Sujet : Poésie médiévale, poésie satirique. Auteur : François Villon (1431 -1463) Titre : Ballade Villon Période : fin du moyen-âge, bas moyen-âge
Je meurs de soif auprès de la fontaine, Chauld comme feu, et tremble dent à dent, En mon païs suis en terre loingtaine; Lez un brazier friçonne tout ardent; Nu comme ung ver, vestu en president; Je ris en pleurs, et attens sans espoir; Confort reprens en triste desespoir; Je m’esjouys et n’ay plaisir aucun; Puissant je suis sans force et sans povoir, Bien recueilly, debouté de chascun.
Rien ne m’est seur que la chose incertaine, Obscur, fors ce qui est tout evident; Doubte ne fais, fors en chose certaine; Science tiens à soudain accident; Je gaigne tout, et demeure perdent; Au point du jour, diz: «Dieu vous doint bon soir!» Gisant envers, j’ay grant paour de cheoir; J’ay bien de quoy, et si n’en ay pas un; Eschoicte attens, et d’homme ne suis hoir, Bien recueilly, debouté de chascun.
De riens n’ay soing, si metz toute ma paine D’acquerir biens, et n’y suis pretendant; Qui mieulx me dit, c’est cil qui plus m’attaine, Et qui plus vray, lors plus me va bourdant; Mon ami est qui me fait entendant D’ung cygne blanc que c’est ung corbeau noir; Et qui me nuyst croy qu’il m’aide à povoir. Verité, bourde, aujourd’uy m’est tout un. Je retiens tout; riens ne sçay concepvoir, Bien recueilly, debouté de chascun.
Prince clement, or vous plaise savoir Que j’entens moult, et n’ay sens ne sçavoir; Parcial suis, à toutes lois commun. Que fais−je plus? Quoy? Les gaiges ravoir, Bien recueilly, debouté de chascun.
Sujet : poésie et chanson médiévales goliardiques, Troubadours modernes Style : rock néo-médiéval Titre :Estuan Interius, les confessions de l’Archipoète, les confessions de Golias. Période : XIIe siècle, Moyen Âge central Interprétes : Corvus Corax. (XXe!)
Estuans Intrinsecus (Interius), les confessions de l’Archipoète de Cologne.
Bonjour à tous
ous restons, ici encore, en compagnie de la poésie médiévale des Goliards, pour, cette fois, présenter le poème médiéval Estuans Intrinsecus, que l’on connait encore sous le nom de confessions de l’Archipoète, ou confessions de Golias.
Cette fois-ci, l’interprétation moderne et musicale de ce texte ne va pas du côté de Carmina Burana de Carl Orff, même si c’est dans le même ouvrage qui avait inspiré la cantate du compositeur allemand que cette poésie a été retrouvée, et même si on peut supposer que c’est par le biais que le groupe Corvus Corax, également allemand, l’a découvert. Avec cette interprétation des confessions de Golias, nous nous éloignons donc clairement des orchestrations de Carl Orffpour partir à la découverte d’une version résolument « rock néo-médiéval » qui part dans des accélérations qui ne vont pas sans rappeler certains titres de la troupe des compagnons du Gras jambon. Au fond, remis au goût musical du jour, le contenu de cette poésie qui nous conte la vie d’un poète vagabond en révolte s’y prête assez bien.
Estuans Interius ou Estuans Intrinsecus est donc un chant profane latin qui s’inscrit totalement dans la tradition goliardique et la poésie des Goliards. On dit d’ailleurs de son auteur, l’Archipoète de Cologne, qu’il était un immense poète du XIIe siècle et du moyen-âge central et on le désigne même souvent comme un des maîtres de cette tradition littéraire satirique.
Une version signée de Corvus Corax
Qui est l’archipoète ou plutôt qui n’est-il pas?
