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Les Vaux de Vire d’Olivier Basselin : joyeux poète normand entre mythe et réalité

chansons-a-boire-normande-humour-moyen-age-renaissanceSujet : vaux de vire, chansons à boire, poésies satiriques,  humour, vaudevire, Vire, Normandie.
Période : Moyen Âge tardif, Renaissance
Auteur : Jean le Houx (1550-1616), Ollivier Basselin (vers   1400-1450 ?)
Sources    : Vaux-de-Vire d’Olivier Basselin et Jean Le Houx, PL Jacob  (1858). Les Vaudevires Olivier Basselin, Jean le Houx… et Vire,   Yvon Davy,    Association La Loure – Musiques et Traditions Orales de Normandie,  2017 (consulter en ligne  – Lien alternatif téléchargement).

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans le courant du XVe siècle, en Normandie et plus précisément dans le Calvados, aurait vécu, en la cité de Vire, un poète du nom d’Olivier Basselin. Peu soucieux de chanter l’amour, l’homme aurait laissé, derrière lui, un legs fait d’odes à Bacchus et de chansons à boire, au point même d’avoir donné naissance et  des  lettres de noblesse à un genre local   : le Vaux de Vire ou Vaudevire. Bien sûr, la Normandie ne l’avait pas attendu pour entonner ses premières chansons à boire même si certains auteurs du passé, en plus d’avoir fait de Basselin le créateur des premiers vaudevires, ont, quelquefois généralisé en cherchant à en faire le père des chansons à boire normandes.

Faits  ou légendes

deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissanceA  partir de ce là, le médiéviste rigoureux, comme l’amateur d’histoire médiévale, s’efforceront de tout mettre au conditionnel. Dans les manuscrits du XVe siècle, contemporains de Basselin, on ne connait,  en effet, aucune sources écrites de ses chansons. Ces dernières ne nous sont « parvenues » que par l’intermédiaire de  Jean le Houx. Cet auteur,  poète et avocat de Vire les fit éditer, près d’un siècle après  la disparition supposée de Basselin. supposément après les avoir transcrites depuis la tradition orale. C’est, en tout cas, ce que l’on a pris pour argent comptant jusqu’au XVIIIe siècle et même un peu plus tard encore.

On en est revenu depuis pour plusieurs raisons que nous exposerons. L’une des premières tombe sous le sens. Plus de 65 chansons ayant traversé le temps, durant un siècle, pour survivre dans la tradition orale ?  Même si l’on a admis d’emblée que Jean le Houx avait pu les arranger à sa sauce et les moderniser en terme langagier, cela parait  tout de même beaucoup.  Sur un tel corpus, il demeure tout de même étonnant qu’aucune pièce n’ait pu être retrouvées dans des manuscrits plus contemporains du XVe.  Le Moyen Âge tardif n’est pas le XIIe siècle  et un nombre conséquent de manuscrits de ce siècle nous sont parvenus.  En dehors de cette absence d’écrits, d’autres raisons viennent encore s’ajouter. Nous les aborderons un peu plus loin mais intéressons-nous d’abord aux sources sur l’auteur lui-même, à défaut d’en trouver sur son oeuvre.

Sur l’existence factuelle d’un Ollivier Basselin ?

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Une chanson dédiée à Olivier Basselin dans le Manuscrit de Bayeux ( Français 9346 ) BnF, département des manuscrits

D’un point de vue factuel, il semble tout à plausible qu’un dénommé Ollivier Basselin, originaire de Vire, ait existé dans le courant du XVe siècle. La mort d’une personnage portant son nom est même évoquée dans une chanson du Manuscrit de Bayeux (fr 9346) daté de la fin de ce même siècle (consulter sur Gallica), ainsi que dans d’autres sources de la même période. Cette chanson du Ms fr 9346 apporte du crédit au fait qu’un homme du nom d’Ollivier Basselin aurait été un joyeux buveur, doté   d’une certaine notoriété locale.  D’après ce texte toujours l’infortuné serait tombé de la  main des anglais.

Hellas Ollivier Basselin
N’orron point de vos nouvelles
Vous ont les Engloys mys à fin.

Vous soulliés gayement chanter
Et demener joyeuse vye
Et les bons compaignons hanter
Par le pays de Normendye.

Jusqu’à Sainct Lo, en Cotentin,
En une compaignye moult belle
Oncques ne vy tel pellerin.

Les Engloys ont faict desraison
Aux compaignons du Vau de Vire,
Vous n’orrez plus dire chanson
A ceulx qui les soulloient bien dire.

Nous priron Dieu de bon cueur fin,
Et la doulce Vierge Marie,
Qu’il doint aux Engloys malle fin.
Dieu le Père fi les mauldye

Quelques autres sources viendront renforcer cette réputation de joyeux drille de Basselin et son goût pour la boisson. Le personnage semble même s’être taillé une telle réputation dans la tradition qu’il en est devenu  un « personnage » haut en couleurs et l’archétype local du buveur. C’est en tout cas ainsi qu’on le retrouve cité  dans d’autres chansons de la fin du XVe et du XVIe siècle.

deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissancePour le reste, quelques sources supplémentaires sérieuses mentionnent un Ollivier Basselin en 1405 taxé d’une amende et encore un autre, à 55 ans de là, en 1459. Au vue des dates, ce dernier qui était Maître des œuvres du Roi n’était certainement pas le même que le premier. Quant à d’autres sources sur ce patronyme, il a effectivement existé un Moulin Basselin ou Beusselin à Vire, même si son existence n’est attestée, dans les sources, qu’au milieu du XVIe siècle.

Pour d’autres auteurs plus tardifs, Basselin aurait aussi incarné une forme de résistance normande contre les anglais, dans la période troublée de la guerre de cent ans. Selon cette hypothèse, la compagnie entourant le personnage n’aurait donc pas été  qu’une compagnie de buveurs.   Alors, boit- sans-soef ou héros résistant  ?   L’histoire locale hésitera. Pourtant, là encore, si  la chanson ci-dessus clame que les anglais ont mis fin à la vie de Basselin, ce qui pourrait peut-être établir une forme d’action résistante, il n’y a pas matière, dans ces quelques vers, sauf à verser dans le lyrisme, à en faire un chef de file et un meneur. Entre flou et certitude,   voilà, en tout cas, le peu d’éléments   que les faits  nous apportent.

Un étrange « air de famille »

vaux-de-vire-chansons-a-boire-normande-jean-le-houx-renaissance-XVIe-sieclePlus d’un siècle après la vie supposée de Basselin, un autre auteur et poète du nom de Jean le Houx (1551-1616) éditait donc des « vaux de vire » du légendaire buveur. Il aurait consigné par écrit de larges restes de tradition orale qui auraient permis de faire parvenir jusqu’à lui les pièces de Basselin. Encore une fois, aucune trace écrite ne subsiste au XVe de chansons ou de poésies attribuées à Basselin ;  quand Le Houx édite son ouvrage,  nous sommes autour de 1576. Pour comble, l’histoire joue de malchance puisque les traces de son édition originale seront égarés dans un premier temps. Il faudra même attendre  près d’un siècle de plus (1660-1670), pour qu’un nouvel éditeur de vire  Jean de Cesne  ne republie, à son tour, les vaudevires de Jean le Houx, accompagnés de ceux prêtés à Basselin.

Comme de nombreux auteurs du Moyen Âge, c’est dans le courant du XIXe siècle que le nom de Basselin resurgira pour donner lieu à de multiples publications. Auguste Asselin, politique et homme de lettres local,  sera parmi les premiers à redonner aux vaux de vire et à l’auteur, de nouvelles lettres de noblesse en publiant  en 1811,  un grand recueil sur le sujet. Reprenant l’ouvrage de Jean de Cesne, il  prendra acte, sans véritablement avoir le moyen de l’établir, ni de le vérifier, du fait que le Houx était bien l’éditeur de l’oeuvre de Basselin. Dans manuscrit-de-caen-vaudevire-jean-le-houxun XIXe siècle, qui s’enflamme pour l’histoire de ses régions, autant que pour leurs racines médiévales, de nombreux auteurs voudront croire en cette origine ancienne du Vaudevire, et en l’authenticité des pièces attribuées à Basselin.

Pourtant, dans ce même siècle friand de débats autant que de méthodologie, certains médiévistes viendront bientôt contester la paternité réelle de ces textes. Faits maigres, sources inexistantes, on fait aussi remarquer de troublantes similitudes de style entre les vaux de vire attribués à Basselin et ceux attribués à Jean Le Houx. Dans ces contradicteurs, on retrouvera notamment Eugène de Beaurepaire, historien chartiste et normand du XIXe siècle (voir Mémoire de la société des antiquaires de Normandie), ainsi vaux-de-vire-jean-le-houx-manuscrit-ancien-renaissanceque Armand Gasté,   historien et homme de lettres, originaire de Vire (1875).  A partir du Manuscrit de Caen Ms 0207  (photo ci-dessus et ci-contre), les deux auteurs s’évertueront à démontrer que l’ouvrage est, en réalité, le manuscrit original de Jean le Houx. Pour eux, certaines ratures ne trompent pas, il s’agit bien  de l’oeuvre tâtonnante d’un auteur qui cherche son style et non point d’un copiste qui retranscrit.

Jean le Houx n’a-t-il fait que moderniser les chansons à boire de Basselin comme on l’admettait déjà depuis plusieurs siècles ? A l’évidence, son langage  est proche du français moderne et n’est déjà plus le moyen français du Moyen Âge tardif. A-t-il pu les créer ex nihilo, inspiré, peut-être, par un faisceau de tradition ou une rumeur plutôt que par de véritables sources orales ?  Il les a, en tout cas, modelé à ce point à sa main qu’il y a même introduit des éléments autobiographiques.


chansons-a-boire-normande-vaux-de-vire-Olivier-Basselin-poesie-medievale-humour-XVe-renaissanceOn trouve encore édité ces vaux-de-vire d’Olivier Basselin et Jean le Houx chez Forgotten Books : Vaux-De-Vire d’Olivier Basselin Et de Jean Le Houx: Suivis d’Un Choix d’Anciens Vaux-De-Vire Et Chansons Normandes tirés Des Manuscrits. On notera que l’éditeur a choisi de maintenir  Olivier Basselin comme auteur de l’ouvrage.


Face à tant de brouillard  et malgré  le   peu de sources d’époque venues plaider en faveur de l’authenticité des pièces,   il fallut bien pourtant que les avis demeurent partagés. La polémique continua même, jusque dans le courant du XXe siècle, selon que l’on désirait vouloir insuffler la vie à cet auteur médiéval dans l’ouvrage de Jean le Houx ou lui ôter.   Entre tradition orale, sources présentes mais  imprécises, bon vivant et « héros » supposé d’une résistance locale contre l’angloys,  la légende, était, il faut le dire, séduisante pour qui se cherchait un passé grandiloquent ou truculent. Sous l’égide d’une histoire partiellement éprise de ses traditions locales, on pourrait presque retrouver là, un peu de l’attachement de la Provence aux grandes envolées littéraires des vitas de ces troubadours. Les faits deco-chansons-a-boire-normandes-humour-medieval-renaissancepourtant ou leur absence ne pardonnent guerre en histoire, et dans les vides qu’ils laissent, les plus sceptiques l’emportent souvent sur les rêveurs .   Croire ou ne pas croire, la question se pose quelquefois, même en Histoire.  On notera du reste que, dans des sources comme wikipédia  ou même pour certains éditeurs, la vie d’Olivier Basselin et son oeuvre continuent d’être présentés comme des faits actés.

De  Basselin à Le Houx, dans  une complicité mêlée de cousinage local qui s’est nouée d’un siècle à l’autre, on verra sans doute plus l’hommage rendu que le fait littéraire historique authentique. Il en demeure, en tout cas, un genre, qu’on nomme  le Vaudevire et qui s’épanche du côté de la satire   légère, de l’humour de taverne et de la chanson à boire (à consommer, pour la substance, avec modération). Il en demeure quelques pièces drôles, plus renaissantes que médiévales dans leur langage  et que nous partagerons ici, de temps à autre. En voici une première  , dont on notera, au passage qu’elle sonne bien  plus comme un chant antimilitariste que comme un chant résistant.


La guerre et le vin

Hardy comme un Cesar, je suis à ceste guerre
Où l’on combat armé d’un grand pot et d’un verre.
Plus tost un coup de vin me perce et m’entre au corps,
Qu’un boulet qui cruel rend les gens si tost morts.

Le cliquetis que j’aime est celui des bouteilles,
Les pipes, les bereaux (broc, tonneaux ?), pleins de liqueurs vermeilles,
Ce sont mes gros canons qui battent sans failler
La soif, qui est le fort que je veux assaillir.

Je trouve, quant à moy, que les gens sont bien bestes
Qui ne se font plus tost au vin rompre les testes,
Qu’aux coups de coutelas en cherchant du renom :
Que leur chaut (de chaloir), estant morts, si l’on en parle ou non ?

De trop boire frappée, une teste en reschappe ;
Sent bien un peu de mal, lorsque le vent la happe,
Mais, quand  on a dormy, le mal s’en va soudain
A ces grands coups de Mars (Dieu de la guerre), tout remède y est vain.

Il vaut bien mieux cacher  son nez dans un grand verre ;
Il est mieux asseuré qu’en un casque de guerre.
Pour cornette ou guidon, suivre plus tost on doit,
Les branches d’hiere ou d’if qui monstrent où l’on boit (1).

Il vaut mieux, près beau feu, boire la muscadelle (cidre),
Qu’aller sur un rempart faire la sentinelle.
J’aime mieux n’estre point en taverne en defaut
Que suivre un capitaine à la bresche, à l’assaut.

Neanmoins, tout excez je n’aime et ne procure   ;
Je suis beuveur de nom et non pas de nature.
Bon vin qui nous fais rire et hanter nos amis,
Je te tiendray tousjours ce que je t’ay promis.

(1) Selon PL Jacob cela pourrait être   en allusion au Buis   (burus, bouchon) qui aurait désigné les   tavernes ou cabarets de village


En vous souhaitant une  belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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« J’en ay le dueil et vous la joye », un rondeau de Blosseville

poesie-medievale-rondeaux-cour-charles-Orleans-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet  : poésie médiévale, auteur médiéval, poète, amour courtois, loyal amant,    français 9223
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Blosseville
Titre
: j’en ay le dueil
Ouvrage    :   Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle  de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu XVe siècle, la poésie de Blosseville traverse    la cour de Charles d’Orléans. Elle n’est pas la seule à le faire ; on se presse alors autour du prince, amateur de lettres et d’art, lui-même grand poète, et, entre concours et jeux poétiques, on vient y exercer sa plume.   François Villon, lui-même, fréquentera l’endroit, durant une courte période, et nous en laissera quelques pièces.

blosseville-rondeau-amour-courtois-XVe-moyen-age-tardifA l’image d’autres auteurs et nobles venus s’essayer à la rime auprès de Charles d’Orléans, on  retrouve la poésie de Blosseville, notamment dans le MS Français 9223   conservé à la BnF. Daté du XVe siècle, l’ouvrage semble même être copié de la main de notre poète. On y trouve un peu moins de 200 pièces de quarante auteurs différents et c’est, on s’en souvient,  un manuscrit dont Gaston Raynaud fit la transcription dans  Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle, en    1889.

Blosseville, entre jeux courtois et poésie distanciée

Inconstance sentimentale, déboires passagers ou  simplement jeux littéraires  ? Dans ses différentes poésies, notre auteur médiéval se montre tantôt  ironique et critique à l’encontre de  l’amour courtois,    tantôt, on le retrouve   s’y prêtant avec talent et même émotion, comme dans ce rondeau du jour.  Faut-il alors prendre Blosseville au premier degré ou relativiser son propos, à la lumière des autres pièces ? A juger l’ensemble, le jeu de pendule auquel  il se livre, semble  plutôt être la marque d’un exercice littéraire ludique et tout en distance.  Après tout, on meurt plus d’amour dans les vers des poètes du Moyen Âge qu’on ne le fait dans la réalité et nous sommes de l’avis (qui n’engage que nous), de prendre la poésie de  cet auteur du Moyen Âge tardif,    plus au sérieux que son contenu.


J’en ay le dueil, Blosseville

J’en ay le dueil, et vous la joye,
J’en ay la guerre, et vous la paiz,
J’en cours, et vous allez en paiz,
J’en ay courroux, qui vous resjoye,
Vous en riez, et j’en lermoye,
Vous en parlez, et je m’en tais ;
J’en ay le dueil, et vous la joye,
J’en ay la guerre, et vous la paiz.

Vous vous bangnez, et je me noye,
Vous vous faictez, je me deffais,
Vous me blasmez, dont ne puis mais,
Vous ne voulez, que g’y pourvoye ;
J’en ay le dueil, et vous la joye,
J’en ay la guerre, et vous la paiz,
J’en cours, et vous allez en paiz,
J’en ay courroux, qui vous resjoye.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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L’esprit des lois selon Henri Baude, poète satirique du XVe

henri-baude-auteur-medieval-poesie-satirique-moyen-age-tardif-vieux-francaisSujet : poésie morale, poète satirique,   poésie médiévale, politique, lois, dits moraux, poésie courte, français moyen
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Henri Baude (1430-1490)
Ouvrage  :    Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle,  M. Jules Quicherat (1856),

Bonjour à tous,
E_lettrine_moyen_age_passionn continuant notre exploration de la littérature médiévale, voici quelques vers bien tournés   de Henri   Baude, poète du Moyen Âge tardif.  Ils sont extraits de ses  Dictz moraulx pour mettre en tapisserie. Ces petites historiettes, qui ne constituent qu’une partie de son oeuvre, mettaient en scène des personnages variés. Elles étaient destinées à être brodées  ou même encore des peintes sur  du verre ou d’autres objets décoratifs.


Le  bon homme et la toile d’araignée

Ung bon homme regardant dans ung bois ouquel a
entre deux arbres une grant toille d’éraigne. Ung
homme de court luy dit :

— Bon homme, diz-moy, si tu daignes,
Que regarde-tu en ce bois?

LE BON HOMME.

Je pence aux toilles des éreignes
Qui sont semblables à noz droiz :
Grosses mousches en tous endroiz
Passent; les petites sont prises.

LE FOL.

Les petitz sont subjectz aux loix.
Et les grans en font à leurs guises.

Dictz moraulx pour mettre en tapisserie    Henri Baude


Henri Baude, esquisse de biographie

Suivant ses biographes ( Jules Quicherat et Pierre Champion ), Henri Baude est né autour de 1430, à  Moulins.  Il est donc contemporain de François Villon même s’il  a vécu bien plus longtemps que ce dernier.

Les mésaventures d’un  petit  fonctionnaire, poète satirique à ses heures

L’histoire n’est pas très précise sur son éducation mais on retrouve Buade à l’âge adulte, commis à la cour. Au moment de la praguerie, il a tout d’abord suivi le dauphin Louis XI, alors prince, dans le conflit qui l’opposait à son père  Charles VII. Finalement, le fonctionnaire royal changera d’avis et reviendra  vers la couronne officielle. Cela  peut, peut-être, expliquer sa nomination en 1458, comme « élu » attaché à la cour du roi. La fonction consistait à  répartir l’impôt, mais aussi  à collecter et traiter les réclamations sur ce même thème. Henri Baude était en charge au bas Limousin mais comme il disposait d’un commis,  il passait le plus clair de son temps à Paris. Installé à la capitale, il pouvait, tout à loisir, suivre de près les affaires qui concernaient sa charge et ses plaignants et houspiller les juges quand ils traînaient trop à les traiter.

Comme il était aussi doté d’un véritable talent de plume et d’humour, Baude ne se priva pas de les exercer. Il faisait même alors partie d’une confrérie de juristes et clercs  qui occupaient une partie de leurs loisirs à se moquer entre eux ou à se rire de certains nobles et notables. Plus tard, son goût de la satire et du bon mot allait d’ailleurs lui valoir quelques  sérieux déboires.

Henri Baude au  Châtelet

henri-baude-poesie-satirique-dits-moraux-tapisserie-moyen-age-tardif-sEn  réalité, le poète connut deux fois la prison. Dans les deux cas, le temps avait passé et Louis XI, le prince que Baude avait suivi, puis lâché, était devenu roi. La première affaire n’est pas très claire sur le fond, même s’il subsiste un certain nombre de documents juridiques à son sujet. Baude semble avoir servi de bouc-émissaire à un noble qui le fit embastillé manu militari, après l’avoir sérieusement fait molester. Le poète fonctionnaire parvint toutefois à se faire libérer et à avoir gain de cause, en obtenant même, au passage, des dédommagements.

Dans la deuxième affaire, c’est une poésie satirique qui le fit mettre en prison, sur ordonnance royale.  Le texte  précis s’est perdu,  mais on peut en déduire la teneur entre les lignes du poète et des sources juridiques. Baude avait fait, semble-t-il, une courte « moralité » pour moquer les  manœuvres et les jeux de pouvoir à la cour et autour de Louis XI. Bien qu’allusive, de nombreux courtisans de l’entourage du souverain s’étaient sentis directement visés, ce qui valut à notre homme d’être à nouveau emprisonné. Voila ce que l’on trouve rapporter dans l’audience de 1486  :   « Aucuns, soubz umbre de jouer ou faire jouer certaines moralitez et farces, ont publiquement dit ou fait dire plusieurs parolles cedicieuses, sonnans commocion, principalement touchant a nous et a notre estât.  »   

Pour avoir le détail des deux affaires, on pourra se reporter aux écrits de Pierre Champion sur le sujet :    Histoire poétique du quinzième siècle, t 2, Honoré Champion (1923) et Maître Henri Baude devant le Parlement de Paris, Romania, n°141 (1907). A son habitude, le grand historien, passionné de Moyen Âge, y épluche les archives avec minutie et fait un travail d’orfèvre pour remonter l’identité des acteurs impliqués et leur interrelations.

Dans tout les cas, on peut se demander si Henri Baude ne paya pas,  indirectement, le prix de son soutien un peu trop épisodique au prince Louis XI, sous la praguerie. Si, après son couronnement, le monarque n’avait pas démis le fonctionnaire de sa charge, il ne semblait pas, non plus, lui montrer de soutien particulier, et encore moins d’empathie. Il ressort, en tout cas, de ce dernier séjour en prison, que Baude en sortit échaudé et rendu plus méfiant sur l’usage qu’il faisait de sa liberté  d’expression. Au Moyen Âge, la poésie satirique est rarement compatible avec les exigences de cour et les susceptibilités qu’on y croise. Le dit moral de l’auteur, publié ici, résonne un peu comme une sorte d’écho à ses diverses mésaventures.

Les œuvres de Baude

livre-henri-baude-poesie-morale-satirique-XVe-moyen-age-tardifElles sont assez fournies et de nature   principalement morale ou satirique.   On retrouve le plus grand nombre d’entre elles dans l’ouvrage que le médiéviste Jules Quicherat a consacré à Baude au milieu du XIXe siècle. Ce dernier confesse, toutefois, en avoir censuré quelques unes dont la nature lui paraissait trop verte et trop grossière pour présenter un réel intérêt.  A 160 ans de là, on aurait  aimé pouvoir en juger nous-mêmes.

Dans les œuvres de Baude, on a souvent mis en avant son Testament de la mule Barbeau . Dans cette   satire humoristique, l’auteur se met dans la peau d’un pauvre animal, vieilli et éreinté, ayant servi de nombreux nobles et puissants au cours de sa vie. Aux côtés de ce testament, on trouve encore nombre de poésies d’intérêt dans lesquelles  l’auteur médiéval montre de belles aptitudes de plume.  Ce talent semble, du reste, avoir été reconnu du temps de Baude et son biographe lui prête d’avoir inspiré certains de ses contemporains. On a même pu, alors, le comparer à Villon.  Un peu plus tard,  Clément Marot aurait aussi été sujet à cette influence sans s’en réclamer. Le poète de Cahors aurait, en effet, « pillé » (le mot est de Quicherat) certaines des pièces de Baude sans le citer.

Les vers de Baude et sa biographie, selon Quicherat, sont réédités chez Forgotten books. On peut toujours trouver ce livre à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations à son sujet : Les Vers de Maitre Henri Baude, Poète Du XVe Siècle: Recueillis Et Publiés Avec Les Actes Qui Concernent Sa Vie (Classic Reprint)

Le MS Français  24461  & ses belles illustrations

Du point de vue des sources, les écrits de Baude se trouvent réparties dans plusieurs manuscrits médiévaux mais on notera, avec intérêt, l’ouvrage dont est tiré cette poésie courte du jour et son illustration (voir en haut de l’article).

Daté du XVIe siècle, le manuscrit  Français 24461 (ancienne cote La Vallière 44) est, en effet, un manuscrit de 142 feuillets très joliment illustré   (Consulter    le Ms Français  24461 sur le site de la Bnf ).   En plus des diz moraux pour tapisserie et peinture sur verre de Baude, il contient d’autres auteurs et classiques.  On  y trouve, notamment,   Les triomphes de Pétrarque.

En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
pour moyenagepassion.com
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Amour courtois : trois rondeaux de Blosseville à la cour de Charles d’Orléans

poesie-medievale-rondeaux-cour-charles-Orleans-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet    : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique
Période   : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur  : Blosseville
Manuscrit ancien  : MS français 9223
Ouvrage  : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle    de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu milieu du XVe siècle,  à la cour de Charles d’Orleans, on   versifiait sans bouder son plaisir.   Au    petit cercle qui entourait le prince, auquel la bataille d’Azincourt et ses conséquences avaient ravi la couronne, venait se joindre des nobles de passage. A la faveur d’un concours,  le temps  d’un dîner ou d’une soirée, tout ce petit monde s’adonnait à l’exercice du style et de la  rime.

Poésie de cours et jeux poétiques

Fallait-il qu’on aime la langue ? Le talent de plume du noble, amoureux des arts et des lettres, semblait étendre, sur tous, comme une aura d’inspiration. Les sujets pouvaient être sérieux. Pourtant la poésie savait y prendre, aussi, un tour de légèreté qui trouverait, peut être même, quelques échos, jusque sous François 1er, avec des Clément Marot ou des Melin Saint Gelais, avant que les poètes un peu guindés de la pléiade ne s’en mêlent pour tenter d’en faire une affaire sérieuse.

Bien sûr, longtemps avant tout cela et dès le XIIe siècle, il y a avait eu les jeux partis des troubadours et des trouvères, les sirvantois, les farces et les choses ne sont pas si tranchées. Sous la plume de certains auteurs, la poésie du Moyen Âge central avait aussi ses aspects ludiques et elle permettait déjà de rire et de se divertir dans les cours. Pourtant, la première moitié  du XVIe siècle fera souffler sur elle, comme un vent de dilettante et d’amusement qui lui est  propre. Les mœurs changeront alors et peut-être, avec elles, une certaine relation au langage. En nous avançant un peu, il nous semble déjà trouver dans certaines des poésies de cette cour d’Orléans au XVe, un peu de cet esprit nouveau, même si les textes n’ont pas non plus la grivoiserie ou l’impertinence de ceux qu’on trouvera au XVIe.

Blosseville et l’amour courtois :
entre contre-pieds et désillusions

rondeaux-poesie-moyen-age-blosseville-manuscrit-ancien-monde-medieval_sVers la fin du XIXe, l’archiviste paléographe Gaston Raynaud eut la bonne idée de retranscrire le manuscrit   MS Français 9223, dans une graphie accessible pour  ses contemporains. Daté du XVe siècle, cet ouvrage contient un grand nombre de  poésies de la cour de Charles d’Orléans et on peut y débusquer, en plus de certains textes de ce dernier, quelques auteurs de qualité que la postérité n’a pas retenus.   C’est le cas de   Blosseville,  homme de lettres non dénué de style et d’humour, dont nous vous avions déjà présenté une ballade  ironique sur  les loyaux amants véritables.

Trois rondeaux choisis de Blosseville

Le Français 9223 nous gratifie d’un nombre important de poésies signés de la main de cet auteur.  Les thèmes du loyal amant et du sentiment amoureux y reviennent fréquemment et ce poète médiéval nous gratifie, souvent, d’une posture désabusée, voire grinçante, à leur encontre. Les contre-pieds qu’il fait à la Fine amor  sont même pour tout dire rafraîchissants et nous changent, en tout cas, des habituelles ritournelles sur le sujet. Pourtant,  quelques-uns de ses rondeaux montrent aussi l’homme sous un jour tout à fait classique : dans le rôle de l’amant contrit, rejeté  par sa dame, avec l’habituelle panoplie courtoise de circonstance, etc…

Blosseville connaissait-il quelques déboires amoureux ?  Certaines de ses poésies semblent le suggérer mais,  peut-être au fond, tout cela n’est-il qu’un exercice littéraire et, peut-être  qu’après tout, notre auteur ne fait-il que feindre tout du long. Le troisième rondeau que nous avons choisi plaiderait plutôt en ce sens. Fine amant rendu amer par l’échec ? Observateur ironique et aguerri ? Ou simplement poète appliqué à se couler au mieux dans l’exercice de la courtoisie ?  On en jugera. Il  semble  en tout cas que les règles de la courtoisie  inventées et promulguées par le Moyen Âge aient la dent dure. Entre adhésion ou rejet, leur norme reste, quoiqu’il arrive, le point de référence autour duquel l’on gravite.


A tord le nommez paradis

A tord le nommez paradis,
L’enfer(s) d’amours, s’aucune joye
Vous n’y trouvés qui vous rejoye,
Ou par beaulx faiz ou par beaulx dis.

Quant est a moy, nommer le veux
Le purgatoire des loyaux,
Qui ont leans* (là dedans, en cette matière) voué mains veux,
Par quoy ilz souffrent plusieurs maux.

Je le congnoys tant de jadis,
Que se nullement je savoye,
Voulentiers plus j’en mesdiroye :
Pardonnez moy, si je le dis :
A tort le nommez   paradis.

Bien grand dommaige

Se me semble bien grant dommaige
Que  n’avez en vous leaulté
Autant comment a de beauté
Vostre corps et vostre visaige.

Se  coeur avez tant fort volage,
Qu’en lui n’a que desleauté,
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Vous ne maintenez tel oultraige
Enverz  moy pas de nouveauté,
Et, qui pis est, sans cruaulté
N’est jamais vostre fier couraige
Se me semble    [bien grant dommaige.]

Pour contrefaire l’Amoureux

Pour contrefaire l’amoureux,
Je foix ainsi le douloureux
Que ceulx qui sont en grant chaleur!
Sy n’ay je ne mal ne douleur,
De quoy je me tiens bien heureux.

Lays ! j’entretiens les maleureux,
Que seuffrent les maulx rigoreux,
Et changent souvent de coulleur,
Pour contrefaire [l’amoureux.]

Ce de quoy sont tant desireux,
Plusieurs foys, je le sçay par eux,
Car il me comptent leur malheur,
Cuidant* (en croyant, en pensant) que je soye des leur.
Dont je me sens plus rigoureux
Pour contrefaire [l’amoureux.]


En vous souhaitant très belle journée.

Frédéric EFFE
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