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Plus bele que flor : une chanson médiévale courtoise du chansonnier de Montpellier

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet :   chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl,  musique médiévale, manuscrit ancien,  chansonnier de Montpellier,    motets,    chants polyphoniques
Période :    XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre :   
Plus bele que flor     Auteur :  anonyme
Interprète :   Ensemble Venance Fortunat
Album :   
Trouvères à la cour de Champagne (1996)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous retrouvons,  ici, le moyen-âge des trouvères  du nord de la France médiévale avec le Chansonnier de Montpellier et ses motets. A l’image des autres pièces  de ce manuscrit, présentées jusque là, la chanson du jour est encore empreinte de lyrique courtoise ; on verra qu’elle ouvre aussi  sur une partie dédiée plus directement au  culte marial  et on pourra ainsi noter à quel point les formes de l’amour courtois ont pu être transposée au sentiment religieux envers la Sainte mère par  certains auteurs médiévaux (voir Retrowange novelle de Jacques de Cambrai).

Pour découvrir ce motet, nous serons en compagnie d’une belle formation médiévale française :  l’Ensemble   Venance Fortunat sous la direction de Anne-Marie Deschamps. Nous en profiterons pour  dire un mot de son legs et de sa longue carrière.

« Quant revient et fuelle et flor » par    l’Ensemble Venance Fortunat

l’Ensemble Venance Fortunat

anne-marie-deschamps-ensemble-medieval-venance-fortunat-chants-polyphonique-musiques-sacres-moyen-ageC’est autour de l’année 1975 que la directrice Anne-Marie Deschamps fonda l’Ensemble Venance Fortunat.  Quelques années plus tard, en 1980 le premier album de la formation voyait le jour en collaboration avec le Centre de Recherches Musicales du Couvent Royal de l’Abbaye aux Dames.  Ce premier  opus allait porter sur le Mystère de la résurrection et les chants  latins primitifs monodiques et polyphoniques.  Il allait donner le  La d’une longue carrière consacrée aux musiques anciennes et à leur restitution.

Ainsi, de 1980 à 2003, guidée par la passion de sa directrice pour le répertoire médiéval en général et les chants grégoriens en particulier, l’Ensemble Venance Fortunat produisit plus de vingt albums. Avec l’appui des manuscrits anciens, mais aussi l’intervention de compositeurs plus contemporains, la grande majorité  de ses productions   partit à la conquête des chants liturgiques polyphoniques, de la fin du haut-moyen-âge au cœur du moyen-âge central.   L’album du jour se situe, quant à lui, sur des rives plus « profanes » du répertoire de la formation, puisqu’il fait un tribut plus  marqué à la lyrique courtoise et à la fin’ amor.

Trouvères à la cour de Champagne, l’album

Sorti en 1996,  Trouvères à la cour de Champagne contient 19 pièces d’auteurs médiévaux, dont la majeure partie sont passés à la prestigieuse cour de Champagne, entre la fin du XIIe  et le XIIIe siècle. Certains sont de la génération de Thibaut de Champagne, d’autres de la génération précédente.

musique-medievale-trouveres-champagne--ensemble-venance-fortunat-chansonnier-montpeliier-moyen-ageAu titre des trouvères représentés, on retrouve des pièces d’anthologie  de Gace Brulé, Conon de Béthune, ou même encore la chanson D’amors qui  m’a Tolu à moi de Chrétien de Troyes.   Difficile d’évoquer la cour de Champagne sans ménager une belle place à Thibaut de Champagne. Avec trois de ses compositions, il est fait largement justice à son talent dans cet album. Citons encore la présence de   Guiot de Provins, Gautier de Coincy, Raoul de Soissons, et , pour finir,  celle de  motets ou autres chansons   de  la même période. Demeurés anonymes, comme la pièce du jour,  ces derniers sont tirés du Chansonnier de Montpellier et du Roman de Fauvel.

Musiciens & chanteurs :  Catherine Ravenne (alto), Dominique Thibaudat (soprano),  Gabriel Lacascade (bariton), Bruno Renhold (tenor), Philippe Desandré (basse), Guylaine Petit (harpe)

  On peut encore trouver ce bel album  sur quelques sites  de vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’information à ce sujet :   Trouvères à la cour de Champagne [Import anglais]

Plus bele que flor :  un chant courtois
du moyen-âge central en langue d’oïl

Concernant la langue de cette chanson médiévale, trouvère oblige, elle  est en vieux français d’oïl.   Nous vous donnerons ici des éléments de traduction pour l’éclairer. Dans sa première strophe, on notera l’analogie médiévale, classique et familière, de la fleur pour évoquer la vierge Marie (voir par exemple   la cantiga de Santa Maria   10).  Quant à sa transcription en graphie moderne à partir du manuscrit, nous nous appuyons sur  le travail de   Gaston Raynaud  dans   Recueil de Motets Français des XIIe et XIIIe siècles, Tome  1er, Introduction, le Chansonnier de Montpellier    (1881).

