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Kalenda maya : une poésie de Raimbaut de Vaqueiras sur une estampie du XIIe siècle

troubadours_provençaux_poesie_chanson_medievaleSujet : musique, danse, chanson et poésie médiévale, troubadours
Titre : Kalenda maïa, Kalenda maya (Calenda)
Auteur : Raimbaut de Vaqueiras,
Période : moyen-âge central, XII, XIIIe
Interprètes : Clemencic Consort , René Zosso , Album : Troubadours, Harmonia Mundi

Bonjour à tous,

n peu de danse, musique et poésie à la fois, aujourd’hui, avec la chanson célèbre Kalenda Maia. C’est de circonstance puisque nous sommes arrivés aux calendes de mai dont le chant nous parle, soit les premiers jours de ce mois ; contrairement à ce qu’on pourrait quelquefois le crois, rien à voir avec le calendrier maya.

« Ni les calendes de Mai
Ni les feuilles de hêtres,
Ni les chants d’oiseaux, ou les glaïeuls fleuries
Ne sont de mon goût,
O noble et joyeuse dame,
Jusqu’à ce qu’un messager de la flotte
envoyé par votre belle personne
vienne  me conter de nouveaux plaisirs d’amour et de joie
que vous m’apportez »
Raimbaut de Vaqueiras, Calendes de mai.

L’estampie : danse médiévale
des XIIe au XIVe siècles

On dit de cette chanson qu’elle a été chantée et même improvisée par le troubadour Raimbaut de Vaqueiras (1150 – 1207) sur la musique d’une estampie qui existait déjà. L’estampie est une danse du moyen-âge qui a été assez populaire du  XIIIe siècle jusqu’au XIVe siècle. On la suppose née en France d’où elle s’est répandue jusqu’en Angleterre où elle a connu une grande popularité. Concernant le morceau que nous partageons aujourd’hui, c’est, à ce jour, une des plus ancienne estampie connue qui nous soit parvenue (cf universalis). On notera que cette chanson a été également interprété par le troubadour italien Angelo Branduardi sur son album  » « Futuro Antico ». Rien d’étonnant quand on sait qu’en son temps Raimbaut de Vaqueiras fut au moins aussi populaire en Italie qu’en Provence sinon plus.

L’album « Troubadours » du Clemencic Consort
avec René Zosso

Pour la version que nous partageons aujourd’hui, elle est interprétée par le Clemencic Consort, accompagné de René Zosso. Au moment de la publication initiale, nous ne l’avions pas identifiée, aussi merci au visiteur qui a su rappeler à notre attention ce manque dans cet article ! C’était un des rares pour lequel nous n’avions pas l’interprète et l’occasion ne nous avait pas été donnée d’y revenir depuis sa parution. C’est chose faite, grâce à lui aussi merci encore.

clemencic-consort-rene-zosso_troubadours_calenda-maia_moyen-age_Raimbaut-de-VaqueirasOn peut retrouver cette chanson, aux côtés d’autres pièces en langue occitane, dans l’album Troubadours de l’excellent Ensemble médiéval de René Clémencic : Raimbaut de Vaqueiras y côtoie Bernart de Ventadorn, Peirol, Peire Vidal,  et encore une composition demeurée anonyme du XIIe siècle.  Enregistré en 1977, l’album a fait, depuis, l’objet de diverses rééditions. A ce jour, il est encore disponible à la vente en ligne au format vinyle mais aussi au format dématérialisé :  lien utile pour plus d’information ici.

Précisons qu’on peut trouver de nombreuses interprétations de Kalenda Maya, mais nous cherchions quelque chose de plus épuré qui puisse un peu nous rapprocher du contexte de sa création originale. Cette version qui reflète du reste bien l’esprit et le travail habituel de ce très bel  ensemble médiéval sort clairement  du lot.

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Raimbaut de Vaqueiras :
guerrier, chevalier et troubadour

Fils d’un chevalier de Provence de petite noblesse et désargenté, les talents de jongleur et troubadour que Raimbaut de Vaqueiras  (Vaucluse) développa  assez vite le firent admettre à la cour de Guillaume des Baux, prince d’Orange, où il put développer son art du chant et de la poésie tout en apprenant le maniement des armes. Il passa, par la suite, à la cour de Boniface de Montferrat où il demeura, semble-t-il, la plus grande partie de sa vie. Il resta attaché au service de ce dernier dont il fut le vassal et qui le fit aussi chevalier, Entre autres campagnes et batailles, il accompagna notamment le Marquis de Montferrat, à l’occasion de la quatrième croisade.

