Archives par mot-clé : poésie goliardique

Sur les traces des goliards, poésie « à boire » du XVe siècle et du moyen-âge finissant

humour_poesie_ancienne_moyen-age_tardif_renaissance_ecole_marotique_recreation_passetemps_triste_ouvrage_ancien_clement_marotSujet : poésies courtes, épigrammes, ouvrage ancien, humour, gauloiserie,  goliards, poésie « goliardique »
Période :  hiver du moyen-âge, renaissance
Auteurs : collectif (1575,  1595). Clément Marot pour cette  poésie.
Titre : La  récréation et passetemps des tristes, recueil d’épigrammes et de petits contes en vers (1862)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partageons aujourd’hui un nouvel épigramme issu de l’ouvrage récréation et passe-temps des tristes . S’ils n’étaient déjà en bonne langue françoise du XVe siècle, ces quelques vers dédiés au vin pourraient presque prendre des allures tardives de poésie goliardique, mais le XIIe siècle des goliards est déjà loin, et on continuera de chanter longtemps après eux et sans eux, comme on le fait d’ailleurs encore, les joies de l’ivresse (avec modération, mais pas toujours).

Bien sûr, il faut aussi lire de l’humour dans cette courte poésie « à boire ». Comme nous l’avions dit précédemment, celui-ci traverse de part et en part ce petit recueil d’épigrammes du moyen-âge finissant.

Pour rendre à César ce qui lui appartient et même si, comme l’ensemble des autres poésies présentes dans ce recueil, celle-ci n’est pas signée, elle est en réalité de Clément Marot.  On peut la retrouver dans le Tome 3 de ses oeuvres complètes, par Pierre Jannet (1868).

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De ceux qui par trop boire
ont les yeux bordés d’escarlate

Le vin qui m’est si cher vendu,
M’a la force des yeux ravie,
Pour autant il m’est deffendu,
Dont tous les jours m’en croist l’enuie:
Mais puisqu’en luy seul est ma vie,
Malgré les fortunes senestres
Les yeux ne seront point les maistres,
Sur tout le corps, car par raison,
J’aime mieux perdre le fenestres,
Que perdre toute la maison.
La récréation et Passetemps des tristes,
(ré-édition de 1862 sur la base de l’édition de 1595)

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Les yeux bordés d’écarlate

L_lettrine_moyen_age_passion‘expression « les yeux bordés d’escarlate« , autrement dit, « les yeux rouges sur les bords » suivant le Littré, ce que l’on avait à peu près compris, mais aussi dans d’autres dictionnaires anciens « les yeux aux paupières rougis » ou même encore « les yeux fort rouges » est ici employée pour désigner les marques que laissent sur leur sillage d’innombrables ivresses. Cette expression a pu aussi désigner les marques de la vieillesse. On la retrouve usitée de cette manière dans le Candide de Voltaire : « la vieille leur parla en ces termes : je n’ai pas toujours eu les yeux éraillés et bordés d’écarlate ». Elle peut encore comme ici au XVIIIe siècle, désigné un trait de laideur :

« – Qui ne seroit pas idolâtre
De ces beautés, de ces trésors ;
Dont la nature orna ton corps
De ton nez de corail , de tes lèvres d’albâtre ,
De ces cheveux dorés, de ces os que ta peau
Laisse aisément compter, tant elle est délicate;
De tes yeux bordés d’écarlate ?
Enfin , qui ne seroit charmé , belle Isabeau ,
De ce teint à la mosaïque,
Et qui de l’arc-en-ciel imite les couleurs
De cette bouche grande , oblique ,
Et de cette dent, fille unique,
Qui porte le deuil de ses sœurs ? » 
Portrait d’une Laide, Le Brun. Dictionnaire de pensées ingénieuses,
tant en vers qu’en prose, des meilleurs écrivains françois
 (1773)

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

Tempus Est Iocundum du Codex Buranus 179 et l’ensemble Oni Wytars

carmina_burana_goliards_poesie_humour_medievale_moyenagepassionSujet : musique   et chanson médiévales,  poésie goliardique, golliards, poésie latine et satirique
Période : XIIe, XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre :  Tempus Est iocundum  Carmina Burana
Manuscrit ancien :  Codex Buranus 179
Compositeur : Carl Orff (Karl)
Interprètes :
  Oni Wytars & ensemble Unicorn

