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La douceur de la belle saison et deux grands maîtres de musique ancienne au service du trouvère Gace Brûlé

musique_danse_moyen-age_ductia_estampie_nota_artefactumSujet : musique, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, chansonnier Clairambault
Période :  XIIe,  XIIIe, moyen-âge central
Titre: A la douçor de la bele saison
Auteur :  Gace Brulé  (1160/70 -1215)
Interprète :  Paul Hillier, Andrew Lawrence-King
Album: Chansons de trouvères (1997) Harmonia Mundi

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de découvrir une autre poésie et chanson médiévale du chevalier trouvère Gace Brûlé auquel nous avons dédié précédemment une biographie détaillée.

Chansons de Trouvères,
de Paul Hillier & Andrew Lawrence King

Cette fois-ci, la pièce est interprétée par le baryton et directeur d’orchestre anglais Paul Hillier dans un album, sorti en 1997, chez Harmonia Mundi,  sur le thème des trouvères français du moyen-âge central.

musique_poesie_medievale_chansons_trouveres_moyen-age_central_Paul_Hillier_Andrew_Laurence_kingLe très célèbre et très primé chanteur londonien, installé depuis longtemps déjà aux Etats-Unis y était accompagné de Andrew Lawrence-King musicien britannique également harpiste, organiste mais  aussi directeur de l’orchestre de Guernesey.  Nous sommes donc, avec cet album, face à deux grands maîtres et experts de la musique ancienne.

Pas de grande orchestration ici, mais une production qui entendait privilégier l’essentiel et restituer au plus près ce que pouvait être l’art des trouvères médiévaux.  On y retrouvait en tout neuf pièces dont deux de Gace Brûlé. Hormis deux chansons anonymes, les autres étaient signés de Thibaut de Champagne, Colin Muset et Moniot d’Arras.

album_chansons_de_trouveres_paul_hillier_moyen-age_poesie_chansons_medievalesCet album se trouve encore en ligne, notamment sur Amazon, sous plusieurs formes : des versions neuves importées  un peu plus onéreuses, mais aussi quelques occasions forcément moins coûteuses. En voici le lien, si vous êtes intéressés: Chansons De Trouvères.

 A la douçor de la bele saison par Paul HillierAndrew Lawrence-King

« A la douceur de la belle saison »
Les paroles de Gace Brûlé en vieux-français

On peut retrouver cette chanson de Gace Brûlé dans le Chansonnier Clairambault (voir image ci-dessous) aux côtés de manuscrit_ancien_chansonnier_clairambault_chanson_poesie_musique_medievale_moyen-age_centralquelques quarante-cinq autres qui lui sont attribuées.

Du point de vue du contenu, c’est encore une pièce de lyrique courtoise. Elle commence par la belle saison et son renouveau. Tous ont laissé l’amour et il est lui, le seul, le véritable amant courtois, qui s’y adonne encore. On l’a accusé faussement, on lui a fait du tort. L’a-t-on conspué pour cet amour auquel il fait allusion ici ou pour d’autres raisons ?  Quoiqu’il en soit, il lui reste l’amour de sa dame et sa loyauté pour elle comme refuge. Et il prie qu’elle continue de lui accorder ses faveurs car il ne pourra lui, tant il en est épris et en parfait amant courtois,  se délier de sa loyauté envers elle.

A la douçor de la bele seson,
Que toute riens* (toutes choses) se resplent en verdor,
Que sont biau pré et vergier et buisson
Et li oisel chantent deseur la flor,
Lors sui joianz quant tuit lessent amor,
Qu’ami loial n’i voi mes se moi non.
Seus vueil amer et seus vueil cest honor.

Mult m’ont grevé* (de grever : nuire) li tricheor felon,
Mes il ont droit, c’onques ne·s amai jor.
Leur deviner et leur fausse acheson* (accusation)
Fist ja cuidier que je fusse des lor ;
Joie en perdi, si en crut ma dolor,
Car ne m’i soi garder de traïson ;
Oncore en dout* (de douter : craindre) felon et menteor.

