Sujet : poésie médiévale, morale, réaliste, satirique, réaliste, ballade, moyen français Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Ballade a double entendement, sur le temps présent» Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps , G A Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
oilà, pour aujourd’hui, une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps et sa poésie morale, satirique, réaliste et politique. Témoin de son temps, critique de ses contemporains – princes, nobles, gens de cour et puissants mais pas uniquement – le poète du XIVe siècle faisait ici, non sans ironie et avec un humour plutôt grinçant, l’apologie de son temps. Et comme il s’agit là, en fait, d’une ballade à double entendement, il ne manque pas de nous rappeler, à chaque fin de strophe, qu’il pense tout le contraire de ce qu’il avance ou, à tout le moins, qu’il en pense bien plus : « je ne di pas quanque je pence », autrement dit, je ne dis pas « autant que » ou « tout ce que » je pense.
C’est donc bien, à son habitude, une nouvelle satire en creux de son époque qu’Eustache Deschampsnous proposait là. Notons que ce n’était pour lui qu’un exercice de style et d’humour et pas un faux-fuyant, puisqu’il a largement démontré, par ailleurs, qu’il n’hésitait pas à être plus direct et frontal dans ses attaques. Comme nous l’avons déjà dit ici, le fait de ne pas dépendre de sa plume pour survivre et s’alimenter lui a sans doute permis une liberté de ton qui, pour notre grand plaisir et intérêt, il faut bien le dire, le distingue d’un certain nombre d’autres poètes de cour. Concernant cette dernière, même s’il l’a longtemps pratiquée, le poète médiéval avait fini par lui tourner le dos et on se souvient de certaines de ses poésies critiques sur la vie curiale, qui prennent parfois des allures de diatribes.
Quoiqu’il en soit, pour l’heure et dans cette ballade à double sens, ce sont les valeurs générales de son temps qu’il interpelle ou plutôt leur absence : cupidité, déloyauté, ambition, égoïsme, vice, haine mutuelle, sans oublier bien sûr, au passage, une petite pichenette de rigueur sur la tête des gens de cour, tout y est entre les lignes.
Ballade à double entendement,
sur le temps présent d’Eustache Deschamps
L’en me demande chascun jour Qu’il me semble du temps que voy, Et je respons : C’est tout honour, Loyauté, vérité et foy, Largesce, prouesce et arroy (1), Charité et biens , qui s’advance Pour le commun ; mais , par ma loy, Je ne di pas quanque je pence.
Chascuns doubte* (redoute) son Creatour, L’un à l’autre ne fait annoy*, (d’ennui) Sans vices sont li grant seignour, Au peuple ne font nul desroy* (tort, mal, tourment), Et appaisiez se sont li roy; Cure n’ont d’or ne de finance, Guerre fault* (manque, fait défaut) : c’est vrày, or me croy, Je ne di pas quanque je pence.
Li grant, li moyen, ly menour, Ne sont pas chascun à par soy, Mais sont conjoint en une amour; Sanz rebeller bien le congnoy; Et se le contraire vous noy (2), Et mon dit n’a vraie sentence, Je vous pri, pardonnez-le-moy : Je ne di pas quanque je pence.
Envoi
Prince, à court ont li bon séjour; Honourez y sont nuit et jour, Et li hault cuer plain de vaillance; Mais ly menteur et ly flateour N’y osent plus faire demour* (séjour) : Je ne di pas quanque je pence.
(1) arroy, aroi : dans ce contexte, contenance, discipline, bonnes manières? (2) Et si on le nie ou si on vous dit le contraire
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : poésie, littérature médiévale, auteur, poète médiéval, bourgogne, poète bourguignon, bourgogne médiévale, poésie réaliste. Période : moyen-âge tardif, XVe Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458) Titre : La destrousse
Bonjour à tous,
our faire suite au portrait du poète, valet de chambre et joueur de farces Michault Le Caron dit Taillevent, nous publions ici la première poésie qui nous est connue de lui. Il l’a vraisemblablement écrite autour de 1430, peut-être même quelques années avant. A en juger par l’introduction, Il y conte ses déboires devant la cour de Bourgogne. Après une nuit agitée à la belle étoile, sur des routes rien moins que sûres, le poète finira, en effet, détrousser de ses biens et même rossé et il demande ici audience à « l’excellent » duc Philippe le bon afin d’en obtenir quelques réparations.
Au milieu de ce récit tremblant, sans doute de nature à décourager les plus vaillants de contemporains du poète médiéval de passer la nuit, seuls, sous le ciel étoilé, on notera tout de même la nature morale des réflexions du poète dans l’obscurité. Se voit-il déjà au seuil de la mort ? Il ne peut en tout cas s’empêcher de nous faire partager quelques jolis vers sur la vacuité des possessions et des biens « mondains », vains attachements que les suites de l’histoire, en forme de parabole, finiront par lui confirmer puisqu’il tardera un peu trop à se dé-saisir de ses possessions au goût des brigands, et prendra même un coup sur le « groin ».
« Et aprez fondoit argumens En soy des biens qui sont mondain Et puis en rendoit jugemens Disant qu’ilz ne sont pas certain Et qu’on se traveilloit en vain En ce monde de les acquerre Car s’on gaigne huy on pert demain, Pour tan est fol qui les enserre. »
Belle profondeur de jugement à la faveur des circonstances. Cela dit, l’aventure de notre poète est donc bien triste, mais joliment contée, en vers, comme il plait à la cour, et dans un beau français du moyen-âge tardif, auquel Eustache Deschamps (1346-1406) nous a déjà habitué ici et qui nous est déjà bien plus compréhensible que celui des siècles antérieurs. En tout et pour tout, dans cette poésie, un seul paragraphe pose vraiment difficulté et quelques mots ici ou là, mais nous vous fournirons quelques clés de lectures pour y surseoir.
La Destrousse, Michault Taillevent
A mon tresredoubté seigneur, Le duc de Bourgongne excellent, Et a tous chevaliers d’honneur Et escuiers pareillement Supplie Michault humblement Qu’il ait ung petit d’audience : Si racontera son tourment Qu’il eut ou boys Sainte Maxence,
Comme nagaires sur le plain Se mist au dehors de Paris Et vint avec d’autres tout plain Jusques a Louvre en Parisis Ou grant chemin outre Senlis Pource qu’a Pons logier cuidoit, Mais par droit usage tousdis Il avient ce qu’avenir doit.
Et pour ceste cause il avint, Quand il fut du boys a l’entrée Que jour faillit et la nuit vint, Dont la convint, celle vespree Couchier à la dure terree Et son corps a Dieu commander Mais s’il faisoit chiere effraee Pas ne le convient demander.
Donc quant il vist que c’estoit forche Et que la nuit venoit a fait Et n’avoit ne chambre ne porche Et qu’il falloit qu’il fust de fait Comme homme de joye deffait Par tristesse et par desplaisir Il avisa son lit tout fait En ung buisson pour soy gésir.
Ainsi comme povre esgaré Estrené de dures estraines, Regarda lors son lit paré Duquel estoient les courtines Toutes de chardons et d’espines Et la couche de terre dure, Le chevet de grosses racines Et de ronces la couverture.
Et puis ou buisson se bouta Et mist a son cheval la bride Sur le col et l’abandonna Tout tremblant de peur et de hide* (effroi) Qu’on ne fist de lui homecide ; Aprez s’assit en requerant Nostre Dame et Dieu en aide Qui lui fust espee et garant.
Et com cil qui tousjours a peur En tel estat qu’on ne le tue Et qui n’est onques bien asseur Puis qu’il ot rien qui se remue Se soubzlevoit a col de grue Tout bellement sur ses genoulx Et avoit l’oreille tendue A tout lez* (de tous côtés) pour le peur des loupz.