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Par rapport à l’interprétation du jour, l’ensemble a pris le partie de changer l’ordre des strophes, en commençant par la troisième pour revenir vers la seconde, la première n’étant pas présente. De notre côté, par simple convention, nous avons repris l’ordre  du    manuscrit médiéval d’origine, tel que retransposé par G Raynaud. La pièce se trouve donc ici dans sa totalité.


Plus bele que flor
Est, ce m’est avis,
Cele a qui m’ator.
Tant con soie vis,
N’avra[i] de m’amor
Joie ne delis
Autre mès la flor
Qu’est de paradis:
Mère est au Signour,
Qu’est si noz amis
Et nos a retor
Veut avoir tôt dis.

Plus belle que fleur
Est, à mon avis,
Celle dont je suis proche.
Aussi longtemps que je vis
Nul n’aura de mon amour
joie ni plaisir,
Hormis la fleur
Qui est de Paradis.
Elle est la mère du Seigneur
Qui, si, de toi et moi, amis,
Attends fidélité pour toujours (?)

Quant revient et fuelle et flor,
Contre la saison d’esté,
Deus ! adonc me sovient d’amors
Qui toz jors
M’a cortois et doz esté.
Moût aim ses secors   (concours, secours) ,
Car sa volenté
M’alege de mes dolors ;
Moût me vient bien et henors
D’estre a son gré.

L’autrier joer m’en alai
Par .I. destor (chemin détourné);
En .I. vergier m’en entrai
Por queillir flor.
Dame plesant i trovai,
Cointe d’atour   (pleine de grâce, d’atours), cuer ot gai ;    
Si chantoit en grant esmai (ainsi elle chantait pleine d’émotion) :
Amors ai,
Qu’en ferai ?
C’est la fin, la fin,  queque nus die (quoiqu’on en dise),
J’amerai.


Retrouvez ici d’autres pièces d’amour courtois tirés du Codex de Montpellier :   Ne m’oubliez mie  –  Puisque Belle dame m’aime Coeur qui dort

Au sujet de la  courtoisie  au moyen-âge, vous pouvez également consulter  réflexions sur l’amour courtois au Moyen-âge.

En vous souhaitant une  excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

La lyre d’Hespérie II et l’archet du talentueux Jordi Savall, accompagné de Pedro Estavan

rebec-musique-medievale-jordi-savall-liria-esperiaSujet  : musique médiévale, danse,    vièle, rebec,   Galice médiévale,   Cantiga de Santa Maria,  instruments anciens, musiques anciennes, inspirations celtiques.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Titre : « danses,  cantigas & chants de la terre  « 
Auteurs   :  Anonymes, Alphone X de Castille, Jordi Savall
Interprète  : Jordi Savall,  Pedro Estavan
Album La lira d’Espéria  II ,  Allia Vox  ( 2014)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 1994-96, Jordi Savall partait sur les traces de la méditerranée médiévale et de ses musiques anciennes.  L’album, intitulé    La Liria d’Espéria  (la lyre d’Hespérie), faisait référence à cette région qui désignait, pour les grecs antiques, les péninsules italiennes et ibériques. Quant au  voyage musical, il passait de sonorités espagnoles à des danses italiennes d’époque pour encore faire des incursions du côté andalous et proche-oriental, avec des jordi-savall-maitre-de-musique-medievalecompositions  venues d’Afrique du nord et même encore de la culture juive séfarade.

Accompagné du percussionniste  Pedro Estevan, le maître de musique  catalan  s’était, ici, doté pour seuls instruments, d’une vièle ténor,  d’un rebec et  d’un rabab. Un choix de formation audacieux et minimaliste qui allait lui permettre de marier l’essentiel à la pureté dans un album superbe et sans artifice. La critique, comme le public, ne s’y est d’ailleurs pas trompée en réservant un bel accueil à  ce premier opus de  la   Liria d’Esperia.