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous vous proposons de revenir, aujourd’hui, sur la Cantate Carmina burana de Carl Orff, tirée du manuscrit ancien Codex Buranus 179, connu aussi sous le nom de Chants de Benediktbeuern. Nous en avons déjà parlé, ici, à plusieurs reprises, ce manuscrit ancien du moyen-âge central est devenu célèbre, largement grâce au compositeur allemand qui, au passage, a contribué à « populariser » également ainsi la poésie des Goliards, ces jeunes étudiants ou clercs quelque peu dévoyés qui, au XIIe siècle sillonnait la France pour chanter en latin leurs amours, leurs joies et aussi leur moment de fêtes et  de perdition.

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Enluminure tirée du Codex Buranus 179 (Carmina Burana)

La formation Oni Wytars  en collaboration
avec l’ensemble Unicorn

C_lettrine_moyen_age_passionette fois-ci, la pièce que nous partageons est la chanson « Tempus Est iocundum », interprétée conjointement et de manière très énergique par l’excellent  ensemble Unicorn, originaire d’Autriche et  les membres de la formation  Oni Wytars.

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Formé en 1983 en Allemagne, par le compositeur, musicien et vielliste Marco Ambrosini,  l’ensemble Oni Wytars se dédie à un  répertoire qui va du monde médiéval à celui de la renaissance, en élargissant son champ d’investigation musical et instrumental au berceau méditerranéen et à  des pièces en provenance du monde byzantin  ou de l’Est de l’Europe.  La qualité des artistes qui le composent les ont  amenés à participer à des concerts ou productions en collaboration avec d’autres formations, et ils font eux-même appel, à l’occasion, à d’autres musiciens ou formations comme ici dans cette interprétation de Carmina Burana avec l’ensemble  Unicorn.

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Pour faire partager sa passion, Oni Wytars  organise encore des marco_ambrosinie_vielliste_compositeur_musique_anciennes_medievales_renaissance_oni_wytarsstages de formations  à la musique ancienne. Les quelques 15 albums qu’ils ont produit à ce jour se trouvent à la vente sur leur site web (hélas pour le moment seulement disponible en allemand et japonais) mais on en trouve également quelques uns sur Amazon ou sur le site de la FNAC. Quand au fondateur du groupe, Marco Ambrosini (portrait ci-contre) sa renommée n’est plus à faire et il compte une participation sous formes diverses dans plus de 110 albums,  autour des musiques anciennes, et ce au niveau international.

Les paroles de Tempus est  iocundum
et leur traduction adaptation en français

Tempus est iocundum,
o virgines,
modo congaudete
vos iuvenes.

Le temps est joyeux,
O vierges,
Réjouissez-vous avec
Vos jeunes hommes.

Oh – oh, totus floreo,
iam amore virginali
totus ardeo,
novus, novus amor est,
quo pereo.

Oh, oh, oh !
Je fleuris entièrement !
De mon tout premier amour
Je brûle ardemment !
Un nouvel, nouvel amour
Est ce dont je meure.

Mea me comfortat
promissio,
mea me deportat
negatio.

Je suis réconfortée
Par ma promesse,
Je suis abattue par mon refus

Oh – oh, totus floreo,
iam amore virginali
totus ardeo,
novus, novus amor est,
quo pereo.

Oh, oh, oh !
Je fleuris entièrement !
De mon tout premier amour
Je brûle ardemment !
Un nouvel, nouvel amour
Est ce dont je meure.

Tempore brumali
vir patiens,
animo vernali
lasciviens.

Au solstice d’hiver
L’homme patient,
Par l’esprit printanier
Devient folâtre.

Oh – oh, totus floreo,
iam amore virginali
totus ardeo,
novus, novus amor est,
quo pereo.

Oh, oh, oh !
Je fleuris entièrement !
De mon tout premier amour
Je brûle ardemment !
Un nouvel, nouvel amour
Est ce dont je meure.

Mea mecum ludit
virginitas,
mea me detrudit
simplicitas.

Ma virginité
Me rend folâtre,
Ma simplicité
Me retient.

Oh – oh, totus floreo,
iam amore virginali
totus ardeo,
novus, novus amor est,
quo pereo.

