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La ballade de mercy de François Villon, façon folk médiéval avec Corvus Corax

poesie_medievale_epitaphe_villon_ballade_pendu_erik_satie_lecture_audioSujet : poésie médiévale, poésie réaliste, auteur médiéval. ballade, folk médiéval.
Auteur : François Villon (1431-?1463)
Titre : Ballade de Mercy (Merci)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Interprétes  :  Corvus   Corax. Album: Seikilos 2006

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà quelque temps que nous n’avons parlé à la fois de François Villon   et de Folk médiéval et ce sont, cette fois-ci, les allemands de  Corvus Corax qui nous en fournissent  l’occasion. En 2005, le groupe enregistrait en effet, dans le texte,  La Ballade  par laquelle Villon  crye  mercy  à chascun, connue encore sous le nom de Ballade de Mercy,  en nous proposant cette poésie médiévale avec force orchestration et rien moins qu’une sérieuse touche celtique.

Corvus Corax: rock folk néo-médiéval

L_lettrine_moyen_age_passiona postérité de François Villon a dépassé les frontières de la France auprès des amateurs de poésie médiévale et même de poésie tout court, mais il demeure toujours amusant de constater les étranges travers que les auteurs prennent, quelquefois, pour nous revenir. Cette fois-ci, ce n’est donc pas par la Russie (voir article), mais par l’Allemagne que Villon le fait.

Fondé à l’origine et en 1989 par deux allemands de l’Est ayant profité de la chute du mur de Berlin pour passer en RFA,  en laissant derrière eux un Corbeau apprivoisé ( d’où le nom du groupe),  Corvus Corax a gratifié depuis, son public, d’une bonne trentaine de productions entre albums studio, opéras, dvd et albums live.

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Toujours actifs depuis leur création, avec quelques changements de musiciens et d’artistes en cours de route qui n’ont pas affecté l’existence du groupe, ils se produisent principalement en concert en Allemagne, avec quelques dates dans d’autres pays européens en proposant leur style néo-médiéval, soit une musique aux tendances rock et folk et aux accents celtiques et nordiques prenant sa source d’inspiration dans le moyen-âge. La bande utilise de nombreux instruments d’époque. cornemuses et autres chalumeaux Corvus_corax_francois_villon_ballade_de_mercy_folk_neo-medieval_poesie_moyen-age_tardif_XVeet en fabriquent même de spéciaux pour chercher de nouvelles sonorités aux accents anciens.

Ajoutons que cette ballade de Villon, tiré de leur album   Seikilos, sorti en 2002 est la seule de l’auteur du CD. Cet album est disponible  à la vente en ligne, sur le lien suivant : Seikilos de Corvus Corax

Pour suivre de plus près les Corvus Corax, vous pouvez consulter leur site web (en allemand et en anglais).

La Ballade  par laquelle Villon
crye  mercy  à  chascun

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Dans cette ballade, Villon, se sachant condamné, implore la pitié de tous, en égratignant encore au passage, les tortionnaires et bourreaux qui l’ont soumis au dur régime du pain, de l’eau et de la torture et, avec eux, Thibaud d’Aussigny, le sévère et puissant évêque d’Orléans, responsable de son enfermement à Meung-Sur-Loire  et que Villon fit entrer dans la postérité avec lui. Et Villon crie ici, du fond de sa geôle, même si cette poésie semble plutôt être déclamée dans la rue, à l’attention de tout ce petit peuple qui y vit et que le poète connaît si bien. Dans le second tome de son excellent ouvrage sur la vie du poète médiéval « François Villon, sa vie, francois_villon_ballade_mercy_poesie_medievale_moyen-age_tardifson temps » (1913), Pierre Champion y verra même, de son côté, une référence certaine aux crieurs de corps qui annonçaient alors les noms des morts.

Pour en terminer, les paroles utilisées par Corvus Corax dans leur interprétation de cette ballade de Villon, étant un peu modernisée, nous avons préféré publier ici une version plus fidèle à la langue originelle de Villon. Elle est tirée des oeuvres de Maistre François Villon, par Jean-Henri-Romain Prompsault (1835) dont nous avons déjà parlé ici; l’ouvrage nous sert d’ailleurs aussi de guide principal pour les annotations.

A Chartreux et à Célestins,
A Mendians et à Dévotes,
A musars et claquepatins (1),
A servans et filles mignottes
Portants surcotz et justes cottes,
A cuideraulx d’amours transis, (2)
Chaussant, sans méhaing, fauves bottes,
Je crye à toutes gens merciz.