Danses, cantigas & chants de la terre  sous l’archet de Jordi Savall,

La lira d’Esperia II Galicia

jordi-savall-pedro-estevan-la-liria-d-esperia-II-musique-medievalePour le plus grand plaisir des amateurs de musique médiévale et de voyages sonores dans le temps,  Jordi Savall allait reprendre, un peu plus tard, le même concept et le même complice pour poursuivre son exploration. Ainsi, en 2014, un deuxième opus intitulé La Lira d’Esperia II allait  naître, d’un niveau de qualité égale au premier.

Avec vingt-trois pièces pour près d’un heure quinze d’écoute, comme son titre l’indique, un accent particulier serait mis, dans ce deuxième album, sur les musiques de la Galice médiévale et ancienne,  province la plus « celtique » de l’Espagne d’alors, selon les propres mots de Jordi Savall.

Sonorités celtiques et envolées uniques sur fond de Galice médiévale à la main d’Alphonse le sage

Dans cette nouvelle pièce d’orfèvrerie musicale, on reconnaîtra, plus encore que dans le premier opus, l’influence directe  et prégnante du règne d’Alphonse le Sage ; aux côtés de pièces anciennes et traditionnelles de Galice, plus de dix compositions sont, en effet, issues des Cantigas de Santa Maria du souverain de Castille. Nous vous avions déjà présenté, ici, la très belle ductia, librement inspirée de la Cantiga de Santa Maria 248, qui ouvrait cet album.  Sous le jeu d’archet  du musicien catalan et ses sonorités instrumentales si particulières, elle nous entraînait dans une atmosphère toute à fait nouvelle, à des lieux des exécutions classiques  habituelles.

musique-medievale-album-jordi-savall-liria-esperia-II-moyen-âge-central-vieleAujourd’hui, c’est une vidéo produite en 2014 par Allia-Vox (la société d’édition de Jordi Savall), que nous partageons avec vous. Elle donne un bel aperçu de la puissance de cette production et, on a, en prime, le plaisir d’y retrouver des extraits d’interviews du talentueux directeur musical. Pour le reste, on trouve  toujours ce bel album récent à la vente, sous forme de CD ou même  au détail et par fichier, au format MP3 : La Lira d’Esperia II – Galicia.

En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes

Scène et Musique médiévales : des instruments anciens aux synthétiseurs

musique-medievale-definition-influence-musique-electroniques-synthetiseur-musique-moderneSujet : musique médiévale, musiques anciennes, musique électronique, synthétiseur, folk médiéval, néo-folk, pagan médiéval, pagan rock, metal médiéval
Période : du Moyen Âge à nos jours

Bonjour à tous,

L_lettrine_moyen_age_passione Moyen Âge est à la mode. C’est encore vrai en 2020, longtemps après que Jacques le Goff ait prononcé cette phrase, en se félicitant de l’engouement de ses contemporains pour cette période de l’histoire. De la même façon, que le monde médiéval nous fait rêver, sa musique continue d’inspirer de nombreux groupes et formations. Du reste, avec déjà des centaines d’articles sur ce sujet, nous ne nous sommes pas privés ici de leur rendre hommage .

 À l’image de notre définition de “Moyen Âge”, force est de constater que cette  scène musicale  est pourtant relativement éclectique puisque ce que l’on s’accorde à nommer « musique médiévale » déborde, souvent, très largement, du champ des compositions  deco_medievale_enluminures_musique-vielle-a-roued’époque. Elle a, ainsi, fini par désigner, improprement, des musiques qui sonnent “médiévales” à l’oreille profane, sans pour autant venir du Moyen Âge et les tendances que l’on peut y trouver sont extrêmement variées : elles vont de l’Ethnomusicologie à des inspirations bien plus libres et plus modernes. Elles utilisent les instruments anciens, mais l’usage des instruments les plus à la pointe de la musique électronique comme les synthétiseurs s’y est, par endroits, largement introduit. Alors, pour faire un peu le tri, nous vous proposons un tour d’horizon de cette large définition que recouvre quelquefois la notion de « musique médiévale ». Au passage, nous en profiterons pour dire un mot de l’histoire de la musique électronique et de l’impact majeur du synthétiseur sur la musique moderne.

La  scène des   « musiques médiévales »

Sur la scène qui s’intéresse aux musiques médiévales, on peut donc trouver de tout. Sur les rivages les plus classiques, certaines formations se rangent directement sous la bannière de l’ethno-musicologie. Elles tentent alors de se situer au plus près des manuscrits anciens, de leurs notes, mais aussi de leurs instruments ; à ce sujet, on pourra réécouter avec plaisir, l’autobiographie intellectuelle de Jordi Savall dans laquelle le directeur d’orchestre  catalan nous contait la naissance de sa passion pour la musique ancienne et sa longue quête de ses sources historiques.

Sur cette même scène que l’on rattache très largement, au Moyen Âge, d’autres formations voguent, plus librement, sur les rivages de la musique électro-acoustique ou même électronique. Elles font alors appel aux instruments les plus modernes comme les synthétiseurs. Il faut dire que depuis sa démocratisation, la palette incroyable de sonorités et les qualités acoustiques offertes par ce type d’instrument a séduit plus d’un  musicien, y compris de formation classique. Pour les interprètes, comme pour ceux qui veulent s’essayer à la composition, le synthétiseur a également l’avantage d’ouvrir tout un champ de possibles. Retour sur l’histoire d’un instrument qui a révolutionné le monde de la musique.

L’arrivée du synthétiseur dans la musique synthetiseur-musique-medievale

Les premiers synthétiseurs furent mis sur le marché grand public, il y a une quarantaine d’années, ouvrant de nouveaux horizons musicaux. Depuis, l’instrument a pris largement sa place dans l’univers de la musique mondiale et pour ceux qui l’apprécient, la magie et les possibilités créatrices restent intactes. Du point de vue du marché,  l’offre ne cesse également de s’étoffer et les fabricants rivalisent d’ingéniosité pour enrichir leurs claviers de nouveaux sons et de nouvelles fonctionnalités. Aujourd’hui, on trouve sur internet, de nombreuses des boutiques d’instruments de musique, entre lesquels il faut savoir choisir. En plus, de permettre aux amateurs, comme aux musiciens confirmés, d’acheter un synthétiseur, les plus sérieuses d’entre elles savent, en effet, les guider vers l’instrument le plus adapté à leurs besoins.


Qu’est-ce qu’un synthétiseur ?

Pour en donner une définition simple, voici celle que nous en donne l’encyclopédie Universalis :

« Les synthétiseurs sont des instruments de musique électroniques, capables de produire et de modifier électroniquement des sons, et fréquemment associés à un traitement informatique. Le synthétiseur engendre des signaux électriques ondulatoires, qu’il soumet ensuite à une série de transformations sélectionnées par l’interprète ou par le compositeur : transformations d’intensité, de durée, de fréquence, de timbre…. »    Encyclopédie Universalis – Voir article


Un peu d’histoire

Un long chemin a été parcouru, depuis l’invention des premiers claviers et de l’orgue hydraulique du grec Ctésibios, au III siècle avant Jésus-Christ. Si le Moyen Âge a particulièrement aimé les instruments à cordes, à vent et à archet, il a aussi vu se généraliser l’usage de l’orgue dans les églises. Il avait, depuis Ctésibios, fait de larges progrès. Pour les musiciens plus itinérants, le monde médiéval a également su mettre des claviers dans les instruments les plus originaux et les plus inattendus : on pense à l’Organistrum qui a sans doute donné naissance à l’incontournable Vielle à roue.

Pour arriver aux premiers musique-medievale-synthetiseur-invention-musique-moderne-electronique-ssynthétiseurs, il faut faire un véritable bond dans le temps. Ce n’est, en effet, que vers la fin du XIXe siècle en 1896 que l’inventeur américain Thaddeus Cahill (1867-1934) créa l’un des ancêtres les plus étonnants des synthétiseurs. Il le baptisa  Telharmonium. Son idée de base : générer de la musique à l’aide de l’électricité et pouvoir la diffuser au moyen des lignes téléphoniques dans certains établissements (restaurants, hôtels, etc…). Une sorte de pianiste d’ambiance à distance. À l’époque, le projet sembla un peu fou. Le résultat le fut aussi : un instrument de plus de 200 tonnes qui fonctionnait avec des rouages et des aimants et sur lequel chaque note de la gamme possédait sa propre roue. Chacune d’entre elle tournait à une certaine vitesse pour générer la bonne fréquence. On était loin de la technologie et de la qualité utilisée dans les synthétiseurs les plus récents, mais les principes ouvrirent la voie à de recherches futures pour donner lieu aux instruments que nous connaissons.

Les synthétiseurs  à l’ère de la musique moderne

Si le choix d’instruments electro-acoustiques est, aujourd’hui, très vaste, l’avènement des synthétiseurs dans les années 60-70 a offert aux compositeurs qui ont su se les approprier d’infinies perspectives. De fait, introduit par  Les Beatles en 1966, cet instrument d’un genre nouveau, n’allait cesser de s’imposer dans l’univers musical moderne. Au milieu des 70’s, le rock progressif et symphonique lui donnerait de belles lettres de noblesse avec des groupes comme Genesis, Supertramp, et tant d’autres.  Lunaire, astral, psychédélique, il entraîne alors ses audiences dans de longues mélopées  aux sons presque extra-terrestres et  fait la joie du public.

Entre la fin des 70’s et le début des 80’s, plus qu’un instrument d’accompagnement, le synthétiseur allait donné lieu à un genre à part entière : la musique électronique. Une forme que des artistes comme Marc marc-cerrone-synthetiseur-musique-electroniqueCerrone ou   Jean-Michel Jarre, en France, ou encore des groupes comme ResidentsKreftwork, Mike Oldfied, du côté anglo-saxons allaient porter haut. Encore une fois la liste est si longue qu’on aurait grand peine à la faire, mais avec ces formations, le synthétiseur et ses possibilités ont  fait le tour du monde.

Dans ces mêmes années 80, la commercialisation des premiers Yamahas allaient encore venir soutenir cet usage croissant du synthétiseur sur la scène musicale. Après cela, en dehors des musiques ou compositions entièrement basées sur son utilisation, on le retrouve partout. Il est de tous les styles : disco, funk, rap, RnB, jazz, folk. Il se taillera également de belles parts dans des groupes comme les Talking Heads, Weather Report et bien d’autres d’encore. La musique est, dès lors, entrée dans une nouvelle ère et même une bonne  partie de ceux qui  étaient montés au créneau à l’arrivée de l’instrument  ont  même fini par l’accepter    avec le temps.

Fusion moderne    et    musiques médiévales

Pour revenir  aux  ensembles qui s’inspirent de la musique médiévale sans se priver d’y introduire des instruments électroniques et synthétiques, on y retrouve, diverses familles et finalement des genres assez variés : certains de ces groupes sont assez proches des partitions d’époque. On citera, par exemple, la formation suédoise Vox Vulgaris et son superbe album The shape of medieval music to come daté 2003. En 1997, mettant la main à la patte, les Dead can Dance avaient aussi revisité, avec énergie, quelques danses et musiques médiévales dans leur album Songs And Dances of Gothic and Renaissance Period. Leur version du Saltarello du Manuscrit de Londres Add 29987 est ainsi resté dans les mémoires.

vox-vulgaris-jazz-musique-medieval-musique-moderneÀ ces formations qui collent aux mélodies et aux compositions du Moyen Âge, tout en leur apportant une touche de sonorité modernes, s’ajoutent celles qui mêlent librement, dans leur répertoire, musiques folk & traditionnelles (celtiques, nordiques, irlandaises, etc…) et mélodies médiévales. On peut même trouver, quelquefois, chez elles, des compositions maison à des lieues de  toutes mélodies historiques. D’un point de vue puriste, si on range quelquefois ces formations dans le champ des musiques médiévales, c’est un peu par glissement. Pour être juste et dans l’esprit, il est, en effet, plus question d’inspiration, de souffle lointain, et la fusion opérée puise, souvent, du côté des mondes imaginaires, pour évoquer un certain moyen-âge idéalisé : épique, celtique ou fantastique.  Nous y sommes souvent plus dans la musique moderne.

Aux origines du folk, rock, pop médiéval

On peut trouver la racine historique de nombre de ces inspirations, dans un certain mouvement du revival Folk, daté justement des années 70, période de grande effervescence créatrice musicale. Avec la volonté d’opérer un certain retour à la nature et à l’authenticité, les jeunes artistes d’alors explorent de nouveaux territoires. Ils repartent ainsi à la conquête de musiques plus traditionnelles et cherchent dans la culture populaire et folklorique  des racines et  peut-être même un sens que la société moderne faute à leur donner. C’est une génération de musiciens et d’artistes influencés aussi par la vague rock progressive anglo-saxonne et « le mouvement des fleurs » américain. Peut-être peut-on encore y ajouter pour une partie d’entre eux,  la redécouverte de Tolkien et d’un certain Moyen Âge idéalisé, dont s’étaient aussi emparés une partie de ces mêmes étudiants des 70’s, aux Etats-Unis.  Quoiqu’il en folk-medieval-neo-folk-rock-progressif-musique-medievale-definition-synthetiseursoit, sous ces différentes influences, la créativité se libérera pour donner lieu à de nouvelles fusions musicales. Avec sa capacité à produire les sons les plus étonnants et les plus divers, le synthétiseur se prêtera tout particulièrement à l’atmosphère de ce type de compositions. Dans les années 90, 2000, ces tendances musicales autour d’un « Moyen Âge » revisité et élargi se confirmeront, peut être impulsées par ceux ayant grandi, dans les années 70/80, bercé par ce folk nouveau : des enfants de Malicorne et d’autres groupes de cette génération.