Puis escoutoit se point sonner Orroit a ses villes voisines Ou s’il orroit le coq chanter Environ l’eure des matines ; Mais il n’oyoit coq ne gelines Ne chien abaier la entour, Neant plus, dont c’estoit mauvaiz sines, Que s’il fust mussié* (caché, enfermé) en ung four.
Et aprez fondoit argumens En soy des biens qui sont mondain Et puis en rendoit jugemens Disant qu’ilz ne sont pas certain Et qu’on se traveilloit en vain En ce monde de les acquerre Car s’on gaigne huy on pert demain, Pour tan est fol qui les enserre.
Se je pers, si dist il aprez, On dira : « S’il eust bien gardé, Espoir… Que faisoit il si prez ? » Ou on pourra d’autre costé Dire : « C’est cy cas de pitié Et de fortune tout ensemble. » S’en doit estre, pour verité, Plus pardonnable ce me semble.
Ainsi eust la mainte pensee Et mainte chose retourna Tant que la nuit se fut passee Et que ce vint qu’il adjourna, Puis a son chemin retourna Cuidans avoir tous griefz passez Mais depuis gaires loingz n’ala Qu’il fut de tous poins destroussez.
Car a l’issir* (sortie) de son buisson S’acompaigna de charios Et d’autres gens assez foison : Marchans et chartiers grans et gros. Mais quant vint a l’issir du bos Et d’une place grande et belle, Ilz furent aussi bien enclos Que perdrix a une tonnelle.
Et la, a hacques et a maques, (haches et massues) Vindrent gens atout grans paffus*, ( grandes épées) Armez de fer et de viez jaques* (habillement court et serré), Cum gladiis et fustibus, (avec glaives et bâtons) (Se sembloit liloy tarrabus Frere a tarrabin tarrabas, ) (1) Abrigadez* (regroupés) et fervestus Pour combattre a blis et a blas. (à tord et à travers)
Et la tolli on et dona (Et là on ôta et on prit) A Michault, je vous certifie ; Tolli, comment ? On lui osta Quanqu’il avoit pour ceste fie* ; (tout ce qu’il avait cette fois) Donna, et quoi ? Une brongnie* (un coup) Si grande que d’un cop de poing Sur la machoire, lez l’oye, On lui rompi prez tout le groing.
Et la cause pourquoy du rost* (de rosser) Ot Michault lors, ne fut si non Pour l’amour qu’il ne bailloit tost Ses besongnes en habandon, Combien qu’il leur baillast sans don Chaperon, espee, bourse et gans ; Et pui aprez, de grand randon* (confusion, violence), Saillirent ou bos les brigans.
Or vous a compté s’aventure Michault et son peril mortel, Et comment cette nuit obscure Il fist le guet a son cretel* (créneau) Et puis perdit tout son chatel. Priez a l’umble Vierge franche Et a son filz espirituel Qu’il lui doint bonne recouvranche.
Hault Prince, je vous ay conté Comment j’ay esté a destroit*, (embarras, détresse) Mais se dy vous ay verité, Si scay je assez bien que bon droit A bien mestier en maint endroit D’ayde par especial : Siques aidiez moy, pour Dieu soit Tant que je ressoye a cheval (2).
1. Jeux de mots sur Tarrabus de Lille ou Tarrabus le chef de guerre et Tarrabin Tarrabas, onomatopée utilisée alors pour désigner le bruits des coups qui pleuvent.