Entor tel gent ne me sai maintenir
Qui tout honor lessent a leur pouoir :
Tant com je m’aim, les me couvient haïr
Ou je faudrai a ma grant joie avoir.
C’est granz ennuis que d’aus amentevoir* (se remémorer quelqu’un),
Mes tant les hé*  (de haïr) que ne m’en puis tenir ;
Ja leur mestier ne leront decheoir. (1)

Or me dont Deus ma dame si servir
Q’il aient duel de ma joie veoir.
Bien me devroit vers li grant lieu tenir
Ma loiauté, qui ne puet remanoir ;
Mes je ne puis oncore apercevoir
Qu’ele des biens me vuelle nus merir* (*récompenser)
Dont j’ai sousfert les maus en bon espoir.

Je n’en puis mes se ma dame consent
En ceste amour son honme a engingnier* (tromper),
Car j’ai apris a amer loiaument,
Ne ja nul jour repentir ne m’en qier ;
Si me devroit a son pouoir aidier
Ce que je l’aim si amoureusement,
N’autre ne puis ne amer ne proier* (courtiser).

Li quens Jofroiz, (2) qui me doit consoillier,
Dist qu’il n’est pas amis entierement
Qui nule foiz pense a amour laissier.


NOTES

(1) ils n’abandonneront jamais leurs mauvaises manières, habitudes.
(2) on peut supposer que le trouvère fait référence ici à Geoffroi II (Geoffroy Plantagenêt), comte de Bretagne, fils de Henri II d’Angleterre et d’Alienor.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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La chanson de Roland avec Jean Dufournet et Abdelwahab Meddeb

moyen-age_litterature_medievale_chanson_roland_charlemagneSujet : chanson de geste, poésie, littérature médiévale,  Charlemagne, Roland, Croisades, livres, moyen-âge chrétien.
Période : moyen-âge central, XIe siècle
Auteur (supposé) : Turold
Manuscrit ancien : Manuscrit d’Oxford ,
Titre : La chanson de Roland
Intervenants : Jean Dufournet, Abdelwahab Meddeb
Programme : Cultures d’Islam, France Culture (2008)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn 2008, dans le cadre de son programme Cultures d’Islam, France Culture et l’écrivain, poète et érudit tunisien Abdelwahab Meddeb (1946-2014) recevaient l’historien, médiéviste et romaniste Jean Dufournet (1933-2012) autour de la Chanson de Roland. Dans la continuité de notre article précédent sur la geste médiévale et son importance/influence sur l’Europe médiévale. nous vous proposons donc de découvrir ici cet échange.

Mise en contexte de la chanson de Roland

Après un mot sur les anciens manuscrits, Jean Dufournet nous parlera de la chanson de geste, supposée écrite par le clerc Turold, en la remettant dans son contexte littéraire, mais surtout historique et politique. On découvrira ainsi comment trois siècles après les faits et l’épopée de Charlemagne, la Chanson de Roland fut instrumentalisée par son époque pour mettre en valeur la royauté, mais également pour renforcer idéologiquement l’ardeur des croisés. Le médiéviste et son interlocuteur feront aussi quelques intéressants détours pour mettre en valeur les parentés, les similitudes et les divergences entre les deux cultures chevaleresques et religieuses.

jean_dufournet_medieviste_hitorien_romaniste_moyen-age_chanson_rolandSur ces aspects de récupération « idéologique », en l’occurrence à des fins religieuses,, soulignons, comme les deux interlocuteurs en présence ont la finesse de le faire eux-même, qu’il ne s’agit nullement ici et après coup  d’en faire le procès, ni de la fustiger et encore moins de l’encenser. L’analyse critique et contextuelle de Jean Dufournet sur le sujet dépasse, par ailleurs et de loin, les simples visées liées à la croisade : les conflits internes et sociaux, les relations de vassalité du monde féodal et bien d’autres aspects conflictuels et complexes du monde médiéval ne sont pas développés ici pour des raisons éditoriales. Au final, être conscient du soubassement politique de l’oeuvre devrait donc plutôt permettre de transcender ces aspects pour la replacer dans sa réalité médiévale mais aussi pour aller à ses qualités littéraires, c’est en tout cas le voeu formé par le médiéviste, une fois démêlé les aspects idéologiques. L’intention est-elle paradoxale ? Si le chemin est difficile, la démarche est, à tout le moins,  hautement louable, intellectuellement parlant.

