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Tous à la Taverne avec la poésie médiévale goliardique et Carmina Burana

carmina_burana_goliards_poesie_humour_medievale_moyenagepassionSujet : poésie et chanson médiévales, humour médiéval, Goliards et poésie goliardique.
Période : moyen-âge central, XI au XIIIe siècle
Média : « in tabernum », tirée de Carmina Burana,
Compositeur :  Carl Orff
Interprètes : Artefactum

In tabernum, Carmina Burana de Carl Orff

Humour médiéval  au sens propre

Q_lettrine_moyen_age_passionue les puristes et amateurs d’Histoire médiévale se réjouissent, aujourd’hui, en plus de parler de poésie, nous abordons l’humour médiéval sous une perspective historique. Jusque là, vous l’aviez compris, cette rubrique du site s’adressait plus à des façons modernes de rire du moyen-âge qu’à des commentaires éclairés sur l’humour médiéval d’époque. Cela ne changera d’ailleurs pas, dans cette rubrique, il sera bien toujours question de se divertir et de rire plus que de faire une sorte d’anthologie du rire médiéval, (qui, en réalité, serait surement nettement moins drôle comme le sont souvent les ouvrages qui parlent d’humour sans en faire). Nous allons donc continuer de maintenir cette partie du site dans son esprit original mais, une fois n’est pas coutume, nous dérogeons un peu à la règle, ici, pour parler de poésie satirique et d’humour médiéval « d’époque » donc.

troubadour_artefactum_musique_poesie_medievale_moyen-age_passionCet article a aussi sa place dans la rubrique musiques médiévales puisque nous postons ici un extrait de Carmina Burana par le groupe Artefactum (photo de droite): « cantate scénique du XXe siècle », me direz-vous! A quoi je répondrai: « certes!, » mais les paroles de cette cantate sont inspirées de poésies médiévales et goliardiques du XIIIe siècle, tirées justement du manuscrit du même nom, « Carmina Burana » découvert en 1803 à l’abbaye de Benediktbeuern, d’où sa légitime présence ici. (illustration en tête d’article, roue de la fortune, tiré de ce manuscrit)

Qui étaient les goliards?

Pour la plupart, les Goliards étaient de jeunes clercs, insoumis, qui ne s’intégraient pas aux institutions, ou même des étudiants en théologie ou en droit ayant délaissé leurs brillantes études ou ne les ayant pas encore achevées. Dans le courant du XIIe et XIIIe siècle, ce terme a donc désigné ces jeunes gens qui avaient pris la route et vagabondaient, troquant leur pitance contre leurs services, leurs poésies, ou leurs enseignements. Insouciants et peu conformistes, ces clercs chantaient alors, en latin et avec humour, les joies de la taverne – vantant les jeux et la boisson que l’on y trouvait -, mais aussi les plaisirs de la chair, et raillaient encore les religieux ou taverne_medieval_humour_medieval_les_goliards_moyen-age_passiondétournaient les ouvrages sacrés pour s’en moquer. Se faisant, ils suscitèrent, d’ailleurs, les foudres de l’Eglise et des universités qui, dans le courant du XIIIe siècle, condamnèrent, à diverses reprises ces clercs « ribauds » (débauchés) pour leurs agissements. (à droite, une miniature flamande  de la fin du XVe siècle, scène de beuverie).

Goliards, littérature et poésie goliardique

Les Goliards nous ont laissé pour héritage des chansons et poésies satiriques et le nom d’un genre littéraire que l’on a regroupé sous l’appellation de poésie goliardique. Au sujet de leur influence littéraire, on va quelquefois jusqu’à leur prêter d’être à la genèse de la tradition satirique européenne ancienne et moderne (1) et on leur reconnaît souvent d’avoir eu une influence certaine sur l’art et la poésie de Rutebeuf et, plus tard, de Villon. Il faut noter qu’en dehors de ces clercs errants dont l’Histoire pour la plupart, n’a pas retenu les noms, d’autres auteurs jeu_taverne_humour_medieval_goliards_moyen-age_passioncélèbres s’étaient aussi essayés au genre dès le début du XIIe siècle (Abélard, Archipoeta de Cologne, Hugues d’Orléans, Gautier de Châtillon entre autres).