Raimbaut de Vaqueiras a laissé une œuvre qui se compose de trente trois poésies lyriques mais également d’une « lettre épique » adressée à Boniface et dans laquelle il conte, en plus de deux cent pieds de vers, sa vie de Chevalier et de troubadour. Ce document reste, à ce jour, un des seuls témoignages autobiographiques, écrit de la main troubadour_raimbaut_de_vaqueiras_chevalier_poete_kalenda_mayad’un troubadour, connu historiquement (cf The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras by Joseph Linskill,  Charles Roth, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance).

Fait qui mérite encore d’être souligné, on lui doit encore une poésie de cinq strophes dont chacune d’entre elle est écrite  dans une langue différente : occitan, français, italien, gascon, galeïco-portugais et on dit encore de lui qu’il est un des troubadours qui aura le plus fait pour acclimater son art et la langue provençale dans la péninsule italienne! (ci-dessus Raimbaut de Vaqueiras, enluminures, BnF, Manuscrit 854, Recueil de poésies, en provençal, de troubadours, XIIIe siècle )

Outre le destin exceptionnel de cet homme, issu de famille pauvre et de petite noblesse, finalement adoubé et fait chevalier, Raimbaut de Vaqueiras fut aussi un des premiers troubadours à se rendre populaire dans les cours d’Italie du nord. On lui prête des talents qui vont de la poésie et l’art du troubadour jusqu’aux arts guerriers et on se trouve bien en peine de choisir celui qui le distingue le plus tant il montre des qualités dans les deux domaines.  De sa mort, on sait peu de chose et on suppose qu’il est peut-être mort au combat, aux côtés de son suzerain lors d’une bataille qui opposait ce dernier aux bulgares pour défendre son royaume de Romanie.

Les paroles et l’histoire de la Chanson:
Un chant d’amour courtois.

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Comme tous les troubadours, Rambaut de Vaqueiras était un provençal. Sa langue est donc, comme celle des troubadours, l’occitan. Nous n’avons pas cette langue dans notre besace et les langues latines que nous possédons sont de peu d’aide pour approcher la traduction de l’occitan. Concernant Kalenda Maya, nous en avons trouvé, pour l’instant une traduction anglaise et une autre italienne.  A ce jour, il semble bien en effet que la bible des textes de Raimbaut de Vaqueiras et leur traduction soit anglaise : « The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras. By Joseph Linskill ». Pour le coup, une telle traduction reste un peu du billard indirect et ne saurait atteindre des sommets en terme d’excellence linguistique, mais cela aura le kalenda_maya_amour_courtois_moyen_age_raimbaut_de_vaqueirasmérite de nous donner une idée du texte original à défaut de prétendre lui être totalement fidèle. Il faudra toutefois un peu de temps pour arriver au résultat et je la posterais plus tard dans le temps..

En deux mots quand même, et pour ne pas vous laisser trop sur votre faim, l’histoire est un chant d’amour courtois. Le troubadour y déclare donc sa flamme douloureuse à la belle dame qu’il convoite et qu’il n’a pas encore « pécho », conquise pardon! Le voilà donc tout à ses tourments dans l’attente d’un messager aux premiers jours de mai, et même les chants d’un oiseau, les glaïeuls en fleur ou les belles feuilles de hêtres ne peuvent le soustraire à son supplice. Tremblant qu’on ne lui prenne la belle Béatrice avant même qu’elle ne soit à lui mais confiant en ses grandes vertus, il lui déclare son amour transis tout au long du chant. Pour l’anecdote, on ne sait pas vraiment qui était cette dame Béatrice mais plusieurs poèmes de Raimbaut de Vaqueiras y font référence après qu’il ait rejoint la cour de Montferrat.


Les paroles originales  de Calenda Maïa, (Kalenda Maïa) en occitan

Kalenda maia
Ni fueills de faia
Ni chans d’auzell ni flors de glaia
Non es qe.m plaia,
Pros dona gaia,
Tro q’un isnell messagier aia
Del vostre bell cors, qi.m retraia
Plazer novell q’amors m’atraia
E jaia,
E.m traia
Vas vos, donna veraia,
E chaia
De plaia
.l gelos, anz qe.m n’estraia.