Oh, oh, oh !
Je fleuris entièrement !
De mon tout premier amour
Je brûle ardemment !
Un nouvel, nouvel amour
Est ce dont je meure.

Veni, domicella,
cum gaudio;
veni, veni, pulchra,
iam pereo.

Viens, ma maîtresse,
Avec joie,
Viens, viens, ma toute belle,
Déjà je me meure !

Oh – oh, totus floreo,
iam amore virginali
totus ardeo,
novus, novus amor est,
quo pereo.

Oh, oh, oh !
Je fleuris entièrement !
De mon tout premier amour
Je brûle ardemment !
Un nouvel, nouvel amour
Est ce dont je meure.

Oh, oh, oh, une belle journée  à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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O fortune l’introduction du Carmina Burana de Carl Orff

carmina_burana_goliards_poesie_humour_medievale_moyenagepassionSujet : poésie et chanson médiévales, poésie morale, poésie goliardique, golliards, poésie latine, traduction français moderne.
Période : XIIe, XIIIe siècle, moyen-âge central
Titre :  O fortuna, Carmina Burana
Manuscrit ancien : chants de Benediktbeuern
Compositeur : Carl Orff (Karl)
Chef d’Orchestre :
 Eugen Jochum
Orchestre: 
Berlin Orchestra German Opera 

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, vers une pièce d’anthologie de la musique classique « moderne » composée dans les années 35 par Carl Orff et basée sur le manuscrit ancien des chants de Benediktbeuern du nom du monastère dans lequel on le trouva dans le courant du XIXe siècle. Véritable anthologie de la poésie lyrique, profane et goliardique des XIIe, XIIIe siècles, l’ouvrage contient plus de trois cent chants aux thèmes aussi divers que le jeu, l’amour, l’alcool, des pièces satiriques et moralisantes mais aussi deux pièces de théâtre d’inspiration plus liturgique. La grande majorité des textes est en latin et quelques uns des textes sont en germain et en langue romane. Certains des chants sont annotés musicalement mais ce n’est pas le cas de tous.

carl_orff_karl_carmina_burana_poesie_medievale_latine_o_fortuna_paroles_traductionLe compositeur allemand Carl Orff (1895-1982) a grandement contribué à la popularisation d’une partie de ces poésies qui lui ont inspirées la cantate « Carmina Burana« .  L’œuvre a fait, depuis, le tour du monde, et son succès ne se tarit toujours pas puisqu’elle continue d’être jouée jusqu’à ce jour par de nombreux orchestres et dans de nombreux pays. Ici, c’est la mythique introduction et fermeture de cette œuvre gigantesque que nous vous proposons et qui a pour titre « o Fortuna ».

Du point de vue du manuscrit, la pièce du jour se trouve sur le même feuillet que celui de l’illustration de la roue de la Fortune (voir reproduction ci-dessous). La  symbologie en est claire, la roue tourne dans le sens des aiguilles d’une montre et conte l’impermanence de la « Fortune » pris au sens « chance » « succès » « destinée(heureuse) » « sort » et pas nécessairement monétaire comme on l’entend souvent au sens moderne du terme.

Regno, regnavi, sum sine regno, regnabo, « Je règne, j’ai régné, je ne règne plus, je régnerai ». Le roi perd sa couronne, choit, n’est plus rien et puis, la regagne. Jouet de la fortune, l’homme ne contrôle pas sa poesie_medievale_goliardique_latine_goliard_fortune_carmina_burana_carl_orffdestinée. Il ne peut que subir ce que le sort (personnifié ici au centre de l’illustration), lui réserve.

On trouve encore sûrement derrière cela, l’idée qu’il faut se résoudre à n’avoir que peu de prise et de satisfaction en ce bas-monde. Dans le moyen-âge chrétien et même pour la pensée la plus profane de cette époque, le paradis reste à jamais un ailleurs que se situe toujours dans l’après-vie.

poesie medievale morale manuscrit carmina burana roue de la fortune
Le manuscrit des chants de Benediktbeuern ou Carmina Burana (1225-1250)


« O Fortuna » de Carmina Burana
les paroles traduites en français actuel

O fortuna
Velut Luna
statu variabilis,
semper crescis
aut decrescis;
vita detestabilis
nunc obdurat
et tunc curat
ludo mentis aciem,
egestatem,
potestatem,
dissolvit ut glaciem.