Les Goliards se sont-ils également inspirés de ces textes et de cette littérature, en la nourrissant à leur tour, de leurs créations? D’une certaine manière, nous sommes un peu face à la question de la poule et de l’oeuf; s’il est, en effet, facile de repérer l’influence de cette tradition satirique dans certains écrits et, par là, de savoir qui alimente cette littérature, affirmer qui en a allumé le feu ou peut en revendiquer la paternité est une autre paire de manches. Pour rester prudent, disons donc, pour l’instant, que l’ensemble de la poésie que l’on a nommé « goliardique » s’inscrit dans un corpus que ces jeunes clercs errants ont participé activement à alimenter, et en tout cas, suffisamment pour que la chose nommée dérive de l’appellation qu’on leur donnait.

(1) voir article de Pierre Heugas sur Persée  « Création et continuité : de la poésie à la prose, des Goliards à la modernité »

Confrérie organisée ou mouvement isolé?

Pour rejoindre les réserves ci-dessus, en fait d’accorder à ces goliards d’être les grands inspirateurs d’une certaine tradition satirique, d’autres auteurs, ailleurs, s’accordent plus à voir en ces clercs miséreux et à demi mendiants, de simples groupes d’ivrognes suffisamment lettrés pour écrire le latin, quand ce ne sont pas que des adolescents encore rebelles et bientôt rangés. O vérité historique, combien ta quête est quelquefois difficile! Voilà encore un sujet qu’il faudra creuser, plus avant, pour le démêler un peu. humour_medieval_goliards_taverne_moyen-age_passion 

(ci-contre scène de beuverie dans une taverne médiévale, fin du XIVe, British Library, Londres)

Au titre des questions qui courent sur les goliards, en tant que mouvement social et humain, les opinions entre historiens restent également  partagées. Allaient-ils en bandes itinérantes véritablement structurées, ou, même, comme le suggérait à la fin du XIXe siècle l’historien médiéviste Joseph Bédier (1864-1938), étaient-ils un groupe de pression puissant, organisé comme une confrérie ou une société secrète? Bien loin de ces affirmations, Daniel POIRION (1927-1996), un autre grand historien, spécialiste du moyen-âge, nous enjoint, là encore, à la prudence. Selon lui, les sources historiques ne nous permettent d’établir rien de certain sur la dimension sociale et humaine du mouvement des goliards, et il reste de l’avis qu’en l’absence de faits avérés, il vaut mieux plutôt s’intéresser à la tradition littéraire goliardique qui est, je le cite, « d’une grande violence satirique, mais aussi d’une belle puissance poétique ». (2)

 (ci-dessous taverne médiévale, manuscrit taverne_moyen-age_goliard_humour_medievalTacuinum sanitatis, Rhénanie, XVe, BNF)

Une fois de plus, il semble que le temps et l’absence de sources, ont, pour l’instant, emporté avec eux une bonne partie des secrets de ces Goliards, en nous laissant un peu sur notre faim les concernant. Fort heureusement, il nous reste, tout de même d’eux, quelques textes qui ont traversé les âges et qui témoignent d’un certain regard insoumis, satirique, humoristique et festif sur ce moyen-âge central dont ils étaient contemporains. De l’humour médiéval donc, du vrai et de l’irrévérencieux!

(2) voir l’article de Danier Poirion « Goliards » sur universalis.fr

L’inspiration goliardique de Carmina Burana

La vidéo musicale, en tête de cet article et qui nous a fourni le prétexte à aborder la question des Goliards, est un extrait de la cantate Carmina Burana du compositeur allemand Carl Orff (1895-1982) (photo ci-dessous) interprété ici par l’excellent groupe, amateur de musique médiévale, ArteFactum . On doit à Carl Orff d’autres pièces que celle-ci, mais le succès populaire de cette cantate aura, d’une certaine manière, éclipsé le reste de son oeuvre auprès du grand public. D’ailleurs, Carmina Burana n’est qu’une partie d’un tryptique qui comprend deux autres pièces qui n’ont pas non plus rencontré, pour l’instant en tout cas, le même écho.carmina_burana_goliard_poesie_humour_medieval_moyen-age_passion Quoiqu’il en soit, la cantate Carmina Burana  reste, comme nous le disions plus haut, inspirée de poésies médiévales et goliardiques du XIIIe siècle et le texte « quand nous sommes à la taverne » dont nous vous livrons ci-dessous les paroles est, bien évidemment, issu de cette tradition.


« In taberna quando sumus »,  version latine

In taberna quando sumus,
non curamus quid sit humus,
sed ad ludum properamus,
cui semper insudamus.
quid agatur in taberna
ubi nummus est pincerna,
hoc est opus ut quaeratur;
si quid loquar, audiatur.

Quidam ludunt,
quidam bibunt,
quidam indiscrete vivunt.
sed in ludo qui morantur,
ex his quidam denudantur,
quidam ibi vestiuntur,
quidam saccis induuntur;
ibi nullus timet mortem,
sed pro Baccho mittunt sortem.

Primo pro nummata vini;
ex hac bibunt libertini;
semel bibunt pro captivis,
post haec bibunt ter pro vivis,
quater pro Christianis cunctis,
quinquies pro fidelibus defunctis,
sexies pro sororibus vanis,
septies pro militibus silvanis.
octies pro fratribus perversis,
nonies pro monachis dispersis,
decies pro navigantibus,
undecies pro discordantibus,
duodecies pro paenitentibus,
tredecies pro iter agentibus.

Tam pro papa quam pro rege
bibunt omnes sine lege.
Bibit hera, bibit herus,
bibit miles, bibit clerus,
bibit ille, bibit illa,
bibit servus cum ancilla,
bibit velox, bibit piger,
bibit albus, bibit niger,
bibit constans, bibit vagus,
bibit rudis, bibit magus,
Bibit pauper et aegrotus,
bibit exul et ignotus,
bibit puer, bibit canus,
bibit praesul et decanus,
bibit soror, bibit frater,
bibit anus, bibit mater,
bibit ista, bibit ille,
bibunt centum, bibunt mille.

Parum sescentae nummatae
durant cum immoderate
bibunt omnes sine meta,
quamvis bibant mente laeta;
sic nos rodunt omnes gentes,
et sic erimus egentes.
qui nos rodunt confundantur
et cum iustis non scribantur.

« Quand nous sommes à la taverne »
version français moderne

Quand nous sommes à  la taverne
que nous importe de n’être que poussière ,
mais nous nous hâtons pour les jeux ,
qui nous mettent toujours en sueur
Ce qui se passe dans la taverne
où l’argent est le roi
ça vaut le coup de demander
et d’écouter ce que je dit.

Certains jouent , certains boivent ,
d’autres vivent sans pudeur
De ceux qui jouent ,
certains se retrouvent nus
certains sont rhabillés
d’autres sont mis à sac .
Personne ici ne craint la mort
mais ils misent le sort pour Bacchus .

Le premier est pour le tournée ,
puis les affranchis boivent ,
une autre fois pour les prisonniers ,
une troisième pour les vivants ,
une quatrième pour les Chrétiens ,
une cinquième pour les fidèles défunts ,
une sixième pour les sœurs légères ,
une septième pour la troupe en campagne .

Une huitième pour les frères pervertis ,
une neuvième pour les moines dispersés ,
une dixième pour ceux qui naviguent
une onzième pour les plaideurs ,
une douzième pour les pénitents ,
une treizième pour les voyageurs ,
une pour le pape une pour le roi
tous boivent sans loi .

La patronne boit , le patron boit ,
le soldat boit , le prêtre boit ,
celui-ci boit , celle-ci boit ,
l’esclave boit avec la servante ,
l’agile boit , le paresseux boit ,
le blanc boit , le noir boit ,
le pondéré boit , l’inconstant boit ,
le fou boit , le sage boit ,
Le pauvre et le malade boivent ,
l’exilé et l’étranger boivent ,
l’enfant boit , le vieux boit ,
l’évêque et le doyen boivent ,
la sœur boit , le frère boit ,
la vieille boit , la mère boit ,
celui-ci boit ,celui-là boit ,
cent boivent , mille boivent .

Six cent pièces filent
vite , quand , sans retenue
tous boivent sans fin .
Mais ils boivent l’esprit gai ,
ainsi nous sommes ceux que tous méprisent
et ainsi nous sommes sans le sou ,
Ceux qui nous critiquent iront au diable
et avec les justes ne seront pas comptés.


Voilà pour aujourd’hui, mes amis, donc, cette fois-ci, une belle journée et si d’aventure cet article vous a donné grand soif, une bonne santé avec modération!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la recherche du monde médiéval sous toutes ses formes.

Lectures audios : « la pauvreté Rutebeuf » en Vieux français et en Français moderne.

rutebeuf_trouvere_poete_auteur_medieval_pauvreteSujet : poésie médiévale, trouvère, poète, écrivain moyen-âge (XIIIe siècle).
Auteur : Rutebeuf (1230-1285),
Média : lectures audio, vidéos, fichiers sons.
Titre : « la pauvreté Rutebeuf », complainte du trouvère à l’attention du « bon » roi Louis (Saint-Louis, Louis IX).

La lecture audio de « La Pauvreté Rutebeuf »
dans le texte et en vieux français.

 

La lecture audio de « la Pauvreté Rutebeuf »
en Français Moderne

Bonjour à tous!

C_lettrine_moyen_age_passionomme vous l’avez compris au fil des semaines, nous explorons sur ce site web, le monde médiéval et d’histoire du moyen-âge sous toutes leurs formes. Dans ce cadre, moyenagepassion est aussi, pour nous, un laboratoire d’expérimentation, qu’il s’agisse d’écriture, de vidéos, d’images ou de sons, au gré de nos inspirations. En vérité, c’est de la forge répétée que l’on fait les meilleures épées et sans couler ses premières lames dans les flammes ou sans chercher de nouveaux alliages, nul artisan n’aurait jamais pu forger l’acier des meilleures armes. D’une certaine manière, c’est à cela que nous nous essayons mais quoiqu’il en soit, chers lecteurs de ces lignes, c’est toujours entre vos mains que nous remettons ces expériences médiévales, des plus sérieuses aux plus triviales, en fondant l’espoir que vous nous y suivrez avec intérêt, curiosité et surtout avec plaisir.

Des lectures audio de textes et poésies anciennes

Aujourd’hui, justement, nous ouvrons un nouveau chapitre dans nos explorations en nous aventurant sur le terrain des lectures. Ce n’est pas un exercice très habituel sur notre belle terre de France, de nos jours, et on les trouve sans doute plus répandues dans d’autres pays latins et, notamment, de langue espagnole. Et comme si la difficulté n’était pas déjà assez grande, nous avons décidé de nous essayer, aulouis_IX_saint_louis_complainte_de_rutebeuf_poete_medieval_moyen-age_passion delà du français moderne, à la lecture des langues médiévales, vieux français et autre langues d’oil, dans le texte, pour essayer d’en faire revivre la « musicalité ».

Dans le cadre de cette expérience, il nous a paru tout naturel de faire de Rutebeuf, grand trouvère et poète médiéval du XIIIe siècle, le premier invité de ces lectures audio. Nous n’avons, en effet, jamais caché notre admiration pour lui et nous espérons parvenir à lui rendre modestement tribut ou, à tout le moins, le faire un peu revivre ici. Nous prenons donc pour point de départ son entêtante complainte sur sa pauvreté qu’il adressait, alors, au bon roi Louis. (ci-dessus peinture: « Saint Louis, roi de France, et un page ». de Domenico THEOTOCOPOULOS, dit EL GRECO, fin du XVIe siècle, Musée du Louvre)

Pour permettre un double éclairage sur ce texte, nous l’avons gravé dans les deux langues et dans deux fichiers séparés. Vous pourrez éclairer de ce qui vous échappe entre le français moderne et le verbe original du poète. Pour la version textuelle des paroles dans les deux langues, je vous renvoie à notre précédent article  sur la complainte de Rutebeuf.

Vieux français, langue d’oil &  langues médiévales :
à propos de prononciation

I_lettrine_moyen_age_passion copial y a peu de traces concrètes de la prononciation du vieux français et des langues médiévales; le fait est qu’en dehors des quelques textes concernant ces aspects qui ont pu traverser le temps, peu de fichiers sons nous sont parvenus et youtube n’existait alors pas. Du côté des linguistes et des historiens, on s’entend donc sur quelques vérités et surtout sur une relative ignorance. Dit-on Roi ou Roé? Dit-on Saint Pou ou Saint Pau? Que faire encore des consonnes finales? Doit-on les rendre muettes comme nous le faisons, depuis, en français moderne? Et, encore, quid des dyphtongues ? Pire que tout, on sait qu’on s’autorise alors, dans la grande liberté de la licence poétique, à prononcer  une chose ou l’autre au gré des vers et de leurs rimes. Pourtant, dans cet espace d’hypothèses et desaint_louis_croisades_moyen-age_passion_histoire_medievale questions, nous voulions, tout de même essayer d’aller chercher ce que pouvait être la poésie médiévale dans le texte. (à droite, miniature du départ en croisade du roi Saint Louis)

Ais-je la prétention de la vérité dans mon interprétation? Non. bien évidemment, loin s’en faut! Je ne suis pas un spécialiste de ces questions linguistiques. Ces lectures audio sont le résultat d’une mélange entre, d’un côté, ce que j’ai pu lire sur la prononciation du vieux français, et de l’autre côté, mon bagage en langues latines. J’ai, dans ma besace, une bonne connaissance du français, de l’italien et de l’espagnol que je parle couramment,  à laquelle viennent s’ajouter quelques faibles restes de mes heures de latin même si, je le confesse, j’ai traversé celles-ci à la vitesse de jacques Brel et de son « rose, rose, rosam ». J’ai aussi des notions de catalan, ou tout au moins, de sa musicalité. Concernant cette dernière langue,  j’ai toujours été frappé de voir combien son écrit pouvait être proche du latin et de certains mots que l’on retrouve dans le vieux français. Pour certaines tournures que j’utilise ici, nul doute que le catalan me les aura inspirées. Bref, la lecture audio du texte original en vieux français est un peu le fruit de tout cela. Encore une fois, il n’y a là aucune prétention de la perfection mais simplement l’exercice de s’y essayer, en espérant ne pas tomber trop loin. Si vous êtes expert de moyenage_passion_contactez_nousces questions, n’hésitez pas à me contacter pour d’éventuels remarques, je les accueillerais à bras ouverts. Pour le reste et comme toujours, les commentaires ou les mails sont toujours les bienvenus.

Voilà je crois que tout est dit, j’espère que vous apprécierez.

En vous souhaitant une belle journée.

Amicalement.
Frédéric EFFE
pour moyenagepassion.com

« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

La pauvreté Rutebeuf ou les misères d’un grand poète contées au Roi Saint-Louis

rutebeuf_trouvere_poete_auteur_medieval_pauvreteSujet : poésie médiévale, trouvères, troubadours
Auteur : Rutebeuf (1230-1285) poète, trouvère et auteur satirique du moyen-âge (XIIIe siècle).
Titre : « La pauvreté Rutebeuf »
Période : moyen-âge central

J_lettrine_moyen_age_passion‘ai beau faire, j’ai beau dire, je ne peux me lasser de Rutebeuf et de la magie de son Art poétique. Voilà encore, ici, un cri de détresse, une complainte sur la pauvreté et la misère, la sienne, qu’il conte en vers au bon roi Louis IX, Saint Louis ( photo ci-contre : statue de Saint Louis à l’église Saint-Pierre de Mainneville, XIIIe siècle)Aura-t’elle été entendue? Rien n’est moins sûr, car s’il implore son souverain dans ce poème, il le critique vertement en d’autres endroits, toute chosepauvrete_rutebeuf_trouvere_medieval_saint_louis_statue de nature à ne pas plaire à un roi, fut-il magnanime. Quoiqu’il en soit, Louis IX trouvera également la mort pendant ce siège de Tunis. A titre d’exemple de la satire de Rutebeuf à l’égard du roi de France, voici quelques vers de la métamorphose de Renard.

« Renart est mort, Renart est en vie !
Renart est infect, Renart est ignoble ;
et pourtant Renart est roi ! »

Comme nous le disions dans un article précédent, Rutebeuf n’est pas uniquement ce trouvère poète, à nu, miséreux, et en détresse. Même s’il nous a conté souvent ses propres déboires, c’est aussi un auteur engagé, un témoin des enjeux de son siècle et il a écrit, dans les près de quatorze mille vers qu’il nous a laissé, bien d’autres pièces plus satiriques, critiquant la cour du roi, dénonçant encore « l’hypocrisie » des ordres mendiants franciscains qui essaimaient au XIIIe siècle, et finalement, les hommes, les religieux et les politiques de son temps. Nous aurons l’occasion d’en partager quelques autres ici, mais, pour l’instant, place à cette complainte sur la pauvreté dont le titre autant que le contenu aura assurément aussi inspiré la chanson de Léo Ferré sur ce grand trouvère du XIIIe siècle.

La poésie de Rutebeuf et sa traduction

L’exercice de la traduction est toujours difficile et se complique encore d’autant quand il s’agit de poésie. On est finalement toujours pris entre traduction littérale et nécessité de conserver une certaine musicalité à la poésie de Rutebeuf. On trouve ici ou là un mélange de ces deux tendances. La traduction de Rutebeuf ci-dessous et un travail de croisement entre ces deux exigences. Pour certaines parties de ce texte, je me suis inspiré notamment de la traduction qu’en fait l’académicien, philosophe et membre du  collège de France, Michel Zink en la croisant à d’autres sources.

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La version originale de cette complainte de Rutebeuf  (nettement plus ardue)!

Je ne sai par ou je coumance,
Tant ai de matyere abondance
Por parleir de ma povretei.
Por Dieu vos pri, frans rois de France,
Que me doneiz queilque chevance,
Si fereiz trop grant charitei.
J’ai vescu de l’autrui chatei
Que hon m’a creü et prestei:
Or me faut chacuns de creance,
C’om me seit povre et endetei.

Vos raveiz hors dou reigne estei,
Ou toute avoie m’atendance.

Entre chier tens et ma mainie,
Qui n’est malade ne fainie,
Ne m’ont laissié deniers ne gages.
Gent truis d’escondire arainie
Et de doneir mal enseignie:
Dou sien gardeir est chacuns sages.
Mors me ra fait de granz damages;
Et vos, boens rois, en deus voiages
M’aveiz bone gent esloignie,
Et li lontainz pelerinages
De Tunes, qui est leuz sauvages,
Et la male gent renoïe.

Granz rois, c’il avient qu’a vos faille,
A touz ai ge failli sans faille.

Vivres me faut et est failliz;
Nuns ne me tent, nuns ne me baille.
Je touz de froit, de fain baaille,
Dont je suis mors et maubailliz.
Je suis sanz coutes et sanz liz,
N’a si povre juqu’a Sanliz.
Sire, si ne sai quel part aille.
Mes costeiz connoit le pailliz,
Et liz de paille n’est pas liz,
Et en mon lit n’a fors la paille.

Sire, je vos fais a savoir,
Je n’ai de quoi do pain avoir.
A Paris sui entre touz biens,
Et si n’i a nul qui soit miens.
Pou i voi et si i preig pou;

Il m’i souvient plus de saint Pou
Qu’il ne fait de nul autre apotre.
Bien sai Pater, ne sai qu’est notre,
Que li chiers tenz m’a tot ostei,
Qu’il m’a si vuidié mon hostei
Que li credo m’est deveeiz,
Et je n’ai plus que vos veeiz.

La pauvreté Rutebeuf

Au roi Louis

Je ne sais par où je commence,
Tant j’ai de matière abondance
Pour parler de ma pauvreté.
Par Dieu vous prie, franc roi de France,
Que me donniez quelques subsides,
Ainsi ferez grand’charité.
J’ai vécu d’argent emprunté
Que l’on m’a en crédit prêté;
Or ne trouve plus de créance,
On me sait pauvre et endetté
Mais vous, hors du royaume, étiez,
Où toute aviezc mon espérance

Entre vie chère et ma famille*
Point malade et toujours vie,
ne m’ont laissé deniers ni gages;
les gens sont prompts à esquiver
et sont mal instruits à donner ;
Du sien garder est chacun sage.
La Mort m’a fait de grands dommages,
et vous, bon roi, en deux voyages
gens de bien m’avez éloigné
avec le lointain pèlerinage
de Tunis, qui est lieu sauvage
et les méchants gens reniés***.

