Sujet : Brocéliande, légendes bretonnes, lyrique courtoise, lecture poétique, spectacle. Période : Moyen-âge central (XIIe, XIIIe siècle) Evénement : Bréchéliant ou les chants de troubadours de Bretagne Auteur : Annick Le Scoëzec Masson Date : le dimanche 13 octobre 2019, à 14h30 Lieu ; Théâtre du Nord-Ouest
13, Rue du Faubourg Montmartre, Paris 9e
« Au cœur du Moyen Âge, en lisière de la forêt de Brocéliande, l’arrivée d’un insolite poète pèlerin bouleverse l’équilibre précaire de la vie au château… »
Bonjour à tous,
ous avions déjà dédié un article à ce spectacle basé sur l’ouvrage Bréchéliant de Annick Le Scoëzec Masson et il sera de retour au Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, le 13 octobre prochain.
A l’image du roman, l’univers de cette lecture à plusieurs voix, avec chants et accompagnement musical, est celui d’un château fort imaginaire, au cœur de la célèbre forêt. Dans ce voyage au temps du moyen-âge des légendes bretonnes et des troubadours, il est question de mystère, d’attente, de désir et, plus que tout, de poésie, entre évocation des lais de Marie de France et l’Amour de loin de Jauffre Raudel.
Distribution : avec Anne Langlois, Caroline Duchenne, Claire Patoyt, Yannick Barne, Annick Le Scoëzec, Frédéric Ligier (arrangements musicaux) et Antoine Desmard (violoncelle).
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre :S’eu fos en cort Interprète : Ensemble Peregrina Album : Cantix (2013)
Bonjour à tous,
n suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois, du côté de la Provence médiévale. Nous sommes quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle et le troubadour nous conte comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame. Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être, quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche à ses sentiments autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.
Pour servir cette belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la présenter.
S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina
L’Ensemble Peregrina
L’ensemble Peregrina a été fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et chanteuse Agnieszka Budzińska-Bennett(au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de nombreux ensembles de talent.
Dès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers : musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark), musiques du Tyrol, compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.
L’album Cantrix Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste
Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste, notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des hospitalières de Sigena et des Cisterciennes de Las Huelgas.
On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont une grande partie, issues du Codex de Las Huelgas. L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi sur cet album. Ceci explique la présence de pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve sous deux formes dans l’album : en version vocale et musicale. Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre, il semble bien qu’il s’était fait des deux monarques des protecteurs très appréciés et bienveillants.
Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape. Il a d’ailleurs été co-produit par l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.
Agnieszka Budzińska-Bennett (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix), Baptiste Romain (vièle), Matthias Spoerry (voix)
S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne
Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi les travaux de Joseph Anglade : Les poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les interprétations.
S’eu fos en cort on hom tengues dreitura, De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela, Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena Que no m’aten plevi ni covinensa. E donc per que.m promet so que no.m dona, No tem peccat ni sap ques es vergonha.
Si j’étais dans une cour où on obtienne justice, De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle, Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice, En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord). Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas; Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.
E valgra.m mais quem fos al prim esquiva, Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ; Mas ilh o fai si com cel que cembela, Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena, Don ja ses leis no cre aver garensa, Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.
Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche, Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre) Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle, Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir me guérir Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.
D’autres afars es cortez’ e chauzida, Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva, Que peitz me fai, e ges no s’en melhura, Que mals de dens, quan dol en la maissela; Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena, S’amors ab leis et ab tota Proensa.
En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?) Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine, En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien, Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ; Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner, D’amour pour elle, dans toute la Provence.
E car no vei mon Rainier de Marselha, Sitot me viu, mos viures no m’es vida ; E.l malautes que soven recaliva Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura. Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.
Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille, Quoique je vive, ce n’est pas une vie ; Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste. Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler, Ce désir qui me prive souvent de respiration.
A mon semblan mout l’aurai tart conquista, Car nulha domna peitz no s’aconselha Vas son amic, et on plus l’ai servida De mon poder, eu la trob plus ombriva. Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura Que fols pastres qu’a bel poi caramela.
A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard, Car nul femme ne prend de si dures résolutions, Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse. Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.
Mas vencutz es cui Amors apodera ; Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista, Car nulh’autra ab leis no s’aparelha De pretz entier ab proeza complida. Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva, E si no.m val er tortz e desmezura.
Mais il est vaincu celui que l’amour possède Je fus pris dès que j’ai vu ma dame, Car nulle autre ne lui ressemble, De ses mérites entiers à sa bonté parfaite. Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.
Chansos, vai t’en a la valen regina En Arago, quar mais regina vera No sai el mon, e si n’ai mainta quista, E no trob plus ses tort e ses querelha. Mas ilh es franc’ e leials e grazida Per tota gent et a Deu agradiva.
Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine En Aragon, car reine plus authentique Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse aimée de tous et de Dieu.
E car lo reis sobr’autres reis s’enansa, Ad aital rei coven aitals regina.
Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna, Car hom tan gen no dona ni guerreja.
Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève, A un tel roi convient une telle reine.
Beau Castiat (1), votre mérite surpasse tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).
Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2), Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.
Notes
(1) Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.
(2) Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement en même temps que Castiatz. Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune nous apprend que son nom véritable aurait été Vierna de Ganges. Selon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de Castiat et de Na Vierna dans Peire Vidal, Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943).
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie, légendes arthuriennes, oxford, forêt de Brocéliande, magie, luth, roman arthurien, poètes britanniques, romantisme Période : Moyen Âge central pour les légendes, XXe siècle pour la poésie du jour. Auteur : T. W. Earp Titre : « In Broceliande » Sources : Oxford Poetry (1915)
Bonjour à tous,
u début du XXe siècle et plus précisément à partir de 1910, une revue de littérature et de poésie anglaise nommée Oxford Poetry se mit à réunir des textes d’auteurs et poètes du lieu. Présentée sous la forme d’un petit fascicule, elle fut, dès son lancement, éditée de façon annuelle. Tous les thèmes pouvaient y être abordés et on y retrouvait, en général, de très belles pièces d’auteurs, contemporains de chacun de ses numéros. Depuis sa création, Oxford Poetry a traversé le temps, en changeant maintes fois d’éditeurs et elle est, à ce jour, toujours publiée. En plus de cent-dix ans, elle a vu passer de nombreux auteurs et poètes britanniques parmi les plus grands.
Aujourd’hui, c’est l’édition de 1915 qui nous intéresse en particulier. On y retrouve, pour la première fois, un poème de JRR Tolkien intitulé « Goblin feet » (pieds de gobelin) que nous aurons l’occasion de publier plus avant mais ce qui nous occupe, pour l’instant, est une pièce d’un autre auteur, dédiée aux légendes arthuriennes.
En Brocéliande de T.W. Earp
Depuis le Moyen Âge central et après sa constitution en véritable corpus, sous la plume d’auteurs à la fois anglais et français, le roman arthurien n’a cessé d’inspirer les imaginations les plus fertiles, des deux côtés de la manche. A huit siècles de ses pionniers, cela est encore vrai et le restera, sans doute, pour longtemps.
(« Lady Playing a Lute », Bartolomeo Veneto (1530), Getty Museum, Los Angeles)
Daté de 1915, la pièce que nous vous proposons de découvrir a pour titre « In Broceliande » (En Brocéliande), et pour auteur T W Earp, poète et traducteur anglais des débuts du XXe siècle. Théâtre d’une partie importante des récits arthuriens, la célèbre forêt dont la localisation a divisé bien des experts en Bretagne comme en Angleterre, a été, elle aussi, une source inépuisable d’inspiration pour un grand nombre d’écrivains et de poètes (voir Brocéliande, huit siècles de légendes arthuriennes). La pièce du jour et sa mystérieuse joueuse de luth en attestent. Du côté d’Oxford et aux débuts du XXe, on rêve encore de lointain Moyen Âge et de belles légendes. Sans doute sous l’influence des romantiques du XIXe siècle, (voir article sur la ballade médiévale au XIXe siècle), ce monde médiéval, imaginaire et reconstruit, est chargé de magie, de récits épiques et de belle poésie.
Traduire, c’est trahir…
Même en ayant de très sérieuses bases d’anglais, pour quelqu’un dont les racines linguistiques sont profondément latines, la poésie anglo-saxonne a des méandres qu’il n’est pas toujours aisé de démêler. Ses rythmes, la nature incisive de sa langue, comme ses allégories la rendent souvent rebelle à la traduction et, dans bien des cas, je ne suis même pas tout à fait certain qu’on puisse la transposer sans totalement l’adapter ou la réinterpréter. Alors c’est un peu un défi que nous nous lançons ici. De fait, sans doute par peur de trop la dénaturer, la traduction que nous avons faite de cette pièce de T W Earp, de l’anglais vers le français moderne, est pratiquement littérale. Il ne me reste donc plus qu’à espérer que la force et la beauté de ses images résistent au passage d’une langue à l’autre. Sans en avoir tout le recul, il me semble que c’est le cas.
En Brocéliande
In the midst of the forest of silence, Where even the leaves are mute, