Sujet : musique médiévale, danse médiévale, estampie, manuscrit ancien, Période : moyen-âge central, XIIIe siècle, Titre : la tierche (tierce) Estampie roiale (royale), manuscrit du Roy (Roi), chansonnier du Roy, manuscrit français 844. Auteur : anonyme Interprète : The Dufay Collective Album :A dance in the garden of Mirth Chandos (1994)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons un peu de danse médiévale avec un retour au célèbre Manuscrit ou Chansonnier du Roy ( MS Français 844) du moyen-âge central. Nous avions déjà publié ici la prime, la seconde, la quarte et même la septième estampie royale, toutes issues de ce précieux codex et voici donc venir la tierche ou tierce.
Avec plus de six-cent pièces, ce Manuscrit ancien demeure un témoignage de grande importance de la musique et des chansons médiévales des XIIe et XIIIe siècles. Pour plus de détails, le concernant et pour en découvrir d’autres pièces, n’hésitez pas à suivre le lien suivant : musiques et chansons médiévales du Chansonnier du Roy (roi) ou Manuscrit 844.
La tierce estampie royale par les anglais du Dufay Collective
« A dance in the garden of mirth »
Danses médiévales du XIIIe et du XIVe
L’interprétation du jour nous est proposée par le groupe anglais The Dufay Collective. Elle est tirée d’un album sorti en 1994, et ayant pour titre A dance in the garden of mirth.
Comme pour l’album dont nous avions parlé dans notre article précédent, ne vous fiez pas au côté un peu « rock british » de la couverture, cet ensemble est, en effet, bien dévoué aux musiques du moyen-âge et de la renaissance. Estampies, trotto, saltarello, dans cet album instrumental, les artistes anglais nous proposaient une sélection de danses médiévales, en provenance principalement de la France du XIIIe siècle et de l’Italie du XIVe, avec également une pièce provenant d’Angleterre.
Pour plus d’informations sur cette productionou pour l’acquérir en ligne, voici un lien utile : A Dance In The Garden Of Mirth
Actualité et agenda ?
Concernant l’actualité du Dufay Collective, le groupe ne semble pas s’être produit activement sur scène depuis 2013, même si leur dernier album Love and Devotion in Medieval England date de 2015. Pour les suivre, le moyen le plus simple reste donc leur Page Facebook officielle.
On peut aussi valablement s’intéresser à son directeur, le compositeur et musicien William Lyons et à son actualité. Extrêmement actif dans le champ des musiques anciennes, cet artiste compositeur et instrumentiste polyvalent (joueur de flûtes, luth, cornemuse et encore percussionniste) collabore avec des nombreuses institutions et ensembles dans ce domaine, sur la scène anglaise (Royal College of Music, Shakespeare Globe Theater, etc…). et il a encore contribué en tant que compositeur ou interprète à de nombreuses bandes sonores de films pour la télévision ou le cinéma ( Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, Robin Hood ou le Hobbit, entre autres titres célèbres). Pour les anglophones, son site web est ici : William-Lyons.com
En vous souhaitant une très belle journée et une belle écoute.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : amour courtois, musique, poésie médiévale, Cantigas de amigo, galaïco-portugais, troubadour. Période : XIIIe siècle, moyen-âge central Auteur : Lourenço Jograr (Jogral) Interprète :Paulina Ceremuzynska Titre: Três moças cantavam d’amor Album : E moiro-me d’Amor (2006)
Bonjour à tous,
l y a tant de beaux auteurs, artistes, poètes, trouvères et troubadours qui nous viennent du monde médiéval qu’il pourrait parfois sembler difficile de savoir par où commencer. De notre côté, dans cette aventure, nous avons choisi de privilégier un voyage exploratoire qui ne suit pas nécessairement les sentiers balisés, ni les frontières des terres de la France d’alors. Notre objet est donc vaste mais nos pas restent libres de toute entrave.
Bien sûr, en matière de poésie et de littérature médiévale, il y a des classiques, des hiérarchies dans les auteurs, des influences réputées plus certaines que d’autres. En plongeant dans la discipline fascinante qu’est la codicologie, on peut même compter les codex et les manuscrits anciens pour mesurer la popularité de certains textes, ou projeter leur influence, même si cela reste un exercice délicat, comme nous le rappelait Richard Trachsler dans son excellente conférence sur le roman arthurien, donnée à l’Ecole de Chartes. Avec le temps et si Dieu nous prête vie, nous finirons bien par rattraper tous ces « classiques », mais encore une fois, nous n’en avons pas, jusque là, fait notre priorité systématique.