A fillettes montrans tétins,
Pour avoir plus largement hostes,
A ribleurs meneurs de hutins (3)
A basteleurs traynant marmottes,
A folz et folles, sotz et sottes,
Qui s’en vont sifflant cinq et six
A marmousetz et mariottes, (4)
Je crye à toutes gens merciz,

Sinon aux trahistres chiens mastins
Qui m’ont faict manger dures crostes, (5)
Et boire eau maintz soirs et  matins,
Qu’ores je ne crains pas trois crottes.
Pour eulx, je feisse petz et rottes ;
Voulentiers, si ne fusse assis;
Au fort, pour éviter riottes, (6)
Je crye à toutes gens merciz.

S’on leur froissoit les quinze costes
De bons mailletz, fortz et massis ; 
De plombée,  et de telz pelotes. (7) 
Je crye à toutes gens merciz.

Notes

(1)  Musars :  badauds. oisifs. Cliquepatins ; « galopins » qui court les rues.
(2)  Cuideraulx : de « cuideor »: présomptueux. Vaniteux élégamment chaussés.
(3) Ribleurs  : coureurs de nuit, crapules faisant du tapage de nuit
(4) Marmousets : petits garçon et petites filles
(5)  Crostes : croûtes de pain
(6) Au for pour éviter riottes ; Du reste pour éviter toute querelles
(7) De plombées  et de tels pelotes : garnis de plombs ou de choses semblables.

 En vous souhaitant une très belle journée.
Fred

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Michault le Caron dit Taillevent, poète bourguignon du XVe

poesie_medievaleSujet : poésie médiévale, auteur, poète médiéval, bourgogne, biographie, portrait,
Période : moyen-âge tardif, XVe
Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionprès avoir quelque peu raillé les Burgondes à la facon de la série Kaamelott, dans notre article précédent,  nous nous rattrapons, aujourd’hui, en parlant d’un poète bourguignon du moyen-âge tardif et plus précisément du XVe siècle. Il nous est connu sous le nom de Michault Le Caron dit Taillevent, ou même simplement Michault Taillevent et, on s’accorde à dire qu’il inspira à François Villon, certains de ses vers, et au delà poesie_medievale_passe_temps_michault_caron_taillevent_gravure_ancienne_d’autres auteurs de son temps.

Ci contre gravure de  couverture d’une version ancienne du Passe-temps de Michault nouvellement imprimé, qui fut également utilisé pour une édition du testament de Villon

Pendant longtemps, on l’a confondu avec un autre  poète du nom de Pierre Michault. Plus célèbre, ce dernier l’a d’ailleurs quelque peu éclipsé jusque dans le courant du XIXe siècle, mais l’ouvrage de Robert Deschaux, « Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent« , sorti en 1975 (et qui se trouve être une thèse soutenue en 1973, à la Sorbonne) a dissipé depuis et définitivement tout malentendu à ce sujet, pour le cas où il en aurait encore subsisté. Nous suivons d’ailleurs ici le fil de cet auteur et universitaire, fin connaisseur de la littérature bourguignonne du XVe, pour les éléments biographiques concernant notre poète, en nous empressant d’ajouter qu’avant lui Michel Duchein, archiviste paléographe et historien français chartiste, avait largement balisé le terrain, dans une thèse parue en 1949, ayant pour titre : « Le poète Michault Le Caron, dit Taillevent ».  Et puisque nous en sommes aux sources, ajoutons que nous nous appuyons encore dans cet article ici sur l’approche de Pierre Champion et ses pages consacrées à l’auteur médiéval, dans son Histoire poétique du XVe siècle, datée de 1926.

Portrait & biographie d’un poète  de cour

« Ce n’est que vent de la gloire du monde,
A ung hasart tout se change et se cesse… »
Le régime de Fortune – Michault Taillevent

Valet de chambre et joueur de farces

S_lettrine_moyen_age_passioni l’on ne sait pas grand chose de ses origines, ni de son lieu de naissance, que l’on suppose en Artois, autour de Saint-Omer et de Aire-sur-la-Lys dans le Pas-de-Calais, nous sommes mieux loti du côté de la biographie plus tardive de Michault Taillevent, notamment grâce à la richesse des archives de Bourgogne. Voici d’ailleurs une des premières mentions qu’on retrouve le concernant :

« A Michault Taillevent, varlet de chambre de mondit seigneur, que aussi tant pour considération des services qu’il a fais a icelluy seigneur, fait chascun jour et espoire que encore en face en tamps avenir, comme pour recompensacion d’aucuns frais qu’il a faiz en faisant aucuns esbatemens et farses devant mondit seigneur, il lui a donné XVI livres »
Année 1426 – Archives du Nord, Recette générale de finances.

portrait_philippe_III_bourgogne_le_bon_Portrait_Rogier_Van_Der_Weyden_XV_moyen-age_tardifOn sait donc de source sûre et grâce aux archives, que le poète fut attaché au service de Philippe III, Duc de Bourgogne (1396-1467) en tant que « Varlet de chambre » et même « joueur de farces ». Le duché de bourgogne est alors allié de l’Angleterre et de la Bretagne et Philippe le Bon est, sans conteste, un des princes les plus riches et les plus puissants de son temps.