Ma bell’ amia,
Per Dieu non sia
Qe ja.l gelos de mon dan ria,
Qe car vendria
Sa gelozia,
Si aitals dos amantz partia;
Q’ieu ja joios mais non seria,
Ni jois ses vos pro no.m tenria;
Tal via
Faria
Q’oms ja mais no.m veiria;
Cell dia
Morria,
Donna pros, q’ie.us perdria.

Con er perduda
Ni m’er renduda
Donna, s’enanz non l’ai aguda
Qe drutz ni druda
Non es per cuda;
Mas qant amantz en drut si muda,
L’onors es granz qe.l n’es creguda,
E.l bels semblanz fai far tal bruda;
Qe nuda
Tenguda
No.us ai, ni d’als vencuda;
Volguda,
Cresuda
Vos ai, ses autr’ajuda.

Tart m’esjauzira,
Pos ja.m partira,
Bells Cavalhiers, de vos ab ira,
Q’ailhors no.s vira
Mos cors, ni.m tira
Mos deziriers, q’als non dezira;
Q’a lauzengiers sai q’abellira,
Donna, q’estiers non lur garira:
Tals vira,
Sentira
Mos danz, qi.lls vos grazira,
Qe.us mira,
Cossira
Cuidanz, don cors sospira.

Tant gent comensa,
Part totas gensa,
Na Beatritz, e pren creissensa
Vostra valensa;
Per ma credensa,
De pretz garnitz vostra tenensa
E de bels ditz, senes failhensa;
De faitz grazitz tenetz semensa;
Siensa,
Sufrensa
Avetz e coneissensa;
Valensa
Ses tensa
Vistetz ab benvolensa.

Donna grazida,
Qecs lauz’ e crida
Vostra valor q’es abellida,
E qi.us oblida,
Pauc li val vida,
Per q’ie.us azor, donn’ eissernida;
Qar per gencor vos ai chauzida
E per meilhor, de prez complida,
Blandida,
Servida
Genses q’Erecs Enida.
Bastida,
Finida,
N’Engles, ai l’estampida.


Voilà, pour la traduction complète en français, ce sera pour un peu plus tard. 🙂

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Lecture « video » : la ballade des pendus de Villon et un mot de justice médiévale

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, poésie réaliste
Auteur ; Villon, encore Villon, toujours Villon
Médias : vidéo youtube, lectures poétiques
Titre : la ballade des pendus
Période : moyen-âge tardif
Interprète : Gérald Robert, comédien voix-off

Lecture poésie médiévale: la ballade des pendus de François Villon

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuel plaisir de se lever matin et relevant ses courriers d’y trouver un message  qui nous parle de François Villon et qui, même mieux que simplement nous en parler, nous le dit.

Un visage sur une voix-off

poesie_medievale_lectures_audio_gerald_robert_epitaphe_françois_villonGérald Robert qui nous fait, aujourd’hui, l’amitié de ce partage   est comédien « voix off » mais comme une voix, cache toujours une âme et un corps, il est bien sûr, avant tout, comédien et publie également des vidéos youtube où il se met en scène. Et quand il ne lit pas du François Villon ou des textes (nul doute que d’autres sont en préparation), il prête sa voix et son sens de la comédie à divers supports et médias: radios, publicités, corporate, documentaires, lectures audios, etc… Dans un projet sorti en août dernier, il a même incarné la voix du souverain pontife François pour une lecture audio de son encyclique. Le voilà devenu officiellement un des papes de la voix off! Peut-être d’ailleurs l’avez-vous déjà entendu sans le voir, c’est tout le mystère de son art. En bref, gardez à l’oeil et à l’oreille ce comédien des temps modernes qui fait, aujourd’hui, revivre pour nous Villon dans cette interprétation de la ballade des pendus.

Priez Dieu que tous nous veuille absoudre

mort_justice_moyen_age_villon_ballade_des_pendus_poesie_medievale

L_lettrine_moyen_age_passiona ballade des pendus ou l’épitaphe de Villon  est sans nul doute le texte le plus connu de notre plus cher poète du XVe siècle et de la fin du moyen-âge. Léo Ferré a porté cette poésie, nous en avons déjà parlé dans un article sur le sujet, mais d’une certaine manière, bien au delà du phrasé du bel anarchiste grisonnant et révolté du Paris des années soixante, soixante-dix, l’entêtante et merveilleuse litanie de Villon continue de vivre dans nos mémoires et de s’y accrocher. Cela tient sans nul doute au fait que plus qu’une poésie réaliste qui nous conte la déroute et le châtiment de ces pendus que les misères poursuivent jusqu’après leur mort, l’épitaphe reste et sera pour toujours, une prière que Villon adresse pour nous tous.

Le gibet de Montfaucon et le temps des pendaisons

« Les hautes justices locales, dit M. A. Champollion-Figeac, pouvaient élever autant de fourches qu’elles désiraient en établir. Les ordonnances du roi Jean, de 1345 et de 1356, paraissent suffisamment l’indiquer. Mais le sage monarque Charles V y ajouta un privilège nouveau pour certaines localités, celui d’avoir des fourches patibulaires à deux piliers.
Eugène Viollet le Duc,
Dictionnaire raisonné d’architecture médiévale, XIXe siècle

C_lettrine_moyen_age_passionette illustration (ci-dessous) de l’impressionnante fourche patibulaire de Montfaucon est tirée de l’incontournable Dictionnaire raisonné d’archi-tecture médiévale d’Eugène Viollet le Duc, On pouvait voir ce gibet, frappé de gigantisme,  au bord de la route et à l’approche du domaine quand la justice donnait encore en spectacle public ses punitions et ses sentences, Les premières traces de ce monument remontent au XIIe siècle mais il a perduré jusque tard dans le XVe siècle. il reste, à ce jour, l’ouvrage le plus monumental connu  dédié à la pendaison ou à la fourche_capitulaire_montfaucon_viollet_le_duc_pendus_moyen_age_Villonsuspension des condamnés, mais les fourches patibulaires ont été populaires et répandues sur tout le territoire de France pendant de longs siècles.

Je ne  cite pas tout à fait innocemment le Gibet de Montfaucon, car outre le fait qu’il aurait peut-être inspiré la ballade des pendus, on attribue encore à Villon une autre poésie moins connue le concernant: la Repeue faîte auprès de Montfalcon. Si l’on se fie à ce texte largement plus grivois et que nous aurons certainement l’occasion de partager ici, il semble que non loin de ce genre d’endroits que l’on venait quelquefois même contempler avec ses enfants pour les éduquer (cf Catherine de Médicis qui « pour repaître ses yeux, l’alla voir un soir et y mena ses fils, sa fille et son gendre. » Viollet le Duc), on trouvait encore dans les parages des gibets, et notamment celui-ci, quelques lieux de plaisirs achetés et de perdition.

Plus étonnant et anecdotique encore,  on ne pendait pas que des humains sur les fourches patibulaires et les gibets, mais également des animaux condamnés. Jugez plutôt :

« Les fourches patibulaires ne servaient pas seulement à pendre des humains, on y suspendait aussi des animaux, et notamment des porcs, condamnés à ce genre de supplice à la suite de jugements et arrêts rendus pour avoir dévoré des enfants. En cas pareil, les formalités judiciaires du temps étaient scrupuleusement suivies, et, comme il était d’usage de pendre les condamnés vêtus de leurs habits, on habillait les animaux que l’on menait au gibet. « En 1386, une sentence du juge de Falaise condamna une truie à être pendue pour avoir tué un enfant. Cette truie fut exécutée sur la place de la ville, en habit d’homme… »
Citation de  M. E. Agnel par Eugène Viollet le Duc (opus cité)

C’est vraiment à me donner des idées d’écrire un roman et je pense d’ailleurs que cela sera le prochain:  « L’histoire de la truie meurtrière pendue en habits de notaire ». De grâce, si vous êtes notaire, ne m’en voulez pas  de « Brassensiser » un peu à vos dépens, mais il s’agit ici de poésie satirique et en plus, il me fallait une rime pour faire un bon titre.

Supplices et sentences : la justice jusque dans les chairs et jusque dans l’au-delà

N_lettrine_moyen_age_passionous n’allons pas prétendre réécrire, ici, en deux lignes, les longues et passionnantes pages de « Surveiller et punir » du brillant Michel Foucault quand il nous parle de ces sociétés médiévales et monarchiques, qui marquent les suppliciés de leur justice jusque dans leurs chairs et qui mettent en scène leurs souffrances de manière publique; cette idée qu’alors, s’attaquer aux lois c’est s’attaquer au corps sacré du roi (ou du seigneur) qui les personnifie et les incarne, comme il incarne l’Etat. Mais, des premières fourches patibulaires médiévales michel_foucault_surveiller_et_punir_epitaphe_de_villonaux gibets les plus récents de la période monarchique, il y a, indéniablement, dans la symbolique et la scénarisation de cette justice du passé, la volonté d’exposer un pouvoir qui se perpétue de manière symbolique jusque sur le plan de la mystique. D’une certaine manière, ces pendus que Villon nous décrit si bien semblent véritablement poursuivis dans leur corps et leur âme, bien après leur trépas et en quelque sorte jusque dans l’au-delà.

Alors aujourd’hui pour le repos de leurs âmes comme peut-être aussi, pour notre propre salut, prions Dieu avec François Villon que tous nous veuille absoudre et en attendant, vivons chaque instant dans la joie de chaque nouvelle respiration car il faut toujours se réjouir d’être en vie.

Un très beau dimanche à tous et longue vie!

Merci encore à Gerald Robert pour nous avoir fourni l’occasion de cet article.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Autres articles sur François Villon sur le site :
La prière de Villon en musique
L’épitaphe et Léo Ferré
Une Ballade de Villon
La Requête de Villon et un mot de Rutebeuf
Une vie, une oeuvre, émission de Radio autour de François Villon

Une vie, une oeuvre, autour de François Villon

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Sujet : poésie médiévale, poésie satirique
Auteur : François Villon
Période : moyen-âge tardif,  XVe siècle
Titre :
« une vie, une oeuvre : François Villon »
Média : émission de Radio,  France Culture
Invités : Michel Zink, David Mus, Frank Venaille

« En ce temps que j’ay dit devant,
Sur Noël, morte saison,
Que les loups se vivent du vent
Et qu’on se tient en sa maison,
pour le frimas, pres du tyson,
Me vint ung vouloir de briser
La tres amoureuse prison
Qui souloit mon cueur debriser. »
François Villon, « Le lais », extrait .

Bonjour à tous,

S_lettrine_moyen_age_passioni vous aimez François Villon ou si vous êtes simplement curieux de sa poésie, cette très bonne et très sérieuse émission de radio, diffusée il y a quelques temps déjà sur France Culture est faite pour vous. Elle réunit, en effet, un poète des temps modernes et deux érudits autour de textes et de lecture du mythique poète médiéval.

Une bonne écoute et une excellente journée!

Fred
Pour  moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

La Requeste de François Villon et quelques impressions croisées sur sa poésie et celle de Rutebeuf

poesie_medievale_francois_villonSujet : poésie mediévale, poésie satirique, satire
Période : fin du moyen-âge, moyen-âge tardif
Titre : La Requeste
Auteur : François Villon  (1431 – disparition 1463)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous postons encore, aujourd’hui, un peu de la merveilleuse poésie de François Villon.  Comme il s’agit là d’une demande de prêt adressée à un roi, il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre cette poésie et celle d’un autre auteur médiéval qui relève de la même intention et je veux parler ici de « la pauvreté » de Rutebeuf.  Pour ceux d’entre vous qui sont de plus en plus nombreux à revenir régulièrement sur le site, ce dont nous vous remercions chaleureusement, vous vous souvenez surement que nous avons déjà posté plusieurs articles concernant ce dernier texte du grand trouvère du XIIIe siècle: la version que notre poète médiéval avait inspiré à Léo Ferré mais poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueégalement la version originale de Rutebeuf.

(ci-contre portrait de François Villon par Ludwigg Rullmann, début XIXe, colorisé par nos soins et pour l’occasion)

François Villon d’un côté, Rutebeuf de l’autre, donc. On a souvent et sans doute un peu vite rapproché les deux hommes et c’est ce qui me motive un peu à me pencher sur la question, même si entrer sérieusement dans le détail de cet exercice difficile – qui consisterait au fond à comparer ce qui reste, à certains égards, incomparable – nécessiterait la conduite d’une étude poussée et sérieuse. Mais comme on ne se prive pas, ici ou là, de le faire de manière légère, je voudrais à mon tour en dire deux mots et livrer ici ce qu’il faut sans doute plus appeler des « sentiments » que des analyses.

La Satire comme dénominateur commun?

D_lettrine_moyen_age_passionans un paysage littéraire médiéval qui semble presque « saturé » d’amour courtois et encore peuplé de chants sacrés et religieux, la poésie de Villon et de Rutebeuf  se démarque pour nous, presque de fait, à l’image de celle des Goliards. Entre les quelques points de repère qui nous sont parvenus et les textes qui ont traversé le temps, il n’est pas rare que nous tracions des lignes droites de causalité, cédant quelquefois à la tentation d’établir des influences quand ce ne sont pas de manière un peu plus avancée, des filiations directes. Pourtant, combien d’autres créations poétiques se sont-elles perdues dans le cours du temps pour n’avoir pas été retranscrites dans ce moyen-âge qui nous semble encore se tenir à demi dans une culture de l’oralité et où, dit-on, si peu de gens savent écrire (idée qui nécessiterait surement que l’on y mette quelques bémols*).  Combien de Rutebeuf ou de Villon n’approchant pas la cour des grands et dont les créations ne nous seront jamais connues, resteront à jamais dans l’ombre et n’entreront jamais dans la postérité pour n’avoir pas laissé de traces écrites? Outre les auteurs sortis de la littérature, comment mesurer l’incidence de toute cette culture « volatile » et aussi populaire sur nos auteurs?  Tout cela ne diminue en rien le talent d’un Rutebeuf ou d’un Villon. Ces deux auteurs médiévaux se démarquent dans l’art jerome_bosch_satire_jugement_dernierpoétique, bien au delà du simple fait que nous soient parvenus leurs vers mais pour rester sur les hypothèses causales quand les auteurs eux-même ne se font pas mutuellement allégeance, ce que nous déduisons est bien souvent une projection dans l’espace vide entre deux fragments; des mouvements dans l’histoire des idées qui rendent possible l’émergence d’un Villon plus qu’une filiation.

(ci-contre détail du triptyque du jugement dernier de Jérôme Bosch, mélange savant et extravagant de morale et de satire, Début du XVe siècle)

Les jeux de cour dans la marge

Sans se pencher sur le comptage de pieds et l’analyse stylistique, littéraire et poétique de leur oeuvre respective, il y a, certes, surement plus de similitudes entre ces deux auteurs qu’entre un Guillaume de Machaut et un François Villon, ou encore un Rutebeuf et un Adam de la Halle. Villon, comme Rutebeuf, reste, en effet, « en marge » du social et résiste, même s’il s’y prête aussi à une certaine forme de bienséance. Ces deux-là fréquentent les cours ou la compagnie des nobles et des puissants comme pour mieux s’en affranchir et vivre en décalage de ce monde de faste que leur satire les condamne à ne pouvoir totalement embrasser. Pourtant, chacun d’entre eux, à sa manière, parait suffisamment proche du pouvoir, pour le « courtiser » et s’y adresser au besoin, à défaut d’être toujours entendu de lui.

Il me semble pourtant lire une différence dans leurs deux approches: François Villon se plie plus volontiers au jeu quand il s’agit d’y sauver « littéralement » sa peau, comme un dernier recours du supplicié, ce qui lui vaudra d’ailleurs une grâce. Pour le reste, quand il n’a pas les moyens de survivre et de se nourrir, il semble qu’il s’arrange pour rapiner et quémande peu. Cette « requeste » que nous publions aujourd’hui plaide d’ailleurs en la faveur de cette idée. Rutebeuf semble, lui, plus être un habitué de tendre la main ou le chapeau pour mendier sa pitance, comme il le dit lui-même dans la pauvreté d’ailleurs :

« J’ai vécu d’argent emprunté
Que l’on m’a en crédit prêté;
Or ne trouve plus de créance,
On me sait pauvre et endetté »
Rutebeuf

