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La Ballade de l’appel ou la question au clerc du guichet, de François Villon

Francois_villon_poesie_litterature_medievale_ballade_menu_propos_analyseSujet : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, moyen-français, poésie réaliste, poésie satirique
Auteur : François Villon (1431-?1463)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Titre : « La ballade de l’appel de Villon
ou question au clerc du guichet»
Sources et ouvrages ; voir pied d’article.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons en direction du Moyen-âge tardif, avec une nouvelle ballade de François Villon, et quelle ballade puisqu’il s’agit d’un des derniers textes qui nous soit connu de lui, dans l’ordre chronologique.

Villon dans les Manuscrits médiévaux

Du côté des manuscrits anciens, on pourra retrouver les poésies de Villon aux côtés d’autres auteurs médiévaux, dans le Manuscrit de Stockholm Vu 22, daté du XVe siècle (image ci-dessous). Pour consulter en ligne, suivez le lien.

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La ballade de l’appel de Villon dans le Manuscrit de Stockholm Vu 22 

On citera également ici le Français 1661 (consulter sur Gallica), le Français 20041 (en ligne ici) ou même encore le célèbre Jardin de plaisance et fleur de réthorique (voir fac-similé) tous trois datés du XVe siècle et conservés à la BnF. A la fin de ce même siècle et avec l’arrivée de l’imprimerie, l’oeuvre de Villon commencera à être plus largement diffusée et par un grand nombre d’éditeurs. Il sera, dès lors, le seul à y « tenir la vedette » et pour longtemps.

Contexte historique
Villon rattrapé par sa triste destinée

Sorti de sa  geôle de Meung à la fin de l’année 1461, François Villon n’eut que peu de répit. De retour à Paris, le poète semble y avoir vécu dans la précarité, logeant probablement, à nouveau, dans une petite chambre d’Escolier du cloïtre Saint-Benoit (François Villon sa vie et son temps, Pierre Champion, 1913). Dans la foulée de cette libération il a vraisemblablement parachevé de rédiger son oeuvre majeure « le Testament » et, entre les lignes de ce legs, autant qu’en accord avec certains de ses deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclebiographes, on peut imaginer un Villon assagi autant que fortement diminué par la dure épreuve de l’emprisonnement et les tortures qu’on lui a fait subir. Si la grâce du Roi a miraculeusement soustrait le « Pauvre Villon » comme il se nomme désormais lui-même dans ses vers, des mains de ses tortionnaires, il faut se souvenir que, dans la solitude du cachot, il a aussi passé de longues heures à craindre le pire, se voyant déjà pendu, et tout cela l’a marqué de manière indélébile.

Libre à nouveau et convenu d’être désormais un homme de bien, a t-il pour autant les moyens de vivre honnêtement et de déroger à la force de l’habitude ? Ce n’est pas si sûr. Ses soutiens ne sont guère nombreux et arrêté une nouvelle fois dans le courant de l’année 1462 pour un vol dont le détail n’est pas connu mais qui semble de peu d’importance, son passé le rattrapera durement : comme Villon refait surface avec cette affaire, il se retrouvera, en effet, astreint à payer à la faculté de théologie une amende de 40 écus d’or par an, sur une durée de 3 ans en compensation du vol au collège de Navarre, datant de 1456.


