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l’âne, le lion et l’exercice juste du pouvoir selon Saadi

gullistan_sagesse_medievale_persane_saadi_jardin_rose_moyen-age_centralSujet : contes moraux, sagesse, poésie politique, morale, persane, citation médiévale. exercice du pouvoir, devoirs des princes, abus de pouvoir.
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur : Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage : Gulistan, le jardin des roses.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons pour le moyen-orient médiéval, en partageant une nouvelle historiette de Mocharrafoddin Saadi, poète persan du XIIIe siècle. Nous sommes dans le chapitre du Gulistan touchant à la conduite des rois et il y est donc question de l’exercice juste du pouvoir et de ses abus.

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Un percepteur du sultan, à l’évidence doté de peu de sagesse, tourmentait à l’excès les sujets de ce dernier, allant même jusqu’à dévaster leur demeure pour leur extorquer leurs biens et remplir  ainsi les caisses du trésor.

« Quoique le pauvre âne soit sans discernement, lorsqu’il traîne des fardeaux, il est précieux. Les boeufs et les ânes, qui portent des faix, valent mieux que des mortels qui tourmentent leurs semblables. »
Mocharrafoddin Saadi (1210-1291), Gulistan, le jardin des roses.

ane_moyen-age_enluminure_Tacuinum_sanitatis_Ibn_ButlanSur le même sujet, Saadi ajoutera encore, par manière de plaisanterie :

« On dit que le chef de toutes les bêtes, c’est le lion, et le moindre des animaux, c’est l’âne. Et cependant, de l’accord des sages, l’âne, qui porte des fardeaux, vaut mieux que le lion, qui déchire les hommes. »
Mocharrafoddin Saadi (1210-1291),
Gulistan, le jardin des roses.

Pour reprendre le fil de l’histoire, mis au fait des abus de l’homme, le Sultan, juste et sage comme souvent dans les contes de Saadi – dusse-t-il pour cela passer par les  recommandations  éclairées de ses conseillers les plus avisés  – le mettra à la torture et le fera périr.  Couick ! Et Saadi conclura :

« Le contentement du sultan ne sera point obtenu par toi, tant que tu ne rechercheras pas la bienveillance de ses serviteurs. »

Et d’élargir encore « Veux-tu que Dieu te pardonne, fais du bien aux créatures de Dieu. »

Là encore, à travers ses courtes histoires, le conteur  et poète persan du XIIIe siècle se situe totalement dans le champ de la  politique et de la morale (sociale et religieuse à la fois) et il demeure toujours intéressant de mettre en miroir ses poésies sur les devoirs des princes, des rois ou des gens de pouvoir, avec celles d’auteurs comme  Eustache Deschamps ou Jehan Meschinot, par exemple, du côté de l’Europe occidentale médiévale. Les mondes sont différents et même les religions et, pourtant, quand il est question d’exercice juste du pouvoir, de clémence, de tempérance et de discernement, les morales se rejoignent bien souvent sur le fond.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

Trois extraits des lunettes des princes de Jehan Meschinot

manuscrit_24314_jean_Meschinot_poete_breton_medieval_poesie_politique_satirique_moyen-age_tardifSujet : poésie satirique, politique, morale, poésie médiévale, poète breton. exercice du pouvoir
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit ancien : MS français 24314 bnf
Ouvrage : Les lunettes des Princes.

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiadeco_medieval_bretagneour faire suite à notre portrait de Jean Meschinot, poète médiéval et  gentilhomme d’armes  breton et nantais du XVe siècle, nous livrons ici encore trois strophes extraites de ses Lunettes de princes et de sa poésie politique et satirique.

Sans ménagement, notre auteur du moyen-âge tardif commande encore ici aux princes sagesse et morale dans l’exercice du pouvoir et leur rappelle très justement qu’il s’agit là d’un exercice du service et du don de soi. Compassion, tempérance et sens des responsabilités doivent donc y commander. Autant de choses qui demeurent encore évidentes et auxquelles on ne peut qu’adhérer, quelques 600 ans après ces vers et ce, que  les princes soient ou non réputés désignés par Dieu,


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« Seigneur, qui as souverain regne,

Gouverne tes subjectz en paix,
Fay que justice sur eulx regne,
D’amour et equité les paistz,
Aussi de pitié les repaistz
Quant ils auront vers toy sailly (1),
Le fort doit support au failly. »


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« Croy tu que Dieu t’ayt mis à prince