O Fortune
Comme la lune
A l’état changeant
Toujours tu croîs
Ou tu décrois.
La vie détestable
D’abord opprime
Et puis apaise
Par un jeu à l’esprit aiguisé.
La pauvreté
Le pouvoir
Elle les fait fondre comme la glace.

Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
statu malus,
vana salus,
semper dissolubilis
obumbrata
et velata
michi quoque niteris;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.

Sort monstrueux
Et informe,
Toi la roue changeante,
Une mauvaise situation,
Une prospérité illusoire,
Fane toujours,
Dissimulée
Et voilée
Tu t’en prends aussi à moi
Maintenant par jeu,
Et j’offre mon dos nu
A tes intentions scélérates.

Sors salutis
et virtutuis
michi nunc contraria
est affectus
et defectus
semper in angaria
Hac in hora
sine mora
corde pulsum tangite,
quod per sortem
stemit fortem,
mecum omnes plangite!

Sort qui apporte le salut
Et le courage
Tu m’es maintenant opposé
Affaibli
Et épuisé
Comme de la mauvaise herbe.
A cette heure,
Sans tarder
Cœur de cordes vibrantes
Puisque le sort
Renverse même le fort
Venez tous pleurer avec moi !


En vous souhaitant une fort belle journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com.
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

François Villon : Ballade et Oraison pour l’âme du bon maistre Jehan Cotard

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, et réaliste, tradition « gollardique »,
Auteur : François Villon
Titre : Ballade et « Oraison », l’âme du bon maistre Jehan Cotard
Période : moyen-âge tardif, début renaissance

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici encore une ballade de François Villon qui nous poursuit de sa belle poésie. Cette fois, nous le retrouvons  dans un texte plus « léger » où il ne nous conte pas ses propres souffrances mais nous parle avec humour d’un « supposé » feu maistre Jehan Cotard et de son goût pour la boisson.

La sortie de l'Arche de Noé et l'ivresse du patriarche, 1430 Manuscrit du maître de Bedford, 1430,
La sortie de l’Arche de Noé et l’ivresse du patriarche, 1430 Manuscrit du maître de Bedford, 1430,

Qui était  le bon maistre  Jehan Cotard ?

Sur la question de qui était ce bon maistre Jehan Cotard, on trouve les traces de deux homonymes portant ce nom là, à Paris, dans une période contemporaine de celle de Villon. Le premier est un procureur en cour d’église mais si c’est bien lui l’homme était encore vivant au moment où Villon lui dédiait ses vers. Etonnant non? Au vue de l’humour de Villon, il se peut très bien qu’il ait rédigé la ballade du vivant de son camarade de beuverie à la manière d’une farce entre amis. L’autre Jean Cotard était, quant à lui, un marchand orfèvre et bourgeois.

En réalité, il demeure difficile en réalité de savoir si ballade_villon_poesie_taverne_medieval_detail_enluminure_manuscrit_valere_maximel’homme auquel François Villon fait référence ici était l’un des deux homonymes que l’on a retrouvé grâce aux registres de la municipalité de Paris ou un autre que l’Histoire n’a pas retenu, faute de documents existants. *

(Ci-contre, détail d’une scène de Taverne, (à l’évidence arrosée jusqu’au parquet)  Manuscrit Valère Maxime, 1470)

Comme Villon semble s’être fait de nombreux amis, à l’occasion de ses études, dont une partie d’entre eux devint plus tard « de grands seigneurs et maîtres », aucune hypothèse ne peut vraiment être écartée sur l’identité de ce maître buveur. On a également avancé, en d’autres endroits, la possibilité d’un troisième Jean Cothard mais avec un H cette fois-ci, qui était inscrit comme doyen de la confrérie Saint Jacques de Paris en 1462 et 1463.  Pour être honnête, je ne sais à quel point il faut aller chercher une coquille d’orthographe dans le texte de Villon sur le nom de l’homme. Sauf erreur d’imprimerie, la rigueur de son écriture la rendrait en tout cas surprenante et de fait, à une lettre près, les recherches sur le dit Jehan Cotard pourraient sans doute nous amener assez loin.