Après avoir été relaxé, le destin et peut-être encore un peu les habitudes de « mauvaise vie » et leur lot de fréquentations douteuses semblent coller à la peau du Poète. Un soir, alors qu’il rentre de souper avec quelques compagnons qui n’ont pourtant plus rien des coquillards qu’il avait jadis côtoyés, son chemin d’infortune croisera celui de François Ferrebouc ; l‘homme est notaire pontifical et jouit alors d’une bonne réputation et d’un certain pouvoir à Paris. A la nuit tombée, alors que la petite bande passe devant l’étude encore allumée du notaire, Rogier Pichard  – l’un des hommes présents aux côtés de Villon et que P Champion nous décrit comme un clerc particulièrement querelleur – passe sa tête à la fenêtre pour invectiver les employés qui se trouvent là. Est-il éméché ? Tout le laisse paraître. Quoiqu’il en soit, face aux provocations, ces derniers finissent par sortir. Une bagarre éclate et Ferrebouc en personne finit par s’en mêler. Sorti à son tour dans la rue, le notaire moleste l’un des compères de Villon, Robin Dogis, qui, en retour, le frappe de sa dague. La blessure est légère et Villon n’a peut-être même pas été témoin de toute deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclel’affaire puisqu’il aurait continué son chemin sans assister à l’ensemble des échauffourées. Qu’à cela ne tienne, dès le lendemain, il sera  arrêté et embastillé à nouveau au Châtelet, avec un des quatre compagnons de cette virée malencontreuse : Hutin de Moustier. Les deux autres hommes dont celui qui avait usé de sa dague ne semblent pas avoir été inquiétés.

A cette période, le châtelet comptait, semble-t-il, dans les influences de Ferrebouc et Jacques Villiers de l’IsIe-Adam, prévôt de Paris, autant que son lieutenant-criminel Pierre de la Dehors, n’avaient pas la réputation d’être des tendres. Ils n’avaient, en tout cas, pas de raison particulière de faire de cadeau à  Villon qui devait paraître à leurs yeux comme un criminel émérite et récidiviste. Ce dernier fut de nouveau mis à la torture de l’eau pour avoir simplement assisté à la rixe et on requit qu’il soit condamné à mort, étranglé puis pendu. Si Pierre Champion suppose une certaine influence de Ferrebouc dans toute l’affaire, fut-elle indirecte, le médiéviste Gert Pinkernell se pose, de son côté, la question de savoir si la dureté de la sentence ne peut s’expliquer en partie par le fait que les intéressés avaient eu connaissance par ailleurs, du testament de Villon et de sa nature irrévérencieuse. On ne peut véritablement vérifier  ni l’une ou l’autre de ces deux thèses.

Bien qu’abattu par la condamnation et son injustice, Villon ne se laissera pas si facilement abattre. Il défendra sa peau (comme il en prendra lui-même l’image dans cette ballade). en faisant appel de la décision devant le parlement de Paris. A son grand soulagement, la cour cassera le jugement en le commuant en un bannissement de la ville de Paris pour une durée dix ans.

Cette nouvelle décision de justice donnera lieu à cette Ballade de l’appel que le poète adressa à Etienne Garnier, clerc du guichet du Châtelet de Paris, sans doute peu après que le jugement fut rendu. Avec la poésie, Louenge à la court qui lui fait suite, c’est un des derniers textes que l’on connaisse de François Villon. On l’y découvre très inspiré, mais aussi heureux et soulagé d’avoir échappé aux fourches. Peu de temps après, il disparaîtra, emportant avec lui le mystère de sa destinée, dans le dédale de rues sombres et agitées du Paris de l’époque. D’anciens coquillards à des dignitaires froissés par la franchise ou les railleries de Villon, combien d’ennemis y avait-il, là, au dehors, qui auraient rêvé de l’occire ?

La Ballade de l’appel
ou question au clerc du guichet

Que vous semble de mon Appel,
Garnier ? Feis-je sens ou follie ?
Toute beste garde sa pel* (peau) ;
Qui la contrainct, efforce ou lye,
S’elle peult, elle se deslie.
Quand donc, par plaisir voluntaire,
Chanté me fut ceste omélie* (sentence),
Estoit-il lors temps de me taire ?

Se feusse des hoirs Hue Capel, 
Qui fut extraict de Boucherie,
On ne m’eust, parmy ce drapel,
Faict boyre à celle escorcherie (1):
Vous entendez bien joncherie* (raillerie, tromperie) ?
Mais quand ceste peine arbitraire,
On m’adjugea par tricherie,
Estoit-il lors temps de me taire ?

Cuydez-vous que, soubz mon cappel* (coiffe, bonnet)
Ny eust tant de philosophie,
Comme de dire : « J’en appel ? »
Si avoit, je vous certifie,
Combien que point trop ne m’y fie.
Quand on me dit, présent notaire:
« Pendu serez ! » je vous affie* (certifie, assure),
Estoit-il lors temps de me taire ?

Envoi

Prince, si j’eusse eu la pépie (2),
Pieça*  je fusse (je serais depuis longtemps) où est Clotaire, (3)
Aux champs debout, comme ung espie (4) :
Estoit-il lors temps de me taire ?


Notes

(1) S’il s’était agi des héritiers de Hugues Capet, fils de boucher,  on ne m’aurait soumis à cette torture (l’eau). Escorcherie a également le double-sens d’abattoir et Villon en joue ici. Pourquoi  cette allusion ? Au moment des faits, le lieutenant criminel Pierre de la Dehors qui le fit soumettre à la torture et le condamna est encore boucher juré de la Grande Boucherie de Paris (cf Marcel Schwob)

(2) Pépie : maladie qui chez les oiseaux gêne l’alimentation ou même le chant. Autrement dit, « si je n’avais rien dit, si je m’étais tu. »

(3) Selon Prompsault, il s’agit d’une allusion au gibier de Monfaucon puisque le tombeau de Clotaire se trouve non loin : « Le gibet de Monlfaucon , où se faisoient les exécutions, étoit situé sur le chemin de l’abbaye Saint-Denis, où fut inhumé Clothaire III. ». 

(4) pendu comme un épieur de chemin, un voleur de grands chemins. 

Sources et Ouvrages

François Villon, Oeuvres, édition critiqueLouis Thuasne (1923)
François Villon sa vie et son temps, Pierre Champion (1913)
Oeuvres complètes de François Villon par P.L Jacob (1854)
François Villon: rédactions et notes,
 Marcel Schwob (1974)
François Villon, Poésies complètes, Gert Pinkernell  (1991)


Une  belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes

« On ne peut être aimé de tous » : une ballade médiévale et Morale d’Eustache Deschamps

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature médiévale,  ballade médiévale, poésie morale, ballade, moyen-français, franc-parler,  poésie satirique, satire.
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « On ne peut être aimé de tous »
Ouvrage :  Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome V. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion-copiaoici pour nous accompagner un peu de la poésie morale d’Eustache Deschamps, à l’automne du Moyen-âge. Il nous proposait ici une éloge du franc parler et de son pendant : le risque inévitable de déplaire. Comme souvent chez lui, on peut, sans trop de risque, avancer qu’il a puisé l’inspiration de cette ballade directement dans son vécu. A travers son oeuvre, cet auteur médiéval s’est, en effet, toujours montré sous le jour d’un homme direct et d’un seul tenant et s’il s’y est plaint, plus qu’à son tour, d’être en mal de reconnaissance sociale et financière, il n’a pourtant jamais manqué d’adresser de vertes remontrances ou leçons à ses contemporains, et, il faut bien le dire, à tout propos. D’une manière ou d’une autre, il ne fait guère de doute que cette franchise lui ait coûté quelques revers et le forcer à constater qu’elle ne payait pas toujours en ce monde.

eustache_deschamps_poesie_ballade_medievale_litterature_moyen-age_franchise_franc-parler

Une ballade sur le franc-parler


« On ne puet estre amé de tous. »

Citation médiévale, Eustache Deschamps, 

Dire « le voir », le « vrai », donc, et ne rien craindre et surtout pas de déplaire. Pour le poète, il n’est qu’un seul être en ce monde, citation-medievale_moyen-age_Eustache-deschamps_poesie-morale-satirique devant lequel on doive répondre : le Tout Puissant. Comme il l’a maintes fois montré, Eustache  embrasse et défend les valeurs de ce moyen-âge occidental dans lequel la morale de l’action repose sur fond de valeurs spirituelles et chrétiennes : le jugement des hommes n’est rien, seul celui de Dieu compte. Le salut et le paradis vient s’opposer aux stratégies tordues, aux flatteries et aux menteries. Contre la Malebouche, il demeure le porteur de vérité. Là encore, les beaux parleurs sont montrés du doigt et les mauvaises expériences de la vie curiale dont Eustache nous a souvent parlées ne sont pas très loin. Du reste, la morale n’oublie pas, à nouveau, les puissants et les seigneurs, puisque en bon officier de cour, le poète leur explique encore qu’il leur faut tolérer les critiques et la franchise que leurs subalternes (dont il est) pourraient leur adresser. La boucle est ainsi bouclée.


« On ne puet estre amé de tous »

Chascuns doit faire son devoir
Es estas* (condition sociale)  ou il est commis
Et dire a son seigneur le voir* (la vérité)
Si que craimte, faveur n’amis,
Dons n’amour ne lui soient mis
Au devant pour dissimuler
Raison, ne craingne le parler
Des mauvais, soit humbles et doulz;
Pour menaces ne doit trembler :
On ne puet estre amé de tous.

Ait Dieu tout homme a son pouoir
Devant ses oeulx* (yeux), face toudis* (tout entier)
Ce qu’il devra sanz decepvoir;
Lors ne pourront ses ennemis
Luy grever, mais seront soubmis
Par cellui qui tout puet garder,
Qui scet les euvres regarder
Des bons et mauvais cy dessoubz,
Pugnir maulx, biens rémunérer :
On ne puet estre amé de tous.

Car gens qui ont mauvais vouloir
Héent* (de haïr) ceuls dont ilz sont pugnis,
Et il vault mieulx la grâce avoir
De Dieu, pour gaingner paradis,
Qu’il ne fait des faulx cuers faillis
Qui veulent mentir et flater
Et par leur force surmonter
Les frans cuers et mettre a genoulz.
Faisons bien sanz homme doubter :
On ne puet estre amé de tous.

L’envoy

Prince, nul ne doit désirer
Pour le los du monde régner* (recevoir les louanges du monde),
Mais des biens de Dieu soit jaloux ;
Ses officiers doit supporter
S’ilz font bien et les contenter :
On ne puet estre amé de tous.


En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Eustache Deschamps, une ballade sur l’humilité et ses vertus

poesie_ballade_morale_moralite_medievale_Eustache_deschamps_moyen-age_avidite_gloutonnerieSujet : poésie médiévale, littérature médiévale,  ballade médiévale, poésie morale, ballade, moyen-français, humilité,  poésie satirique, satire
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Humilité attrait le cuer des gens»
Ouvrage :  Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome V. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans la veine des poésies morales, satiriques et politiques du moyen-âge tardif, voici une nouvelle ballade_medievale_humilite_eustache-deschamps_moyen-age_XVIe-siecleballade du très prolifique Eustache Deschamps,

Si cet auteur médiéval a abordé, dans ses écrits, une quantité innombrable de sujets, cette poésie du jour peut être rangée aux côtés de celles touchant les devoirs des princes. Au delà de la nécessité d’une morale chrétienne dans l’action qu’il a souvent eu l’occasion d’exposer par ailleurs (non convoitise, non avidité, mansuétude, compassion, respect des petites gens, etc…), le poète s’intéresse ici à une qualité dont tout puissant, selon lui, devrait être doté : l’humilité. La force de cette dernière devrait même être inversement proportionnelle à la puissance et aux richesses du Prince ou du seigneur et, comme souvent, notre bon vieil Eustache n’hésite pas à se tourner vers la plus haute noblesse, pour lui adresser ses leçons et lui rappeler ses devoirs.

humilite_eustache_deschamps_poesie_ballade_medievale_litterature_moyen-age

A son habitude encore, il se revêt, dans cette poésie, de « sa robe de prêche » pour porter les valeurs partagées du moyen-âge occidental, tout en leur trouvant de nouveaux arguments. Si cet idéal d’humilité participe, en effet, tout entier de la morale médiévale chrétienne, il déborde aussi quelque peu du cadre puisque l’humilité y est présentée, non seulement sous le jour d’une vertu « qui plait à Dieu », mais aussi comme une qualité qui peut avoir des retombées utiles dans l’exercice politique du pouvoir. Ainsi, sous la plume acerbe du grand maître de la ballade médiévale, que les puissants du monde, non félons et non encore corrompus, en prennent de la graine : en pratiquant l’humilité, ils pourront, à la fois, « plaire à Dieu » et peut-être sauver leur âme, tout en gagnant le cœur des hommes et des plus faibles qu’eux : « Humilité attrait le cuer des gens ».  


Ballade sur l’humilité
« L’humilité des grands attire le cœur  des petits » 

Com plus est grans en ce monde li homs,
Et com plus a richesce et habondance,
Tant doit il moins estre fiers et félons
Et tant doit mieulx avoir la congnoissance
D’umilité, non monstrer sa puissance
Aux soufraiteux, foibles et indigens :
Humilité attrait le cuer des gens.

Quant aux vertus* (à ses qualités, ses vertus), c’est uns tresnobles dons
Que Dieux eslut en celle et prinst plaisance, 
Que sainte Vierge et sa mère appelions,
Dont nostre foy vient et nostre créance* (croyance).
Si nous devons bien tuit mirer* (réfléchir, prendre exemple) en ce
Pour acquérir l’amour de noz sergens (2) :
Humilité attrait le cuer des gens.

Rigour* (fig : sévérité, cruauté) non pas, qui eslonge* (éloigne) les bons,
Orgueil aussi, qui mettent en balance
Ceuls qui usent seulement de leurs noms;
Chascuns les fuit et het* (hait) et desavance* (repousser, retarder).
Avise cy tout homme et toute enfance,
Et d’estre humble soit chascuns diligens :
Humilité attrait le cuer des gens.

L’envoy

Prince royaulx doit avoir congnoissance
D’orgueil fuir, d’umblesce avoir le sens;
Par orgueil pert, et l’autre point l’advance :
Humilité attrait le cuer des gens.

(1) Sergens : serviteur, domestique, homme d’armes, écuyer.


En vous souhaitant une excellente journée !

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Au début du XVe siècle, la complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France (1)

poesie_satirique_medievale_chroniques_historique_Enguerrand-De-Monstrelet_moyen-age-tardifSujet : complainte, poésie médiévale, poésie satirique, guerre de cent ans,  extraits, moyen-Français, misère, laboureurs
Période : Moyen-âge tardif,  XVe siècle.
Titre : Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France
Auteur : anonyme
Ouvrage : Les chroniques d’Enguerrand de Monstrelet, (milieu du XVe)
Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un large extrait d’une poésie satirique du moyen-âge tardif, ayant pour titre la Complainte du pauvre commun et des pauvres laboureurs de France. Du point de vue des sources, cette complainte est tirée des Chroniques de Enguerrand de Monstrelet (1400-1453), 

Avec cet ouvrage portant sur l’histoire de la première moitié du XVe siècle (1400-1444). le noble chroniqueur d’origine picarde qui servit entre autres seigneurs, les ducs de Bourgogne, entendait poursuivre le travail engagé par Jean Froissard. S’il influença par ses écrits certains auteurs de son temps, on lui prêta, toutefois, moins de rigueur et de talent que ce dernier. Rabelais écrivit même de lui qu’il était « baveux comme un pot de moutarde » ( Molinier AugusteL’Histoire de France 1904, T4  ). Quant à son impartialité, notre auteur n’échappa pas à la règle, maintes fois vérifiée, mais encore bien plus manifeste dans le courant du moyen-âge, qui veut que l’Histoire ait toujours un point de vue.

Cela étant dit, ce qui nous intéresse aujourd’hui, n’est pas tant le récit du chroniqueur que cette complainte du pauvre commun qu’il ne fait que retranscrire, sans l’attribuer, et qui n’est pas de sa plume. Dans son ouvrage La Satire en France au Moyen-Âge (1893) Charles Felix Lenient rapproche ce texte, son ton satirique et une part de son inspiration du Quadrilogue Invectif d’Alain Chartier, mais il hésite tout de même à lui en attribuer, de manière certaine, la paternité. Elle demeure, en tout cas, non signée, dans les Chroniques d’Enguerrand.

Misères des laboureurs & temps troublés

Datée du début du XVe siècle, cette poésie réaliste nous conte le triste sort de nombre de paysans  saignés par la guerre de cent ans, les pillages, les disettes et les taxes. Sous la pression des événements, certains en furent même réduits à fuir les campagnes, tristes hordes de familles en guenilles, mendiant dans les villes, pour subsister. Cette complainte en est restée le témoin. Ces « pauvres communs et laboureurs » en appelaient alors à la charité de tous, dans l’indifférence générale, s’il faut en croire ces vers. Sous la complainte, la menace planait aussi clairement puisqu’ils y mettaient en garde les seigneurs et le roi  des conséquences fâcheuses où  cette  indifférence pourrait les conduire: effondrement du royaume par sa base,  d’abord, mais plus loin menace ouverte de révolte incendiaire ou même encore  désertion du pays. Quant à l’Eglise, nos Manuscrit_anciens_chroniques_Enguerrand_de_Monstrelet_moyen-age_XVe-siecle_spauvres laboureurs l’appelait aussi à leur rescousse afin qu’elle intercède auprès des nobles pour leur rappeler leur devoir de chrétiens.

Ci-contre les  Chroniques de  Enguerrand de Monstrelet, Manuscrit  Cod  37 (A,) Bibliothèque bourgeoise de Bern. voir en ligne)

Il faut, avec Charles Felix Lenient,  constater que cette clameur du peuple et des pauvres gens demeure une des plus poignantes à nous être parvenue de cette période. Ses accents vibrants de sincérité  lui confère une place très particulière dans la poésie satirique et réaliste du moyen-âge.


La complainte du pauvre commun
et des pauvres laboureurs de France

Hélas ! hélas ! hélas ! hélas !
Prélats , princes , et bons seigneurs ,
Bourgeois, marchans, et advocats,
Gens de mestiers grans et mineurs,
Gens d’armes , et les trois estats ,
Qui vivez sur nous laboureurs ,
Confortez nous d’aucun bon ayde ;
Vivre nous fault, c’est le remède.

Vivre ne povons plus ensemble
Longuement, se Dieu n’y pourvoye :
Mal fait qui l’autruy tolt* (enlève, ôte) ou emble* (dérobe, vole)
Par barat* (ruse, tromperie), ou par faulse voye.
Perdu avons soulas et joye
L’en nous a presque mis à fin ,
Car plus n’avons ne blé ne vin.

Vin ne froment ne autre blé.
Pas seullement du pain d’avoyne ,
N’avons nostre saoul la moité
Une seulle fois la sepmaine :
Les jours nous passons à grand’ peine ,
Et ne sçavons que devenir ;
Chacun s’en veult de nous fuyr,

Fuyr de nous ne devez mie,
Pensez-y, nous vous en prions.
Et nous soustenez nostre vie !
Car, pour certain , nous languissons.
Allangouris nous nous mourons,
Et ne gravons reméde en nous ,
Seigneurs , pour Dieu , confortez-nous.

Confortez-nous, vous ferez bien,
Et certes vous ferez que saiges :
Qui n’a charité, il n’a rien.
Pour Dieu , regardez noz visaiges ,
Qui sont si piteux et si pâlies ,
Et noz membres riens devenir,
Pou nous povons plus soustenir.

Soustenir ne nous povons plus
En nulle maniére qni soit :
Car, quand nous allons d’huys en huys,
Chacun nous dit : Dieu vous pourvoye !
Pain, viandes, ne de rien qui soit,
Ne nous tendez nen plus qu’aux chiens ,
Hélas! nous sommes chrestiens.

Chrestiens sommes-nous voirement* (véritablement) ,
Et en Dieu sommes tous vos frères ,
Si vous avez l’or et l’argent
Ne sçavez si durera guères :
Le temps vous aprestent les biens ,
Et si mourrez certainement ,
Et ne savez quand , ne comment.

Comment dictes-vous et pensez
Plusieurs choses que de nous dictes ,
Que ce nous vient par noz péchez ,
Et vous en voulez clamer quittes.
Pour Dieu jà plus ne le dictes ,
Et autrement nous confortez
Pour ce en pitié nous regardez.

Regardez-nous, et si pensez ,
Que sans labour ne povez vivre ,
Et que tous sur nous vous courez :
( Long- temps a que chacun nous pille)
Ne nous laissez ne croix ne pille,
Ne rien vaillant que vous puissiez ,
De quelque estat que vous soyez.

Soyez, si vous plaist, advisez ,
Et que de cecy vous souvienne ,
Que nous ne trouvons que gaigner ,
Ne nul qui nous mette en besongne.
Chacun de vous de nous s’eslongne ,
Mais s’ainsi nous laissez aller ,
A tard vous en repentirez.

Repentirez vous si acertes,
Que si ainsi nous en allons ,
Vous cherrez les jambes retraictes ,
Et au plus prés de voz talons ;
Sur vous tumberont les maisons ,
Vos chasteaulx et vos tenemens* (propriétés) :
Car nous sommes voz fondemens.

Voz fondemens sont enfondus,
N’y a mais rien qui les soustienne ;
Les murs en sont tous pourfondus,
N’y a pilier qui les retiengne,
N’y estat qui en rien se faingne
De nous mener jusque au plus bas :
Pource nous fault crier , hélas !

Hélas! prélats et gens d’église,
Sur quoy nostre foy est assise,
Chiefs estes de chrestienté ,
Vous nous voyez nuds sans chemise
Et nostre face si eslize ,
Et tous languis de povreté.
Pour t’amour Dieu , en charité ,
Aux riches gens ce remonstrez
Et que vous les admonestez.
Qu’ils ayent pitié d’entre nous autres ,
Qui pour eux avons labouré
Tant que tout leur est demouré :
De noz povretez ils sont causes ,
Comme leur dirons cy en bas :
Pour ce nous fault crier , hélas !

Hélas ! trés puissant roy françois ,
Nous pensons si bien ravisois ,
Et tu feusses bien conseillé,
Qu’aucun pou nous espargnerois :
Tu es le roy de tous les roys ,
Qui sont en la chrestienté,
Dieu t’a ceste grand’ dignité
Raillée , pour raison deffendre,
Et diligentement entendre
Aux complainctes qui vont vers toy ;
Et par ce garder nous pourras ,
De ainsi fort crier , hélas !

Hélas ! trés noble roy de France ,
Le pays de vostre obéissance
Espargnez-le : pour Dieu mercy ,
Des laboureurs ayez souv’nance,
Tout avons prins en patience
Et le prenons jusques à icy;
Mais tenez-vous asseur, que si
Vous n’y mettez aucun reméde,
Que vous n’aurez chasteau ne ville,
Que tous seront mis à exille ,
Dont jà sommes plus de cent mille
Qui tous voulons tourner la bride ,
Et vous lairions tout esgaré,
Et pourrez cheoir en tel trespas ,
Qu’il vous faudra crier , hélas !

Hélas ! ce serait grand douleur
Et grand’ pitié à regarder,
Qu’un si très excellent seigneur
Criast , hélas ! Or y pensez ,
Pas ne serez le premier ,
Qui par deffaut de raison faire ,
D’estre piteux et débonnaire
Aurait esté mis en exil.
Tenu estes de bon affaire ,
Mais que n’ayez point de contraire
Dieu vous garde de ce péril !
Et nous mettez si au délivre,
Qu’en paix puissions dessoubs vous vivre
Dés le plus haut jusques au bas,
Tant que plus ne crions , hélas !


En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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