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L’habit ne fait pas l’Homme: une ballade d’Eustache Deschamps sur les apparences et l’apparat

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poésie morale et satirique, auteur médiéval. ballade.
Période : moyen-âge tardif, XIVe,XVe siècle.
Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406).
Titre : Ballade, « l’habit ne fait pas l’homme » ou « On ne connaît aux robes la pensée »

Bonjour à tous,

O_lettrine_moyen_age_passionn doit à Eustache Deschamps que l’on surnomma aussi Eustache Morel pour, dit-on, son teint halé, de nombreuses poésies moralistes, satiriques et critiques et même encore des ballades qui contiennent des fables et que nous ne tarderons pas à partager ici. Mais en plus d’aimer sa poésie et ballade_poesie_monde_medieval_eustache_deschamps_poete_moral_et_critiqued’y trouver souvent l’écho d’une « modernité » (au sens illusoire et biaisé où nous l’entendons certainement), nous gardons une tendresse véritable pour cet observateur du monde médiéval dont on a dit, par endroits, que sa poésie satirique mais aussi son apport sur les ballades (il en écrit plus de 1000), ouvrira la voie ou, tout du moins, annoncera la venue d’un François Villon, quelques cinquante ans plus tard.

ballade_eustache_deschamps_poesie_monde_medieval_habit_ne_fait_pas_homme

De ses premiers pas d’homme d’armes instruit, serviteur à la cour, qui, se riant de lui-même, se décrit comme laid et peu amène, jusqu’à la sagesse de cet Eustache Deschamps vieilli qui a survécu aux fléaux de son temps et vu, comme beaucoup d’hommes d’alors, ses amis décimés par la peste, les conflits répétés qui mettent le pays à sang, les vaines conquêtes pétries de l’orgueil des rois et, bien sûr, cette interminable guerre de cent ans, cet auteur médiéval nous a laissé le courage de dire et celui de s’élever, de beaux textes sur l’honneur et les valeurs humaines sagesse_medievale_poesie_moyen-age_eustache_deschampspour nous en délecter et, je le dis encore, certains écrits sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise et qui raisonne d’une certaine modernité.

Pour ce qui est de la ballade d’aujourd’hui, le thème du jugement sur les apparences, la « mise » ou  les stigmates, cet habit qui, au fond, n’a jamais fait l’homme ni le moine est-il médiéval  ou n’est-ce pas, plutôt, un thème classique, aussi vieux qu’Hérode lui-même ? Voilà en tout cas, sur le sujet, la belle version d’Eustache Deschamps en forme de ballade.

« On ne congnoist aux robes la pensée »
Ballade  en moyen-français original

Trop de gens sont qui honourent l’abit ,
Et au corps font pour robe révérence
Et ne tiennent compte de l’esperit
De cil qui a bonnes meurs et science;
Et n’ont regart à la sufficience
Du corps, s’il n’est parez de riches draps ;
Combien que tel vest robe de bourras*
Ou la porte cointe et intercisée
Qui plus a sens qu’en telz est advocas :
On ne congnoist aux robes la pensée.

L’entendement et la voulenté fist
Dieu, des hommes formez à sa semblance;
Nuz les créa , et puis l’ame leur mist
Ou chétif corps, sanz faire différence
De nul qui soit au naistre , n’en semence. 
Les grans robes saiges ne les font pas
Ne sos aussi; riens n’y font en ce cas
Poures habiz, fors science approuvée,
Sens naturel et le bien faire. Hélas !
On ne congnoist aux robes la pensée. 

Les apostres ne le doulz Jhesu Crist
Ne portèrent draps de grant apparance;
Mais leurs vertus furent de grant proufit,
Qui ont partout donné bonne créance.
Robes de vair ne de gris n’ont puissance 
D’assagir nul; mais puisque le sens as
De robes vestus, pour ce ne le perdras;
Foulz sa foleur pour sa robe herminée
Ne laissera, ne son sens l’omme bas :
On ne congnoist aux robes la pensée.

ENVOI

Prince, n’aiez nul saige homme en despit,

Se grant estât n’a ou robe fourrée;
Car tel scet moult, qui est poure et petit :
On ne congnoist aux robes la pensée.

Traduction/Adaptation en français moderne

Trop de gens sont qui honorent l’habit
Et au corps font pour robe révérence
Et ne tiennent compte de l’esprit
De celui qui a bonnes mœurs et science,
Et n’ont regard à la valeur
Du corps, s’il n’est paré de riches draps
Suivant qu’un tel se vêt d’une robe de Bourras*
Ou la porte de manière galante et bien taillée
Celui qui prétend juger en cette matière est avocat
On ne connaît aux robes les pensées.

(* Bourras : Etoffe grossière lin)

L’entendement et la volonté fit
A Dieu faire les hommes à sa semblance
Nus les créa, et puis âme leur mit
Ou corps chétif, sans faire de différence
Entre tous ceux qui soient à naître, ou à semer,
Les grandes robes, sages ne les font pas
Ni sots non plus, rien n’y font dans ce cas
Pauvres habits, force science approuvée,
Bon sens et bonne conduite. Hélas!
On ne connaît aux robes les pensées.

Les apôtres ni le doux Jésus Christ
N’étaient drapés de grandes apparences
Mais leur vertus furent de grand profit
Qui ont partout inspiré la confiance
Robe verte, ni grise n’ont de puissance
D’assagir personne, mais l’homme de bon sens
D’une robe vêtue, pour ce ne le perdra.
Le fou, sa folie pour sa robe herminée
ne laissera, ni son bon sens l’homme bas*
On ne connaît aux robes les pensées.

(* l’homme de simple condition)

ENVOI

Prince, n’ayez aucun homme sage en dépit*
S’il n’a grand mise ou robe fourrée
Car celui là peut en savoir beaucoup, qui est pauvre et petit
On ne connaît aux robes les pensées.

(* Prince, ne vous offensez d’aucun homme sage)

Une merveilleuse journée à tous dans la joie.
Fred
Pour moyenagepasion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

François Villon rencontre Erik Satie : l’épitaphe, lecture audio

epitaphe_villon_francois_poésie_medieval_lecture_audioSujet : poésie réaliste, poésie satirique, auteur, poète médiéval. lecture audio
Période : moyen-âge tardif
Auteur : François VILLON
Musique : Erik SATIE, Gymnopédies lent et douloureux 01, interpréte Daniel VARSANO (distributeur sony classical),
Titre : l’épitaphe de VILLON, la ballade des pendus, la prière.

Lecture audio La rencontre de François VILLON et de Erik SATIE

Bonjour à tous,

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour être honnête, j’avais dans l’idée de faire quelques lectures de François VILLON et j’y travaille depuis quelque temps  mais  je m’étais dit que, dans ce cadre, j’irais explorer un peu d’autres textes que la traditionnelle épitaphe ou la ballade des pendus. Même si c’est un texte sublime, il a été,  en effet, tellement repris qu’il vaut la peine de faire découvrir un peu poesie_medievale_epitaphe_villon_ballade_pendu_erik_satie_lecture_audioautre chose du grand maître de poésie médiévale. Pourtant, en écoutant cette pièce d’Erik SATIE, cette première composition des Gymnopédies « lent et douloureux 01 » du grand compositeur français de la fin du XIXe, XXe siècle, je n’ai pas résisté à oser la rencontre à travers le temps de ces deux maîtres du génie poétique et musical français.

D’un côté, VILLON, seul dans sa cellule, convaincu qu’il n’échappera pas à la corde, cette fois, comme le reste de ses compères ou de sa confrérie. Il ne lui reste, une fois de plus, que sa plume et son immense talent quand il adresse aux hommes et au fils de Dieu, cette dernière prière; c’est celle d’un condamné, une prière solitaire, un legs à travers le temps pour tous les hommes. Et sans doute que cette résignation sublime de VILLON, à ce moment là, donne à ce texte toute sa beauté et cette force incomparable. Dans ces pendus qui se balancent au gibet, il ne s’agit pas seulement ici du point culminant de sa poésie réaliste, il y a aussi ce VILLON qui devient l’un d’eux pour nous adresser en leur nom ce message post-mortem, pour le salut de l’âme, les leurs, les nôtres aussi. Même s’il échappera à la sentence, ce texte de la solitude du condamné, quelque part déjà mort, où françois_villon_erik_satie_poesie_medievaletranspire aussi toute l’humanité de VILLON restera l’un des mieux connus parce que l’un de ceux qui a le plus marqué les consciences.

De l’autre côté, un Erik SATIE qui fait encore presque ses premières armes à la composition. Nous sommes à la fin du XIXe (1888), plus de cinq cent ans plus tard, Audacieux, connu pour son humour, celui que Debussy qualifia de « musicien médiéval et doux » (1) fut souvent raillé, incompris, et en tout cas pas toujours pris au sérieux de son temps mais son oeuvre demeure, autant que son génie.

Qu’ont-ils en commun? Du facétieux François VILLON et de sa vie de drame, de ses frasques et de sa vie en marge sur le fil des lois, à un Erik SATIE, libre et intransigeant, tout entier dédié à sa musique, mais qui mène une vie discrète et sage et pratique son Art dans l’ascèse et sur une voie que l’on peut presque qualifier de mystique. Une vie dans la marge cela est certain mais encore peut-être le génie et la solitude qui, dit-on, si souvent l’accompagne. Quoiqu’il en soit, cette lecture audio est publiée et je vous laisse juger de leur rencontre.

Une très belle journée à tous! Longue vie!

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

(1) Pour plus d’informations sur l’oeuvre d’Erik SATIE voir l’article de Michel PHILIPPOT (compositeur français (1925-1996)

Sur le néant des choses de ce monde, Eustache Deschamps, XIVe siècle

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : ballade, poésie médiévale, poésie satirique
Auteur : Eustache DESCHAMPS (Morel) (1346-1406)
Période : moyen-âge tardif, bas moyen-âge, XIVe
Titre : Ballade sur le néant des choses de ce monde

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons une autre pièce du grand Eustache Deschamps, dit Morel, C’est cette fois-ci, clairement, une poésie satirique sur les conflits de son temps. Souvenez-vous que ce poète médiéval a eu le privilège de vivre assez longtemps. Officier de cour, tour à tour messager, écuyer, huissier d’armes, il a occupé des emplois d’importance variable à la cour et a pu, au long de sa longue vie durant laquelle il ne cessa d’écrire, servir deux souverains.  Concernant sa longévité, les avis sont partagés, dans la préface d’un ouvrage du XIXe siècle sur ses eustache_deschamps_poesie_medievale_satirique_guerre_cent_ans_moyen-ageœuvres poétiques et satiriques, on lui prêtait près de vingt ans de vie en plus qu’on ne lui  prête aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, Eustache Deschamps connaîtra les guerres et les conflits de son temps, l’interminable guerre de cent ans, le pays à feu et à sang, les épidémies de peste, encore, qui ravagent les terres.  Avec ces réflexions en forme de poésie sur le néant des choses de ce monde, il s’attaque frontalement, à  l’orgueil et la vanité des puissants, aux vaines conquêtes qui ne cessent de mettre les pays à feu et à sang. Jusqu’au bout du texte, on sent l’homme d’expérience désabusé, las des guerres et des conflits de pouvoir mis face à l’évidence de la vacuité des choses et nous retrouvons encore, ici, un Eustache Deschamps engagé,  témoin critique et satirique de son temps.

Ballade d’Eustache Deschamps
Sur le néant des choses de  ce monde

Las ! que j’ay veu de tribulacion,
De tempestes et de mortalitez,
De haines, de peuples mocion ,
De grans orgueilz et de grans vanitez ,
De traïsons et de crudelitez,
Puis cinquante ans ; et vengence soudaine
Conflis de Roys en France et en Espaigne
Pour nos péchiez , et universel guerre
Pour le débat de France et d’Angleterre,
Pais ardoir, tout destruire à larronde,
Pour convoitier et seignourie acquerre :
C’est tout néant des choses de ce monde.

Car nul n’en a vraie posession,
N’estre ne puct qu’à sa vie héritez,
Au mieulx venir, et par déception
En sont pluseurs ou par force privez
A leur vivant. Entre vous, qui vivez,
Aiez regart aux conquests Charlemaine,
Ceulx d’Alixandre et de la gent romaine,
Qui tant de maulx soufrirent pour conquerre ;
Mais puis leur mort tout fut cas comme un voirre ,
Et divisé ; ainsi fault que tout fonde
Des biens mondains; foulz est qui pour eulx erre :
C’est tout néant des choses de ce monde.

Quatre lignie et généracion
Ay veu des Roys , depuis que je fu nez :
Philippe, Jehan, Charle en succession
Le cinquième , Charles ses filz ainsnez
Régna après, dont furent subjuguez
A Rosebeth Flament sur la montaigne;
Vingt-six mille moururent soubz s’enseigne ;
Que treize ans n’ot quant les ala requerre;
Après au Dant par siège les va querre ;
Bonbourc assist ; à celle fois seconde
Ses ennemis en desloge et desserre :
C’est tout néant des choses de ce monde.

A Amiens vi la conjunction ,
Et les noces quant il fut espousez
A Ysabel qui de l’estracion
De Bavière est. Je vis ses osts menez
En la duchié de Guclre, et feux boutez ;
Le duc venir es tentes en la plaine
Devers le Roy, et sa volunté plaine
Faire du tout. Et qui en veult enquerre
A Saint-Denis un chafault , et par terre
Joustes très grans où l’or luit et habonde ;
Mais qui vouldroit jugier à droitte esquerre ;
C’est tout néant des choses de ce monde.

La feste vi passant en mission
Toutes autres, de la Royne entendez,
Faicte à Paris après l’Ascencion ;
Pour la guerre j’ay veu pluseurs traictez ,
Les grans trêves des deux Roys ; assemblez
Dessoubz Ardre leur gent et leur compaigne,
La fille au roy de France qu’il amaine
Au roy Anglois , qui pour femme o lui erre
Droit à Calays ; n’a que sept ans soubz serre,
Là espousa la vierge enfant et monde ;
Mais qui ces poins sent dont li cuers me serre :
C’est tout néant des choses de ce monde.

ENVOI

Prince, j’ay vu les temps desordonnez;
Sanz droit, sanz loy, païs habandonnez;
Tous maulx courir , iniquité parfonde,
Lesquelz je voy en mieulx estre espérez ;
Mais jà pour ce trop ne vous y fiez :
C’est tout néant des choses de ce monde.

Une belle journée à tous.

Fred
Moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

Ballade de Villon, qu’il donna à un gentilhomme pour l’envoyer à son épouse, par lui conquise à l’epée

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, ballade, ballade amoureuse
Auteur : François Villon (1431 – disparition 1463)
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Titre : Ballade

Bonjour à tous

Q_lettrine_moyen_age_passionuand le maître de poésie médiévale François Villon s’adonne à l’écriture amoureuse, même si ce n’est pas pour lui, son verbe et ses rimes s’envolent aussi hauts que l’épervier de sa ballade. Cela n’a rien de commun avec certains autres de ses textes dans lesquels il nous conte, avec une pointe de satire, ses amours volages ou encore ses autres plus contrariées, mais nul sujet ne résiste au talent immense de Villon et l’on s’en rend bien compte ici.

Bien sûr, il s’agit là encore de Villon et, comme c’est lui, il fallait bien que la ballade qu’il donna à ce gentilhomme, afin que ce dernier l’offrit à son épouse, ait pour contexte une situation spéciale; et c’est ici un combat à l’épée durant lequel nous conte l’histoire, le-dit gentilhomme conquit la belle.

Ballade de Villon donnée à un gentilhomme

Que Villon donna à un gentilhomme, nouvellement marié, pour
l’envoyer à son espouse, par luy conquise à l’espée.

Au poinct du jour, que l’esprevier se bat,
Meu de plaisir et par noble coustume,
Bruyt il demaine et de joye s’esbat,
Reçoit son per et se joint à la plume:
Ainsi vous vueil, à ce désir m’allume.
Joyeusement ce qu’aux amans bon semble.
Sachez qu’Amour l’escript en son volume,
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble.

Dame serez de mon cueur, sans debat,
Entierement, jusques mort me consume.
Laurier soüef qui pour mon droit combat,
Olivier franc, m’ostant toute amertume.
Raison ne veult que je desaccoustume,
Et en ce vueil avec elle m’assemble,
De vous servir, mais que m’y accoustume;
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble.

Et qui plus est, quand dueil sur moy s’embat,*
Par fortune qui sur moy si se fume,
Vostre doulx oeil sa malice rabat,
Ne plus ne moins que le vent faict la fume.
Si ne perds pas la graine que je sume
En vostre champ, car le fruict me ressemble:
Dieu m’ordonne que le fouysse et fume;
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble.

ENVOI.

Princesse, oyez ce que cy vous resume:
Que le mien cueur du vostre desassemble
Jà ne sera: tant de vous en presume;
Et c’est la fin pourquoy sommes ensemble.

*  Quand « dueil sur moy s’embat »: dans un ouvrage de 1835, Jean Henri Romain Prompsault traduit cela par « Quand la tristesse m’accable ».

En vous souhaitant une belle journée où que vous vous trouviez sur notre belle terre, mes amis!

Fréderic EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

PS : plus d’articles sur François Villon sur moyenagepassion