Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, pèlerinage médiéval, Rocamadour. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 159 Non sofre Santa María Ensemble : Freiburger Spielleyt Album : Cantigas de Santa Maria, Tales of Miracles (1994)
Bonjour à tous,
l y a quelque temps, nous vous avions présenté, dans le détail, la Cantiga de Santa Maria 159 d’Alphonse X de Castille. Ce chant médiéval, dévot au culte marial, nous rapportait l’histoire d’infortunés pèlerins de Rocamadour auxquels une tranche de viande avait été dérobée. Avec l’aide miraculeuse de la sainte, le récit nous contait comment ils avaient finalement retrouvé l’objet du larcin, tambourinant et sautillant dans un coffre.
Après l’interprétation du Clemencic Consort que nous vous avions alors proposé, nous vous présentons, ici, dans un registre plus lyrique, celle du Freiburger Spielleyt . Elle nous fournira l’occasion de vous toucher un mot de ce bel ensemble suisse qui a fait des musiques médiévales et anciennes un de ses terrains d’élection.
La Cantiga de Santa Maria 159 par le Freiburger Spielleyt
Le Freiburger Spielleyt : à bonne école
Fondé dans le courant de l’année 1990, le Freiburger Spielleyt est composé d’artistes qui se sont rencontrés durant leurs études à l’Université de Musicologie de Fribourg mais aussi, dans le cadre de la célèbre Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Quand on s’intéresse de près à la scène musicale médiévale européenne, on peut difficilement passer à côté de cette prestigieuse école suisse, devenue une référence dans le domaine de l’enseignement des musiques anciennes ; elle a vu naître un nombre considérable de formations prestigieuses (Hespérion, Sequentia, Hirundi Maris, Project Ars Project, … ) et elle a aussi vu passer les professeurs les plus talentueux (voir notamment l’autobiographie intellectuelle de Jordi Savall)
Les membres du Freiburger Spielleyt
Regina Kabis, (soprano), Murat Coskun (percussions), Maria Ferré (luth, guitares anciennes), Bernd Maier (cornemuse, vielle à roue), Jutta Haaf (harpe), Albrecht Haaf (flûtes, organetto, vièle à archet).
Répertoire et productions
Si le Freiburger Spielleyt a affirmé très tôt sa prédilection pour les musiques anciennes et le répertoire médiéval, l’ensemble n’a pas hésité, depuis, à explorer des époques plus tardives (renaissance, période baroque ou encore XVIIIe et IXe siècle). Du point de vue musical et expérimental, il s’est aussi aventuré sur des terrains plus contemporains, à la fusion des sonorités modernes et anciennes, en collaboration avec d’autres formations dont notamment l’ensemble de Jazz oriental FisFüz.
Depuis ses débuts de carrière, le Freiburger Spielleyt a produit un total de douze albums au nombre desquels on pourra trouver, pour ne citer que quelques références, des cantigas de Santa Maria, des cantigas de Amigo, des chants de pèlerins, des chants de Noel, ou même encore chant de fortune et d’infortunes du Moyen-âge. Le tout a donné lieu à des programmes et concerts qui sont proposés sur l’ensemble de la scène européenne et même au delà.
En 1994, la formation partait à la découverte de l’Espagne médiévale et les « récits de Miracles » des Cantigas de Santa Maria. L’album présentait ainsi une sélection de onze pièces auxquelles la soprano Regina Kabis prêtait sa talentueuse voix. Là encore, dans une approche fusion, l’ensemble suisse faisait le choix d’ajouter à leurs instruments anciens, une touche de sonorités plus électroniques et modernes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, pèlerinage médiéval, Rocamadour. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 159 Non sofre Santa María Ensemble : Clemencic Consort Album : Troubadours, Cantigas de Santa Maria (1981)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons pour l’Espagne médiévale et la cour d’Alphonse X de Castille avec l’étude d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. Si ces chants dévots à la vierge témoignent de la force du culte marial au Moyen-âge central, la péninsule ibérique est loin d’être la seule à s’y adonner. Des nombreux pèlerinages aux cathédrales que l’on édifie en son nom, dans ce même XIIIe siècle, on le retrouvera sur de nombreuses terres de l’Europe médiévale. Il sera aussi largement présent dans la littérature, et chez de nombreux auteurs, trouvères et troubadours, cet amour de la vierge qui prendra même, par endroit, des formes clairement empruntées à la lyrique courtoise.