Ainsi, aujourd’hui, nous continuons d’emprunter, à notre façon, les chemins de traverse, à la découverte de ce fascinant moyen-âge et ce faisant, nous partons à la rencontre des Cantigas de Amigo et des Cantigas de Amor, autrement dit ces chansons des troubadours de l’Espagne et du Portugal médiéval qui sont des pièces de lyrique courtoise toutes entières dédiées à l’ami (soit l’être aimé) ou à l’amour.
Nous voilà donc à l’abordage des rives du moyen-âge central pour vous parler d’un troubadour du XIIIe siècle: Lourenço Jograr (ou Xograr), que l’on pourrait traduire, s’il le fallait, par Laurent ou Laurencin le Jongleur. Et comme souvent, cet article nous fournit encore l’occasion de parler d’une artiste passionnée de musique médiévale. C’est une chanteuse et soliste contemporaine d’origine polonaise. Elle a pour nom Paulina Ceremuzynska et elle nous offre ici une très belle interprétation d’une chanson de ce Lourenço, mais avant de la découvrir disons quelques mots de ce dernier.
Lourenço Jograr ( Xograr ou Jogral )
Laurencin ou Laurent le Jongleur
Les informations concernant la biographie de ce troubadour proviennent essentiellement de ses propres poésies ou des dits d’autres troubadours de son temps le concernant. Le fait qu’il ne soit désigné pratiquement que par son prénom complique encore son identification certaine dans les sources. Contemporain de la deuxième moitié du XIIIe siècle, il était, semble-t-il, d’origine portugaise, et a certainement fréquenté, au moins un temps, la cour d’Alphonse X de Castille.
Son oeuvre, à tout le moins celle qui nous est parvenue, n’est pas immense en taille. Elle comprend une dizaine de cantigas de amigo ou de amor réparties dans plusieurs manuscrits anciens (voir image ci-contre). On y trouve encore quelques jeu-partis demeurés célèbres entre lui et le chevalier et troubadour João Garcia de Guilhade (Johan Garcia de Guilhade) au service duquel Lourenço a certainement été.
TRÊS MOÇAS CANTAVAM D’AMOR par Paulina CEREMUZYNSKA
Paulina Ceremuzynska & l’art des troubadours galaïco-portugais du XIIIe
Nous devons l’interprétation du jour à la chanteuse et artiste Paulina Ceremuzynska. Avec une prédilection pour les musiques anciennes et en particulier celles provenant de la période médiévale et du moyen-âge central, Paulina est diplômée en musicologie à l’université de Varsovie. Titulaire encore d’un master en Interprétation de la musique médiévale, obtenu à l’Université Paris-Sorbonne, elle a étudié le chant et la direction artistique sous l’égide de prestigieux professeurs au nombre desquels on conte le célèbre contre-ténor et chanteur lyrique Richard Levitt.
En 2004, lors d’études et de recherches dans le cadre du Centre de recherches en sciences humaines de Saint-Jacques de Compostelle, elle s’attela à la transcription musicale et à l’interprétation du Parchemin Sharrer, document ancien comprenant des cantigas contemporaines du règne de Denis 1er du Portugal (1279-1325), monarque éclairé connu encore sous le nom du roi poète ou du roi troubadour. Outre ses célèbres réformes dans le milieu agraire, l’homme était un féru de littérature et de culture. Il fonda d’ailleurs l’université de Lisbonne et on lui attribue près de 140 cantigas.
A l’occasion de ses recherches historiques, musicales et médiévales, Paulina se forma aussi au galaïco-portugais et l’ensemble de ce travail donna lieu à un premier CD : Cantigas de Amor e Amigo dans lequel elle présentait des chansons du Roi Denis et du troubadour Martin Codax. Si cet album vous intéresse, vous le trouverez disponible à la vente en ligne sous ce lien : Cantigas de Amor E Amigo
Ce travail fut aussi, indubitablement, la confirmation pour l’artiste d’un vif intérêt, sinon d’une passion, pour la poésie des troubadours de cette période et de cette langue. Elle poursuivit d’ailleurs ses recherches dans la même direction, pour aboutir en 2006 à l’album E moiro-me d’Amor qui se situait encoreautour des troubadours de langue galaïco-portugaise du moyen-âge central. Il s’agit là d’un travail de restitution dont l’ambition est de se situer au plus près de l’esprit médiéval des Cantigas de Amigo. Il s’articule autour d’une sélection de chansons prises dans le répertoire des troubadours les plus prestigieux de l’école galicienne. C’est de cet album qu’est tirée sa sublime interprétation de la chanson de Lourenço Jograr que nous vous proposons aujourd’hui.
