ous avions déjà publié, il y a quelques temps une composition de 2007 du musicien et guitariste professionnel Frédéric Mesnier qui s’intitulait « Medieval Song« . Un an après, il récidivait avec une nouvelle création d’inspiration moyenâgeuse: « medieval dance » et nous avons le plaisir de la partager avec vous aujourd’hui.
Il nous offre encore ici une belle démonstration de son talent et de sa maîtrise de la guitare. Si vous êtes intéressés par la tablature, vous pourrez la retrouver sur son site avec ses nombreuses autres productions: tout est là.
En vous souhaitant une belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : musique ancienne, folk, chanson traditionnelle anglaise, version musicale Période : XVIe, début de la renaissance, toute fin du moyen-âge Titre : Lady Greensleeves, Greensleeves to a Ground, Greensleeves Groupe : Hespèrion XXI, Jordi Savall, Album : Ostinato (2001) AliaVox
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons un peu de la grâce absolue de Jordi Savall et de sa formation Hespèrion XXI, au service d’une chanson anglaise mythique de la toute fin du moyen-âge et même du début de la renaissance, qui a pour titre Lady Greensleeves, mais que l’on retrouve encore souvent sous le simple titre de Greensleeves.
La superbe adaptation musicale de Lady Greensleeves par Jordi Savall
Pardonnez-nous si nous avons l’air d’insister avec Jordi Savallet sa formation Hespérion XXI, mais c’est qu’en dehors du grand travail de recherches historiques et d’interprétation effectué, en amont de chaque album, pour restituer des joyaux et des trésors de musique ancienne, le toucher et le son de du maître de musique catalan sont tellement uniques qu’il ne nous laisse d’autres choix. Au vu du nombre d’interprétations que l’on trouve de cette extrêmement populaire Lady GreenSleeves, nous aurons sans doute l’occasion d’en partager d’autres versions, mais pour l’instant place à Hespérion XXI!
Pour parler un peu de l’album Ostinato (Obstiné en Italien) dans lequel on peut retrouver cette version unique de Greensleeves, son titre contient tout entier son objet. A travers plus de 150 ans d’histoire de la musique ancienne et européenne, Hesperion XXI y explore, en effet, des morceaux choisis qui font appel à ce que l’on appelle la basse « obstinée » ou basse « contrainte ». Connu encore sous le nom d’Ostinato, ce procédé de composition consiste à répéter une mesure de 4 à 8 temps tout au long d’une pièce avec des variations et improvisations autour. Au XVIe siècle, il deviendra caractéristique de certaines danses italiennes telle que la romanesca ou la passamezzo.
Les paroles et la légende de Greensleeves
Même si cette pièce est au départ une chanson, elle a été reprise un nombre incalculable de fois, depuis des siècles, sous sa forme uniquement instrumentale. C’est d’ailleurs cette dernière forme que nous avons choisi aujourd’hui pour vous la présenter, mais nous en profitons tout de même pour aborder également les paroles qu’on lui connait et aussi les traduire.