Pour le reste, ajoutons que l’instrumentalisation de la littérature à des fins stratégiques a existé de tout temps et plus encore quand ses Abdelwahab_Meddebauteurs dépendaient du pouvoir politique ou religieux pour s’alimenter, On pourrait, comme le disait ici très justement Abdelwahab Meddeb trouver sans peine des exemples de ce procédé de l’autre côté des rives de la croisade ou même en d’autres temps. Rien n’est vraiment nouveau sous le soleil quand il s’agit de motiver les hommes ou les troupes à guerroyer…

Pour clore sur l’aperçu de ce programme, on y survolera encore quelques idées intéressantes : interpénétration, reprise ou réinterprétation des traditions païennes et guerrières dans le cadre chrétien, relation et interdépendance encore du combattant et son épée (pas de Roland sans Durandal, pas de Durandal sans Roland)  qui a peut-être même, selon Jean Dufournet, influencé la matière arthurienne. De fait et comme ce dernier le mentionnera encore au passage, la Chanson de Roland a eu une incidence sur la littérature médiévale, bien au delà de son temps.

Un échange autour de la chanson de Roland avec Jean Dufournet


NB ; pour des raisons techniques le son se trouve indisponible sur la page de France Culture et nous rendons grâce ici à la chaîne youtube Eclair Brut d’avoir pu le préserver et le mettre en ligne. Lien originel du programme sur France Culture (Fichier son indisponible pour le moment).

Le manuscrit  MS Digby 23
de la bibliothèque bodléienne d’Oxford

litterature_geste_medievale_chanson_de_roland_manuscrit_ancien_oxford_MS_digby_23_Bodleian_Library_moyen-ageBien qu’on connaisse un certain nombre de manuscrits anciens contenant la Chanson de Roland, le  manuscrit anglo-normand de la fin du XIIe siècle MS Digby 23,  conservé à la Bodleian Library d’Oxford semble faire autorité en la matière auprès des experts, depuis un certain temps déjà.

Nous disons « semble » parce que pour être le plus ancien, dans le courant du XIXe et une partie du  XXe, les médiévistes ont largement débattu sur la question de la méthodologie permettant d’apporter au public la plus juste restitution de cette chanson de geste. Fallait-il reprendre mot pour mot le manuscrit d’Oxford ou lui préférer une synthèse comparative entre les différentes sources ? A lire les critiques sur les différentes traductions parues autour de la Chanson de Roland, rares furent en tout cas, celles qui firent l’unanimité mais il faut dire que, pour des raisons de contenu, de datation, autant pour sa résonance médiévale, ce texte littéraire demeure un objet d’étude central (et donc sensible) pour bien des historiens médiévaux et romanistes.

La chanson de Roland en Ligne,
quelques références

chanson_roland_jean_dufournet_livre_litterature_medievale_moyen-age_central

En 1993, Jean Dufournet, grand spécialiste de la question comme on l’aura compris, faisait paraître une traduction de la Chanson de Roland, basée sur ce manuscrit d’Oxford. qui fournit la substance de cet échange organisé par France Culture. L’ouvrage est toujours disponible en format poche chez Flammarion. En voici les liens si le sujet vous intéresse.La chanson de Roland : Edition bilingue français-ancien français

Voici quelques autres liens utiles vers des manuscrits anciens ou vers des oeuvres plus récentes :

Le manuscrit d’Orford sur le site de la Bodleian Library (MS Digby 23)

Découvrir et feuilleter La Chanson de Roland sur le site de la BNF (Fac- similé du XIIIe siècle, BnF, MS Français 860)

La chanson de Roland (1922), traduction du  philologue et romaniste français Joseph Bédier (1864-1938) 

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
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Une chanson d’amour courtois du trouvère Adam de la Halle avec l’ensemble Les Jardins de Courtoisie

trouveres_troubadours_musique_poesie_medievale_musique_ancienneSujet : musique, chanson, poésie médiévale, vieux français, trouvères d’Arras, théâtre profane. amour courtois, langue d’Oil.
Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur : Adam de la Halle (1235-1285)
Titre : Amours m’ont si douchement
Interprètes : Les Jardins de courtoisie
Album : D’Amoureus Cuer Voel Chanter (2007)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui vers la poésie en vieux français et en langue d’oïl du trouvère Adam de la Halle avec une chanson médiévale d’amour courtois monodique du XIIIe siècle. Cette pièce se situe dans le registre « profane »; on se souvient que l’œuvre abondante que nous a laissé ce célèbre auteur, poète, musicien et compositeur du moyen-âge central ne contient pas de pièces et de compositions proprement liturgiques.

L’interprétation que nous en présentons ici nous vient de l’Ensemble français Les Jardins de Courtoisie dont nous allons aussi dire pouvoir dire un mot.

Amours m’ont si douchement par L’ensemble Les Jardins de Courtoisie

 

Les Jardins de courtoisie

Le milieu artistique et la création autour des musiques anciennes en provenance de la région  lyonnaise nous a régalé décidément de bien des surprises. Nous parlions encore récemment de l’Ensemble Céladon mais aussi du jeune ensemble Apotropaïk et c’est aujourd’hui au tour d’une autre formation qui nous vient du même endroit d’être présentée ici. L’ensemble de musiques anciennes Les jardins de courtoisie a en effet été crée à Lyon, en 2004, par la chanteuse soprano Anne Delafosse  Quentin. 

Parcours

Anne_delafosse_quentin_musique_medievale_soprano_ensemble_jardins_de_courtoisieEn dehors de sa participation et de la direction de cette formation, cette artiste passionnée des répertoires médiévaux, renaissants et baroques avait encore cofondé l’Ensemble Musica Nova et également apporté sa pleine contribution vocale à des formations comme l’Ensemble Gilles Binchois ou encore l’Ensemble Céladon de Paulin  Bündgen, pour ne citer que ces deux-là. Devenue enseignante à plein temps au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon depuis quelques années déjà, elle organise encore des ateliers ou des stages dans le domaine des musiques anciennes et donne aussi, à l’occasion, des cours au Centre de Musique Médiévale de Paris. De fait, toutes ces activités ne lui laissent pratiquement plus le temps de se produire sur scène.

Production et « actualité »

D’un point de vue artistique, Les Jardins de courtoisie explore le répertoire des musiques anciennes sur une période allant du moyen-âge central au XVIIe siècle en passant par la Renaissance et avec une prédilection, comme son nom pouvait le laissait présager, pour les pièces issues de la lyrique courtoise.

A l’image de sa fondatrice et de facto, l’ensemble semble avoir arrêté de se produire sur scène depuis les années 2010-2011. Il n’existe pas vraiment de site web actualisé sur leur activité et les dernières ensemble_medieval_poesie_chanson_musiques_anciennes_les_jardins_de_courtoisieinformations sur leur page Facebook datent de 2009. Gageons qu’ils sont donc, pour l’instant, tous occupés en d’autres endroits et réjouissons-nous qu’il nous reste, au moins jusqu’à nouvel ordre, leurs productions passées pour les apprécier.

De ce point de vue, ils ont, à ce jour, produit trois albums, l’un sur les chansons de la cour de bourgogne au XVe siècle, l’autre sur Marguerite d’Autriche et son univers musical au XVIe  et enfin le troisième, celui du jour, autour du trouvère Adam de La Halle. Un quatrième annoncé sur le site web de la chanteuse Soprano et qui semblait faire partie d’un programme du Conservatoire de Musique de Lyon (faisant intervenir Les Jardins de Courtoisie en collaboration avec Paulin Bündgen) n’est, semble-t-il, pas encore paru.

« D’amoureus cuer voel Chanter »
un album autour d’Adam de la Halle

Sorti en 2007, cet album de la formation était tout entier dédié à Adam de la Halle et à sa poésie courtoise. Du point de vue des titres, il abonde littéralement puisqu’il en contient pas moins de dix-sept, pris dans le répertoire des chansons et rondeaux du trouvère artésien.

musique_chanson_poesie_medievale_jardin_de_courtoisie_trouvere_Adam_de_la_Halle_moyen-ageD’un point de vue vocal, aux côtés d’Anne Delafosse Quentin, on pouvait noter la présence du ténor Lisandro Nesis, mais aussi celle du contre-ténor Paulin Bündgen.      

Distribué par le label Zig-Zag Territoires, il ne semble pas, hélas pour l’instant, que l’album ait fait l’objet d’une réédition depuis sa sortie. On en trouve donc quelques exemplaires au format CD et en import mais les prix en sont relativement élevés. Affaire à suivre donc.

Amours m’ont si douchement
Dans le vieux-français d’Adam de la Halle

Amours_si_douchement_chanson_medievale_amour_courtois_trouvere_adam_de_la_halle_moyen-age_XIIIe_siecle
Partition (notation ancienne et nouvelle) prise dans les oeuvres complètes d’Adam de la Halle du musicologue et ethnologue ‎Charles Edmond Henri de Coussemaker (1872)

Amours m’ont si douchement (doucement)
Navré* (blesser) que nul mal ne sench (de sentir),
Si servirai bonnement
Amours et men
douch ami* (douce amie), a cui me rent.
Et fas de men cors present,
Ne jamais, pour nul torment
Que j’aie n’iert (de être) autrement,
Ains voeil user mon jouvent
En amer loialment.

Et si ne m’en caut (chaloir : ne m’importe pas) comment
On m’aparaut laidement,
Puis que j’ai fait mon talent
Et je puis jesir* (m’allonger) souvent
Lès* (près) son cors gent* (beau,noble).
Je ne crieng*  (de craindre) ore ne vent,
Mais bon se fait sagement* (coiement autre MS)
Déduire et si soutieuement* (subtilement  – sagement autre MS) 
C’on n’en puisse entre le gent,
Parler vilainement.

Trop me sistés* (jugez?) longement
Amis, a moi proïier ent.
Se vous m’amiés loialment,
Je vous amoie ensement* (pareillement),
Ou plus forment
Mais femme, au commenchement
Se doit tenir fièrement:
Pour chou, s’ele se deffent,
Ne doit laissier qui i tent
A requerre asprement.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
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En route pour la Taverne médiévale avec la ballade de bonne doctrine de François Villon

francois_villon_ballade_poesie_medievale_moyen-age_tardif_XVSujet  : poésie médiévale, ballade médiévale,  humour , auteur, poète médiéval. moyen-français, taverne médiévale
Auteur  :  François Villon (1431-?1463)
Titre : « Ballade des femmes de Paris »,
Le grand testament,
Période  : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages  : diverses oeuvres de Villon,  PL Jacob  (1854) , JHR Prompsault (1832), Pierre Champion (1913)

Bonjour à tous,

R_lettrine_moyen_age_passionevenons à Villon pour nous en délecter avec une ballade médiévale dont il a le secret. Nous en profiterons aussi pour faire un crochet à la taverne, lieu médiéval de socialisation et, souvent, ne le nions pas,  d’excès, de liesse et de perdition.

Adressée aux clercs marginaux, aux fêtards  et à une certaine faune de la rue qu’il côtoya un temps, cette Ballade de bonne doctrine à ceulx de mauvaise vie de  François Villon n’est pas celle d’un moraliste mais bien plutôt une poésie qui célèbre les plaisirs et les lieux festifs qu’il aime lui-même à fréquenter. Son titre complet lui fut d’ailleurs donné a posteriori par Clément Marot.