Le miracle de la Cantiga 159
Sainte-Marie et la protection des pèlerins
La Cantiga 159 dont il est question aujourd’hui est un nouveau récit de miracle. A l’image d’un grand nombre de pièces de ce corpus, il touche les pèlerins et leur protection. Si les interventions miraculeuses de la Sainte telles qu’on les rapporte au Moyen-âge, sont de toutes sortes, jusqu’aux plus impressionnantes : guérison, résurrection, etc… Dans le cas de cette Cantiga, le miracle prendra une forme presque plus anodine ou moins spectaculaire, pourrait-on dire, puisqu’il s’exercera sur une pièce de viande destinée à nourrir des pèlerins et qu’on leur avait dérobée.
Au niveau symbolique, on ne peut s’empêcher de mettre ici en regard la relative « insignifiance » du morceau de nourriture contre le signifié de sa retrouvaille et de sa mise en mouvement miraculeuses. Si la Sainte peut animer des objets qui ne le sont normalement plus, le récit est surtout clair sur le fait qu’elle n’accepte pas qu’on spolie, de quelque manière, les pèlerins qui viennent l’honorer. Cette protection à l’égard de ses ouailles est si grande qu’elle s’exerce jusque dans les moindres détails et elle répare ainsi toute déconvenue qui peut leur survenir, fut-elle minime. Comme le scandera le refrain : « Non sofre Santa María de seeren perdidosos, os que as sas romarías, son de fazer desejosos. » , Sainte-Marie ne souffre pas que soient « perdants », ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.
Pèlerinage médiéval à Rocamadour,
vierge noire et livre des miracles
De nombreux pèlerinages sont attestés dès le XIIe siècle à Rocamadour. On y vient des quatre coins de France et même d’Europe pour y honorer les reliques de Saint-Amadour, mais aussi pour y prier la vierge noire. L’histoire fait également remonter l’origine de cette madone de bois sculptée à ce même Amadour, ermite local qui, selon la légende, aurait été l’ancien disciple du Christ, connu sous le nom de Zachée et qui, à une époque reculée, serait venu en Gaule, pour y répandre le culte.
En 1166, on découvrit le corps du saint sur le site ce qui renforça grandement la réputation du lieu. Peu après, en 1172, les miracles survenus à Rocamadour donneront le jour à la rédaction d’un Manuscrit en latin qui a été depuis traduit en français moderne (voir Les Miracles de Notre-Dame de Roc-Amadour de Edmond ALBE, Honoré Champion, 1907). Au nombre de 126, ces récits miraculeux, courts et rédigés très simplement, sont là encore de tous ordres – guérison, rémission miraculeuse, protection, fertilité, etc… – et ce manuscrit médiéval contribua, sans doute, à son tour, au succès de l’endroit auprès des pèlerins.
Jusque là, nous n’avons pas trouvé dans cet ouvrage, trace du récit exact de la Cantiga 159 mais il semble qu’il n’ait consigné qu’un nombre restreint des miracles qu’on prêtait alors à Rocamadour et qui devaient circuler dans la tradition orale. Près d’un siècle plus tard, ils étaient, à l’évidence suffisamment vivaces pour traverser les frontières et s’étendre jusqu’à la cour d’Alphonse le Sage. Dans l’esprit de la Cantiga du jour et sans la reprendre mot pour mot. on en retrouve quelques-uns, dans le manuscrit, qui détaillent le sort fait aux brigands et voleurs qui s’en prennent aux pèlerins : rendus aveugles ou muets, paralysés, frappés de folie et d’autres disgrâces, à Rocamadour comme ailleurs, les récits de miracles médiévaux semblent bien s’accorder sur le fait qu’il ne fait pas bon s’en prendre aux pèlerins qui ont abrité leur foi en la vierge.
L’interprétation de la Cantiga 159par le Clémencic Consort
Troubadours, Cantigas de Santa Maria,
un quadruple album de choix du Clemencic Consort
On trouve cette Cantiga 159 reprise par de nombreux ensembles de musique médiévale. Loin des multiples interprétations lyriques qui peuvent avoir leur charme, nous avons choisi, aujourd’hui, la version largement plus « terrienne » ou « terrestre » du Clemencic Consort. En plus d’un orchestration enthousiaste et festive, la voix de René Zosso n’a pas son pareil pour ramener les musiques médiévales dans une certaine « vision » de leur ferment d’origine. Il nous propose encore ici quelque chose de rugueux et d’enlevé à la fois qui se livre généreusement et sans sophistication et finit par créer une vraie relation de proximité. La magie opère. Nous voilà presque revenu au cœur d’une cité médiévale, face à un troubadour ou devant un groupe de pèlerins festifs du Moyen-âge et l’on se plait à imaginer qu’en dehors des cours royales et princières, les Cantigas de Santa Maria ont pu aussi être cela : des chants proches du peuple et qu’on pouvait entendre dans les rues.