Du point de vue de l’histoire, la chanson conte les déboires d’un amant rejeté par sa belle, une demoiselle du nom de « lady Greensleeves ». L’amour a visiblement été consommé entre les deux amants mais l’homme en est encore « captif » et ne se résout pas à la séparation. Il implore sa maîtresse de revenir l’aimer encore une fois, lui rappelant même toutes les attentions qu’il a eu pour elle, mais aussi tous les beaux cadeaux qu’il lui fit, du temps de leurs élans conjoints. Ceci pourrait paraître quelque peu indélicat, dit comme cela, quoiqu’en le traduisant dans sa version originale et complète, je me sois franchement demandé à plusieurs reprises si la longue liste qu’il fait de ses achats pour elle, qui pourrait presque paraître pathétique tant elle est détaillée, est faite sous l’effet du désespoir ou si le détail et la répétition ne cherchent pas finalement à ménager un effet humoristique. Par certains endroits, l’homme me fait un peu penser au Arnolphe de l’école des femmes de Molière, bien que rien dans le texte ne laisse supposer une telle différence d’âge entre lui et cette Lady Greensleeves. Une chose est sûre, même si sa complainte reste finalement très matérialiste et peu « relationnelle », à sa façon, le pauvre bougre n’a ménagé ni sa peine, ni ses deniers pour se faire aimer de la belle. (ci-dessus peinture de Alessandro Allori, peintre italien de la renaissance, contemporain de la chanson, XVIe siècle)
Au vue des détails qu’il donne, il apparaît d’ailleurs comme un homme relativement riche et puissant puisque, entre autre bijoux et habits précieux, il avait même mis au service de la demoiselle des « hommes tous vêtus de vert » pour s’assurer qu’elle ne manque de rien; il parle aussi de ses terres. On n’est donc pas du tout face à un trouvère désargenté de type Rutebeuf ou Villon. Quoiqu’il en soit, malgré toutes ses belles attentions, il semble bien que la rupture ait été consommée; la demoiselle a fermé sa porte et l’amant transi n’a plus que sa plume, sa longue liste de reproches et sa chanson pour se consoler. Qui eut pu dire alors que cette dernière traverserait les siècles et connaîtrait la renommée incroyable qui fut la sienne durant plus de quatre cents ans et jusqu’à nos jours?
Sur le nom de la Demoiselle : GreenSleeves, que nous pourrions traduire littéralement par « Manches Vertes », même si cela sonne affreusement mal, ou par « Vertemanches » ce qui sonne légèrement mieux, on trouve quelques analyses à la ronde que je ne fais ici que mentionner sans avoir le moyen de les accréditer. L’une d’elle avance que la couleur verte était alors le symbole de la « légèreté » en amour, dans le sens d’amours « volages » ou même de l’amour naissant.
Dans la même veine et au vue de la tournure de l’ensemble du texte, certains auteurs anglais avancent même que cette jeune maîtresse aurait pu être une fille légère, voir même une prostituée. Cela est générale-ment étayé par le fait qu’à la fin du XVIIe siècle, en anglais archaïque, l’expression « green gown » désignait une robe devenue verte après que sa propriétaire se soit roulée dans l’herbe et, du même coup, une perte de la virginité « de manière illicite », entendez « hors mariage ». Comme à aucun moment, l’homme ne parle de prendre la belle en épousailles ou d’un quelconque désir d’officialiser cette relation, l’hypothèse s’est étendue sur le fait que la demoiselle pouvait être une maîtresse intéressée, voire une prostituée. En tout état de cause, rien de tout cela ne peut être vérifié et d’ailleurs si c’était le cas, ce serait aussi étrange que cocasse, puisque la chanson a connu, dans ses nombreuses variantes, une adaptation en chant de noël à partir de la fin du XVIIe siècle ( ci-dessus « le paysan et la prostituée », toile de Lucas Maler, dit Lucas Cranach l’Ancien, peintre allemand de ce même XVIe siècle).
Le roi Henri VIII d’Angleterre,
auteur-compositeur de Greensleeves?
Une « légende » raconte que Lady Greensleeves aurait été écrite autour de 1530 par Henri VIII d’Angleterre pour Anne Boleyn (portrait ci-contre) qui était alors sa maîtresse mais deviendrait bientôt, pour un temps, la reine consort d’Angleterre. Anne Boleyn aurait, à un moment donné, rejeté le roi, avant de changer d’avis et l’amant, autant que l’auteur de la chanson, serait donc, dans cette hypothèse, le roi lui-même. Si c’était bien le cas, la belle aurait été mal inspirée de changer d’avis et aurait mieux fait de tenir la position, puisqu’elle finira exécutée et décapitée pour adultère, inceste et haute trahison sur ordre personnel d’Henri VIII; autant de crimes dont l’Histoire semble l’avoir lavé depuis à quelques avis d’historiens prés. Elle est même devenue d’ailleurs une des figures martyres du protestantisme. Les historiens penchent entre un complot visant à éliminer la reine ou une claire volonté d’Henri VIIIde le faire parce que cette dernière ne lui donnait pas d’héritiers mâles.