A noter encore concernant cette artiste qu’elle est la fondatrice et la directrice artistique de l’Ensemble Meendinhospécialisé dans les chants monophoniques médiévaux et les musiques anciennes. Pour la suivre, voici l’adresse de sa page facebook.
Três moças cantavam d’amor :
le chant d’amour de trois damoiselles pour un troubadour ému
La chanson du jour met en scène trois jeunes filles en peine d’amour et l’une d’elles, qui se trouve être la belle du troubadour propose aux deux autres de chanter la chanson d’un « ami » (l’artiste lui-même donc). Et voilà donc notre troubadour devant la scène, touché, pour ne pas dire émoustillé, que sa chanson puisse avoir été choisie par l’élue de son cœur, y voyant là, à l’évidence, une belle preuve d’amour. Derrière l’émotion du poète, on pourra, bien sûr, argumenter à l’envie sur la nature « auto-élogieuse » du chant, il semble d’ailleurs que quelques troubadours de la même période que l’auteur, l’aient fait, pour le moquer un peu mais la nature épurée de cette chanson d’amour « en miroir » l’emporte tout de même au final.
Les paroles médiévales
et leur adaptation en français moderne
Nous vous proposons une adaptation française du cru ; elle est issue de la traduction espagnole et anglaise des paroles et de recherches personnelles sur la langue originale. Encore une fois, il s’agit de s’en faire une idée, il reste, quoiqu’il en soit, difficile de retraduire toute la richesse de ce texte dans son contexte:
Três moças cantavam d’amor, mui fremosinhas pastores, mui coitadas dos amores. E diss’end’ũa, mia senhor: – Dized’amigas comigo o cantar do meu amigo.
Trois demoiselles chantaient d’amour c’étaient de très belles bergères Souffrant de peines amoureuses Et l’une d’elles disait, qui est ma dame : – Chantez, mes amies, avec moi, le chant de mon ami. (bien-aimé)
Todas três cantavam mui bem, come moças namoradas e dos amores coitadas. E diss’a por que perço o sem Dized’amigas comigo o cantar do meu amigo.
Toutes les trois chantaient fort bien Comme des filles amoureuses Et prises en détresse d’amour, Et elle dit, ce qui me troubla les sens : – Chantez, mes amies, avec moi, le chant de mon bien-aimé.
Que gram sabor eu havia de as oir cantar entom! E prougue-mi de coraçom quanto mia senhor dizia: – Dized’amigas comigo o cantar do meu amigo.
Quel grand plaisir j’ai eu alors de les entendre chanter! Et comme cela a touché mon coeur quand ma dame leur disait: – Chantez, mes amies, avec moi, le chant de mon bien-aimé.
E se as eu mais oísse, a que gram sabor estava! E quam muito me pagava de como mia senhor disse: – Dized’amigas comigo o cantar do meu amigo
Et, moi, plus je les entendais, Quelle grande joie c’était! Et combien cela me plaisait Comme ma dame disait : – Chantez, mes amies, avec moi, le chant de mon bien-aimé.
En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
PS : dans les sources utiles sur la poésie et les cantigas médiévales gallego-portugaises (amigo et amor) , il faut citer pour ceux d’entre vous qui parlent portugais ou anglais cet excellent site web attaché, indirectement, à la faculté de Lettres de Lisbonne :Cantigas medievais galego-portuguesas.
Sujet : musique médiévale, musique ancienne, chanson, complainte, amour courtois. fortune. Titre : Tels rit au main qui au soir pleure Œuvre : le remède de Fortune. Auteur : Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Interprète : Ensemble Project Ars Nova Album : Machaut : remède de Fortune (1994)
Bonjour à tous,
ous retournons aujourd’hui au Moyen Âge tardif et à l’Ars Nova avec une complainte du grand maître de musique du XIVe siècle, Guillaume de Machaut.
La pièce « Tels rit au main qui au soir pleure » est tirée du Remède de fortune du Manuscrit ancien FR 1586, pièce d’amour courtois dans laquelle le compositeur nous conte la quête et les revers d’un poète pour conquérir la cœur de sa dame. Dans le cas du chant présent, il emprunte l’image de la roue de la fortune (la médiévale, bien sûr, pas la télévisuelle) pour décrire ses déboires amoureux. Amertume d’un sort qui frappe de manière inéluctable, sans qu’on sache comment, ni qu’on s’y attende vraiment, la roue tourne comme dans le chant « O fortuna » écrit un peu plus d’un siècle avant cette complainte de Guillaume Machaut et qui sert d’introduction à la Carmina BuranadeCarl Orff,
Nous sommes pourtant bien dans la même conception de ce sort, cette « fortune » changeante, qui abaisse ou élève dans un mouvement sans fin et contre lequel l’homme ne peut rien, qu’il soit empereur, pape, roi ou simple poète et amoureux transi :
O fortuna, extrait des chants de Benediktbeuern (Carmina Burana)
Sors immanis et inanis, rota tu volubilis, statu malus, vana salus, semper dissolubilis obumbrata et velata michi quoque niteris; nunc per ludum dorsum nudum fero tui sceleris.
Sort monstrueux Et informe, Toi la roue changeante, Une mauvaise situation, Une prospérité illusoire, Fane toujours, Dissimulée Et voilée Tu t’en prends aussi à moi Maintenant par jeu, Et j’offre mon dos nu A tes intentions scélérates.
Tels rit au main qui au soir pleure par l’ensemble Project Ars Nova
L’ensemble Project Ars Nova : la passion des musiques médiévales des XIVe, XVe siècles
Fondé aux début des années 80, au sein même de l’école suisse Schola Cantorum Basiliensis pour la recherche et pour les musiques anciennesdont nous avons déjà dit un mot ici (voir article sur l’Ensemble Syntagma), l’Ensemble Project Ars Nova ou plus laconiquement l’Ensemble PAN réunissait principalement de jeunes passionnés de musiques médiévales originaires des Etats-Unis.
Composé au départ de trois artistes, Laurie Monahan (chant mezzo-soprano), Michael Collver (chant, vièle à roue, cornet) et Crawford Young (luth), il fut bientôt rejoint par deux artistes supplémentaires: Shira Kammen (vièle, instruments à cordes et archet, ) et John Fleagle (chant ténor et harpe médiévale).
De 1985 à 1991, l’ensemble produisit huit albums autour de sa période musicale de prédilection et du répertoire médiéval de l’Ars Nova. Il fut actif jusqu’un peu avant les années 2000, date à laquelle on perd sa trace. A ce qu’il semble, ils ne se produisent donc plus en scène ou en studio et s’ils le font peut-être à quelques rares occasions, il n’existe, en tout cas, pour l’instant, aucun site web ou page facebook officielle pour le relayer.
Itinéraires artistiques
Du côté des itinéraires respectifs des cinq membres de l’ensemble, Laurie Monahan a co-fondé avec deux autres artistes, en 1995 et à Boston l’ensemble vocal Tapestry. Ce dernier, largement salué depuis par la critique, propose un répertoire qui mêle musiques médiévales et compositions traditionnelles avec des pièces plus contemporaines. Crawford Young, désormais reconnu comme un grand expert du Luth de la période du XVe siècle et devenu par ailleurs, dans le cours de années 80, enseignant à la Schola Cantorum Basiliensis, a une part active dans un autre ensemble médiéval qu’il a crée en Suisse et dirige depuis 84 : L‘Ensemble Ferrara,
Quant à Michael Collver qui prête sa voix de contre-ténor à la pièce du jour, après des contributions variées dans de nombreux ensembles, dont le Boston camerata, et des albums qu’il a pu diriger dans le courant des années 2010, il est également toujours présent, à la fois sur le terrain vocal et instrumental. On le retrouve notamment, encore tout récemment dans la formation Blue Heron, de Boston.
L’artiste John Fleagle, décédé en 1999, a laissé derrière lui un album salué par la critique et ayant pour titre World’s Bliss : Medieval Songs of Love and Death, réalisé en collaboration avec Shira Kammen. Quant à cette dernière, elle a participé, depuis son histoire commune avec le Project Ars Nova, à près de vingt albums et joué avec de nombreux ensembles de musique ancienne. Du point de vue de son actualité, on peut la retrouver aux côtés du newberry consort pour des concerts autour de la tradition séfardie.