Sur le ton de l’humour, Villon y deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclevoue à la fatalité tout ceux qu’il nomment ici. Quel que soit leur gagne pain, honnêtes ou malhonnêtes et quoiqu’ils fassent tout finira par être gaspillé « au taverne et aux filles ».  Sur ces deux sujets, l’oeuvre du grand maistre de poésie médiévale qui oscille entre drame et humour, est, on le sait, truffée de références explicites ou de sous-entendus.

Concernant les tavernes en particulier, c’est un monde qui lui est largement familier et son grand testament est émaillée de noms d’établissements ayant alors pignon sur rue, à Paris, et qu’il lègue généreusement, en forme de clin d’oeil, à certains de ses contemporains. Sur le goût de la boisson et de l’enivrement,  pour ne citer que quelques références prises dans son oeuvre sur le sujet, s’il « connait le vin à la tonne« , comme il le dira dans sa ballade des menus propos, il conclura même le grand testament sur un « traict de vin morillon« . On se souvient encore, pour n’en donner qu’un autre exemple, du vibrant hommage qu’il fit en forme de ballade à feu le bon maistre Jehan Cotard et son attrait irrépressible pour la boisson.

Dans la lignée de ses poésies sur le thème des « écarts de conduite » qui émaillent son oeuvre – beuveries, jeux, transport festif et autres polissonneries – , il fait donc là un portrait en forme de listes,  de ceux que l’on peut retrouver dans ces tavernes dans lesquels on devait avoir quelque chance de le croiser lui-même, dans le Paris du XVe siècle.

Benjamin Gerritsz, XVIIe.
Benjamin Gerritsz, XVIIe.

Les Tavernes médiévales de Paris au XVe siècle

En suivant les pas de Pierre Champion dans ses deux ouvrages sur François Villon, sa vie et son temps, nous remontons le fil de sa référence à l’ouvrage Paris et ses historiens au XIVe et au XVe siècle. On y trouve, en effet, un document riche d’enseignements du copiste flamand Guillebert de Metz, sur ce Paris du Moyen-âge tardif. Je ne résiste pas à en citer un long passage tant il nous replonge dans la réalité générale de l’époque:

« Len souloit estimer a Paris plus de quatre mil tavernes de vin, plus de quatre vingt mil mendians, plus de soixante mille escripvains : item de escolier et gens de mestier sans nombre. (…) On mengoit à Paris, chascune sepmaine, lune parmy lautre comptée, quatre mille moutons, deux cent quarante beufs, cinq cens veaux, deux cens pourceaux salés et quatre cents pourceaux non salés. Item on y vendoit chascun jour sept cens tonneaux de vin, dont le Roy avoit son quatrieme, sans le vin des escoliers et autres qui nen paioient point, comme les seigneurs et autres pluseurs qui le avoient de leurs heritages. »
Guillebert de Metz, Paris et ses historiens au XIVe et au XVe siècle.

Pour mieux comprendre l’effervescence qui régnait autour des tavernes et du commerce du vin et expliquer ce nombre vertigineux d’établissements, il faut, là-encore, lire les belles pages de Pierre Champion sur la capitale d’alors. Tous viennent y vendre directement le fruit de leur vignes pour en tirer profit, et notamment ceux qui sont exemptés de taxes : seigneurs, écoliers comme le précise l’extrait ci-dessus et encore religieux. On confie même aux « escoliers » (collégiens et étudiants) la vente du vin des cuvées familiales pour « le bayer en paiement à leurs maîtres » et pouvoir financer leurs études. Vendre son vin s’appelait alors « faire taverne » et on comprend bien comment, dans ce contexte, les débits du nectar viticole pouvaient être aussi florissants. En plus d’être une boisson prisée, c’était un commerce juteux.