Pour la petite histoire, il faut tout de même se souvenir que Anne Boleyn ne fut pas la seule de ses épouses que ce roi, à la vie maritale et sentimentale, riche en péripéties et en « rebondissements » dramatiques, fit exécuter, au point qu’on lui prête même d’avoir été le véritable personnage ayant inspiré le conte de Perrault Barbe Bleue, bien plus que Gilles de Retz.
Pour revenir à Greensleeves, et dans une autre version de l’histoire on allègue, en relation avec l’hypothèse soulevée plus haut que cette Lady Greensleeves aurait plutôt été une prostituée et non la future reine d’Angleterre. En réalité, aucun document ne permet d’étayer, historiquement, ni l’une ni l’autre de ces versions.
L’histoire de Greensleeves et les faits connus
On sait de source sûre que cette pièce, dont l’auteur et le compositeur sont demeurés anonymes à ce jour, est mentionnée, pour la première fois sous le règne dynastique de la maison Tudor, dans le registre de la compagnie des papetiers et éditeurs de presse de Londres ». En 1580, un dénommé Richard Jones l’a, en effet, faite enregistrer, en vue de sa publication. Dans les deux années qui suivront, on la retrouvera mentionnée sept fois dans ce même registre, sous des titres variés autour de « Lady Greensleeves » et sous le nom d’éditeurs ou d’imprimeurs divers. Même si cela ne permet toujours pas de dater sa composition, il est indéniable qu’elle est déjà alors « officiellement » devenue extrêmement populaire comme elle l’est restée d’ailleurs depuis. En 1602, Shakespeare y fera même allusion dans une de ses comédies: « Les Joyeuses Commères de Windsor » (The Merry Wives of Windsor).
C’est en 1584 que les paroles de Greensleeves apparaissent pour la première fois dans un document écrit traçable, quant à sa musique, on la retrouve dans divers livres datant de la même période: le premier étant celui connu sous le nom de « William Ballet Lute Book« date de 1590 et présente une partition pour luth de la chanson. Elle apparaîtra également en 1595 dans un manuscrit hollandais de Luth, le « Het Luitboek van Thysius », rédigé par un certain Adriaen Smout de Rotterdam et on la retrouvera, au fil du temps, dans de nombreux autres ouvrages.
Si l’on en connait pas l’auteur, le style et la composition laissent plutôt supposer que les origines de Greensleeves, ou au moins de son inspiration musicale, seraient sans doute plutôt à rechercher du côté du Passamezzo, danse de la renaissance Italienne dont nous parlions déjà plus haut, ou même de la Pavane espagnole, danse de cour lente de la même époque. Autre fait à relever concernant cette mélodie anglaise célèbre, et qui n’a pas trait à ses origines, mais plutôt à sa popularité, en tendant un peu d’oreille, vous aurez certainement noté que la célèbre chanson du grand Jacques Brel« Le port d’Amsterdam » s’en est aussi clairement inspirée.
Les paroles anglaises de Greensleeves
Il en existe de nombreuses variantes remaniées, rallongées, au besoin pour être converties, nous l’avons mentionné plus haut, en chant de noël mais Lady Greensleeves fut aussi adaptée au XVIIe siècle par ceux que l’on dénommait alors « les cavaliers » et qui étaient les troupes royales au service du roi Charles 1er, durant la guerre civile anglaise (1642–1651). On lui connait depuis des myriades de versions: jazz, folk, rock ou même variétés, de John Coltrane à Elvis Presley en passant par Léonard Cohen, Marianne Faithfull, Neil Young, Jethro Tull et même plus récemment Hélène Segara.
Les paroles anglaises que nous donnons ici proviennent de l’époque des Tudors. Nous les avons traduites et adaptées librement. Je précise que j’ai finalement consenti à traduire Greensleeves par Vertemanche en vous laissant libre d’utiliser le nom original, si vous le préférez. Mais, allons, assez parlé, en piste!
