Sujet : ballade, fortune, poésies médiévales, poésie morale, auteur(e) médiéval(e), roue de fortune, sort, impermanence, valeurs chrétiennes médiévales, Moyen Âge chrétien Auteur : Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430) Période : Moyen Âge central à tardif Ouvrage : Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 1, (1896)
Bonjour à tous,
u Moyen Âge central au Moyen Âge tardif, Fortune court, Fortune tourne, jamais Fortune nul n’épargne qui peut faire dégringoler le plus puissant, sitôt qu’il s’élève au sommet.
La roue de Fortune
alliée de la morale chrétienne médiévale
Dans le monde médiéval, l’invocation de Fortune et sa roue sonne comme un rappel entêtant, une leçon perpétuelle sur la nécessité de pratiquer un certain détachement face aux caprices du sort, mais plus encore. Si gloire, pouvoir, richesses, avoirs, ne portent en eux que des joies illusoires et passagères, c’est bien parce que, pour l’homme du Moyen Âge , ce monde matériel aux lois changeantes n’est qu’un court passage vers l’éternité. Or, justement, le salut de l’âme au sens chrétien, implique qu’on sache se détacher des tentations de ce monde transitoire, mais aussi de la vanité. Et c’est une deuxième leçon de Fortune que d’expliquer aux hommes accrochés sur sa roue, qu’ils ne peuvent se glorifier totalement de leur propre ascension puisque, au fond, ils n’y sont pas pour grand chose.
Aujourd’hui, c’est dans une courte ballade sous la plume de Christine de Pizan que nous la retrouvons. La grande dame et auteur(e) du Moyen Âge savait des illusions de la permanence et de l’évanescence des bonheurs terrestres. Mariée à l’adolescence, veuve à 22 ans, elle a laissé, au sein de son œuvre considérable, de nombreuses poésies sur les douleurs de ce deuil. Elle y fait d’ailleurs allusion dans cette pièce.
« Que ses joyes ne sont fors que droit vent »
Une ballade de Christine de Pisan
Qui trop se fie es* (aux) grans biens de Fortune, En vérité, il en est deceü; Car inconstant elle est plus que la lune. Maint des plus grans s’en sont aperceü, De ceulz meismes qu’elle a hault acreü, Trebusche test, et ce voit on souvent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
Qui vit, il voit que c’est chose commune Que nul, tant soit perfait ne esleü, N’est espargné quant Fortune répugne Contre son bien, c’est son droit et deü De retoulir* (reprendre) le bien qu’on a eü, Vent chierement, ce scet fol et sçavent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
De sa guise qui n’est pas a touz une Bien puis parler; car je l’ay bien sceü, Las moy dolens! car la fausse et enfrune* (gloutonne, avide) M’a a ce cop trop durement neü* (de nuire), Car tollu m’a* (m’a ôté) ce dont Dieu pourveü M’avoit, helas ! bien vois apercevent Que ses joyes ne sont fors que droit vent.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, nouveau testament, mystère, valeurs chrétiennes médiévales, auteur médiéval, drame, théâtre médiéval, poésie morale Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle. Œuvre : Le Mystère de la Passion (1486) Auteur : Jean Michel (1435 -1501)
Bonjour à tous,
até de 1458, le Mystère de la Passion de Arnould Gréban fut un Mystère chrétien très prisé du Moyen-âge tardif. On peut le trouver publié, en 1878, par deux célèbres médiévistes du XIXe siècle : Gaston Paris et Gaston Raynaud. Pourtant ce n’est pas cette pièce originale qui nous intéresse, aujourd’hui, mais sa version remaniée, quelques trente ans plus tard, vers la fin du XVe siècle.
Le Mystère de la Passion de Jean Michel
Publiée pour la première fois en 1486, la pièce en question porte le même nom que celle qui l’avait inspirée. Elle est signée de la main d’un grand dramaturge angevin du nom de Jean Michel. Si on doit, par ailleurs, à ce même auteur médiéval, l’écriture d’un autre mystère (celui de la Résurrection), sa réécriture du Mystère de la passion fut si heureuse et talentueuse qu’elle en vint même à éclipser l’œuvre originale de Arnould Gréban.
C’est donc de l’œuvre de Jean Michel que sont extraits les vers que nous partageons avec vous ici. La scène est inspirée du Nouveau Testament ; le vieux pêcheur Zébédée y donne à ses deux fils, Jacques et Jean, une leçon de vie profonde. On se souvient que, selon les évangiles, les deux jeunes gens deviendront bientôt deux grands apôtres du Christ. Ce dernier en fera, en effet, des « pécheurs d’hommes » dans une autre scène bien connue des écritures.