* Cette strophe est souvent omise et de fait non traduite dans de nombreuses versions du web
** les gens  habiles et habitués à refuser
*** reniés de Dieu car non chrétiens. infidèles.

Grand roi, s’il advient qu’à vous faille,
(A tous ai-je failli sans faille)
Vivre me faut et suis failli.
Nul ne me tend, nul ne me baille,
Je tousse de froid, de faim bâille,
Dont je suis mort et assailli.
Je suis sans couverture et sans lit,
N’a si pauvre jusqu’à Senlis;
Sire, ne sais quelle part j’aille.
Mon côté connaît le paillis,
Et lit de paille n’est pas lit,
Et en mon lit n’y a que paille.

Sire, je vous fais à savoir :
Je n’ai de quoi du pain avoir.
A Paris je vois tous ces biens,
Mais il n’y a rien qui y soit mien.
J’y vois peu et j’en reçois peu ;

Il me souvient plus de saint Paul
Qu’il ne le fait de nul apôtre,
Bien sais Pater, ne sais qu’est nôtre,
Car la vie chère m’a tout ôté,
Elle m’a tant vidé mon logis
Que le Credo m’est refusé,
Et n’ai plus que ce que voyez.


Une belle journée à tous!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com

Chanson et poésie médievale : « la complainte du prisonnier » de Richard Coeur de Lion

Sujet : poésie médiévale, musique médiévale, chanson, trouvère, troubadour, complainte.
Titre : la complainte du prisonnier ou  Ja nuns hons pris
Auteur : le roi Richard Coeur de Lyon.
Langue originale : provençale
Genre musical : rotruenge*
Epoque : moyen-âge central , fin du XIIe siècle (1193-1194?)
Interprète-compositeur dans la vidéo : Owain Phyfe

V_lettrine_moyen_age_passion copia

oici une pièce et un texte qui nous viennent tout droit du monde médiéval et du XIIe siècle. On dit, en effet, de cette complainte qu’elle a été composée, en langue provençale, par le célèbre  Roi et Chevalier Richard Coeur de Lion en personne, durant sa captivité en Autriche autour des années 1193-1194. Elle est interprétée, ici, de fort belle manière et dans sa langue originale, par feu le troubadour moderne Owain Phyfe (1949-2012).

Un peu d’Histoire : une querelle de Rois

Richard Ier, par Merry Joseph Blondel, 1841.
Richard 1er, dit Coeur de Lion, Merry Joseph Blondel, 1841.

Revenant de croisades, Richard Ier d’Angleterre, dit « Coeur de Lion » est capturé par le duc Léopold V de Babenberg, autour de Vienne, en Autriche. En réalité, ce dernier agit pour le compte du roi de France Philippe Auguste. vieil « ami » de Richard, mais devenu au fil du temps son ennemi.  Dans le cas précis, Philippe Auguste fait arrêter Richard Ier au motif que ce dernier l’aurait insulté publiquement durant une croisade. Les deux souverains avaient, en effet, « pris la croix », ensemble, pour la troisième croisade,  lancée par le pape Grégoire VIII dans l’intention de reprendre Jérusalem et la terre sainte à Saladin, et pour laquelle l’empereur germanique Frédéric Barberousse avait déjà embarqué.

La querelle de Richard Coeur de Lion et Philippe Auguste, enluminure du XIVe siècle (bnF)
La querelle de Richard Coeur de Lion et Philippe Auguste, enluminure du XIVe siècle (bnF)

C’est durant cet emprisonnement que Richard Coeur de Lion va composer ce poème et cette complainte du prisonnier dont nous vous livrons ci-dessous la traduction/interprétation de la langue originale vers le français moderne.

Traduction, adaptation des paroles de la complainte du prisonnier de Richard Ier

Ja nus hons pris ne dira sa raison
Adroitement, se dolantement non;
Mais par effort puet il faire chançon.
Mout ai amis, mais povre sont li don;
Honte i avront se por ma reançon
Sui ça deus yvers pris.

Jamais nul homme pris ne dira sa pensée
De manière juste et sans fausse douleur ;
Mais il peut faire l’effort d’une chanson ;
J’ai beaucoup d’amis, mais pauvres sont leurs dons.
La honte sera sur eux si, faute de rançon,
Je reste deux hivers prisonnier.

Ce sevent bien mi home et mi baron
Ynglois, Normant, Poitevin et Gascon
Que je n’ai nul si povre compaignon
Que je lessaisse por avoir en prison;
Je nou di mie por nule retraçon,
Mais encor sui [je] pris.

Ils le savent bien, mes hommes et mes barons,
Anglais, Normands, Poitevins et Gascons :
Que jamais je n’eu si pauvre compagnon
Pour le laisser, faute d’argent, en prison.
Je ne le dis pas pour leur en faire reproche
Mais je suis encore prisonnier.

Or sai je bien de voir certeinnement
Que morz ne pris n’a ami ne parent,
Quant on me faut por or ne por argent.
Mout m’est de moi, mes plus m’est de ma gent,
Qu’aprés ma mort avront reprochement
Se longuement sui pris.

Maintenant,  je sais pour vrai et certain
Que morts ou prisonniers n’ont amis ni parents,
Quand ils me laissent ici pour or ou pour argent
C’est bien mal pour moi, mais pire pour mes gens,
Qui jusqu’après ma mort en auront le reproche,
S’ils me laissent  ici prisonnier

N’est pas mervoille se j’ai le cuer dolant,
Quant mes sires met ma terre en torment.
S’il li membrast de nostre soirement
Quo nos feïsmes andui communement,
Je sai de voir que ja trop longuement
Ne seroie ça pris.

Je ne m’étonne plus si j’ai le coeur souffrant
Car mon seigneur* met ma terre en tourment
Il ne se souvient plus de notre serment
Que nous fîmes ensemble au Saint,
Mais je sais bien en vérité que guère longtemps
Je ne serai, en ces lieux, prisonnier

(* Richard fait référence ici au roi Philippe Auguste)

Ce sevent bien Angevin et torain,
Cil bacheler qui or sont riche et sain
Qu’encombrez sui loing d’aus en autrui main.
Forment m’amoient, mais or ne m’aimment grain
De beles armes sont ores vuit li plain
Por tant que je suis pris.

Ils savent bien Angevins et Tourangeaux,
Ces jeunes gens désormais riches et forts :
Que suis captif, loin d’eux, aux mains d’autrui.
Ils m’aimaient fort alors, ne m’aiment plus du tout.
Les belles armes ont déserté les plaines
Depuis que je suis prisonnier.

Mes compaignons que j’amoie et que j’ain
Ces de Cahen et ces de Percherain
Di lor, chançon, qu’il ne sunt pas certain,
C’onques vers aus ne oi faus cuer ne vain;
S’il me guerroient, il feront que vilain
Tant con je serai pris.

Mes compagnons que j’aimais et que j’aime,
Ceux de Caen et ceux du Perche,
Conte pour moi, chanson, qu’ils ne sont pas fidèles
Quand jamais envers eux, mon coeur ne fut faux ou vide.
S’ils guerroient contre moi, ils se portent en vilains
Tant que je serais prisonnier.

Contesse suer, votre pris souverain
Vos saut et gart cil a cui je me clain
Et por cui je sui pris.
Je ne di mie a cele de Chartain,
La mere Looÿs.

Soeur comtesse, votre titre souverain
Vous sauve et vous garde de celui à qui je fais appel
Et qui me tient  prisonnier !
Je ne le dis pas pour celle de Chartres*,
Le mère de Louis.

(* la comtesse de Chartes)

*rotruenge : « genre de poésie lyrique des troubadours et trouvères, caractérisé par un refrain interne, situé dans le corps de la strophe, au milieu ou à la fin » (http://cnrtl.fr/definition/rotruenge)

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Une très belle journée à tous!

Fred
Moyenagepassion.com
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