Enregistrée à la toute fin des années 70, chez Harmonia Mundi, on peut retrouver cette interprétation de la Cantiga 159 dans un superbe album d’anthologie du Clémencic Consort qui réunit pas moins de 4 CDs : les deux premiers présentent vingt-deux pièces choisies parmi les plus prestigieux troubadours du moyen-âge central. Les deux autres sont entièrement dédiés aux Cantigas d’Alphonse le Sage et proposent 27 d’entre elles. On peut encore trouver à la vente cette production, qui fait honneur à cette grande formation médiévale. Voici un lien utile pour plus d’informations : Troubadours / Cantigas De Santa Maria.
Paroles et traduction de
La Cantiga de Santa Maria 159
Como Santa María fez descubrir ũa pósta de carne que furtaran a ũus roméus na vila de Rocamador.
Voilà comment Sainte Marie fit retrouver une tranche de viande qu’on avait dérobé à des pèlerins en route pour Rocamadour.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos os que as sas romarías | son de fazer desejosos.
Sainte Marie ne souffre pas que soient perdants ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.
E dest’ oíd’ un miragre | de que vos quéro falar, que mostrou Santa María, | per com’ éu oí contar, a ũus roméus que foron | a Rocamador orar como mui bõos crischãos, | simplement’ e omildosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et à ce propos, j’ai entendu un miracle, dont je veux vous parler, Que fit Sainte Maria, comme je l’entendis conter Pour des pèlerins qui étaient partis prier à Rocamadour Comme de très bons chrétiens, avec simplicité et humilité.
refrain
E pois entraron no burgo, | foron pousada fillar e mandaron comprar carne | e pan pera séu jantar e vinno; e entre tanto | foron aa Virgen rogar que a séu Fillo rogasse | dos séus rógos pïadosos
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et quand ils entrèrent dans le bourg, ils y cherchèrent un refuge Et s’en furent acheter de la viande et du pain pour leur dîner Ainsi que du vin : Et entre temps, ils s’en allèrent prier la vierge Pour qu’elle intercède auprès de son fils de ses pieuses prières
refrain
Por eles e non catasse | de como foran errar, mais que del perdôn ouvéssen | de quanto foran pecar. E pois est’ ouvéron feito, | tornaron non de vagar u o séu jantar tiínnan, | ond’ éran cobiiçosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Afin qu’il ne tienne pas compte de leurs errances passés Mais qu’il leur accorde son pardon pour tous leurs péchés. Et une fois cela fait, ils revinrent sans s’attarder Sur les lieux de leur dîner, dont ils se faisaient d’avance une joie.
refrain
E mandaran nóve póstas | meter, asse Déus m’ampar, na ola, ca tantos éran; | mais poi-las foron tirar, acharon end’ ũa menos, | que a serventa furtar lles fora, e foron todos | porên ja quanto queixosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et ils décidèrent de mettre neuf tranches de viande, que Dieu me garde Dans la marmite, car c’était leur nombre, Mais quand ils allèrent les chercher Ils virent qu’il en y avait une en moins, que la servante leur avait dérobé Et pour cette raison, ils se plaignirent grandement (ils furent très contrariés)
refrain
E buscaron pela casa | pola poderen achar, chamando Santa María | que lla quisésse mostrar; e oíron en un’ arca | a pósta feridas dar, e d’ ir alá mui correndo | non vos foron vagarosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et ils cherchèrent dans toute la maison, pour pouvoir la retrouver Appelant Sainte-Marie pour qu’elle veuille bien leur montrer, Et ils entendirent alors dans un coffre, la tranche qui donnait des coups, Et alors ils se précipitèrent dans cette direction, sans faire de détour.
refrain
E fezéron lóg’ a arca | abrir e dentro catar foron, e viron sa pósta | dacá e dalá saltar; e saíron aa rúa | muitas das gentes chamar, que viron aquel miragre, | que foi dos maravillosos
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et, ensuite, ils firent ouvrir le coffre et à l’intérieur ils regardèrent et virent le morceau de viande qui sautait de tous côtés Et ils sortirent dans la rue, pour appeler grande quantité de gens Qui assistèrent à ce miracle, qui fut parmi les merveilles
refrain
Que a Virgen grorïosa | fezéss’ en aquel logar. Des i fillaron a pósta | e fôrona pendorar per ũa córda de seda | ant’ o séu santo altar, loando Santa María, | que faz miragres fremosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Que la vierge glorieuse accomplit en ce lieu. A partir de là, ils prirent la pièce de viande et la suspendirent A un cordon de soie, devant l’autel de Sainte-Marie En louant cette dernière pour ses merveilleux miracles.
Sainte Marie ne souffre pas que soient perdants ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.