2. Afin que je puisse à nouveau aller à cheval, chevaucher. Comme le fait remarquer Pierre Champion dans son histoire poétique du XVe siècle, c’est peut-être à cette occasion que Michault reçut une prime dont on trouve la trace dans les archives, pour se procurer un cheval, même si l’histoire ne mentionne pas explicitement que le poète fut dessaisi de sa monture, à cette triste occasion.
ans doute est-il encore un peu tôt pour que les malandrins ayant assailli le pauvre Michault Taillevent soient issus de la bande très organisée des coquillards que connaîtra bien François Villon, puisque ces derniers ne seront mentionnés que plus tardivement, en 1455, dans les minutes du procès de Dijon. Quelques années après que Michault le Caroneut écrit ces lignes, pourtant, avec les trêves de la guerre de cent ans et le traité d’Arras, le XVe connaîtra à nouveau une forte résurgence des grandes compagnies dont Eustache Deschamps nous parlait déjà. et la figure du brigand de grand chemin n’aura pas fini de hanter ce siècle. De fait, dans le contexte et avec cette agression, le poète médiéval pourrait presque faire figure de triste précurseur. Nous mesurons bien, en tout cas ici, la violence et la sauvagerie de l’assaut, autant que, avant cela, l’émotion suscitée par l’arrivée impromptue de la nuit sur la voyageur médiéval solitaire et pour cause…
Son témoignage reste en tout cas précieux à plus d’un titre, autant qu’il nous permet d’apprécier la belle qualité de sa poésie. En nos temps orthographiques assassins où l’on semble aussi déprécier si fort l’art de rimer, cette jolie poésie reste tout de même plus gracieuse qu’un « j’m’est fait braquer mon zonblou« . Enfin, vous en jugerez.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
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Sujet : musique et chanson médiévales, manuscrit de Bayeux, Canonici 213, école franco-flamande, motet, rondeau, chants polyphoniques. Auteur: Guillaume Dufay (1397-1474) Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Interprète : ensemble Obsidienne. Album : le jardin des délices (2004)
Bonjour à tous,
oici, pour aujourd’hui, une nouvelle pièce du maître de musique du moyen-âge tardif (d’aucuns diront des débuts de la renaissance), Guillaume Dufay, Elle est interprétée par l’Ensemble Obsidienne, sous la direction d’Emmanuel Bonnardot.
Le Jardin des Délices, Obsidienne et le Manuscrit de Bayeux
Sorti en 2004, l’album le Jardin des Délices qui empruntait son titre au célèbre tableau du peintre néerlandais Jérôme Bosch, était dédié à des pièces tirées du manuscrit de Bayeux (lui-même daté des débuts du XVIe), ainsi qu’à des chansons et musiques de Guillaume Dufay et du compositeur franco-flamand Josqui Desprez. L’ensemble Obsidienne nous proposait donc ici de revisiter et de mettre à l’honneur le XVe siècle et on trouve dans ce Jardin des Délices un beau florilège de vingt-deux pièces, en provenance de cette période charnière entre le moyen-âge tardif et les débuts de la renaissance. Pour en faire le détail, cinq pièces sont de Guillaume Dufay, quatre de Josquin Desprez, le reste sont des compositions, anonymes pour la plupart, issues du Manuscrit de Bayeux.
En 2016, l’album a fait l’objet d’une réédition, au sein d’un double album ayant pour titre « Chansons de la Renaissance » et comprenant également le CD l’Amour de Moy proposant des pièces de la même période, dont un grand nombre encore issue du manuscrit ancien susnommé.
A propos de ce précieux héritage de la musique et des chansons normandes du XVe siècle qu’est le Manuscrit de Bayeux, (ou le MS Fr 9346) nous lui avions dédié un exposé détaillé dans un article précédent, aussi nous vous y renvoyons si vous souhaitez plus de détails : les richesses du manuscrit de Bayeux. Vous pouvez également le consulter directement en ligne sur le site de la BnF.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Les paroles du chant de Guillaume Dufay
C’est un poète et compositeur bien désespéré que nous présente cette pièce du jour et ce rondeau puisque nous le retrouvons, en effet, face à quelque revers de fortune et de fâcheuses inimitiés dont il se plaint ouvertement.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent* de liesse et de joye. (*exempt) Un seul confort ou prendre ne scayroye*,(*saurais) Ne scay comment me puisse maintenir.