Comme on le voit, à la triste exception de John Fleagle et pour des raisons de fait, plus que de cœur, la passion pour les musiques anciennes et médiévales n’a pas déserté les artistes de l’ensemble PAN et chacun continue de la faire vivre à sa manière, à travers son travail.
Remède de Fortune, l’album
Pour revenir à la pièce du jour, elle est tirée d’un album sorti en 94 et dédié entièrement au Remède de Fortune de Guillaume de Machaut. C’est une version épurée musicalement, et il faut avouer que l’interprétation vocale de Michael Collver, associé au son de la vièle à roue est totalement envoûtant.
Tels rit au main qui au soir pleure,
la complainte de Guillaume de Machaut
Tels rit au main qui au soir pleure Et tels cuide qu’Amours labeure Pour son bien, qu’elle li court seure Et ma l’atourne; Et tels cuide que joie aqueure Pour li aidier, qu’elle demeure. Car Fortune tout ce deveure, Quant elle tourne, Qui n’atent mie qu’il adjourne Pour tourner; qu’elle ne sejourne, Eins tourne, retourne et bestourne, Tant qu’au desseur Mest celui qui gist mas en l’ourne; Le sormonté au bas retourne, Et le plus joieus mat et mourne Fait en po d’eure.
Car elle n’est ferme n’estable, Juste, loyal, ne veritable; Quant on la cuide charitable, Elle est avere, Dure, diverse, espouentable, Traitre, poignant, decevable; Et quant on la cuide amiable, Lors est amere. Car ja soit ce qu’amie appere, Douce com miel, vraie com mere, La pointure d’une vipere Qu’est incurable En riens a li ne se compere, Car elle traïroit son pere Et mettroit d’onneur en misere Deraisonnable.
Fortune est par dessus les drois; Ses estatus fait et ses lois Seur empereurs, papes et rois, Que nuls debat N’i porroit mettre de ces trois Tant fus fiers, orguilleus ou rois, Car Fortune tous leurs desrois Freint et abat. Bien est voirs qu’elle se debat Pour eaus avancier, et combat, Et leur preste honneur et estat Ne sai quens mois. Mais partout ou elle s’embat, De ses gieus telement s’esbat Qu’en veinquant dit: « Eschac et mat » De fiere vois.
Einsi m’a fait, ce m’est avis, Fortune que ci vous devis. Car je soloie estre assevis De toute joie, Or m’a d’un seul tour si bas mis Qu’en grief plour est mué mon ris, Et que tous li biens est remis Qu’avoir soloie. Car la bele ou mes cuers s’ottroie, Que tant aim que plus ne porroie, Maintenant vëoir n’oseroie En mi le vis. Et se desir tant que la voie Que mes dolens cuers s’en desvoie, Pour ce ne say que faire doie, Tant sui despris.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas Santa Maria, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, Période :XIIIe, moyen-âge central « Auteur » :Alphonse X de Castille, Alphonse le Sage (1221-1284) Interprète :Ensemble Syntagma Titre:Cantiga de Santa Maria 49
Bonjour à tous,
ous suivons de nouveau, aujourd’hui, le fil des Cantigas de Santa Maria, célèbres chants et odes à la vierge composés sous le règne et sous la férule d’Alphonse X de Castille.
Cette fois, nous parlons de la Cantiga 49, et nous vous en présentons une version interprétée par l’excellent ensemble de Musiques Anciennes Syntagma. Pour plus d’informationssur cette formation musicale et son directeur Alexandre Danilevsky, nous vous invitons à vous reporter à l’article détaillé les concernant. Nous en profitons aussi pour toucher un mot du culte marial dans l’Occident médiéval et chrétien.