The Chorus / le Refrain
Greensleeues was all my ioy, Greensleeues was my delight: Greensleeues was my hart of gold, And who but Ladie Greensleeues.
Vertemanche était toute ma joie Vertemanche était tout mon plaisir Vertemanche était mon coeur d’or Et qui d’autre que demoiselle Vertemanche
The Verses / les paroles
Alas my loue, ye do me wrong, to cast me off discurteously: And I haue loued you so long Delighting in your companie.
Hélas, mon amour, mon amour, vous me faites du mal De me rejeter ainsi sans courtoisie Car je vous ai aimé bien et longtemps Prenant plaisir en votre compagnie
Chorus/Refrain
I haue been readie at your hand, to grant what euer you would craue. I haue both waged life and land, your loue and good will for to haue.
Je me suis tenu près de votre main Pour satisfaire tous vos désirs J’ai gagé mes terres et ma vie Pour gagner votre amour et votre bienveillance
Chorus/Refrain
I bought three kerchers to thy head, that were wrought fine and gallantly: I kept thee both boord and bed, Which cost my purse wel fauouredly,
Je t’ai acheté trois fichus De fine étoffe et galante Je t’ai gardé près de moi et dans mon lit Ce qui a bien vidé ma bourse
Chorus/Refrain
I bought thee peticotes of the best, the cloth so fine as might be: I gaue thee iewels for thy chest, and all this cost I spent on thee.
Je t’ai acheté trois jupons Du meilleur et plus fin tissu Et trois bijoux pour ton giron Et tous ces frais c’était pour toi
Chorus/Refrain
Thy smock of silk, both faire and white, with gold embrodered gorgeously: Thy peticote of Sendall right: and thus I bought thee gladly.
Ta chemise de soie, pure et blanche
Magnifiquement brodée d’or
Ton foulard de soie légère
Et tout ça acheté de bonne grâce
Chorus/Refrain
Thy girdle of gold so red, with pearles bedecked sumptuously: The like no other lasses had, and yet thou wouldst not loue me,
Ta ceinture d’or si rouge ornée de perles somptueuses Du genre qu’aucune fille n’avait Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
Thy purse and eke thy gay guilt kniues, thy pincase gallant to the eie: No better wore the Burgesse wiues, and yet thou wouldst not loue me.
Ta bourse et tes jolis poignards Ta boîte à épingles si belle au regard De meilleur, n’avait femme bourgeoise Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
Thy crimson stockings all of silk, with golde all wrought aboue the knee, Thy pumps as white as was the milk, and yet thou wouldst not loue me.
Tes bas pourpres, tous de soie Brodés d’or au dessus du genou Tes escarpins immaculés, aussi blancs qu’était le lait Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
Thy gown was of the grossie green, thy sleeues of Satten hanging by: Which made thee be our haruest Queen, and yet thou wouldst not loue me.
Ta robe était du vert des prés tes manches de Satin tombantes, Qui faisait de toi notre reine des moissons Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
Thy garters fringed with the golde, And siluer aglets hanging by, Which made thee blithe for to beholde, And yet thou wouldst not loue me.
Tes jarretières frangées d’or aux aiguillettes d’argent pendantes, Dont la vue t’avait tant ravi Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
My gayest gelding I thee gaue, To ride where euer liked thee, No Ladie euer was so braue, And yet thou wouldst not loue me.
Mon vaillant hongre je t’ai donné Pour le mener où tu voudrais Nulle fille n’eut jamais ton audace Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
My men were clothed all in green, And they did euer wait on thee: Al this was gallant to be seen, and yet thou wouldst not loue me.
Mes hommes tous vêtus de vert Toujours prévenants avec toi Quel beau tableau cela faisait Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
They set thee vp, they took thee downe, they serued thee with humilitie, Thy foote might not once touch the ground, and yet thou wouldst not loue me.
Ils t’aidaient à le monter et t’en faisaient descendre Ils te servaient avec tant d’humilité, Pas une seule fois, je crois, tu n’eus à toucher le sol de ton pied Et avec tout ça, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
For euerie morning when thou rose, I sent thee dainties orderly: To cheare thy stomack from all woes, and yet thou wouldst not loue me.