On rapproche quelquefois l’archipoète de Hugues Primat, autre poète médiéval quelque peu mieux connu. On a même pu dire qu’il n’était qu’une seule et même personne, seulement voilà, il demeure également de nombreux points d’interrogations sur la vie et l’identité réelle de ce Hugues « Primat » et le fait qu’il ait pu cacher comme seconde identité et signature celle de l’archipoète n’est confirmé, au final, presque nulle part: il y a, pourtant, il est vrai, des parentés troublantes entre ces deux personnages que l’on attache, de manière égale, à la tradition goliardique.
Tout d’abord, les deux hommes sont contemporains ; l’archipoète a supposément vécu entre 1130-1167 et Hugues « Primat » (d’Orléans?) en 1095-1160, même si l’on date, avec encore quelques incertitudes, la chanson Estuans Intrinsecus de 1162-1164, date à laquelle Hugues Primatest supposé être déjà décédé. On reconnaît, aussi, aux deux auteurs un don véritable et un talent égal pour la poésie en latin. Primat était, en effet, au même titre que l’Archipoète, un surdoué du verbe; certaines chroniques du XIIIe siècle (rédigées donc près de cent ans plus tard, ça part mal…) reportent de lui qu’il était un « grand truand et grand farceur, et surtout grand versificateur et improvisateur » et ne tarissent pas d’éloges sur sa capacité à improviser et son aisance avec les mots et les vers (1). En même temps, deux grands poètes peuvent être contemporains, cela s’est vu et ne prouve, au final, pas grand chose.
Au titre des « similitudes » encore, on ajoute souvent à notre mystérieux Archipoète, la « particule » de Cologne, car on le disait alors protégé par Reginald Von Dassel, archevêque de Cologne et chancelier de Frédéric Barberousse(ci-dessus portrait de Frédéric 1er, Barberousse)(2)Concernant Hugues Primat, certains textes anciens affirment qu’il était chanoine de Cologne, mais en d’autres endroits, d’autres soutiennent qu’il était chanoine d’Orléans. Nous voilà donc bien avancé. D’une certaine manière, on comprend les tentations qui ont pu voir le jour, à un moment donné, de ranger ces confessions de Golias sous le corpus de Hugues Primat et de lui en attribuer la paternité, mais il reste que sur le papier, rien n’est sûr du tout.
Quand les auteurs se changent en corpus
Concernant ce type de regroupement d’un corpus de textes sous un même auteur, il n’est, hélas, pas rare qu’on ait procédé de la sorte à un certain moment, soit par confusion, soit par commodité. On l’a fait avec de nombreux auteurs du passé et les plus célèbres d’entre eux, au moins. L’Histoire n’en est d’ailleurs sans doute pas l’unique responsable. « On ne prête qu’aux riches », dit-on, mais pour rester dans l’étymologie de l’usure, il faut avouer que c’est parfois usant, même si les historiens du XIXe et le XXe siècles ont contribué à démêler un certain nombre de malentendus.
Au final, dans son article sur Hugues Primat (qui n’est donc pas l’archipoète de Cologne jusqu’à ce que des sources fiables établissent le contraire), l’historien du XIXe siècle Léopold Delisle(portrait ci-contre) va même d’ailleurs jusqu’à désintégrer pratiquement Hugues Primat, l’homme à défaut du poète, pour en faire une sorte de mythe archétypal ou disons au moins, un « nom » sous lequel les étudiants ou les Goliards, ces clercs insubordonnés du XIIe siècle , « rangeaient », en quelque sorte, les textes goliardiques : « C’est un type légendaire, c’est la personnification de l’écolier farceur et quelque peu mauvais sujet » (sic). Et voilà, cette fois, voilà un auteur dissout totalement dans un corpus !
L’archipoète de cologne, un grand maître de la poésie goliardique
Pour revenir à notre archipoète, il semble bien que notre homme, si grand fut-il, ait souhaité rester anonyme ou le soit, de fait, demeuré. Dans le contexte de l’époque, on peut, cela dit, supposer et comprendre qu’une certaine prudence des poètes goliardiques ait pu être de mise, au moment de signer de leur main certaines de leurs poésies ou chansons. Concernant son oeuvre, on lui connait peu de textes, le plus célèbre à ce jour restant ces confessions reprises par Carl Orffdans la cantate Carmina Burana, et par quelques autres troubadours modernes dont notre groupe allemand (décapant) du jour.