(ci-contre portrait du Duc de Bourgogne par Rogier Van Der Weyden, XVe siècle).

De fait, Michault Taillevent passa la plus grande partie de sa vie dans cette fonction, à partir de 1426 et durant les vingt-trois années qui suivirent, jusqu’au moins l’année 1448. Sur cette période, les mentions faites dans les archives permettent même de retracer le fil des émoluments, dons et gratifications qu’il a perçus pour ses services. Si le détail vous en intéresse, nous vous renvoyons à l’ouvrage de Robert Deschaux  qui le donne par le menu  (Pour l’instant, il est  disponible à la vente en ligne, aux éditions Droz et en version brochée : Un Poete Bourguignon du Xve Siecle : Michault Taillevent )

Entre proximité ducale  &    « menu peuple de cour »

A_lettrine_moyen_age_passioninsi donc, l’homme joue des farces, amuse la cour de Bourgogne et le Duc et organise même des spectacles  (c’est même selon Pierre Champion sa fonction principale). Si on le trouve quelquefois immergé dans la cohorte des ménestrels, fous et autres amuseurs de la cour, il jouit indéniablement de plus grands privilèges que ces derniers mais aussi d’une plus grande proximité avec le Duc, par sa fonction même de Valet de Chambre. Il accompagne d’ailleurs le noble dans certains de ses déplacements michault_taillevent_poesie_medievale_la_moralite_povre_commun_moyen-age_tardif_XVeentre la Bourgogne et Bruxelles, et s’est même vu doter de sa propre monture.

Pour être demeuré aussi longtemps au même office, il est indéniable que l’homme donna satisfaction dans ses fonctions ; les sommes qu’il a pu percevoir à quelques reprises, semblent même confirmer qu’il est apprécié même si, en suivant les pas de Robert Deschaux, il faut aussi constater qu’il est demeuré de simple rang durant sa vie entière et ne sera jamais véritablement élevé ou appelé à remplir d’autres fonctions.  Pour paraphraser le biographe, Michault Taillevent fait partie du « menu peuple de la cour ».

michault_caron_taillevent_poésie_medievale_moyen-age_tardif_manuscrit_ancien_valenciennes_776 (Michault Taillevent dans le Manuscrit ancien mS 0776 de Valenciennes, fin du XVe)

Pour mettre quelques bémols sur la notion de privilèges attachés à sa fonction, il faut d’ailleurs ajouter que les émoluments d’un valet de chambre sont alors plutôt chiches. Bien qu’à l’abri de la faim par son statut –  il ne connaîtra pas non plus les affres de la faim ou les misères  d’un Rutebeuf,  d’un Villon, ou d’un troubadour errant -, Michault demeure donc de condition humble. Dans son histoire poétique du XVe siècle, Pierre Champion sera même d’avis un peu plus tranché, puisqu’il ne cessera, de donner du « pauvre Michault » à l’auteur médiéval et décrira même la vie de ce dernier comme « aventureuse et misérable », en faisant notamment référence au poème « la destrousse » dans lequel le poète conte une triste nuit passée à la belle étoile, suivi d’une attaque par des brigands de grand chemin à l’occasion de laquelle il se fera rosser. Suite à ses déboires, il demanda d’ailleurs « humblement » audience auprès de la cour, afin de pouvoir rapporter ses misères et obtenir quelques réparations.

michault_taillevent_poesie_medievale_la_destrousse_moyen-age_tardif_XVePour en finir avec ses élément biographiques et concernant son décès, on ne sait rien de précis. On perd, en effet, la trace du poète bourguignon et de ses gratifications comme valet de chambre, dans les archives après 1448 et il faut ensuite attendre 1458, pour trouver une dernière mention à son sujet, confirmant l’engagement d’un nouveau valet de chambre auprès du Duc, en remplacement de feu Michault Taillevent, entérinant ainsi la mort de ce dernier, sans pour autant fournir de date précise la concernant. Elle est forcément intervenue entre 1448 et 1458, et on peut le supposer peu de temps avant cette dernière mention. Si c’est le cas l’homme avait alors autour de soixante ans.