Pour plaisir faire à ta personne ?
Las! je ne sçay se as aprins ce (2),
Mais le vray bien autre part sonne,
Et ton nom à l’effect consonne,
Le roy gouverne et le duc main,
Servans à créature humaine. »


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« O prince, je te supply, traicte

Tes subjectz en grant amytié,
Soit à l’entrer ou à la traicte;
Le pasteur doit plus de moytié
Avoir de ses brebis pitié
Qu’ung mercenaire ou estrangier
En ce monde a tousjours dangier. »


Notes
(1) quand ils se présenteront devant toi
(2) Las! je ne sais si c’est que tu as appris

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

La poésie médiévale politique et satirique de Jean Meschinot

manuscrit_24314_jean_Meschinot_poete_breton_medieval_poesie_politique_satirique_moyen-age_tardifSujet : poésie satirique, politique, morale, poésie médiévale, biographie, portrait, poète breton.
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit ancien : MS français 24314 bnf
Ouvrage : Les lunettes des Princes & poésies diverses.

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous partons aujourd’hui sur les routes de la Bretagne du moyen-âge tardif, en compagnie d’un gentilhomme, poète et homme d’armes du XVe siècle du nom de Jean (ou Jehan) Meschinot. Contemporain de François Villon et de Charles d’Orleans, cet auteur s’exerça à une poésie morale, politique et satirique aux accents, par endroits, mélancoliques ou fatalistes, qui n’est pas sans rappeler celle d’un Eustache Deschamps, quelques temps après ce dernier.

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Manuscrit MS Fr 24314 BnF, oeuvres de Jehan (Jean) Meschinot, XV. Langueur, fureur et courroux rendent visite au poète breton

Un poète, gentilhomme et homme d’armes breton du XVe

Est-ce, comme l’avançait l’historien Johan Huizinga en citant quelques vers de Jean Meschinot dans son Automne du Moyen-âge, un signe des temps que cette désespérance du XVe siècle ? Il faut dire que le poète breton a connu aussi de son vivant quelques pertes brutales notamment du côté des seigneurs qu’il servait, auxquels il faut ajouter quelques épisodes de revers financiers et encore de notables déboires de santé.

deco_medieval_bretagne« Misérable et très dolente vie!…
La guerre avons, mortalité, famine ;
Le froid, le chaud, le jour, la nuit nous mine;
Puces, cirons et tant d’autre vermine
Nous guerroyent. Bref, misère domine
Noz meschans corps, dont le vivre est très court … « 
Jehan MESCHINOT (1420 – 1491)

Dans le courant de sa vie, cette désespérance prendra chez Jean Meschinot, une forme aiguë, au point même de le conduire, lors d’une période particulièrement difficile, près des rives peu chrétiennes du suicide. Il ne le commettra toutefois pas et se repentira même devant Dieu d’en avoir caresser l’idée. On pourrait être tenté d’alléguer que c’est le poète dans son errance imaginaire et non l’homme qui fut confronté à l’épreuve, mais cet auteur, à l’image d’Eustache Deschamps est fait d’un seul tenant et, si l’on ne peut écarter qu’il en rajoute parfois, comme tous les poètes ou les auteurs pour se prêter à l’exercice de la licence poétique, on peut, avec l’accord de ses biographes, avancer que cela se produisit vraiment. Même si l’idée seule peut surprendre dans le contexte d’un moyen-âge tardif encore largement imprégné de christianisme, là encore, on peut appeler à la rescousse, Johan Huizinga. Dans l’opus déjà cité, ce dernier fera, en effet, le constat, à l’appui d’autres auteurs médiévaux de la même période, que, sans aller aussi loin que de vouloir abréger eux-même leur propre vie, en appeler à la mort pour mettre fin à leur désespoir est une idée qui revient, quelquefois, dans la poésie de ce courant de XVe siècle.  Tout cela étant dit, le legs poétique de Jean Meschinot va bien au delà de cette simple anecdote qui ne vaut d’être mentionnée que pour mesurer jusqu’où la mélancolie ou le désespoir ont pu aller chez lui,  au moins durant un court  épisode de son existence,

Pour revenir à sa biographie concrète, au cours de sa vie, le poète breton, originaire de Nantes et issu de petite noblesse, est un homme d’armes. On le retrouvera mentionné à plusieurs reprises comme écuyer ou servant dans les garnisons rapprochées de différents ducs de Bretagne : Jean V, François 1er, puis Pierre II, Arthur III. On peut notamment le retrouver cité  à l’occasion de missions d’escorte périlleuses et à des moments où les ducs souhaitaient s’entourer d’une poignée d’hommes pour parer à l’éventualité de quelques embuscades, sur les routes périlleuses de la guerre de cent poesie_medievale_XV_Jean_Meschinot_poete_breton_manuscrit_ancien_miniature_enluminure_MS_fr_24314ans. C’est là la marque indéniable de la confiance portée à ses qualités d’armes, qualités dont il sera d’ailleurs récompensé et loué, à plusieurs reprises, comme les comptes de trésorerie du duché de Bretagne l’attestent.

Le Manuscrit fr 24314 du XVe comprend les oeuvres de Meschinot et quelques autres anonymes.

Au moyen-âge, et ceux qui connaissent un tant soit peu cette période ou qui suivent nos articles le savent bien, l’exercice de la poésie n’est pas incompatible avec les valeurs guerrières, loin s’en faut. Ainsi, la reconnaissance des valeurs militaires du gentilhomme breton se couplera, sans anicroche, avec celle de ses qualités de poète. Il voyagera, à plusieurs reprises, en compagnie des Ducs vers des cours prestigieuses, comme en 1458, où il se rendra à la cour de Charles d’Orléans et aura l’occasion d’y rencontrer maintes autres poètes. Longtemps affecté à la carrière, il sera encore gentilhomme de la Garde, sous François II de Bretagne, et c’est, à ce titre, qu’il servira encore la maison de Laval. Bien plus tard, il a alors près de 68 ans, on le retrouvera encore mentionné dans les archives, au service d’Anne de Bretagne, cette fois-ci, comme maître d’hôtel.

deco_medieval_bretagneDu point de vue des titres, Jean Meschinot fut aussi, en tant que seigneur de Mortiers, à la tête d’un domaine rural de taille acceptable, mais les frais afférant à la gestion de ses terres, sa solde de soldat autant que les obligations de sa charge, tendent à établir assez clairement qu’il ne débordait pas de richesses. De fait, il semble aussi avoir connu quelques années moins fastes que d’autres, notamment sous François II. Il s’en plaindra d’ailleurs, à plusieurs reprises, dans quelques vers autobiographiques dont voici un exemple :

« Les jeux passez me sont bien cher vendus :
J’avois apprins coucher en litz tendus,
Jouer aux detz, aux cartes, à la paume;
Que me vaut ce, mes cas bien entendus ?
Tous mes esbatz sont pieça despendus,
Et me convient reposer sur la chaulme. « 
Jehan Meschinot (1420 – 1491)

Rappelant très justement la précarité des poètes et écrivains du moyen-âge central à tardif et les remettant en perspective avec leur temps, un de ses biographes, Edouard L. De Kerdaniel parlera à son sujet « d’honorable médiocrité ». Se souvenant effectivement des misères d’un Villon et constatant encore qu’à l’image d’Eustache Deschamps, notre gentilhomme breton ne dépend pas de sa poésie pour vivre, on peut, sans doute, à l’exclusion de quelques épisodes difficiles qu’il connut, se ranger à ce point de vue, en comprenant même ici médiocrité dans son sens ancien et non nécessairement péjoratif : celui d’une voie qui se tient « dans la moyenne » (Voir Aurea Mediocritas).

Une poésie politique et satirique, mâtinée de désespérance

Un autre des biographes de Jean Meschinot, le plus célèbre, Arnaud de la Borderie parlera de lui comme un poète « moraliste, sévère, grondeur » et le décrira encore comme « un petit gentilhomme tout confit dans les vieilles moeurs, tout imbu du sentiment de devoirs sociaux, politiques et religieux ». Pour le dire de manière un peu moins abrupte et connotée, il demeure indéniable que le gentilhomme nantais est de la veine des poètes  qui aiment user de leurs plumes pour haranguer leurs contemporains et notamment, pour ce qui concerne notre breton, les princes et les puissants et pas les moindres; une poésie satirique qui ira même jusqu’aux pamphlets politiques.

« Combien doibt-on un grant prince blasmer,
Quant il se faict partout cruel nommer
Et sans vouloir à bonté revenir !
Qui possède de biens toute une mer.
Dont le peuple est souvent presqu’à pasmer
Par pouvreté, quant le deust maintenir
En seure paix, sans lui faire blessure !
C’est grand pitié, par ma foy, je vous jure,
Qu’ung tel seigneur, soit d’Escoce ou Savoye,
Ayt autant d’or qu’est grant le Puy de Domme,
Il ne vault pas qu’on le prise une pomme,
Ne que le ciel lui preste umbre ne voye. « 
Jehan Meschinot (1420 – 1491)

Parmi les événements politiques marquants de la vie de l’auteur, on peut assurément compter le règne de Louis XI et le conflit qui opposa ce dernier à ses vassaux en général et à la Bretagne en particulier, autant que ses ambitions de conquête et la pression fiscale qu’il y adjoint. Au temps de la Ligue du Bien Public, conflit orchestré par les grands féodaux qui se soulevèrent contre la couronne, on retrouva naturellement Meschinot du côté du duché de Bretagne et contre Louis XIlouis_XI_roi_de_france_monde_medieval_bas_moyen_age. Le poète rédigea même quelques vingt-cinq ballades caustiques et politiques qui visaient de manière directe et sans laisser place au doute, le roi de France, comme put l’établir avec force exemples Arnaud de la Borderie dans sa biographie de l’intéressé. Ces ballades furent écrites en quelque sorte à deux mains puisque leurs envois provenaient de la plume d’un poète bourguignon contemporain de l’auteur nantais : Georges Chastelain.

Reconnu de ses contemporains,
oublié de l’Histoire

L’histoire littéraire a d’abord oublié Jean Meschinot, avant de s’en souvenir quelque peu, à nouveau, sans pour autant que ce dernier entre jamais tout à fait dans la postérité. Rien de comparable en tout  cas à un Villon,  un Charles d’Orléans ou encore un Clément Marot. Le poète médiéval breton eut pourtant, de son temps et avec son recueil le plus connu « Les lunettes des Princes », presque qu’autant de succès que le Testament de Villon ; les nombreuses rééditions de son ouvrage en attestent, plus nombreuses même de son temps que celles du Testament. deco_medieval_bretagneSur le talent de Meschinot, Clément Marot  ne s’y trompa d’ailleurs pas et le citera même dans une poésie où il liste les meilleurs poètes français et leur province : l’épigramme à Hugues Salel.

Avec le recul du temps et sans la juger à l’aulne difficile et pour tout dire presque impitoyable parce que si élevée d’un François Villon, la poésie de Jean Meschinot reste fort agréable à lire, d’un beau style et très fluide. Il se fend même souvent de jeux de mots complexes sur ses fins de rimes qui démontrent une virtuosité qu’il serait injuste de ne pas reconnaître.

Au delà de ses qualités de plume, les valeurs de courage qu’ils livrent dans son écriture satirique et pamphlétaire, autant que le témoignage politique de son temps, sont encore de ces choses qui pourront vous le faire aimer et qui nous le font, en tout cas, apprécier. Au temps où l’on savait encore combien la poésie pouvait être une arme, le gentilhomme breton en usait comme d’une lance pour haranguer les plus grands. Les devoirs des princes, même s’ils sont désormais élus, ont-ils tellement changé ? Les valeurs de tempérance, justice, force et prudence dont Meschinot nous parlaient valent-elles encore qu’on s’y penche ? Cette mise en abîme de l’exercice du pouvoir  qui résonne jusqu’à nous, à travers les siècles, rend encore sa poésie féconde et propice à la réflexion.

Des devoirs des princes

Pour ce premier article, autour de la biographie du poète médiéval, nous vous livrons encore un court extrait de ses Lunettes des Princes.  Nous aurons l’occasion de revenir sur cet ouvrage qui contient aussi des éléments autobiographiques sur l’auteur mais pour en dire un mot, il nous y entretient des devoirs des princes, des puissants, des juges et même des papes. Il le fait sans grand ménagement au moment d’adresser les responsabilités qui leur incombent. autant qu’au moment d’affirmer que tous les hommes sont égaux devant Dieu et devant leurs actes. C’est un court passage de cette veine que nous partageons ici.

Par desplaisir, faim et froidure
Les pouvres gens meurent souvent
Et sont, tant que chaud et froid dure.
Aux champs nuds soubz pluie et soubz vent;
Puis ont, en leur pouvre convent*, (ménage)
Nécessité qui les bat tant,
Quant seigneurs se vont esbatant.

Inhumains et dommageux
Qui portez nom de seigneurie,
Vous prenez les pleurs d’homme à jeux ;
Mais n’est pas temps que seigneur rie
Quant on voit charité périe.
Qui est des vertus la maistresse :
Pouvres gens ont trop de destresse !

Du propre labeur de leurs mains,
Qui dust tourner à leur usage.
Ilz en ont petit, voire mains* (moins)
Qu’il n’est mestier pour leur mesnage.
Vous l’avez, malgré leur visage, (1)
Souvent sans cause : Dieu le voit I
Qui se damne est villain renoit*(renégat).