U_lettrine_moyen_age_passionne forme de satire et de poésie satirique les réunit donc. Est-ce encore suffisant pour établir de grandes filiations, des parentés voir même des legs? Je n’en suis pas certain. De mon côté, plus j’avance dans ces deux oeuvres, plus je mesure des divergences. On alléguera avec David Mus et non sans raison qu’il est plus sûr de se pencher sur les poésies qui nous sont parvenus de Villon, plutôt que de spéculer sur l’homme dont on sait finalement si peu et pourtant, comment y résister? Là où Rutebeuf appelle la curiosité et fait sourire, là où les mystères de ses tournures et de ses mots à double sens, de ronds de jambes en ironie, forcent l’admiration, la puissance évocatrice et quelquefois presque vitriolée de la poésie réaliste de Villon nous laisse toujours sans voix, de telle sorte que nous n’osons encore nous aventurer à tenter de la disséquer, ni n’en éprouvons le besoin. sans doute pour la garder entière dans son écrin.

De la poésie à l’homme

Pieter Bruegel, l'aveugle guidant l'aveugle, peinture Satirique du XVIe, Musée de Capodimonte, Naples
Pieter Bruegel, l’aveugle guidant l’aveugle, peinture Satirique du XVIe, Musée de Capodimonte, Naples

C_lettrine_moyen_age_passione n’est pas qu’affaire de maîtrise, en juger pourrait être injuste, mais c’est sans doute aussi question de milieu, de fréquentations ou d’expériences. La poésie de Villon est née dans la rue et s’en nourrit, celle de Rutebeuf n’y est pas autant enracinée. Il y a encore, me semble-t’il, quelque chose de lié à la nature profonde de ces deux hommes. D’un côté, ce Villon qui ose tout, se mêle aux brigands, et se tient toujours sur le fil, ce Villon que l’on torture aussi et qui payera jusque dans ses chairs les écarts auxquels le mènent ses fréquentations, ses choix et finalement sa folie d’être jusqu’au bout, son orgueil peut-être encore, de celle que partagent les voyoux. N’est-il pas resté, au fond, ce « mauvais garçon » que nous voulons encore sauver de la corde et des châtiments, jusque plus de six siècles après?

De l’autre côté, en miroir, ce Rutebeuf qui égratigne son monde, son renard roi, ses mauvais prêtres, réfugié derrière ce nom d’artiste qu’il s’est choisi. semble pourtant plus proche des couloirs du pouvoir, plus « bourgeois »  jusque dans sa misère et sa marge. Il est aussi plus démonstratif ou enflammé dans son christianisme qu’un Villon.

Il y a, peut-être encore, la barrière de la langue et encore le fait que près de deux siècles les séparent. A la défaveur de Rutebeuf, comprendre sa poésie sans l’aide de la traduction, relève souvent de la gageure, quand comprendre Villon dans sa langue nous semble plus aisé, même s’il ne faudrait pas sous-estimer ce que le verbe de ce dernier nous poete_affame_moyen_age_monde_medievalcache de sens, pour des mots qui ont déjà près de six cent ans.

(ci-contre illustration de Thomas Rowlandson, XVIIIe, « poète affamé  et son éditeur ». Le monde a changé, l’artiste demande pitance à son éditeur, et plus aux princes ou au rois)

Encore une fois, tout cela relève bien plus d’impression à leur lecture et des quelques bribes qui nous sont parvenus de la vie de Villon, que du résultat d’une analyse; ce n’est, en somme qu’une réflexion à la surface de ces deux poésies pour essayer d’y deviner les hommes. Il reste que l’attrait pour leur verbe et leurs mots demeure entier, mais indéniablement les deux poètes diffèrent sur le fond. Il y a chez Villon une profondeur qui touche et qui fascine. Elle va de la Satire à l’homme et de la poésie à l’être. Il est à nu dans son humanité et pas seulement dans sa misère.

E_lettrine_moyen_age_passionst-ce le fait que ce poète « maudit » comme on l’a si souvent dépeint se sauva peut-être finalement de la corde avec l’aide de son Art et de sa plume? Cela y contribue sans doute même si  la part d’ombre de Villon ne peut suffire à expliquer le goût pour sa poésie, ni à en épuiser le sens. Est-ce encore la musique de ses vers et ses refrains qui reviennent et rythment son oeuvre de manière entêtante? Quoiqu’il en soit, dans cette « Requeste », poésie de celui qui demande, Villon reste d’une dignité et d’une élégance absolue. Il ne le fait que de manière accidentelle et s’engage à rendre pièce pour pièce ce qui lui sera prêté; le reste de ses resquêtes poètiques seront faites pour sauver sa peau. Dans la pauvreté, Rutebeuf, se montre plutôt comme un habitué du genre. Il vit d’emprunt qu’il ne rend pas, et ne garantit pas qu’il rendra. Il est à nu lui et les siens dans sa misère, et à l’évidence ses subsides lui sont toujours venues de cette source: deux époques donc, mais aussi deux hommes, deux styles, deux systèmes de valeurs.

Mais laissons là les comparaisons, peut-être ne faut-il, pour l’instant, pas trop chercher à expliquer la magie qui s’opère à la lecture de cette requête de Villon et simplement le lire et le relire pour laisser le mystère opérer dans son entier.

La Requeste de François Villon


Que Villon bailla à Monseigneur de Bourbon.

Le mien seigneur et prince redoubté,
Fleuron de Lys, royale geniture,
Françoys Villon, que travail a dompté
A coups orbes, par force de batture,
Vous supplie, par cette humble escripture,
Que luy faciez quelque gracieux prest.
De s’obliger en toutes cours est prest;
Si ne doubtez que bien ne vous contente.
Sans y avoir dommage n’interest,

Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

A prince n’a ung denier emprunté,

Fors à vous seul, vostre humble créature.
Des six escus que lui avez presté,
Cela pieça, il mist en nourriture;
Tout se payera ensemble, c’est droicture,
Mais ce sera légèrement et prest:
Car, se du gland rencontre en la forest
D’entour Patay, et chastaignes ont vente,
Payé serez sans delay ny arrest:
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

Si je pensois vendre de ma santé
A ung Lombard, usurier par nature,
Faulte d’argent m’a si fort enchanté,
Que j’en prendrois, ce croy−je, l’adventure.
Argent ne pend à gippon ne ceincture;
Beau sire Dieux! je m’esbahyz que c’est,
Que devant moy croix ne se comparoist,
Sinon de bois ou pierre, que ne mente;
Mais s’une fois la vraye m’apparoist,
Vous n’y perdrez seulement que l’attente. 

ENVOI.

Prince du Lys, qui à tout bien complaist,
Que cuydez−vous, comment il me desplaist
Quand je ne puis venir à mon entente?
Bien m’entendez, aydez−moi, s’il vous plaist:
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

Une très belle journée à vous!
Fred
pour moyenagepassion.com

« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

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* Concernant l’illettrisme médiéval : Bien qu’il semble un peu hardi de prétendre mesurer précisément le niveau d’illettrisme de cette période, on s’y réfère pourtant assez souvent comme un fait. Mais avec les choses du monde médiéval, il semble toujours judicieux face aux « vérités » communément admises d’opposer la déconstruction systématique et la recherche précise, tant les idées qu’on en retient sont si souvent erronées. D’un côté l’on chante le grand Charlemagne qui a « inventé l’école », et de l’autre personne ne s’étonne d’entendre que durant les quelques neuf cent ans qui suivent, on prête à chacun un illettrisme que l’on tient presque pour incontestable. France des villes, France des campagnes, il y a sans doute des disparités, mais entre éducation populaire, montée en puissance et émancipation des universités dès le XIIe siècle, présence des églises et des écoles paroissiales, il parait un peu léger de soutenir que personne ne savait écrire, sauf peut-être à parler du latin et d’un certain degré de maîtrise?

Sur ce sujet, je vous conseille un article très complet et bien documenté que vous trouverez sur France Pittoresque et qui commence d’ailleurs par cette citation de Siméon Luce, Historien médiéviste du XIXe qui introduit bien la question.

 « On a cru longtemps que le Moyen Age n’avait connu rien qui ressemblât à ce que nous appelons l’instruction primaire. C’est une grave erreur ; il est fait à chaque instant mention d’écoles dans les documents où on s’attendait le moins à trouver des renseignements de ce genre, et l’on ne peut douter que pendant les années même les plus agitées du XIVe siècle, la plupart des villages n’aient eu des maîtres enseignant aux enfants la lecture, l’écriture et un peu de calcul »
Siméon Luce