Alphonse le Sage, ici « conteur » des Cantigas Santa Maria et médiateur entre la Vierge et les musiciens, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial, XIIIe (1284)
La Cantiga 49 : des pèlerins perdus & sauvés, histoire d’un miracle et d’une apparition
En introduction de ce chant poétique galaïco-portugais du XIIIe siècle, dédié à la Sainte-vierge, on trouve la phrase suivante : « Esta é de como Santa Maria guiou os romeus, que yan a sa eigreja a seixon e erraran o camo de noite. »
Ce qui donne, une fois adapté en français moderne : « Cette Cantiga conte comment Sainte-Marie guida les pèlerins qui se rendaient à son église de Soissons et s’étaient perdus la nuit, en chemin. »
Ainsi, ce chant nous narre le récit de pèlerins que la nuit avait surpris en pleine montagne. Perdus et effrayés, ils se mirent à redouter l’attaque de voleurs et à prier la vierge de leur pardonner leurs péchés et de les protéger, afin qu’aucun mal ne leur soit fait. Le miracle survint et la Sainte leur apparut dans une grande lumière pour les guider dans l’obscurité, jusqu’à leur destination. Comme le conteur (est-ce Alphonse le sage lui-même?) nous le rapporte, à la fin du chant, dès leur arrivée à l’église de Soissons, nos voyageurs, sains et saufs, se mirent à genoux devant l’autel et prièrent, à nouveau, la vierge pour la remercier.
Bien sûr, entre temps, le poète nous aura expliqué à quel point tout cela démontre combien il faut se garder de faire le mal et garder foi en la Sainte Vierge qui jamais n’oublie ses ouailles. Elle vient, nous dira-t-il encore, les secourir des « grands soucis et angoisses qui ne cessent de les assaillir »et cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des miracles qu’elle peut accomplir pour ceux qui lui sont dévoués, car « il a vu de nombreuses hommes et femmes qu’elle a assistés, de jour comme de nuit ». Comme le chant le scandera d’ailleurs tout du long, en guise de refrain :
« Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria. »
« Comme ceux qui vont par les mers, sont guidés par l’étoile Elles vient aussi guider les siens Sainte-Marie. »
La Cantiga Santa Maria 49, dirigée par le talentueux Alexandre Danilevsky
L’importance du culte marial au moyen-âge central
Présent à l’origine du christianisme et dans son essence même pourrait presque t-on dire, le culte autour de la Sainte Vierge, prendra dans l’occident médiéval, et à partir du XIe siècle, des proportions fortement marquées. On lui vouera alors un véritable amour et quand on ne voudra, ni n’osera s’adresser directement à Dieu, ou même au Christ (qui plus que le « fils » du créateur est aussi considéré comme Dieu lui-même incarné et mort en croix. cf Thibaut de Champagne), on s’adressera souvent et avec, semble-t-il plus de facilité, à sa Sainte-Mère dans l’espoir qu’elle intercède auprès de lui.
Alphonse le Sage, priant devant la vierge Marie et l’arbre de Jessé, Cantigas Santa Maria, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial (1284)
De la même façon, pour paraphraser l’historien, écrivain et académicien chrétien Daniel Robs (1901-1965), spécialiste de ces questions dans un article de 1952 (références plus bas dans cet article), on se tournera plus favorablement vers les Saints dans une recherche de « médiateurs » qui apparaissent plus proches, peut-être plus terrestres et donc mieux à même de comprendre les faiblesses de notre nature humaine, autant que les souffrances et les petites misères à laquelle elle se trouve exposée.
Quoiqu’il en soit, pour en revenir au culte voué à Sainte-Marie, il s’étendra dans l’Europe catholique, bien au delà de l’Espagne médiévale et ne se limitera pas, loin s’en faut, aux Cantigas de Santa Maria. La puissance de cette dévotion religieuse, mais aussi affective et directe, qui pourra même parfois prendre des tours passionnels, s’affirmera encore aux XIIe et XIIIe siècles.
« Marie, Mère du Christ, est aimée d’un amour qui ne ressemble à nul autre, comme une mère à qui l’on cache ses peines, comme à une avocate qui plaidera en haut lieu la cause des pécheurs, et même presque comme une surnaturelle amante ; n’est-elle pas celle que le franciscain Jacques de Milan, dans l’Aiguillon d’amour, appelle « la ravisseuse des cœurs » ? On recherche dans l’Ancien Testament les figures qui prophétisent la sienne ; on médite – Eva, Ave, – le mystère qui fait que la faute de la première femme ait été rachetée par le moyen d’une autre femme. » Daniel-Rops – Le Moyen-âge époque mariale.