Raison me nuist et me veut relenquir* (abandonner), Espoir me fault, en quel lieu que je soye: Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent de liesse et de joye.
Dechassiés* suy, ne me scay ou tenir, (pourchassé) Par Fortune*, qui si fort me gueroye; (le sort) Anemis sont ceus qu’amis je cuidoye*, (croyais) Et ce porter me convient et souffrir.
Par droit je puis bien complaindre et gemir, Qui sui esent de liesse et de joye. Un seul confort ou prendre ne scayroye, Ne scay comment me puisse maintenir.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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Sujet : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson et musique médiévale, fine amour, amour courtois. ethnomusicologie. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Marcabru (1110-1150) Titre : « Bel m’es quan son li fruich madur » Interprète : Ensemble FLOR ENVERSA
Bonjour à tous,
ous revenons aujourd’hui sur la poésie médiévale et bucolique du Troubadour Marcabru (Marcabrun) avec une très belle interprétation de sa chanson « Bel m’es quan son li fruich madur », (J’aime quand les fruits sont mûrs) par l’ensemble médiéval FLOR ENVERSA que cet article va nous donner également la joie de vous présenter.
Trobar clus : la poésie hermétique et allégorique de Marcabru
Marcabru fait partie des trobar clus, autrement dit de ces troubadours qui pratiquent une poésie « fermée », soit relativement hermétique. On lui prête d’ailleurs souvent d’en être le chef de file. En opposition aux trobar leu ou au trobar ric qui sont dans une recherche stylistique mais dont les textes demeurent plus accessibles, Marcabru fait naître des images poétiques et allégoriques, use encore d’allusions qui ne se livrent pas toujours facilement à la compréhension. Avec le recul du temps et la barrière de la langue, les choses se compliquent encore un peu plus, mais il n’est pas question pour autant de se priver d’approcher ce grand artiste et auteur du XIIe siècle.
Dans la poésie du jour, le troubadour nous parle de Fine Amor, autrement dit du bel amour courtois qui anoblit et élève et qu’il oppose aux pratiques des « amants perfides » et « trompeurs », qui l’avilissent et l’abaissent, même s’il en faudrait bien plus pour ternir l’Amour véritable dont la valeur est si grande qu’il n’a ni fin, ni commencement et ne se laisse entâcher. Et comme dans de nombreux autres de ses textes, la nature vient servir de support à notre poète médiéval pour conter à la fois ses états d’âme mais aussi pour lui permettre d’illustrer son propos de manière allégorique. C’est un procédé que l’on rencontrera souvent, après lui, dans la poésie médiévale.
« Bel m’es quan son li fruich madur » par l’Ensemble Flor Enversa
FLOR ENVERSA, une formation médiévale
à la découverte de l’art des Troubadours
Fondé dans le courant de l’année 2006 par le chanteur, conteur et musicien Thierry Cornillon et la chanteuse, vieilliste, violoniste, flûtiste, Domitille Vigneron, l’ensemble FLOR ENVERSA s’est donné pour vocation de faire revivre et redécouvrir le répertoire des troubadours occitans des XIIe et XIIIe siècles.
La démarche artistique de la formation est soutenue par un sérieux travail de recherche en amont, dans les sources manuscrites, documentaires et graphiques en provenance du moyen-âge central, et l’ambition avouée des deux artistes est de se situer au plus près de cette tradition et cet art musical et poétique médiéval. Dans le même ordre d’idée, ils se sont penchés sur les instruments anciens et font même des recherches en archéo-lutherie pour les recréer. Inutile, bien entendu, d’ajouter que la langue chantée est aussi au plus près des manuscrits, mais faisons le tout de même. En un mot, nous sommes là face à un travail exigent de restitution qui se situe autant du côté artistique que du côté de l’ethnomusicologie.
A ce jour, FLOR ENVERSA a produit 4 albums sur leur thème de prédilection en s’entourant de collaborations diverses. En l’occurrence sur le morceau présenté aujourd’hui, les deux fondateurs de l’ensemble sont accompagnés d’Olivier Féraud. Pour dire un mot de cet autre Artiste, il est musicien et luthier spécialiste de la période médiévale, mais pas seulement, il est aussi docteur en anthropologie sociale et ethnologie, et membre de la Société Française d’Ethnomusicologie (voir profil détaillé d’Olivier Féraud). Outre nous fournir le plaisir de le mentionner ici, tout cela démontre, encore une fois, de tout le sérieux et de la rigueur que cet ensemble peut investir dans son approche de l’art des troubadours.
Fondateurs d’un festival sur ce même thème, le festival TROBAREAqui se donne en août, en Provence et à Vence et qui présentait cette année sa 3e édition, les deux artistes ont aussi eu l’occasion d’intervenir, à plusieurs reprises, dans des colloques pointus sur ce sujet qu’ils maîtrisent bien. Ils organisent d’ailleurs des stages sur la question faisant intervenir des contenus aussi divers que les sources manuscrites, l’archéo-lutherie, la découverte des modes de jeux et l’improvisation, mais aussi et bien sûr la langue d’Oc.
Notons encore que ces artistes passionnés qui ont à coeur la culture, la langue, la tradition orale, la musique, et, au sens large, les arts de leur belle Provence à travers le temps, ne se limitent pas au monde médiéval. Ils ont, en effet, crée également BLANCAFLOR un ensemble dédié aux musiques de la renaissance en langue d’oc, et SIRIGAUDA, une troisième formation qui se propose de faire découvrir les chants et les danses traditionnels de la Provence alpine.
Quoiqu’il en soit et pour en revenir au sujet du jour, si vous aimez l’art médiéval unique des troubadours des XIIe et XIIe siècles et leur langue d’Oc aux accents chantants, ou si vous êtes même simplement curieux de les découvrir, vous apprécierez, sans nul doute, le travail artistique de Thierry Cornillon, Domitille Vigneron et de leur formation FLOR ENVERSA.
Pour plus d’informations les concernant, ainsi que sur leur actualité, n’hésitez pas à consulter leur site web très complet : flor-enversa.com
Bel m’es quan son li fruich madur
Paroles et approche de traduction
La traduction que nous vous livrons ici est tirée des oeuvres complètes de Marcabru, annotées et traduites par le Docteur Jean-Marie Lucien Dejeanne (1842-1909) qui écrivit aussi sous le pseudonyme de Nabaillet. Historien local, romaniste et spécialiste de littérature gasconne, l’homme était également médecin et maire de la commune de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées).
L’ouvrage fut publié, en 1909, à titre posthume et l’auteur lui-même ne considérait pas l’édition comme définitive. Il l’avait, en effet, engagé avec l’intention de proposer une première classification de la poésie du troubadour médiéval et concernant la traduction qu’il en fit, il entendait ouvrir des pistes pour la compréhension, « aiguillonner » même pourra-t-on lire en préface de son livre, plus qu’il ne prétendait l’épuiser totalement. De son propre avis, cette dernière n’a donc pas la prétention de la perfection.
Pour en dire encore un mot, elle est littérale, parfois intuitive, souvent assurée (peut-être trop de l’avis même encore du bon docteur lui-même). Elle ne cherche en tout cas pas l’adaptation en vers. Bien évidemment, dans le texte français, la poésie de Marcabru se dilue totalement, mais il y a toujours trois choix face à une poésie et quelque soit sa langue : la traduire et tenter d’en approcher le sens, ne pas la traduire et simplement laisser les lecteurs goûter à sa musicalité, en espérant qu’elle leur suffise et enfin l’adapter en vers et se distancier définitivement de la langue originale. Quand on aime la poésie autant que les langues, une traduction littérale même imparfaite, même si, encore une fois, elle ne peut rendre totalement justice à la beauté poétique du texte originel, demeure tout de même utile à plus d’un égard; elle n’empêche pas, par ailleurs et après coup de revenir vers le texte source pour mieux l’apprécier. Nous faisons donc le choix volontaire et assumée de la publier ici, dusse-t-elle laisser en suspens quelques interrogations.