Laissons donc le bon maître dont il est question dans cette ballade à son mystère; il reste que Villon nous le décrit comme un boit-sans-soif invétéré ce qui pourrait permettre d’inscrire cette poésie dans la tradition des chansons à boire ou même de la poésie goliardique des XIIe, XIIIe siècles qui encensait, entre autre chose, les plaisirs de la boisson et de la chair, à ceci près que la ballade du bon maistre Jehan Cotard par maistre François Villon n’est pas en latin mais en bon français du XVe siècle.

*Sources : Romaniarevue trimestrielle consacrée à l’étude des langues et des   littératures romanes (Volume 2, 1873).

Illustration d'une taverne, enluminure du manuscrit "Valerius maximus, Des faits et dits mémorables" 1470
Illustration d’une taverne, enluminure du manuscrit « Valerius maximus, Des faits et dits mémorables » 1470


Ballade et Oraison de François Villon
L’âme du bon maistre Jehan Cotard

Pere Noe, qui plantastes la vigne;
Vous aussi, Loth, qui bustes au rocher,
Par tel party qu’Amour, qui gens engigne,
De vos filles si vous feit approcher,
Pas ne le dy pour le vous reprocher,
Architriclin*, qui bien sceustes cest art,
Tous trois vous pry qu’o vous veuillez percher
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

* Loth : s’enivra dans une caverne et ses filles abusèrent de lui pour concevoir
* Architriclin :  Personne responsable de l’ordonnance du festin. allusion à l’Architriclin de l’évangile qui commanda qu’on fit servir le vin en premier aux noces de Cana.

Jadis extraict il fut de vostre ligne,
Luy qui beuvoit du meilleur et plus cher;
Et ne deust-il avoir vaillant ung pigne,*
Certes, sur tous, c’estoit un bon archer;
On ne luy sceut pot des mains arracher,
Car de bien boire oncques ne fut faitard.
Nobles seigneurs, ne souffrez empescher
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

* Pigne : traduit par peigne dans un ouvrage de 1835. ainsi que dans le glossaire de la langue d’Oil de Alphonse Bos. Pour le sens général de ces deux vers, nous proposons quelque chose comme :
« Et même s’il ne possédait pas grand chose
D’entre tous, il n’était pas du genre à lâcher sa prise. »

Comme um viellart qui chancelle et trepign
L’ay veu souvent, quand il s’alloit coucher;
Et une foys il se feit une bigne,*
Bien m’en souvient, a l’estal d’ung boucher.
Brief, on n’eust sceu en ce monde chercher
Meilleur pion, pour boire tost et tard.
Faictes entrer quand vous orrez hucher*
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard.

* Bigne: Bosse
*orrez hucher : entendrez frapper à la porte)

ENVOI.

Prince, il n’eust sceu jusqu’a terre cracher;
Tousjours crioyt: Haro, la gorge m’ard!
Et si ne sceut oncq sa soif estancher,
L’ame du bon feu maistre Jehan Cotard.


Aparté Georges Brassens et François Villon

En lisant encore les références à Villon entre les lignes de Brassens, voici un texte assez peu connu du chanteur contemporain du XXe siècle ayant pour titre « la légion d’Honneur ». Il est notoire que Georges Brassens refusa cette légion d’honneur quand on la lui proposa, mais il ne chanta pas cette chanson pourtant de son vivant. On doit à Maxime le Forestier de l’avoir fait connaître, à titre posthume puisque Georges Brassens ne l’enregistra  jamais de son vivant. On y trouve quelque vers en référence à ce Jehan Cotard dont Villon nous parle, que je vous livre ici:

« L’âme du bon feu maistre Jehan Cotard
Se réincarnait chez ce vieux fêtard.
Tenter de l’empêcher de boire un pot
C’était ni plus ni moins risquer sa peau.
Un soir d’intempérance, à son insu,
Il éteignit en pissotant dessus
Un simple commencement d’incendie.
On lui flanqua le mérite, pardi !
Depuis que n’est plus vierge son revers,
Il s’interdit de marcher de travers.
Car ça la fout mal d’ se rendre dans les vignes,
Dites du Seigneur, faire des faux pas
Quand on est marqué du fatal insigne.
La Légion d’honneur ça pardonne pas. »
Georges Brassens. La légion d’Honneur

Voici l’interprétation de la Légion d’Honneur
de Georges Brassens par Maxime le Forestier

Une très belle journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes »