
Celle qui, pour sa beauté…
Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito; e o abade tan toste o fez meter en escrito pera destruyr as obras do emigo maldito, que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté; Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable) Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.
Celle qui, pour sa beauté…
E pois souberon o feyto, loaron de voontade a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade; e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade, punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie La Vierge Saint Marie, dame de Piété ; Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence, Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.