Quel que soit l’homme qui se cachait derrière cette mystérieux plume, et espérant que l’Histoire fasse un peu plus de lumière sur lui, à la faveur de nouvelles découvertes, les critiques restent unanimes à louer son style, son rythme & son verbe latin. L’encyclopédie Larousse va même jusqu’à reconnaître qu’il est sans conteste un des grands maîtres de la poésie médiévale des goliards : « ses compositions sur des sujets politiques ou satiriques font de lui un des maîtres de la poésie latine rythmique et portent la tradition poétique des clercs errants à son apogée. » (3).
De fait, outre la beauté du texte, ces confessions de l’Archipoète font l’effet d’un véritable manifeste de l’esprit des goliards et reflètent bien l’inspiration qu’ont suivi ces clercs insoumis ou ces étudiants qui prirent la route pour se laisser aller à l’hédonisme, aux plaisirs d’une vie au jour le jour, mais aussi au vagabondage, dans le courant du XIIe siècle.
Voilà donc notre poète médiéval, vagabond, errant et insubordonné, son « manifeste » parvenu jusqu’à nous, et qui peut, encore aujourd’hui et pour certains, faire figure d’ancêtre lointain aux premiers poètes « maudit ». Et l’on n’est pas surpris de voir que l’on attache à son nom celui d’un François Villon, d’un Rutebeuf, mais encore d’un William Blake et d’autres de nos poètes contemporains. Avec le vent de liberté qui y souffle, ces confessions, devenue un véritable symbole de la poésie satirique des goliards du XIIe siècle, demeurent comme le lointain témoignage d’une volonté de s’affranchir des normes et la bienséance sociale et, pour être resté anonyme, on est bien forcé de constater que notre archipoète n’en est pas moins entré, à sa manière, dans la postérité!
Estuans intrinsecus (interius) traduction paroles latines originales et version française
Ne nous en veuillez pas mais nous avons fait à notre habitude. Il existe de très belles et très allégoriques traductions de cette poésie, du côté des anglais notamment ( voir The Wandering Scholars of the Middle Ages, de Helen Waddell), mais elles demeurent presque totalement intraduisibles sans être revisitées totalement, ce qui les éloignerait encore d’autant du texte original. On trouve encore sur le web une très jolie version du côté belge (André Wibaux). Fortement remaniée, elle se présente plus comme une poésie à part entière, inspirée de l’originale. Du côté français, il existe encore quelques traductions plus littérales mais hélas peu convaincantes. Alors face à tout cela, nous avons décidé de vous proposer, en toute modestie, notre propre adaptation de ces confessions de Golias et cet Estuans intrinsecus; l’idée étant d’approcher le sens originel de cette poésie, nous n’avons pas cherché la rime à tout prix. Nous y reviendrons sans doute plus tard; un peu comme un bon vin, il faut toujours un peu de temps pour s’approprier une poésie.
ira vehementi in amaritudine loquor mee menti: factus de materia, cinis elementi similis sum folio, de quo ludunt venti.
Colère Bouillonnante aux relents amers Je vous livre ma pensée: Moi qui suis fait de matière, élément de poussière, Je suis semblable à la feuille dans le vent joueur.
Cum sit enim proprium viro sapienti supra petram ponere sedem fundamenti, stultus ego comparor fluvio labenti, sub eodem tramite nunquam permanenti.
Comme il est approprié pour un homme sage, d’asseoir sur pierre solide fondations et bases, Je suis, quant à moi, un fou un ruisseau sauvage, suivant le même trajet sans jamais dévier.
Feror ego veluti sine nauta navis, ut per vias aeris vaga fertur avis; non me tenent vincula, non me tenet clavis, quero mihi similes et adiungor pravis.
Navire sans matelot Je vais, je dérive, et, dans l’air, comme l’oiseau me laisse porter, Nulle chaîne qui me tienne, Nulle clef qui me lie, Je cherche ceux comme moi Et rejoint leurs meutes.
Mihi cordis gravitas res videtur gravis; iocus est amabilis dulciorque favis; quicquid Venus imperat, labor est suavis, que nunquam in cordibus habitat ignavis.
La gravité de mon cœur m’est trop lourd fardeau; plaisanter plus agréable, plus doux que le miel. Que Vénus me commande et la tâche est douce, car elle n’habite jamais dans le cœur des faibles.
Via lata gradior more iuventutis inplicor et vitiis immemor virtutis, voluptatis avidus magis quam salutis, mortuus in anima curam gero cutis.
Je vais sur la large route, en pleine jeunesse, Me laissant aller au vice oubliant ma vertu, Avide de voluptés, Plus que de Salut; Et si mon âme est perdue Je soigne ma peau.
Bonne journée!
Fred pour moyenagepassion.com. A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : poésie et chanson médiévales, humour médiéval, Goliards et poésie goliardique. Période : moyen-âge central, XI au XIIIe siècle Média : « in tabernum », tirée de Carmina Burana, Compositeur : Carl Orff Interprètes :Artefactum
In tabernum, Carmina Burana de Carl Orff
Humour médiéval au sens propre
ue les puristes et amateurs d’Histoire médiévale se réjouissent, aujourd’hui, en plus de parler de poésie, nous abordons l’humour médiéval sous une perspective historique. Jusque là, vous l’aviez compris, cette rubrique du site s’adressait plus à des façons modernes de rire du moyen-âge qu’à des commentaires éclairés sur l’humour médiéval d’époque. Cela ne changera d’ailleurs pas, dans cette rubrique, il sera bien toujours question de se divertir et de rire plus que de faire une sorte d’anthologie du rire médiéval, (qui, en réalité, serait surement nettement moins drôle comme le sont souvent les ouvrages qui parlent d’humour sans en faire). Nous allons donc continuer de maintenir cette partie du site dans son esprit original mais, une fois n’est pas coutume, nous dérogeons un peu à la règle, ici, pour parler de poésie satirique et d’humour médiéval « d’époque » donc.
Cet article a aussi sa place dans la rubrique musiques médiévales puisque nous postons ici un extrait de Carmina Burana par le groupe Artefactum(photo de droite): « cantate scénique du XXe siècle », me direz-vous! A quoi je répondrai: « certes!, » mais les paroles de cette cantate sont inspirées de poésies médiévales et goliardiques du XIIIe siècle, tirées justement du manuscrit du même nom, « Carmina Burana » découvert en 1803 à l’abbaye de Benediktbeuern, d’où sa légitime présence ici. (illustration en tête d’article, roue de la fortune, tiré de ce manuscrit)
Qui étaient les goliards?
Pour la plupart, les Goliards étaient de jeunes clercs, insoumis, qui ne s’intégraient pas aux institutions, ou même des étudiants en théologie ou en droit ayant délaissé leurs brillantes études ou ne les ayant pas encore achevées. Dans le courant du XIIe et XIIIe siècle, ce terme a donc désigné ces jeunes gens qui avaient pris la route et vagabondaient, troquant leur pitance contre leurs services, leurs poésies, ou leurs enseignements. Insouciants et peu conformistes, ces clercs chantaient alors, en latin et avec humour, les joies de la taverne – vantant les jeux et la boisson que l’on y trouvait -, mais aussi les plaisirs de la chair, et raillaient encore les religieux ou détournaient les ouvrages sacrés pour s’en moquer. Se faisant, ils suscitèrent, d’ailleurs, les foudres de l’Eglise et des universités qui, dans le courant du XIIIe siècle, condamnèrent, à diverses reprises ces clercs « ribauds » (débauchés) pour leurs agissements. (à droite, une miniature flamande de la fin du XVe siècle, scène de beuverie).