Combien que vous nommez villains
Ceux qui vostre vie soustiennent,
Le bonhomme* (paysan) n’est pas vil, — ains
Ses faicts en vertu se maintiennent…
Je vous nomme loups ravisseurs
Ou lions, si tout dévorez !….

(1) Quelque soit le fruit de leur labeur, qui devrait leur profiter il ne leur en reste que peu et même moins, car vous leur prenez « à leur visage » autrement dit sans vous en cacher.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.

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Sources :
Un soldat-poète du XVe siècle, Jehan Meschinot,
par Edouard L. De Kerdaniel (1915)
Jean Meschinot Sa vie et ses oeuvres, ses satires contre Louis XI,
Par Arthur de La Borderie (1896)
Jean Meschinot Les Lunettes des Princes,
publié et commenté par Olivier de Gourcuff (1890)
Manuscrit français 24314, bnf, départements des manuscrits.
Les lunettes des princes. Vingt-cinq ballades. Commémoration de la passionPar Etienne Larcher, (1493)
L’Automne du Moyen-âge Johan Huizinga (1919)

« Des vertus nécessaires au prince » et à l’exercice du pouvoir, par Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie satirique, politique, moral, littérature médiévale, ballade, vieux français,  exercice du pouvoir, bonté, prince
Période : moyen-âge tardif
Auteur : Eustache Deschamps 1346-1406)
Titre : « Des vertus nécessaires au prince»

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà  quelque temps que nous n’avons publié un peu de la poésie  d’Eustache Deschamps, dit Morel, et cette ballade d’aujourd’hui nous en donne l’heureuse l’occasion. Elle est tirée, à nouveau, de l’ouvrage que l’imprimeur Georges-Adrien Crapelet  édita, au début du XIXe siècle, pour nous présenter une sélection des « Poésies morales et historiques »   de l’auteur médiéval.

C’est une ballade sans envoi, comme ce grand formaliste  et amoureux du style en a tout de même fait quelques unes. Elle nous parle des qualités nécessaires à l’exercice juste du pouvoir. Il y est question de bonté, d’équanimité et bien d’autres choses encore.

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 Dans l’Europe chrétienne médiévale, un prince qui n’aurait pas soumis sa propre autorité à celle du créateur – et même ici, à l’église, dans une conception toute augustinienne du pouvoir politique dont Eustache Deschamps se fait écho  -, n’aurait pas été concevable. On y trouve donc aussi et bien évidemment cette dimension. La concernant, à   la réserve que chacun mettra ou non en fonction de ses propres croyances sur la nécessité d’aimer Dieu pour gouverner les hommes, le reste de cette poésie morale  en forme de ballade a-t-il résisté au temps ? Encore une fois, et  prenant les précautions d’usage, les vertus et valeurs morales qu’elle prône dans l’exercice du pouvoir semblent bien toujours véhiculer du sens et nous parler, à quelque  six siècles du moment où elles furent couchées sur le papier.

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Ballade des vertus nécessaires au prince

Comment pourroit princes bien gouverner,
Ne grant peuple tenir en union,
S’en soy meismes ne povoit rafrener
Les meurs mauvais de sa condicion.
Il ne pourroit nullement ;
Car seignourir se doit premièrement,
Et corrigier pour l’exemple d’autrui,
Qui veult avoir commun gouvernement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.

Premier il doit Dieu et l’Eglise amer,
Humble cuer ait , pitié , compassion
Le bien commun doit sur touz préférer,
Son peuple avoir en grant dilection*,  (*affection, charité)
Estre saige et diligent ;
Vérité ait : tel doit estre régent,
Lent de pugnir, aux bons non faire ennuy,
Et aux mauvais rendre droit jugement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.

D’entour lui doit touz menteurs rebouter,
Justice avoir, équité et raison,
Le poure oïr, le plaintif escouter,
À touz venans avoir large maison,
Requérir crueusement* (*cruellement)
Son ennemi , et mener doucement
Ses vraiz subgiez sanz asservir nulli;
Avarice doit haïr mortelement,
Si qu’on voie toute bonté en lui.

Eustache Deschamps

Pour conclure, finissons par une petite question ouverte au regard de l’actualité. Comment l’éviter ? Sous le fard, tout le cirque et les facéties de théâtre de nos politiques « markétisés » et « conseillés »  jusque dans leur couleur de cravate, y-a-t-il, en ces temps d’élections présidentielles, un « prince »  qui soit réellement de ces valeurs et qui en ait  les moyens ? Interrogés sur la question,  sans doute que peu les renierait, mais dans le concret ?

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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