I
Bel m’es quan son li fruich madur E reverdejon li gaïm, E l’auzeill, per lo temps escur, Baisson de lor votz lo refrim, Tant redopton la tenebror; E mos coratges s’enansa, Qu’ieu chant per joi de fin’ Amor E vei ma bon’ esperansa.
J’aime quand les fruits sont mûrs et que reverdissent les regains, et quand les oiseaux, par le temps obscur, baissent le ramage de leur voix, tant ils redoutent les ténèbres; Et mon coeur est transporté, Car je chante par joie le fine Amour et je vois ma bonne espérance.
II
Fais amie, amador tafur, Baisson Amor e levo·l crim, E no·us cuidetz c’Amors pejur, G’atrestant val cum fetz al prim Totz temps fon de fina color, Et ancse d’una semblansa; Nuills hom non sap de sa valor La fin ni la comensansa.
Faux amis, amants perfides rabaissent Amour et relèvent le crime; et ne vous imaginez pas qu’Amour soit devenu pire (en soit entaché), car il vaut autant qu’aux premiers jours toujours il fut de pure couleur et d’une même apparence; nul homme ne sait de sa valeur [de son pouvoir] la fin ni le commencement.
III
Qui·s vol si creza fol agur, Sol Dieus mi gart de revolim Qu’en aital Amor m’aventur On non a engan ni refrim Qu estiu et invern e pascor Estau en grand alegransa, Et estaria en major Ab un pauc de seguransa.
Croira qui voudra les folles augures Dieu seul me garde de changer car je m’aventure en un Amour sans trouble, ni tromperie En été comme hiver et pâques [printemps], je suis en grande allégresse et je l’aurais encore plus grande avec un peu plus de certitude (sécurité).
IV
Ja non creirai, qui que m’o jur, Que vins non iesca de razim, Et hom per Amor no meillur C’anc un pejurar non auzim, Qu’ieu vaill lo mais per la meillor, Empero sivm n’ai doptansa, Qu’ieu no’m n’aus vanar, de paor De so don ai m’esperansa.
Jamais je ne croirai, quiconque me le jure, que le vin ne sorte pas du raisin Et que l’homme par Amour ne soit pas rendu meilleur, car jamais nous n’avons appris qu’un seul en soit devenu pire, cependant j’ai de l’incertitude, Au point que je n’ose m’en vanter, par peur de ce qui est l’objet de mon espérance. (de perdre)
V
Greu er ja que fols desnatur, Et a follejar non recim E folla que no’is desmesur; E mais albres de mal noirim, De mala brancha mala flor E fruitz de mala pesansa Revert al mal outra’l pejor, Lai on Jois non a sobransa.
Il sera certes difficile que le fou se dénature et ne recommence pas à faire des folies, et que folle (folie?) soit sans démesure mauvais arbre vient de mauvaise nourriture, de mauvaise branche, mauvaise fleur, et fruit de mauvaise pensée retourne au mal, sinon au pire, là où Joie n’est pas souveraine.
VI
Que l’Amistat[s] d’estraing atur Falsa del lignage Caïm Que met los sieus a mal ahur, Car non tem anta ni blastim, Los trai d’amar ab sa doussor, Met lo fol en tal erransa Qu’el non remanria ab lor Qui·l donava[n] tota Fransa.
L’amitié perverse aux étranges attachements des descendants de Caïn les entraîne dans le malheur, car elle ne craint honte ni blâme, les empêche d’aimer par sa douceur ( les éloigne de l’Amour vrai); elle met le:fou en telle erreur (errance ? perplexité) qu’il ne resterait plus avec ceux (qu’ils ne s’y résigneraient même pas) même si on leur donnait la France entière (?)
En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Frédéric EFFE.
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