Archives par mot-clé : Oisy

Serventois : quand le seigneur et trouvère Huon d’Oisy raillait vertement les croisades de Conon de Bethune

chanson_musique_medievale_croisades_enluminures_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie médiévale, servantois, satire, poésie satirique, chevalier, trouvère, chanson de croisades, musique médiévale.
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur : Huon d’Oisy  (1145 – 1190)
(Hues, Hugues d’Oisy)
Titre : Maugré tous sains et maugré Diu ausi
Ouvrage : « Les chansons de Croisades », Joseph Bédier et Pierre Aubry (1909)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionontemporain du XIIe siècle, Hugues III, seigneur d’Oisy, châtelain de Cambray et vicomte de Meaux, plus connu encore sous le nom d’Huon ou Hues d’Oisy est considéré comme l’un des premiers trouvères du nord de France.

Du point de vue de son oeuvre, il n’a laissé que deux chansons. L’une, plutôt étonnante, conte par le menu un tournoi de nobles dames, dont il nous explique que ces dernières l’avaient organisé pour savoir ce que produisaient les coups que recevaient leurs doux amis lors de tels affrontements. La deuxième chanson est deco_medievale_enluminures_trouvere_un servantois dirigé par le seigneur d’Oisy contre celui qui fut son disciple en poésie : le trouvère Conon ou Quesnes de Bethune. Pour rappel, on trouve une référence explicite à cela dans une chanson de ce dernier  :

Or vos ai dit des barons ma sanblance;
Si lor an poise de ceu que je di,
Si s’an praingnent a mon mastre d’Oissi,
Qui m’at apris a chanter très m’anfance.
Conon de Bethune   « Bien me deüsse targier »
Les Chansons de Conon de Bethune par Axel Wellensköld

A l’occasion du portrait que nous avions fait de ce trouvère (voir biographie de Conon de Bethune ici), nous avions mentionné sa courte participation à la 3ème croisade. Après s’être enflammé et avoir vanté la nécessité des expéditions chrétiennes et guerrières en Terre Sainte auprès de ses contemporains, fustigeant ceux qui ne voulaient s’y rendre, le poète croisé n’eut pas l’occasion d’y briller puisqu’il rentra à la hâte.

trouvere_huon_oisy_poesie_satirique_chanson_medievale

Il faudra attendre la 4ème croisade pour que Conon de Bethune prenne à nouveau la croix et fasse montre alors de plus d’allant mais quoiqu’il en soit, le premier retour rapide de sa première expédition lui valut, comme nous le disions, une verte critique sous la plume d’Huon d’Oisy. Ce dernier prit même pour référence et modèle la chanson « Bien me Deüsse targier » de son homologue, afin de mieux le railler.

Pour mieux comprendre le fond politique et satirique de ce texte, plein de causticité et de ce « roi failli » auquel il est fait ici allusion, il faut ajouter que le châtelain de Cambray s’était, de son côté, rangé sous la bannière de Philippe Iᵉʳ de Flandre, dit Philippe d’Alsace contre le parti de Philippe-Auguste, choisi par Conon de Bethune.

Huon d’Oisy dans les Manuscrits anciens

On retrouve cette chanson dans les deux manuscrits que nous citons souvent ici, le Français 844Manuscrit ou Chansonnier du Roy et le  Français 12615 (MS fr 12615), connu encore sous le nom de Chansonnier de Noailles. Elle est attribuée dans les deux à Mesire(s) Hues d’Oisy.

huon_hues_oisy_trouvere_moyen-age_XIIe_siecle_poesie_satirique_musique_medievale

Ci-contre Huon d’Oisy dans le Manuscrit du Roy, MS Français 844 de la BnF, consultable sur Gallica au lien suivant.

Eléments chronologiques

Les dates de ce servantois ont été sujettes à débat entre médiévistes, au point de mettre quelquefois en doute, (contre les manuscrits et leurs copistes), l’attribution de cette chanson au seigneur et trouvère d’Oisy. Si la chanson est bien de sa plume, ce qu’on a, en général, fini par convenir, il a dû l’écrire, peu de temps avant sa mort.

Il faut, du même coup, en déduire que cette rentrée de la 3eme croisade de Conon de Bethune se serait située deux ans avant que Philippe-Auguste n’en revienne lui-même, même si à la première lecture, on pourrait être tenté de supposer que le retour du trouvère avait coïncidé avec celui plutôt précipité et décrié du roi de France, fournissant ainsi à Huon un double motif pour les railler tout deux. Le seul problème est que si Conon était rentré en même temps que Philippe-Auguste en 1191, Huon d’Oisy aurait été dans l’impossibilité d’écrire cette chanson puisqu’il avait supposément trépassé près d’une année auparavant.

Mesire Hues d'Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF - consultez ici
Mesire Hues d’Oisy dans le Chansonnier de Noailles de la BnF – A consulter sur Gallica ici

Suivant Joseph Bédier, ce retour anticipé des croisades de Conon aurait donc des raisons totalement indépendantes de celui du roi et serait même intervenu bien avant, dans le temps. (si vous souhaitez plus de détails sur ces aspects, nous vous renvoyons à l’ouvrage cité en tête d’article).

deco_frise

Maugré tous sains et maugré Diu ausi

Maugré* (malgré) tous sains et maugré Diu ausi
revient Quenes* (Conon), et mal soit il vegnans!* (malvenu)
… … … … … … … … … …

… … … … … … … … … …
Honis soit il et ses preechemans* (prédications),
et honis soit ki de lui ne dist: «fi»!
Quant Diex verra que ses besoins ert grans* (qu’il sera dans le besoin),
il li faura, car il li a failli* (il lui faillira comme il lui a failli).

Ne chantés mais, Quenes, je vos em pri,
car vos chançons ne sont mais avenans;
or menrés* (de mener) vos honteuse vie ci:
ne volsistes pour Dieu morir joians, (1)
or vos conte on avoec les recreans* (les lâches, ceux qui ont renoncé),
si remanrés* (resterez) avoec vo roi failli;
ja Damedius, ki sor tous est poissans *(Dieu tout puissant),
del roi avant et de vos n’ait merci!* (n’ait plus pitié ni du roi, ni de vous)

Molt fu Quenes preus, quant il s’en ala,
de sermoner et de gent preechier,
et quant uns seus* (seul) en remanoit decha,
il li disoit et honte et reprovier* (reproches, affronts);
or est venus son liu recunchiier, (il est revenu souiller son nid)
et s’est plus ors* (sale, malpropre) que quant il s’en ala;
bien poet* (de pöeir, pouvoir) sa crois garder et estoier(ranger, remiser),
k’encor l’a il tele k’il l’emporta.

(1) Vous n’avez pas voulu « mourir joyeux » pour Dieu

deco_frise

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.