Revue Marie (1952)
Pour faire écho à cette citation, on retrouve d’ailleurs littéralement cette idée du rachat de la faute de l’Eve originale, dans cette Cantiga 49 : « Ca ela nos vai demostrar de como nos guardemos do demo e de mal obrar, e en como gãemos o seu reyno que non á par, que nos ja perdemos per don’ Eva, que foi errar per sa gran folia ». « Elle (la Sainte Vierge) nous montrera comment nous garder du démon et du mal, et comment nous gagnerons son Royaume sans égal, et ce que nous avons perdu par la faute de Doña Eva, qui est tombée dans l’erreur par sa grande folie. »
Ainsi donc, on lui élèvera des cathédrales que l’on baptisera de ce « Notre Dame » que les cisterciens auront contribué à consacrer et promulguer dans un rapprochement avec les valeurs courtoises qui confirme encore la nature fortement affective de la relation qu’on entretient avec la Sainte. On fera de grands pèlerinages vers ses lieux saints (cathédrales, églises ou lieux d’apparition). On donnera encore pour elle des miracles. Bernard de Clairvaux, empreint de dévotion, s’enflammera pour elle et les poètes du moyen-âge lui voueront encore d’innombrables odes, hommages ou prières. Au final, le culte marial se répandra dans le monde chrétien et son imagerie, et Sainte-Marie trouvera, au sein de l’église comme dans le coeur des hommes du moyen-âge, une place bien plus grande qu’aucune époque lui avait jamais consacrée, devenant indissociable de la religion catholique et de l’occident médiéval, ce qui fera encore dire à l’Historien Daniel Rops dans un grand élan, indéniablement affectif et chrétien :
« Ainsi, en occupant dans la religion la place éminente que nous lui voyons, le culte de la Vierge donne au Christianisme une nuance de tendresse unique, irremplaçable : il est un des fleurons du Moyen Âge. » Daniel Rops. – Opus cité.
Les paroles originales de la Cantiga 49
On notera que, dans la version musicale présentée plus haut, le texte de la Cantiga 49 est plus court que l’original et ne présente que la première partie de l’histoire. De notre côté, nous avons choisi de vous livrer, ici, le texte complet.
Au passage, pour les plus anglophones d’entre vous, notez que l’Université d’Oxforda mis en ligne un base de données très utile pour l’étude et la compréhension des Cantigas de Santa Maria. Vous n’y trouverez pas la traduction littérale de l’ensemble des chants, mais de bonnes pistes pour les comprendre et surtout d’excellentes références en termes de bibliographie, de manuscrits anciens et d’imagerie médiévale. Si cela vous intéresse, elle se trouve ici : The Oxford Cantigas de Santa Maria Database.
Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria.
Ca ela nos vai demostrar de como nos guardemos do demo e de mal obrar, e en como gãemos o seu reyno que non á par, que nos ja perdemos per don’ Eva, que foi errar per sa gran folia.
Ben com’ aos que van per mar …
E ar acorre-nos aqui enas mui grandes coitas, segund’ eu sei ben e oý, quaes avemos doitas; ca muitos omees eu vi e molleres moitas a que el’ acorreu assi de noit’ e de dia.
Ben com’ aos que van per mar…
E, segund’ eu oý dizer, ha mui gran conpanna de romeus ar foi guarecer en ha gran montanna, en que ss’ ouveran de perder con coita estranna, porque lles foi escurecer e perderon via.
Ben com’ aos que van per mar…
E sen aquest’ un med’ atal enos seus corações avian mui fero mortal, ca andavan ladrões per y fazendo muito mal; porend’ orações fezeron todos y sen al, quis come sabia.
Ben com’ aos que van per mar…
E chamand’ a Madre de Deus, com’ é nosso costume, que dos graves pecados seus perdess’ ela queixume; e logo aqueles romeus viron mui gran lume e disseron: «Ai, Sennor, teus somos todavía.»
Ben com’ aos que van per mar…
E en aquel gran lum’ enton viron ha mui bela moller de corp’ e de faiçon, e ben come donzela lles pareceu; e pero non siia en sela, mas ta na mã’ un baston que resprandecia.
Ben com’ aos que van per mar…
E poi-la donzela chegou, todas essas montannas do seu gran lum’ alumou, e logo as compannas dereito a Seixon levou e per muit’ estrannas terras en salvo os guiou come quen podia.
Ben com’ aos que van per mar a estrela guia, outrossi aos seus guiar vai Santa Maria.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.