Et chaque matin quand tu t’éveillais Je te faisais porter de délicieux mets Pour prévenir ton estomac de tous maux Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
Thou couldst desire no earthly thing. But stil thou hadst it readily: Thy musicke still to play and sing, And yet thou wouldst not loue me.
Tu ne pouvais désirer aucune chose terrestre Sans l’obtenir sur l’instant Tes musiciens toujours prêts à jouer et à chanter Et pourtant, tu n’as pas voulu m’aimer.
Chorus/Refrain
And who did pay for all this geare, that thou didst spend when pleased thee? Euen I that am reiected here, and thou disdainst to loue me.
Et qui paya pour tout ce faste Que tu dépensas à ta guise Jusqu’à moi qui suis, là, rejeté et toi qui dédaignas aimer
Chorus/Refrain
Wel, I wil pray to God on hie, that thou my constancie maist see: And that yet once before I die, thou wilt vouchsafe to loue me.
Bien, je vais prier Dieu sur le champ Pour que tu vois tous mes efforts Et qu’une fois avant ma mort Tu daignes consentir à m’aimer
Chorus/Refrain
Greensleeues now farewel adue, God I pray to prosper thee: For I am stil thy louer true, come once againe and loue me.
Vertemanche, maintenant, farewell, adieu Je prie Dieu pour que tu prospères Car je suis toujours ton amant sincère Reviens m’aimer une fois encore.
Chorus/Refrain
Une très belle journée à tous
Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, amour courtois, cour d’espagne, manuscrit ancien Période : moyen-âge tardif, début renaissance Titre : « Al alba venid ». Auteur : Anonyme Manuscrit : chansonnier musical du palais, ou chansionnier de Barbieri Interprétes : The Dufay Collective Album : cancionero – music for the spanish court 1470-1520 (2006)
Bonjour à tous,
ous partageons aujourd’hui une pièce d’amour courtois que l’on chantait à la cour d’Espagne dans le courant des XVe et XVIe siècles. C’est un Villancico, soit un chant poétique traditionnel et ancien espagnol. Historiquement, le terme de Villancico recouvre plusieurs sens: à l’origine, on désignait ainsi, en Espagne, les mélodies populaires chantées par les vilains. A la renaissance, certaines d’entre elles se convertirent en chansons à une voix ou plusieurs, accompagnées souvent au luth ou de son cousin aragonais la Vihuela (voir illustration ci-dessous). Avec le temps, certains de ces Villancicos sont aussi devenus des chants que l’on entonnait dans les églises autour de la période de Noel.
L’auteur de la chanson que nous vous présentons ici est demeuré anonyme mais elle existait sans aucun doute à l’état oral avant sa transcription. Quoiqu’il en soit, bien que très simple et très épurée cette poésie n’aurait sans doute pas tellement sa place dans une église. Elle est, en effet, chantée par une dame à son amant et traite de l’attente amoureuse et du secret, thème récurrent de l’amour courtois qui pour être très pur ou très allégorique, n’en est pas moins souvent polisson, disons-le, puisqu’il n’est pas rare qu’il se plaise à jouer avec les frontières de l’interdit et des conventions dans le dos des maris.
Du point de vue de son contenu, cette chanson s’inscrit encore dans la tradition des troubadours provençaux du XIIe siècle et du moyen-âge central qui ont chanté l’aube mieux que personne, ce moment déchirant où les amants doivent se séparer. En l’occurrence dans cette chanson là, il est question qu’ils s’y réunissent et d’un rendez-vous à l’aube, ce que l’on nomme en bon espagnol, une alborada, et non plus une aubade, un albada.