Goliards, littérature et poésie goliardique
Les Goliards nous ont laissé pour héritage des chansons et poésies satiriques et le nom d’un genre littéraire que l’on a regroupé sous l’appellation de poésie goliardique. Au sujet de leur influence littéraire, on va quelquefois jusqu’à leur prêter d’être à la genèse de la tradition satirique européenne ancienne et moderne (1) et on leur reconnaît souvent d’avoir eu une influence certaine sur l’art et la poésie de Rutebeuf et, plus tard, de Villon. Il faut noter qu’en dehors de ces clercs errants dont l’Histoire pour la plupart, n’a pas retenu les noms, d’autres auteurs célèbres s’étaient aussi essayés au genre dès le début du XIIe siècle (Abélard, Archipoeta de Cologne, Hugues d’Orléans, Gautier de Châtillon entre autres).
Les Goliards se sont-ils également inspirés de ces textes et de cette littérature, en la nourrissant à leur tour, de leurs créations? D’une certaine manière, nous sommes un peu face à la question de la poule et de l’oeuf; s’il est, en effet, facile de repérer l’influence de cette tradition satirique dans certains écrits et, par là, de savoir qui alimente cette littérature, affirmer qui en a allumé le feu ou peut en revendiquer la paternité est une autre paire de manches. Pour rester prudent, disons donc, pour l’instant, que l’ensemble de la poésie que l’on a nommé « goliardique » s’inscrit dans un corpus que ces jeunes clercs errants ont participé activement à alimenter, et en tout cas, suffisamment pour que la chose nommée dérive de l’appellation qu’on leur donnait.
Pour rejoindre les réserves ci-dessus, en fait d’accorder à ces goliards d’être les grands inspirateurs d’une certaine tradition satirique, d’autres auteurs, ailleurs, s’accordent plus à voir en ces clercs miséreux et à demi mendiants, de simples groupes d’ivrognes suffisamment lettrés pour écrire le latin, quand ce ne sont pas que des adolescents encore rebelles et bientôt rangés. O vérité historique, combien ta quête est quelquefois difficile! Voilà encore un sujet qu’il faudra creuser, plus avant, pour le démêler un peu.
(ci-contre scène de beuverie dans une taverne médiévale, fin du XIVe, British Library, Londres)
Au titre des questions qui courent sur les goliards, en tant que mouvement social et humain, les opinions entre historiens restent également partagées. Allaient-ils en bandes itinérantes véritablement structurées, ou, même, comme le suggérait à la fin du XIXe siècle l’historien médiéviste Joseph Bédier (1864-1938), étaient-ils un groupe de pression puissant, organisé comme une confrérie ou une société secrète? Bien loin de ces affirmations, Daniel POIRION (1927-1996), un autre grand historien, spécialiste du moyen-âge, nous enjoint, là encore, à la prudence. Selon lui, les sources historiques ne nous permettent d’établir rien de certain sur la dimension sociale et humaine du mouvement des goliards, et il reste de l’avis qu’en l’absence de faits avérés, il vaut mieux plutôt s’intéresser à la tradition littéraire goliardique qui est, je le cite, « d’une grande violence satirique, mais aussi d’une belle puissance poétique ». (2)
Une fois de plus, il semble que le temps et l’absence de sources, ont, pour l’instant, emporté avec eux une bonne partie des secrets de ces Goliards, en nous laissant un peu sur notre faim les concernant. Fort heureusement, il nous reste, tout de même d’eux, quelques textes qui ont traversé les âges et qui témoignent d’un certain regard insoumis, satirique, humoristique et festif sur ce moyen-âge central dont ils étaient contemporains. De l’humour médiéval donc, du vrai et de l’irrévérencieux!
La vidéo musicale, en tête de cet article et qui nous a fourni le prétexte à aborder la question des Goliards, est un extrait de la cantate Carmina Burana du compositeur allemand Carl Orff (1895-1982) (photo ci-dessous) interprété ici par l’excellent groupe, amateur de musique médiévale, ArteFactum . On doit à Carl Orff d’autres pièces que celle-ci, mais le succès populaire de cette cantateaura, d’une certaine manière, éclipsé le reste de son oeuvre auprès du grand public. D’ailleurs, Carmina Burana n’est qu’une partie d’un tryptique qui comprend deux autres pièces qui n’ont pas non plus rencontré, pour l’instant en tout cas, le même écho. Quoiqu’il en soit, la cantate Carmina Burana reste, comme nous le disions plus haut, inspirée de poésies médiévales et goliardiques du XIIIe siècle et le texte « quand nous sommes à la taverne » dont nous vous livrons ci-dessous les paroles est, bien évidemment, issu de cette tradition.
« In taberna quando sumus », version latine
In taberna quando sumus, non curamus quid sit humus, sed ad ludum properamus, cui semper insudamus. quid agatur in taberna ubi nummus est pincerna, hoc est opus ut quaeratur; si quid loquar, audiatur.
Quidam ludunt, quidam bibunt, quidam indiscrete vivunt. sed in ludo qui morantur, ex his quidam denudantur, quidam ibi vestiuntur, quidam saccis induuntur; ibi nullus timet mortem, sed pro Baccho mittunt sortem.
Primo pro nummata vini; ex hac bibunt libertini; semel bibunt pro captivis, post haec bibunt ter pro vivis, quater pro Christianis cunctis, quinquies pro fidelibus defunctis, sexies pro sororibus vanis, septies pro militibus silvanis. octies pro fratribus perversis, nonies pro monachis dispersis, decies pro navigantibus, undecies pro discordantibus, duodecies pro paenitentibus, tredecies pro iter agentibus.
Tam pro papa quam pro rege bibunt omnes sine lege. Bibit hera, bibit herus, bibit miles, bibit clerus, bibit ille, bibit illa, bibit servus cum ancilla, bibit velox, bibit piger, bibit albus, bibit niger, bibit constans, bibit vagus, bibit rudis, bibit magus, Bibit pauper et aegrotus, bibit exul et ignotus, bibit puer, bibit canus, bibit praesul et decanus, bibit soror, bibit frater, bibit anus, bibit mater, bibit ista, bibit ille, bibunt centum, bibunt mille.
Parum sescentae nummatae durant cum immoderate bibunt omnes sine meta, quamvis bibant mente laeta; sic nos rodunt omnes gentes, et sic erimus egentes. qui nos rodunt confundantur et cum iustis non scribantur.
« Quand nous sommes à la taverne »
version français moderne
Quand nous sommes à la taverne que nous importe de n’être que poussière , mais nous nous hâtons pour les jeux , qui nous mettent toujours en sueur Ce qui se passe dans la taverne où l’argent est le roi ça vaut le coup de demander et d’écouter ce que je dit.
Certains jouent , certains boivent , d’autres vivent sans pudeur De ceux qui jouent , certains se retrouvent nus certains sont rhabillés d’autres sont mis à sac . Personne ici ne craint la mort mais ils misent le sort pour Bacchus .
Le premier est pour le tournée , puis les affranchis boivent , une autre fois pour les prisonniers , une troisième pour les vivants , une quatrième pour les Chrétiens , une cinquième pour les fidèles défunts , une sixième pour les sœurs légères , une septième pour la troupe en campagne .
Une huitième pour les frères pervertis , une neuvième pour les moines dispersés , une dixième pour ceux qui naviguent une onzième pour les plaideurs , une douzième pour les pénitents , une treizième pour les voyageurs , une pour le pape une pour le roi tous boivent sans loi .
La patronne boit , le patron boit , le soldat boit , le prêtre boit , celui-ci boit , celle-ci boit , l’esclave boit avec la servante , l’agile boit , le paresseux boit , le blanc boit , le noir boit , le pondéré boit , l’inconstant boit , le fou boit , le sage boit , Le pauvre et le malade boivent , l’exilé et l’étranger boivent , l’enfant boit , le vieux boit , l’évêque et le doyen boivent , la sœur boit , le frère boit , la vieille boit , la mère boit , celui-ci boit ,celui-là boit , cent boivent , mille boivent .
Six cent pièces filent vite , quand , sans retenue tous boivent sans fin . Mais ils boivent l’esprit gai , ainsi nous sommes ceux que tous méprisent et ainsi nous sommes sans le sou , Ceux qui nous critiquent iront au diable et avec les justes ne seront pas comptés.
Voilà pour aujourd’hui, mes amis, donc, cette fois-ci, une belle journée et si d’aventure cet article vous a donné grand soif, une bonne santé avec modération!
Fred
Pour moyenagepassion.com A la recherche du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : Ballade, poésie médiévale, poésie satirique, réaliste, prière, frères humains. Titre : L’Épitaphe de Villon ou » Ballade des pendus » (appelé aussi « frères humains ») Auteur : François Villon (1431-1463) Période : XVe siècle, moyen-âge tardif Thème : poète médiéval, troubadour et trouvère du moyen-âge.
ur François Villon et sa vie de bohème, de prisonnier et de hors la loi, beaucoup a été dit et écrit, sur son chemin de misère et d’anticonformiste, ses douleurs du fond de ses geôles, son humour, ses amitiés, et bien sûr sa poésie réaliste ou satirique dans un moyen-âge finissant qui se prépare déjà à renaître bientôt en siècle « des lumières », mais, au bout du compte et par delà toutes les analyses de textes ou de sens, le plus beau que nous laisse cet auteur magistral, poète marginal et éclairé, reste et restera toujours à lire ou à écouter.
Cet Epitaphe de Villon ou « ballade des pendus » a été conté, lu ou dit maintes fois, chanté aussi bien sûr par Léo Ferré dans une version très inspirée mélangée de sa propre poésie, mais pour varier un peu cette fois et pour rester totalement fidèle au texte de François Villon qui se suffit à lui-même, nous avons choisi la version d’un troubadour des temps modernes.
Son nom est Mil Marie Mougenot et il est tout à la fois, chanteur, musicien, artiste, joueur de vièle à roue et autres instruments anciens qui nous apportent un peu de ce monde médiéval lointain. Cet artiste troubadour des temps modernes que vous croiserez peut-être, à l’ombre d’un rempart ou d’une tour maîtresse au hasard d’un festival ou d’une fête médiévale, propose aussi dans son répertoire, en dehors des chansons en provenance du moyen-âge, d’autres chants populaires ou encore des chants spirituels. Je vous encourage à le découvrir sur son site web ici.
« L’épitaphe de Villon »
interprété par Mil Marie Mougenot
Sur une musique de sa propre composition, filmé au Château de Crosville sur Douve en Mars 2014.
Les paroles de « Epitaphe de villon »
dans le français original de François Villon
Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les cueurs contre nous endurciz, Car, si pitié de nous povres avez, Dieu en aura plustost de vous merciz. Vous nous voyez cy attachez, cinq, six: Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie, Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s’en rie ; Mais priez Dieu que tous nous vueille absoudre!
Se vous clamons, frères, pas n’en devez Avoir desdaing, quoyque fusmes occis Par justice. Toutesfois, vous savez Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis. Intercédez doncques de Cueur rassis, Envers le Fils de la Vierge Marie Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l’infernalle foudre. Nous sommes mors, ame ne nous harie, Mais priez Dieu que tous nous vueille absoudre!
La pluye nous a débuez et lavez, Et le soleil desséchez et noirciz; Pies, corbeaux nous ont les yeux cavez, Et arraché la barbe et les sourcilz. Jamais nul temps nous ne sommes rassis Puis ça, puis la, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charrie; Plus becquetez d’oyseaulx que dez à couldre. Hommes, icy n’usez de mocquerie ; Mais priez Dieu que tous nous vueille absoudre!
Prince Jésus, qui sur tous seigneurie Garde qu’Enfer n’ayt de nous la maistrie: A lui n’ayons que faire ne que souldre. Ne soyez donc de notre confrairie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absoudre!
Une excellente journée à tous dans la bonne humeur et la joie de ne point nous trouver pendus!