Bouillonnement social & ambiance festive

Au delà de ces aspects économiques, du point de vue social, la taverne était le lieu de la boisson autant que de la ripaille mais c’était aussi celui où se retrouvait un fourmillement de vie et d’activité sociale. On y réglait ses comptes, ses litiges ou ses affaires. On y faisait commerce et on pouvait encore y rencontrer un clerc prompt à vous conseiller ou à rédiger pour vous quelques actes, lettres ou documents.

En dehors de cela, il y avait indéniablement dans ces lieux et dans ce milieu de XVe siècle, bien plus qu’un reste de la tradition qu’avaient célébrée les goliards des siècles précédents; on y buvait (sans toujours grande modération), on y chantait, on y jouait aussi à des jeux d’argent variés et l’ambiance festive deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclequ’avait encensé la poésie goliardique des XIIe et XIIIe siècles semble y avoir largement perduré. Pour tempérer un peu, de nombreuses tavernes se trouvaient alors aux portes de la ville et on imagine bien qu’en fonction des quartiers ou de leur localisation, l’ambiance devait être variable d’un établissement à l’autre, du plus sage au plus permissif.

Quoiqu’il en soit, lieu populaire par excellence, montré du doigt des moralistes comme le « lieu de perdition et de tous les vices », de la même façon que Rutebeuf s’y était peut-être déjà ruiné au jeu de dés (la Griesche d’Hiver), deux siècles auparavant, certains pouvaient encore, du temps de Villon, y sombrer dans l’excès et y laisser tous leurs deniers, quand ce n’était pas leur fond de culotte. C’est d’ailleurs toute la morale de cette ballade narquoise et fataliste du jour.

Ballade de bonne doctrine
à ceulx de mauvaise vie

Car or’, soyes porteur de bulles, (1)
Pipeur* (tricheur) ou hésardeur de dez,
Tailleur de faulx coings* (fausse monnaie), tu te brusles
Comme ceux qui sont eschaudez  (2);
Trahistres* (traîtres) pervers, de foy vuydez ;
Soyes larron, ravis ou pilles :
Où en va l’acquest* (les gains, le profit), que cuydez* (croyez-vous)?
Tout aux tavernes et aux filles.

Ryme, raille, cymballe, luttes, (3)
Hante tous autres eshontez ;
Farce, broille* (joue la comédie) , joue des flustes ;
Fais, ès villes et ès cités,
Fainctes, jeux et moralitez,
Gaigne au berlan* (brelan) , au glic* (jeu de cartes), aux quilles :
Où s’en va tout ? Or escoutez :
Tout aux tavernes et aux filles.

De telz ordures te reculles,
Laboure, fauche champs et prez,
Serz (4), et panse chevaulx et mulles,
S’aucunement tu n’es lettrez ;
Assez auras, se prens en grez.
Mais, se chanvre broyes ou tilles,
Ne tends ton labour qu’as ouvrez
Tout aux tavernes et aux filles.

Chausses, pourpoinctz esguilletez
Robes, et toutes vos drapilles* (harde, petit linge),
Ains* (avant) que cessez, vous porterez
Tout aux tavernes et aux filles.


NOTES

(1) porteurs de bulles : prêcheur de bonnes paroles ou plutôt faux prêcheur? La traduction de JHL Prompsaut est contestée par PL Jacob qui ne la clarifie pas pour autant. Dans La Vie de Lazarillo de Tormes, fiction célèbre de la littérature espagnole, datant de 1554, on trouve mention d’un porteur de (fausses) bulles, « franc scélérat » qui abuse de la crédulité et des deniers des gens en leur prêchant de fausses vérités religieuses. Cela serait assez dans le ton de la poésie de Villon et de sa première strophe sur les tricheurs au jeu, les faux monnayeurs, etc. 

(2) Ebouillanté était la punition qu’on réservait aux faux-monnayeurs. 

(3) Impératif : fais des vers, des satires ou des moqueries (bouffon), joue de la cymbale ou du luth.

(4) trouve-toi un travail, mets toi au service de quelqu’un, 

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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