Venez à l’aube, mon bon ami
Le chansonnier musical du palais ou chansonnier de Barbieri
Conservé à la bibliothèque royale de Madrid, le Cancionero Musical de Palacio, appelé encore le chansonnier de Barbieri est basé sur un manuscrit ancien datant du XVIe siècle qui contient des compositions musicales et des chansons datant du XVe au début du XVIe siècle. Nous sommes donc à la lisière de la fin du moyen-âge et du début de la renaissance. Ce travail de compilation, effectué par neuf personnes différentes au cours du temps, se serait vraisemblablement étalé sur une période d’environ quarante ans, sous le règne de rois catholiques espagnols.
Redécouvert à la bibliothèque du palais royal, dans le courant du 17e siècle, on doit Francisco Asenjo Barbieri, célèbre compositeur madrilène du même siècle, considéré comme le créateur de la zarzuela, une forme de théâtre lyrique espagnol, de l’avoir retranscrit et publié pour la première fois en 1890.
(ci-contre portrait du compositeur Francisco Asenjo Barbieri)
Originellement, l’ouvrage contenait plus de 548 pièces, mais certains feuillets se perdirent et il n’en reste plus aujourd’hui que 469. Dans leur grande majorité, les compositions sont en castillan, mais il en demeure quelques unes en latin, français, catalan, basque et portugais. On y trouve des chants pour une voix, mais aussi des pièces polyphoniques qui touchent des thèmes aussi variés que l’amour, la religion, la chevalerie, l’histoire, mais encore des sujets plus politiques, burlesques ou satiriques. Hormis les compositions qui sont restées anonymes comme celle d’aujourd’hui, on y dénombre pas moins de cinquante compositeurs et ce manuscrit ancien se présente aujourd’hui comme une véritable anthologie de la musique et des chants polyphoniques de l’Espagne du début de la renaissance et de la fin du moyen-âge.
The Dufay Collective, les interprètes du jour
Crée en 1987 par une bande de joyeux musiciens anglais, le groupe s’est spécialisé, depuis son origine, dans l’interprétation des musiques anciennes, sur une période allant du moyen-âge à la renaissance. Leur nom « The Dufay Collective » est d’ailleurs directement inspiré de celui de Guillaume Dufay (1397-1474), compositeur franco-hollandais qui fut au milieu du XVe siècle considéré comme comptant parmi les plus grands de son temps,
On doit, à ce jour, près de 11 albums au Dufay collective et ils ont aussi collaboré à la composition de plusieurs bandes originales cinématographiques de films d’époque et même d’un Harry Potter. Vous noterez, au passage, que les groupes anglais sont quand même bien les seuls à se fendre d’une couverture d’album décalée, humoristique et presque rock pour présenter des musiques médiévales, interprétées finalement de manière plutôt « classique » et « conventionnelle ». Si vous allez faire un tour sur leur site web, vous retrouverez d’ailleurs bien cet esprit.
Les paroles originales en espagnol
Al alba venid, buen amigo, al alba venid.
Amigo el que yo más quería, venid al alba del día.
Amigo el que yo más amaba, venid a la luz del alba.
Venid a la luz del día, non trayáis compañía.
Venid a la luz del alba, non traigáis gran compañía.
Leur traduction en français
A l’aube venez, bon ami A l’aube venez.
Ami, celui que je voudrais le plus Venez à l’aube du jour.
Ami celui que j’aimais le plus Venez à la lumière de l’aube.
Venez à la lumière du jour N’amenez point de compagnie.
Venez à la lumière de l’aube N’amenez pas grande compagnie.
Une très belle journée à tous!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique ancienne et médiévale, musiques et cultures méditerranéennes, oud. viole de gambe Période : Moyen Âge central à la Renaissance Titre : Danse de l’âme. Groupe : Hespèrion XXI, Jordi Savall, AliaVox Interprète: Driss El Maloumi (oud) Album : Orient-Occident 1200-1700 (2006)
Bonjour à tous,
isser un dialogue entre les musiques anciennes et médiévales de l’Espagne chrétienne, juive et musulmane, de l’Italie, du Maroc, de Perse, d’Afghanistan, ou encore de l’empire ottoman, telle était l’ambition de Jordi Savall et de son ensemble Hespèrion XXI dans un album de 2006, ayant pour titre Orient-Occident et dont nous vous proposons aujourd’hui d’écouter une pièce.
Et quel titre mieux que celui que nous vous présentons ici pouvait représenter l’essence même de ce projet merveilleux consistant à réunir autour du même album tant de cultures et de musiques anciennes? Et pour cause, il s’appelle la danse de l’âme et nous provient du Maroc. L’ombre de Paco de Lucia plane sur ses accents presque flamenco et dans le toucher incroyable du virtuose Driss El Maloumi(ici en photo) et de cet oud qui prend vie et devient magique entre ses doigts.
Un peu d’histoire de l’oud
Concernant cet instrument ancien, son origine se perd dans la nuit des temps. Au moyen-âge, on note sa présence à partir des IX, Xe siècles et il pourrait être originaire de Perse ou de Mésopotamie. Son ancêtre, le barbat, un des plus vieux lute connu au monde, était, quant à lui, utilisé plus d’un siècle avant notre ère et proviendrait d’Asie centrale, avant d’être rapidement adopté par les arabes et la culture musulmane qui le firent évoluer. Sous sa forme actuelle, il est vraisemblable que l’Oud ait émergé en Andalousie, dans l’Espagne médiévale musulmane. Du moyen-âge à nos jours, son succès ne s’est pas démenti et on le retrouve dans une grande partie du berceau méditerranéen, à la racine des musiques traditionnelles et populaires, autant que spirituelles.
La renaissance spirituelle, philosophique, scientifique du moyen-âge central en occident, s’est jouée autour de la méditerranée et s’est faite indéniablement dans la rencontre et dans le choc culturel avec l’orient et le moyen-orient. Nul ne conteste plus aujourd’hui l’apport, en quelque sorte inattendu, des croisades que l’Europe chrétienne était allée mener pour des raisons autant spirituelles qu’économiques et dont les croisés ramenèrent bien d’autres trésors que matériels.
De près de cinq siècles de ces expéditions en terre sainte et en orient, il résulta, au final, peu de victoires, peu de gloire et beaucoup de drames, et ces croisades répétées verront, au fil des siècles, s’étioler la motivation même des plus fervents. Mais au delà du fer croisé et du sang versé, il y eu aussi, et peut être plus que tout autre chose, dans la rencontre si barbare fut-elle par endroits, l’héritage des richesses infinies du savoir et de la culture: la médecine d’Avicenne, Averroès, tant d’autres auteurs, et à travers eux, la redécouverte d’Aristote que les arabes étaient occupés à commenter et à étudier, mais aussi des apports en sciences physiques, mathématiques et militaires.
Il est touchant de voir qu’à travers les siècles et dans ce projet musical trans-culturel, au carrefour des trois grandes religions et des cultures du berceau méditerranéen, Jordi Savall (en photo ci-contre) tisse, sur une partition de noires et de blanches, le fil d’échanges millénaires et, au delà des tensions, des incompréhensions ou des volontés, souvent déraisonnables de part et d’autre, de faire plier l’autre à ses raisons, le maître de musique catalan nous montre finalement le chemin d’une fraternité retrouvée.
Pour conclure, nous empruntons, ici, un extrait du commentaire de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf sur cet album, qui résume à merveille ce de quoi il s’agit exactement :
« Au cours de ce voyage dans le temps et l’espace, nous nous demandons à chaque instant si les conflits auxquels nous sommes accoutumés ne sont pas trompeurs, finalement, et si la vérité des hommes et des cultures ne réside pas plutôt dans ce dialogue des instruments, des accords, des cadences, des gestes et des souffles. Monte alors en nous un sentiment de joie profonde, né d’un acte de foi : la diversité n’est pas forcément un prélude à l’adversité ; nos cultures ne sont pas entourées de cloisons étanches ; notre monde n’est pas condamné à des déchirements sans fin ; il peut encore être sauvé… N’est-ce pas là, d’ailleurs, depuis le commencement de l’aventure humaine, la raison première de l’art ? »