On parle désormais de Folk médiéval, de néo-folk médiéval. On pourrait presque parler de pop ou de World Music médiéval. Sont venus s’y ajouter des styles   de musique plus rock : le pagan rock, le rock métal médiéval, etc. Il existe encore, de nos jours, une scène importante dans ce domaine. On connait des groupes au large succès comme Faun, Corvus Corax, mais cette tendance ne ne se limite pas à l’Allemagne, ni  au nord de l’Europe. Elle a aussi gagné la France avec de nombreux festivals. Aussi ne vous étonnez pas. Vous pourrez y croiser une vielle à roue faisant de l’œil à une basse, ou une belle harpe  complice d’un synthétiseur. Ici, sur le terrain de l’art et de la fusion, la modernité rejoint   le Moyen Âge  historique, musical ou quelquefois imaginaire. Cela peut-être très plaisant, même si d’un point de vue factuel, nous ne sommes  techniquement plus tout à fait dans  une définition historique de ce qu’est la musique médiévale.

En vous souhaitant une belle journée.

 Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« Baros de mon dan covit » l’amour courtois et la grandiloquence de Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet  : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, fine amor, fine amant, chansonnier provençal E
Période  : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur  : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre :  Baros de mon dan covit
Interprète  :  Musica Historica
Evénement : concert pour les 20 ans de l’ensemble  à Budapest (2008)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous retournons aux siècles des premiers troubadours du pays d’Oc avec Peire Vidal. Grandiloquent, tonitruant, claironnant presque,   le poète provençal se pose, une fois encore, en chevalier émérite, « fine » amant d’exception,  et même grand séducteur fatal et renommé. Pour un peu,  il serait presque l’égal des  rois si ceux-là ne finissaient par l’envier.  Quant  à ceux qui le raillent et le critiquent, la couleur est annoncée d’emblée, notre troubadour les salue de son mépris. Là  encore, le fameux thème des « déloyaux » et « médisants », récurrent dans la courtoisie, refait surface (voir autre article sur ce sujet).

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La chanson de Peire vidal dans le Chansonnier Provençal E de la BnF (1270-1350) Manuscrit  Français 1749 – Consulter ce manuscrit médiéval ici

Pour le reste, faut-il prendre Peire Vidal  au sérieux dans ses grandes envolées lyriques et « superlatives » ? Le ton finit par devenir humoristique et on serait presque tenter d’y voir, par endroits, une sorte de Don Quichotte avant l’heure ? A l’évidence, le troubadour ne craint pas non plus d’enchaîner les contradictions. Ainsi, les dames sont à ses pieds. Il folâtre même avec toutes, nous dit-il, tout en s’affirmant, dans le même temps, comme amant parfait au service d’une seule.  Quoiqu’il en soit, par son style, son  ton libre et cette façon unique de   se mettre en avant, il demeure un troubadour tout à fait particulier (et plaisant), de cette période du Moyen Âge.

Pour finir sur l’approche de cette chanson,  notons qu’on y retrouve également son grand goût du voyage. Il l’exprime même ici comme un des traits qui aurait fait partie intégrante de sa réputation : une forme de nécessité de mouvement qui lui était propre et qui aurait presque pu paraître, à ses propres yeux, comme une fâcheuse habitude,  et peut-être même une « maladie » (malavei).

Pour découvrir cette belle pièce occitane médiévale, nous vous proposons l’interprétation de Musica Historica.

« Baron de mon dan covit » de Peire Vidal avec Musica Historica

L’ensemble Musica Historica

Fondé en 1988 à Budapest, l’ensemble Musica Historica s’est doté d’un répertoire assez large qui part de la période médiévale pour s’étendre jusqu’à des musiques plus folkloriques et populaires des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Du point de vue des aires géographiques, on retrouve, chez eux, des compositions en provenance de l’Europe de l’ouest même si leur terrain de prédilection  se situe plutôt en  Europe de l’est.

Rumen István Csörsz, le fondateur du groupe (au centre de  la photo ci-dessous) est aussi celui qui prête sa voix à la pièce de Peire Vidal que nous présentons aujourd’hui. En plus d’une solide formation en musique classique, ce multi-instrumentiste et directeur a également longuement étudié l’histoire, la poésie et la littérature Hongroise, notamment sa relation avec les musiques folk et populaire des XVIIIe et XIXe siècles. Ceci explique la forte empreinte de ces thématiques sur le répertoire du groupe.

musique-ancienne-peire-vidal-ensemble-musica-historica-moyen-age

Discographie et concerts

Musica Historica ne semble quasiment jamais se produire en France. On  retrouve bien plus la formation en Hongrie, Autriche et Slovakie mais encore en Allemagne et Italie.  Sa discographie est riche d’une dizaine d’albums, dont la majeure partie est centrée sur le répertoire hongrois ancien, comme nous le mentionnions plus haut.  Au delà de la scène, les membres du groupes, accompagnés d’autres collaborateurs ont également fondé en 1997, la Musica Historica Cultural Association, dont la vocation s’étend de la promotion d’événements autour de la musique ancienne à son enseignement.

Site web du groupe –   Page Facebook


« Baros de mon dan covit »
De l’occitan au français moderne

Note sur la traduction : nous suivons encore de près , ici,  les travaux du philologue et romaniste   Joseph Anglade  (1868-1930) dans son ouvrage les  poésies de Peire Vidal   (1913).

I
Baros de mon dan covit,
Fals lauzengiers desleials,
Qu’en tal domna ai chauzit,
On es fis pretz naturals.
Et eu am la de fin cor, ses bauzia,
E sui totz seus, quora qu’ilh sia mia,
Quar sa beutatz e sa valors pareis,
Qu’en leis amar fora honratz us reis,
Per qu’eu sui rics sol que’m denh dire d’oc.

Je méprise les seigneurs
qui sont de faux et déloyaux médisants, (1 !)
car j’ai choisi une dame
où la distinction parfaite est une qualité innée.
Et je l’aime d’amour parfait, sans fausseté,
et je suis tout à elle, quel que soit le moment où elle voudra être mienne ;
car sa beauté et sa valeur sont si manifestes
Qu’en l’aimant un roi serait honoré ;
aussi, suis-je riche pourvu qu’elle daigne me dire oui.

II
Que res tan no m’abelit
Com sos adreitz cors leials,
On son tug bon aip complit
E tug ben senes totz mals.
Pos tot i es quan tanh a drudaria,
Ben sui astrucs, sol que mos cors lai sia ;
E si merces, per que totz bos aips creis
Mi val ab leis, bems pose dir ses tot neis,
Qu’anc ab amor tant ajudar no’m poc.

Car rien ne me charme plus
Que son cœur  droit et loyal
Dans lequel sont réunis toutes les vertus 
Et tout le bien sans aucune trace de mal.
Puisqu’elle a tout ce qui convient à l’amour,
Je serai heureux, pourvu que je sois à ses côtés ;
Et si la pitié, en laquelle résident toutes les bonnes qualités,
M’est de quelque  valeur  auprès d’elle, je puis bien vous dire  encore (2)
Que jamais  en amour, elle ne pourra  m’être  d’un  plus grand secours.

III
Chant e solatz vei falhit,
Cortz e dos e bels hostals,
E domnei no vei grazit,
Si’lh domn’ e-l drutz non es fals.
Aquel n’a mais que plus soven galia.
Non dirai plus, mas com si volha sia.
Mas peza me quar ades non esteis
premiers fals que comenset anceis :
E fora dreitz, qu’avol eissemple moc.

Je vois les chants et les divertissements faire défaut  (3)
Les réunions, la bonne hospitalité et la libéralité;
La courtoisie (Anglade : galanterie) n’est plus honorée,
A  moins que dame et amant ne soient faux (Anglade : fourbes).
Celui-là a la plus belle récompense qui trompe le plus ;
Je n’en dirai pas plus, mais qu’il en soit ainsi (4).
Mais ce qui me chagrine c’est qu’il n’ait pas disparu sur le champ :
Le premier fourbe qui débuta cela (5)
Ce serait juste, car il montra un bien mauvais exemple.

IV 
Mon cor sent alegrezit,
Quar me cobrara’N    Barrals.
Ben aja cel que’m noirit
E Deus ! quar eu sui aitals;
Que mil salutz me venon cascun dia
De Catalonha e de Lombardia,
Quar a totz jorns poja mos pretz e creis.
Quar per un pauc no mor d’enveja’l reis,
Quar ab domnas fauc mon trep e mon joc.

Je sens mon cœur  réjoui,
Car Barral (6) m’aura de nouveau.
Heureux celui qui m’a élevé
Et que Dieu le protège ! Car je suis si connu
Que mille salutations  m’arrivent  chaque jour
De Catalogne et de Lombardie ;
Car tous les jours montent et grandit ma renommée.
Au point que, pour un  peu, le roi en mourrait d’envie,
Car je fais mes folâtreries et mes jeux avec les dames.

V
Ben es proat et auzit
Com eu sui pros e cabals,
E pos Deus m’a enriquit,
No-s tanh qu’eu sia venals.
Cen domnas sai que cascuna’m volria
Tener ab se, si aver me podia.
Mas eu sui cel qu’anc no-m gabei ni-m feis
Ni volgui trop parlar de mi mezeis,
Mas domnas bais e cavaliers desroc.

Ma vaillance et ma supériorité 
Sont choses connues et prouvées (7);
Puisque Dieu m’a enrichi,
Il ne convient pas que je sois vénal.
Je connais cent femmes dont chacune voudrait
Me   tenir auprès d’elle, si elle le pouvait m’avoir.
Mais je suis celui qui, jamais, ne parle pour ne rien dire, ni n’affabule (ni n’est   vaniteux)      
(8)
Je n’ai jamais trop voulu parler de moi-même,
Mais j’embrasse les dames et met à terre les cavaliers. (Anglade : renverse)

VI 
Maint bon tornei ai partit
Pels colps qu’eu fier tan mortals,
Qu’en loc no vau qu’om no crit :
 »    So es En Peire Vidais,
 »  Cel qui mante domnei e drudaria
 » E fa que pros per amor de s’amia,
 » Et ama mais batalhas e torneis
  » Que monges patz, e sembla-l malaveis
 »  Trop sojornar et estar en un loc. »

J’ai mis fin à maints bons tournois
Par les coups mortels que j’ai porté ;
De sorte qu’il n’est d’endroits où j’aille où on ne s’écrit : 
« Voilà messire Peire Vidal,
Celui qui maintient courtoisie et galanterie,
Qui agit en vaillant homme (avec mérite) pour l’amour de sa mie,
Et aime mieux batailles et tournois
Qu’un moine n’aime la paix et  pour qui semble une maladie
De séjourner et de rester trop longtemps dans un même lieu. »

VII
Plus que no pot ses aiga viure-l peis,
No pot esser ses lauzengier domneis,
Per qu’amador compron trop car lor joc.

Pas plus que le poisson ne peut vivre sans eau,
La Courtoisie ne peut vivre sans médisants :
C’est pourquoi    les amants payent bien cher leur joie.  

Notes

(1)   Peire Vidal a-t-il vraiment donné, dans cette chanson, le visage des puissants aux médisants  comme l’a traduit   Joseph Langlade  en son temps ?  « Baros de mon dan covit » : « je méprise les seigneurs faux et desloyaux ».   Ou faut-il plutôt y  voir une adresse, une virgule absente et traduire   « Seigneurs, Barons,  je méprise les  médisants et les déloyaux » ? Cela semblerait plus plausible et, en tout cas, largement moins provocateur comme entrée en matière.
(2) Anglade :  « je puis bien vous dire  sans hésitation, sans mensonge »
(3) Anglade : « je vois la poésie en décadence, ainsi que les joyeux entretiens »
(4) Anglade :  « que les choses aillent comme elles voudront »
(5) Anglade : « celui qui commença à être fourbe »
(6) Barral : Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, un des protecteurs de  Peire Vidal
(7)  Cette fois,  je laisse la version d’Anglade mais je mets ici une alternative de notre cru parce que les adjectifs « pros » et « cabals » sont tout de même  à tiroirs :  il est bien connu et établi combien je suis valeureux (méritant, bon)  et puissant (excellent, juste, loyal).
(8)  Anglade :  « Mais je suis d’un naturel à ne jamais faire le fanfaron »


Au sujet de la courtoisie, vous pouvez également consulter cet article   :   réflexions sur l’amour courtois au Moyen Âge.

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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