Dans un style d’une grande pureté, Jean Michel nous expose ici des valeurs qui sont au cœur du monde chrétien médiéval : humilité, contentement, simplicité. En prenant un peu de hauteur et au delà de la référence biblique et purement chrétienne, on pourra voir ici une leçon plus générale sur le sens de la vie.
Pour ceux que ce mystère de la passion, au complet, intéresserait, sa version papier semble, pour l’instant, assez difficile à trouver. Le plus simple serait, sans doute, de miser sur une réédition d’un ouvrage qui lui avait été consacré en 1959. Le titre en est : Le mystère de la Passion (Angers 1486), édité par Omer Jodogne. Pour l’instant, il ne semble pas disponible en ligne mais votre libraire préféré saura, peut-être, comment vous le procurer. Si ce n’est pas le cas, il vous faudra vous contenter de sa version numérique que vous pourrez emprunter pour quelques jours, sur le site archive.org. Vous trouverez, sinon, d’autres extraits de ce Mystère de la Passion selon Jean Michel (dont celui du jour), dans l’ouvrage Morceaux choisis des auteurs français, poètes et prosateurs, de Louis Petit de Julleville (1901).
Pour ce qui est de sa traduction, son moyen français ne pose pas de difficultés particulières, aussi nous ne vous donnons ici que quelques menues clefs de vocabulaire.
La leçon du pêcheur Zébédée et ses deux fils
Extrait du Mystère de la Passion de Jean Michel
Mes enfans, congnoissés que c’est De nostre povre vie humaine : En ce monde n’a point d’arrest, Le temps court ainsi qu’il nous maine; Et qui quiert* (veut) richesse mondaine la fault gaigner loyaulment, Ou encourir d’enfer la peine, A jamais perdurablement.
J’ay en povre simplicité Vescu sans avoir indigence; Je vy selon ma povreté ; Si j’ay petit, j’ay patience. Mes enfans, j’ay mis diligence A pecher et gaigner ma vie ; Assés a qui a suffisance. Des grans biens n’ay je point envye.
Jehan et Jaque, or aprenés A congnoistre vent et marée; Si tous deulx mon mestier tenés, Vous vivrez au jour la journée. Si vous avez bonne denrée, Vendés bien, et a juste pris, Et merciés Dieu la vesprée* (au soir) De tout ce que vous aurés pris.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, fortune, vanité, fabliau, trouvère, langue d’oïl, vieux français, MS Français 837 Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Titre : la roé de Fortune (roue de fortune) Ouvrage : Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, Achille Jubinal, 1835.
Bonjour à tous,
u côté de la poésie satirique du moyen-âge central, nous vous proposons, aujourd’hui, la découverte d’un texte du XIIIe siècle, sur le thème, alors très prisé, de la Roue de fortune et son implacabilité.
Sources historiques et manuscrits
Cette pièce est présente dans plusieurs manuscrits médiévaux, quatre en tout, dont trois se trouvent conservés hors de France : le Manuscrit 9411-9426 de Bruxelles, le L V 32 de Turin, le Cod 1709 de la Bibliothèque du Vatican.
Du côté français, on le trouve dans le MS Français 837 de la BnF (ancienne cote Regius 7218), Daté du dernier tiers du XIIIe siècle, cet ouvrage, dont nous vous avons déjà touché un mot, contient plus de 360 feuillets et présente un nombre conséquent de fabliaux, dits et contes de ce même siècle. On y croise de nombreuses poésies et pièces demeurées anonymes mais aussi des noms d’auteurs illustres, tels que Jean Bodel et Rutebeuf, Un fac-similé est consultable sur le site de Gallica au lien suivant.
La Roue de Fortune dans le précieux MS Français 837 de la BnF
Sur le fond, notre poésie du jour demeure plus proche du « dit » que du fabliau. Pour autant qu’elle contienne des éléments satiriques, elle est aussi plus morale que comique, comme le sont en général ces derniers. Pour sa transcription dans des caractères plus lisibles que ceux des manuscrits originaux, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Jongleurs & Trouvères d’Achille Jubinal daté de 1835, et dans lequel le médiéviste proposait une large sélection de textes extraits, entre autres, de ce manuscrit.