Les oeuvres de Michault le Caron Taillevent

P_lettrine_moyen_age_passion copiaoète de cour, Michault Taillevent a conté, en observateur et témoin partial plus qu’en chroniqueur objectif (ils demeurent rares, même à l’époque), les espoirs de paix comme les départs en guerre, les fastes ou les vicissitudes de la vie de la cour de Bourgogne de la première moitié du XVe et, bien sûr, les grandeurs de Philippe le bon, son protecteur. On notera aussi dans son legs, quelques traités mettant en exergue les valeurs de la noblesse, dont un, le « Psautier des vilains » fait en michault_taillevent_poesie_medievale_le_passe_temps_moyen-age_tardif_XVeécho au Bréviaire des nobles du poète Alain  Chartier qui l’a d’ailleurs inspiré à plus d’un titre.

On lui doit également des oeuvres plus personnelles qui ont retenu bien plus favorablement l’attention. on pense à la Destrousse, au congé d’Amour mais surtout à son  Passe-temps qui est sans doute le poème qui le fit entrer, de son temps au moins, dans la postérité, avant d’être oublié pour être finalement « un peu » redécouvert. C’est d’ailleurs  ce passe-temps qui inspira peut-être directement Villon au moment de la rédaction des quelques strophes sur le temps perdu et passé de son grand Testament.

michault_caron_taillevent_poésie_medievale_moyen-age_tardif_manuscrit_ancien_stockholm_vu_22Le passe-temps de Michault dans le Manuscrit ancien Vu 22 de  la bibliothèque de Stockholm (fin du XVe)

Une fois le tri fait d’avec Pierre Michault, l’autre auteur et poète du XVe siècle, avec lequel on l’a longtemps confondu, voici la liste des oeuvres léguées, de manière certaine, par Michault Taillevent :

La Destrousse – Dialogue fait par Michault de son voiage de Saint Glaude – Le Songe de la Thoison d’or (1431) – Moralité  faicte par Michault Taillevent (ou Moralité de Povre Commun) (1435) – Le Psautier des Vilains – Le Passe Temps Michault – Les Poèmes sur la prise de Luxembourg (1443) – Le Debat du Cœur et de l’Œil – Le Regime de Fortune – Lai sur la mort de Catherine de France – Congé d’amour – La Bien Allée – L’Edifice de l’hôtel douloureux d’Amour – La Ressource et relèvement du douloureux hôtel.

michault_taillevent_poesie_medievale__passe_temps_extrait_moyen-age_tardif_XVe

Comme à l’habitude, nous émaillons cet article avec quelques extraits mais nous aurons l’occasion de revenir, dans le futur, sur d’autres poésies de cet auteur médiéval.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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La Cantiga 49 par l’ensemble Syntagma et un mot du culte marial

musique_medievale_cantigas_santa_maria_166_enluminures_moyen-ageSujet : musique médiévale, Cantigas Santa Maria, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial,
Période : 
XIIIe, moyen-âge central
« Auteur » : 
Alphonse X de Castille, Alphonse le Sage (1221-1284)
Interprète : 
Ensemble Syntagma
Titre: 
Cantiga de Santa Maria 49

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous suivons de nouveau, aujourd’hui, le fil des Cantigas de Santa Maria, célèbres chants et odes à la vierge composés sous le règne et sous la férule d’Alphonse X de Castille.

Cette fois, nous parlons de la Cantiga 49, et nous vous en présentons une version interprétée par l’excellent ensemble de Musiques Anciennes Syntagma. Pour plus d’informations sur cette formation musicale et son directeur Alexandre Danilevsky, nous vous invitons à vous reporter à l’article détaillé les concernant. Nous en profitons Alphonse le Sage, médiateur entre la Sainte Vierge et les musiciens, Cantigas Santa Maria, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l'Escorialaussi pour toucher  un mot du culte marial dans l’Occident médiéval et chrétien.

Alphonse le Sage, ici « conteur » des Cantigas Santa Maria et médiateur entre la Vierge et les musiciens, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial, XIIIe  (1284)

La Cantiga 49 : des pèlerins perdus & sauvés, histoire d’un miracle et d’une apparition

En introduction de ce chant poétique galaïco-portugais du XIIIe siècle, dédié à la Sainte-vierge, on trouve la phrase suivante : « Esta é de como Santa Maria guiou os romeus, que yan a sa eigreja a seixon e erraran o camo de noite. »  

Ce qui donne, une fois adapté en français moderne :  « Cette Cantiga conte comment Sainte-Marie guida les pèlerins qui se rendaient à son église de Soissons et s’étaient perdus la nuit, en chemin. »

Ainsi, ce chant nous narre le récit de pèlerins que la nuit avait surpris en pleine montagne. Perdus et effrayés, ils se mirent à redouter l’attaque de voleurs et à prier la vierge de leur pardonner leurs péchés et de les protéger, afin qu’aucun mal ne leur soit fait. Le deco_medieval_moyen-age_chretienmiracle survint et la Sainte leur apparut dans une grande lumière pour les guider dans l’obscurité,  jusqu’à leur destination. Comme le conteur (est-ce Alphonse le sage lui-même?) nous le rapporte, à la fin du chant, dès leur arrivée à l’église de Soissons, nos voyageurs, sains et saufs, se mirent à genoux devant l’autel et prièrent, à nouveau, la vierge pour la remercier.

Bien sûr, entre temps, le poète nous aura expliqué à quel point tout cela démontre combien il faut se garder de faire le mal et garder foi en la Sainte Vierge qui jamais n’oublie ses ouailles. Elle vient, nous dira-t-il encore, les secourir des « grands soucis et angoisses qui ne cessent de les assaillir » et cette histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des miracles qu’elle peut accomplir pour ceux qui lui sont dévoués, car « il a vu de nombreuses hommes et femmes qu’elle a assistés, de jour comme de nuit ». Comme le chant le scandera d’ailleurs tout du long, en guise de refrain :

« Ben com’ aos que van per mar
a estrela guia, 
outrossi aos seus guiar 
vai Santa Maria. »

« Comme ceux qui vont par les mers,
sont guidés par l’étoile
Elles vient aussi  guider les siens
Sainte-Marie. »

La Cantiga Santa Maria 49, dirigée par le talentueux  Alexandre Danilevsky

L’importance du culte marial au moyen-âge central

Présent à l’origine du christianisme et dans son essence même pourrait presque t-on dire, le culte autour de la Sainte Vierge, prendra dans l’occident médiéval, et à partir du XIe siècle, des proportions fortement marquées. On lui vouera alors un véritable amour et quand on ne voudra, ni n’osera s’adresser directement à Dieu, ou même au Christ (qui plus que le « fils » du créateur est aussi considéré comme Dieu lui-même incarné et mort en croix. cf Thibaut de Champagne), on s’adressera souvent et avec, poesie_musique_medievale_cantigas_santa_maria_alphonse_X_le_Sage_manuscrit_ancien_escurial_XIIIe_sièclesemble-t-il plus de facilité, à sa Sainte-Mère dans l’espoir qu’elle intercède auprès de lui.

Alphonse le Sage, priant devant la vierge Marie et l’arbre de Jessé, Cantigas Santa Maria, Miniature du Manuscrit MS TI1 de l’Escorial (1284) 

De la même façon, pour paraphraser l’historien, écrivain et académicien chrétien Daniel Robs (1901-1965), spécialiste de ces questions dans un article de 1952 (références plus bas dans cet article), on se tournera plus favorablement vers les Saints dans une recherche de « médiateurs » qui apparaissent plus proches, peut-être plus terrestres et donc mieux à même de comprendre les faiblesses de notre nature humaine, autant que les souffrances et les petites misères à laquelle elle se trouve exposée.

Quoiqu’il en soit, pour en revenir au culte voué à Sainte-Marie, il s’étendra dans l’Europe catholique, bien au delà de l’Espagne médiévale et ne se limitera pas, loin s’en faut, aux Cantigas de Santa Maria. La puissance de cette dévotion religieuse, mais aussi affective et directe, qui pourra même parfois prendre des tours passionnels, s’affirmera encore aux XIIe et XIIIe siècles.

deco_medieval_moyen-age_chretien« Marie, Mère du Christ, est aimée d’un amour qui ne ressemble à nul autre, comme une mère à qui l’on cache ses peines, comme à une avocate qui plaidera en haut lieu la cause des pécheurs, et même presque comme une surnaturelle amante ; n’est-elle pas celle que le franciscain Jacques de Milan, dans l’Aiguillon d’amour, appelle « la ravisseuse des cœurs » ? On recherche dans l’Ancien Testament les figures qui prophétisent la sienne ; on médite – Eva, Ave, – le mystère qui fait que la faute de la première femme ait été rachetée par le moyen d’une autre femme.  »
Daniel-Rops  – Le Moyen-âge époque mariale.
Revue 
Marie (1952)

Pour faire écho à cette citation, on retrouve d’ailleurs littéralement cette idée du rachat de la faute de l’Eve originale, dans cette Cantiga 49 : « Ca ela nos vai demostrar  de como nos guardemos  do demo e de mal obrar, e en como gãemos o seu reyno que non á par, que nos ja perdemos  per don’ Eva, que foi errar per sa gran folia ». « Elle (la Sainte Vierge) nous montrera comment nous garder du démon et du mal, et comment nous gagnerons son Royaume sans égal, et ce que nous avons perdu par la faute de Doña Eva, qui est tombée dans l’erreur par sa grande folie. » 

Ainsi donc, on lui élèvera des cathédrales que l’on baptisera de ce « Notre Dame » que les cisterciens auront contribué à consacrer et promulguer dans un rapprochement avec les valeurs courtoises qui confirme encore la nature fortement affective de la relation qu’on entretient avec la Sainte. On fera de grands pèlerinages vers ses lieux saints (cathédrales, églises ou lieux d’apparition). On donnera encore pour elle des miracles. Bernard de Clairvaux, empreint de deco_medieval_moyen-age_chretiendévotion, s’enflammera pour elle et les poètes du moyen-âge lui voueront encore d’innombrables odes, hommages ou prières.  Au final, le culte marial se répandra dans le monde chrétien et son imagerie, et Sainte-Marie trouvera, au sein de l’église comme dans le coeur des hommes du moyen-âge, une place bien plus grande qu’aucune époque lui avait jamais consacrée, devenant indissociable de la religion catholique et de l’occident médiéval, ce qui fera encore dire à l’Historien Daniel Rops dans un grand élan, indéniablement affectif et chrétien :

« Ainsi, en occupant dans la religion la place éminente que nous lui voyons, le culte de la Vierge donne au Christianisme une nuance de tendresse unique, irremplaçable : il est un des fleurons du Moyen Âge. »  Daniel Rops. – Opus cité. 

Les paroles originales de la Cantiga 49

On notera que, dans la version musicale présentée plus haut, le texte de la Cantiga 49 est plus court que l’original et ne présente que la première partie de l’histoire. De notre côté, nous avons choisi de vous livrer, ici, le texte complet.

Au passage, pour les plus anglophones d’entre vous, notez que l’Université d’Oxford a mis en ligne un base de données très utile pour l’étude et la compréhension des Cantigas de Santa Maria. Vous n’y trouverez pas la traduction littérale de l’ensemble des chants, mais de bonnes pistes pour les comprendre et surtout d’excellentes références en termes de bibliographie, de manuscrits anciens et d’imagerie médiévale. Si cela vous intéresse, elle se trouve ici : The Oxford Cantigas de Santa Maria Database.

Ben com’ aos que van per mar
a estrela guia,
outrossi aos seus guiar
vai Santa Maria.

Ca ela nos vai demostrar
de como nos guardemos
do demo e de mal obrar,
e en como gãemos
o seu reyno que non á par,
que nos ja perdemos
per don’ Eva, que foi errar
per sa gran folia.

Ben com’ aos que van per mar …

E ar acorre-nos aqui
enas mui grandes coitas,
segund’ eu sei ben e oý,
quaes avemos doitas;
ca muitos omees eu vi
e molleres moitas
a que el’ acorreu assi
de noit’ e de dia.

Ben com’ aos que van per mar…

E, segund’ eu oý dizer,
ha mui gran conpanna
de romeus ar foi guarecer
en ha gran montanna,
en que ss’ ouveran de perder
con coita estranna,
porque lles foi escurecer
e perderon via.

Ben com’ aos que van per mar…

E sen aquest’ un med’ atal
enos seus corações
avian mui fero mortal,
ca andavan ladrões
per y fazendo muito mal;
porend’ orações
fezeron todos y sen al,
quis come sabia.

Ben com’ aos que van per mar…

E chamand’ a Madre de Deus,
com’ é nosso costume,
que dos graves pecados seus
perdess’ ela queixume;
e logo aqueles romeus
viron mui gran lume
e disseron: «Ai, Sennor, teus
somos todavía.»

Ben com’ aos que van per mar…

E en aquel gran lum’ enton
viron ha mui bela
moller de corp’ e de faiçon,
e ben come donzela
lles pareceu; e pero non
siia en sela,
mas ta na mã’ un baston
que resprandecia.

Ben com’ aos que van per mar…

E poi-la donzela chegou,
todas essas montannas
do seu gran lum’ alumou,
e logo as compannas
dereito a Seixon levou
e per muit’ estrannas
terras en salvo os guiou
come quen podia.

Ben com’ aos que van per mar
a estrela guia,
outrossi aos seus guiar
vai Santa Maria.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Une version musicale celtique du Perceval de Chrétien de Troyes

perceval_conte_du_graal_chretien_de_troyes_legendes_arthuriennes_enluminures_poesie_medievale_XIIeSujet : légendes arthuriennes, Chrétien de Troyes, Graal, Perceval, roman arthurien, musiques anciennes, celtes, médiévales
Période : moyen-âge central, XIIe siècle.
Album : Perceval la quête du Graal Vol 1 (1999) et Vol 2 (2001), Edition Dorian
Directeur : Sylvain Bergeron, compagnie La Nef (Quebec)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu carrefour des légendes arthuriennes et  des musiques anciennes et celtiques, nous voulons vous présenter aujourd’hui un album en deux volumes, réalisé autour des années 2000 par la compagnie musicale québécoise La nef  avec pour ambition la mise en scène et en musique du célèbre roman arthurien Perceval ou le conte du Graal, écrit au XIIe siècle par Chrétien de Troyes.

Avant d’aller plus loin, ajoutons que pour le cas où vous doutiez de l’intérêt certain du Quebec pour le monde médiéval, ses légendes, son histoire et ses musiques, voilà un article qui devrait vous convaincre du contraire, si toutefois le grand salon de la passion médiévale organisé chaque année, à Montréal,  n’avait pas encore réussi à le faire.

musique_roman_arthurien_chretien_de-troyes_perceval_roman_du_graal_moyen-age_XIIe_la_nef

Musiques et compositions d’inspiration celtiques & français modernisé

C_lettrine_moyen_age_passiononçu et dirigé par Sylvain Bergeron, luthiste et concertiste québécois, si la base de cette oeuvre musicale autour de la quête du Graal reste bien, au niveau de ses textes, le roman arthurien de Chrétien de Troyes, musicalement, c’est du côté des terres celtiques que l’artiste est allé chercher ses sources d’inspirations musicales, en faisant en quelque sorte le chemin à l’envers de l’auteur médiéval qui avait transposé l’univers celte des aventures du Roi Arthur en langue française :

« Ce qui est merveilleux avec Troyes, c’est qu’il nous propose l’approche du poète français qui s’approprie une légende celtique, en la transposant dans son propre langage. De notre côté, nous avons retransposé son texte dans le monde celte, grâce à la musique. »
Sylvain Bergeron – Interview – Voir.ca

Du point de vue des pièces musicales et c’est là une de ses grandes originalités, l’oeuvre se compose donc pour partie de mélodies anciennes et traditionnelles en provenance des îles de Bretagne (pays de Galles, Cornouailles, Irlande, Écosse), et pour autre partie (près de la moitié), de mélodies originales revisitées. musique_poesie_medievale_roman_arthurien_chretien_de-troyes_perceval_roman_du_graal_moyen-age_XIIe_la_nefBien entendu, pour faire entrer le roman de Chrétien de Troyes dans deux albums, il a  fallu sélectionner.

Ainsi, le Perceval de Sylvain Bergeron et de La Nef se répartit en différents tableaux aux titres évocateurs : Dans la forêt perdue, Au château de Blanchefleur, Le Château du Graal, Perceval à la cour d’Arthur, etc… Mais pour l’essentiel, on retrouvera bien tous les moments clés de l’oeuvre de Chrétien de Troyes. 

Du point de vue linguistique, le français n’est plus tout à fait la langue ancienne de l’auteur du XIIe siècle et il a été largement modernisé afin d’être plus compréhensible.

Dans la forêt perdue,
un extrait du Perceval de Sylvain Bergeron et La Nef

A l’époque de sa sortie, la production était jouée sous la forme d’un spectacle de près de deux heures entre chants, narrations et musiques.  Du côté de la distribution principale, c’est le contre-ténor Daniel Taylor qui incarnait viviane_leblanc_la_nef_musique_ancienne_medieval_roman_de_graal_percevalle personnage de Perceval. Claire Gignac était à la narration, à la flûte et au chant et jouait encore le rôle de la Veuve Dame (la mère de Perceval). Au psaltérion à archet et au chant également, Viviane Leblanc tenait celui de Blanchefleur (photo ci-contre). En plus des trois artistes, huit autres musiciens faisaient encore partie de la prestation dont, bien sûr, son créateur principal, Syvlain Bergeron.

Dans le courant de l’année 2000, le volume 1 de Perceval, la quête du Graal fut nominé comme Meilleur disque de l’année, dans le cadre du Prix Opus Musique ancienne. Si vous souhaitez vous procurer ces albums, ils sont encore  disponibles à la vente en ligne aux liens suivants :

Perceval La Quête Du Graal (Vol. 1) (La Nef)
Perceval La Quête Du Graal (Vol. 2) (La Nef)

La Nef compagnie musicale

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondée en 1991 par Sylvain Bergeron (luth, guitare baroque et directeur), Claire Gignac (contralto, metteur en scène) et Viviane Leblanc (soprano), La Nef, dont le nom symbolise à la fois un vaisseau voguant sur les mers de l’Histoire à la découverte du passé, mais aussi la partie de l’église qui abrite les fidèles, est une compagnie musicale  canadienne et, comme nous le disions plus haut, plus précisément québécoise.

la_nef_compagnie_musicale_musique_ancienne_medievale_quebec_sylvain_bergeronPlus qu’un ensemble, la Nef intègre des aspects théâtraux, narratifs et artistiques dans ses productions qui se présentent plus comme des spectacles à part entière que comme de simples concerts. Au niveau de son répertoire musical, la compagnie explore un champ assez large qui va des musiques anciennes et médiévales à  des musiques folkloriques ou traditionnelles plus récentes ou même des genres plus modernes. (ci-contre Sylvain Bergeron)

Depuis sa première production et son premier spectacle en 1992, « Musiques pour Jeanne la Folle », la Nef a fait du chemin et a produit quelques 22 albums sur des thèmes variés, ainsi que de nombreux spectacles. Pour en relever quelques uns, parmi les sujets qui nous intéressent sur ce site, la_nef_compagnie_musicale_musique_ancienne_Claire_Gignacon notera Montsegur, la tragédie cathare, Trobairitz, (chansons des femmes troubadours des 12e et 13e siècles) ou encore Sacrum Mysterium (une célébration des noëls celtes, de la Bretagne à la Galice, de la renaissance au XVIIIe siècle).

( Claire Gignac, co-fondatrice de la Nef, aujourd’hui directrice artistique et générale de la compagnie)

Après plus de 25 ans de scène et de travail artistique et musical, la Nef est toujours bien active sur la scène canadienne et même au delà. En plus de ses productions et spectacles réguliers sur le thème des musiques anciennes, elle explore aussi d’autres terrains et propose notamment de nombreux ateliers musicaux ou créatifs, et même des productions ciblant plus particulièrement la jeunesse. Vous pourrez retrouver plus d’informations sur l’ensemble de ces sujets, sur leur site web : compagnie musicale la Nef.

Les paroles:  l’air des chevaliers et leur découverte par Perceval

L_lettrine_moyen_age_passiona pièce musicale présentée plus haut dans l’article fait partie du tableau intitulé « Dans la forêt perdue ». Elle se situe au début de l’oeuvre, à l’arrivée des chevaliers sur le domaine de Perceval et est suivi de leur rencontre avec lui. On s’en souvient, à leur vue, il s’émerveillera de leurs armes, armures et de leur nature « angélique » et ayant questionné sans relâche le chevalier qui mène la troupe, il sera aussitôt convaincu qu’il veut en être, malgré toutes les précautions prises auparavant par sa mère pour lui éviter ça.

Chœur:
Et moult grand noise démenait
Les armes de ceux qui venaient,
Et souvent heurtaient aux armes
Les branches des chênes et des charmes.
Sonnait le bois, sonnait le fer
Des écus et des hauberts.
Sonnait le bois, sonnait le fer
Et les écus frappent sur les hauberts.

Perceval:
Il s’émerveille et dit:
Par mon âme, vrai me dit ma mère ma dame
Qui me dit que les diables sont choses
Plus effrayantes du monde.
Elle dit pour moi enseigner
Que pour eux se doit-on signer,
Mais jamais ne me signerai
Cet enseignement dédaignerai.

ET QUAND IL LES VIT EN APERT

Perceval:
Et quant il les vit en apert
que du bois furent découverts,
il vit les hauberts frémissants
et les heaumes clairs et luisants
et vit le vert et le vermeil reluire
contre le soleil et l’or et l’azur et l’argent,
si lui fut moult très bel et gent.

Et dit: Biaux Sire Dieu,
merci ce sont anges qui je vois ci.
Et vrai or ai-je moult péché,
qui dit que c’était des diables.
Ne me dit pas ma mère fable
qui me dit que les anges sont
les plus belles choses qui sont,
Hors Dieu qui est plus bel que tout.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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