La roue de Fortune médiévale
« (…) Vez cum Fortune le servi, Qu’il ne se pot onques deffendre, Qu’el nel’ féist au gibet pendre, N’est-ce donc chose bien provable Que sa roé n’est pas tenable : Que nus ne la puet retenir, Tant sache à grant estat venir ? » Le Roman de la rose
(…) Vois comme fortune le servit, Qu’il ne put jamais s’en défendre, Qu’elle le fit au gibet pendre, N’est ce donc chose bien établie Que sa roue ne peut être maîtrisée Que personne ne peut la retenir Aussi haut soit le rang qu’il ait atteint ?
Avec pour thème central la roue de la fortune, le texte du jour reflète certaines valeurs profondes du Moyen-âge occidental ou, à tout le moins, certaines idées dont la récurrence dans sa littérature et sa poésie, laisse à supposer un ancrage certain dans les mentalités médiévales. On notera, du reste, que cette vision d’un « sort » qui, presque mécaniquement, entraîne avec lui les promesses des plus belles ascensions comme des pires déroutes, a perduré, jusqu’à nous, dans les mentalités populaires : « la roue tourne », même si son articulation ne se fait plus nécessairement en relation étroite avec les valeurs chrétiennes comme c’était le cas alors et comme c’est clairement le cas dans ce texte.
Eloge du détachement
La première idée qu’on trouve ici plantée touche à la vanité et la vacuité. Elle est implicitement lié à l’image de la roue de fortune et son invocation : inutile de se glorifier au sujet de son pouvoir, ses richesses, son statut, la « perdurance » n’est qu’illusion. Dans son mouvement perpétuel, la roue de fortune médiévale s’assure de faire chuter, inéluctablement, celui qui a voulu monter trop haut et, au delà de tout critère de réussite sociale, même le mieux portant des hommes, peut se trouver au plus mal, l’instant d’après. Fortune se mêle de tout et nul n’est à l’abri.
Cette leçon en amène une deuxième qui en est le corollaire. Il s’agit de la nécessité (hautement mise en avant par le moyen-âge occidental et ses valeurs chrétiennes) de pratiquer une forme de détachement, vis à vis du monde matériel. Comme la déroute n’est jamais loin de la gloire, tôt viendra le temps de l’hiver et de la mort et, avec eux, le moment de rendre des comptes. Escompter avoir une place dans le monde d’après suppose que l’on ait su s’affranchir de l’actuel, se sera-t-on suffisamment préparé ? L’attachement, au mirage du pouvoir et de l’avoir, est folie, le poète, ici, nous l’affirme. Se fier au monde est le plus court chemin vers la perte ; le salut de l’âme est en cause autant que le salut social : il sera montré du doigt comme fou celui qui pensera se soustraire à ces lois immuables, en s’harnachant aux illusions du monde matériel.
Dans la dernière partie de cette pièce anonyme, on trouvera enfin des arguments qui viendront presque prêcher une forme de non action, susceptible de mener le lecteur en deça des valeurs de la morale chrétienne. Dans un élan satirique, le poète exprimera, en effet là, un dépit plus ciblé sur son temps et sur son monde : le siècle est pourri, la morale compromise et même celui qui s’attache à faire le bien n’en retirera que les pires ennuis. Sur sa voie, l’homme de bien, le prud’homme, trouvera plus d’ennemis et d’embûches que de récompenses. Une raison supplémentaire de ne rien attendre de ce monde ? Désabusé, l’auteur n’ira pourtant pas jusque dire qu’il faille renoncer au bien pour prêcher une forme de « non action » totale (et presque bouddhiste), et le texte rejoindra, finalement, la prêche en laissant au lecteur pour unique refuge, la passion et l’exemplarité christique : résignation à ne pas voir le bien récompensé, acceptation d’une forme de souffrance, apologie encore d’une certaine forme de renoncement pour faire basculer son esprit, sa raison et ses questionnements du côté de la foi ? Sans doute un peu tout cela à la fois.
Du vieux français d’oïl au français moderne
S’il faut en croire le site Arlima, aucune traduction en français moderne n’était jusque là attachée à ce texte. Sans avoir la prétention de la perfection puisqu’il s’agit tout au plus d’un premier jet, ce vide sera, au moins, partiellement comblé.
Biaus sires Diex, que vaut, que vaut La joie qui tost fine et faut, Dont nus ne se doit esjoïr, Que nus ne set monter si haut S’un poi d’aversité l’assaut, Qu’assez tost ne l’estuet chéïr ? J’ai véu tel gent décheir, Dont je me puis mult esbahir Et merveillier, se Diex me saut, Qui ne doutoient nul assaut, Tant erent orguilleus et baut. Or les covient à point venir. Tels cuide aus nues avenir, Quant il se cuide miex tenir, Qui à reculons fet .i. saut.
Beau Sire Dieu, que vaut, que vaut, La joie qui tôt fini et fane* (tombe, s’évanoui, fait défaut), Dont nul ne se doit réjouir, Car nul ne peut monter si haut Qu’un point d’adversité l’assaille Et bien vite le fait choir ? J’ai vu de tels gens déchoir, Dont je peux fort m’ébahir Et m’étonner, que Dieu me garde, Qui ne redoutaient nul assaut, Tant étaient orgueilleux et fiers. Or ils durent au point venir Comme qui croit aux nues parvenir Quand il s’y pense mieux tenir, A reculons, fait un saut.
Qui plus haut monte qu’il ne doit, De plus haut chiet qu’il ne voudroit ; Par maintes foiz l’ai oï dire. Li siècles maint homme deçoit : Mors et honiz est qui le croit ; Quar cil qui plus haut s’i atire, Et qui cuide estre plus granz sire, Fortune vient, sel’ desatire Et le met où estre soloit, Ou encore en plus basse tire ; Quar celui qui li soloit rire Set mult bien qu’il le decevoit. Por ce est fols qui se forvoit, Se il el royaume se voit, Quar tost est entrez en l’empire. Cis siècles maint homme deçoit : Fols-s’i-fie est nommez à droit ; Por ce le doit chascun despire.
Qui plus haut monte qu’il ne devrait Choit de plus haut qu’il ne voudrait Maintes fois, je l’ai ouï dire Ce monde en déçoit plus d’un Blessé* (mordu?) et trompé (déshonoré) qui s’y fie Car celui qui plus haut, s’harnache (s’y accroche, s’y fixe) Et qui croit être plus grand sire, Fortune vient l’en déloger Pour le ramener d’où il venait, Ou en un rang plus bas encore. Mais celui qui avait l’habitude d’en rire Savait très bien qu’il serait déçu Pour ce, fou est qui se fourvoie Si au royaume, il se voit Car il n’est entré qu’en l’Empire. Ce monde maints hommes déçoit Fou-qui-s’y-fie est nommé à droit (à raison) Et (pour cela), chacun le doit mépriser (dédaigner)
En ce siècle n’a fors éur ; N’i doit estre nus asséur, Quar nus n’i a point de demain. Chascuns i doit estre à péur, Quar ainçois que soient méur, Chiéent li franc et li vilain, Ausi com la flor chiet du rain, Ainz qu’ele port ne fruit ne grain, Quant ele n’a fin air ne pur. Por ce point ne m’i asséur, Quar je n’i voi nul si séur, Si jone, si haitié, si sain, Si fort, si aspre ne si dur, Si riche, ne si clos de mur, Ne de si grant noblece plain, S’un petit mal le prent au main, Que n’el rende pâle et obscur, Plus tost c’on ne torne sa main.
En ce monde, n’a guère de bonheur (chance) Personne ne doit s’y sentir sûr (en sûreté) Car, nul n’y a point de demain (d’avenir assuré) Chacun doit être dans la peur, Car avant qu’ils ne soient mûres, Tombent le franc et le vilain. Telle la fleur choit du rameau, Avant de donner fruits ou grains Quand elle n’a d’air pur, ni délicat Pour cela, je ne m’y fie point, Car je ne vois nul si sûr Si jeune, si bien portant, si sain, Si fort, si robuste et si rude, Si riche, ou si enceint de murs Ni si plein de grand noblesse Qu’un petit mal ne le prenne au matin, (à la main?) Qui le rende pâle et obscur, Plus vite qu’on ne tourne sa main. (qu’on ne l’examine)
Que vaut avoir, que vaut richece, Que vaut boban, que vaut noblèce, Que vaut orgueil à demener, Que nus n’est de si grant hautèce, Quant la luete l’i estrece, Que par mort ne l’estuet passer; Et quant il ne puet alener, N’en puet o soi du sien porter La montance d’un grain de vesce, S’il n’a bien fet en sa jonece : Donques n’est-il si grant proece Com de Dieu servir et amer. On doit por fol celui clamer Qui l’entrelet par sa perece, Por ce chétif siècle à amer.
Que vaut avoir, que vaut richesse Que vaut luxe, que vaut noblesse A quoi bon se gonfler d’orgueil (s’abandonner à) Puisque nul n’est de si haut rang (élévation) Lorsque sa gorge se resserre Que par mort il lui faut passer, Et qu’il ne peut plus respirer, Et ne peut plus porter par lui-même La valeur d’un grain de vesce (sainfoin), S’il n’a bien agi dans sa jeunesse : Ainsi, il n’est si grande prouesse, Que de servir et d’aimer Dieu, Et on doit bien traiter de fou Celui qui s’y soustrait par paresse, Pour aimer ce monde fragile.
El monde n’a riens tant chierie, Qui tant déust estre haïe, Com cest siècle c’on a tant chier, Que nus tant i ait seignorie, N’i est asséur de sa vie Demi-jor ne .i. jor entier. Ausi tost l’estuet-il lessier, Le roi, le duc et le princier Com le povre homme qui mendie ; Que la mort fiert sanz manecier, Ne nus hom ne s’en puet guetier Par science ne par clergie. N’i vaut ne guete ne espie, Que tels est toz sainz à complie Qui se muert ainz l’aler couchier; Qui plus en sa santé se fie Maintenant l’estuet trébuchier.
Au monde rien tant on chérie Qu’on devrait en tout point haïr Comme ces temps que l’on chérie tant Ou nul même s’il a seigneurie, Ni est assuré de sa vie Demi-jour ou un jour entier. Qu’aussitôt il lui faut laisser Le roi, le duc et le princier (ses titres) Comme le pauvre homme qui mendie : Que la mort frappe sans prévenir ( menacer), Aucun homme ne s’en peut garder Par savoir (intelligence) ou par science Ni ne sert de guetter ou d’épier (espionner) Quand celui, en santé au soir, (complies dernière prière du soir) Se meurt au moment du coucher : Qui plus à sa santé se fie, Maintenant lui faut choir (trébucher).
El monde n’a riens que je voie Par qoi nus hom amer le doie. Fols est et plains de trahison ; Qui plus i sert plus i foloie; Plus se meffet, plus se desroie, Qui plus i met s’entencion. Quar sovent muer le voit-on En duel et en confusion, Feste, solaz, déduit et joie. Qui est au monde plus preudom, Plus i a persécution, Et je comment m’i fieroie ? Certes grant folie feroie, Quar nus ne va mès droite voie : Chascuns trahist son compaignon ;
Cels qui ne béent s’à bien non Truevent mès plus qui les guerroie, Que li murtrier ne li larron. Jhésus, qui souffri passion, Nous maint trestoz à droite voie, Et à vraie confession.
Amen. Explicit la Roe de Fortune.
En ce monde, n’y a rien que je vois Par quoi nul homme aimer le doive Il est fou et plein de traîtrise (trahison), Qui plus le sert, plus il divague Plus se défie ( s’égare?), plus il dévie, Qui plus y met son intention. Car, souvent changer le voit-on En douleur et en confusion, Fête, plaisir, jouissance et joie. Et plus grand est l’homme de bien, plus il trouve persécutions Et moi comment pourrais-je m’y fier ? Quand nul ne suit plus droite voie : Chacun trahit son compagnon ;
Celui qui ne s’attache qu’à faire le bien, En trouve bien plus qui le guerroient Plus que meurtriers ou larrons. Puisse Jésus qui souffrit la passion Nous guider tous sur le droit chemin Et à sincère (véritable) confession.
Sujet : poésie médiévale, poésie morale, moyen-français, condition humaine, auteur médiéval, poète médiéval, ignorance, folie Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : Alain Chartier (1385(?)-1430) Ouvrage : L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus tirée de Les Oeuvres de Maistre Alain Chartier (1617)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, en fait de long billet, voici quelques jolis vers d’Alain Chartier, sur la fragilité de la condition humaine, prise entre faiblesse, ignorance et déraison. Ils sont tirés de son ouvrage inachevé L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus.
Chetive créature humaine, Née a travail et a paine, De fraelle corps revestue, Tant es foible et tant es vaine Tendre, passible, incertaine, Et de legier (par un rien)abbatue ! Ton penser te devertue (t’affablie), Ton fol sens te nuit et tue, Et a nonscavoir (ignorance) te maine. Tant es de povre venue Que tu ne peu’z vivre saine, Se des cieux n’es soustenue.
Alain Chartier – L’Espérance ou Consolation des Trois Vertus
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.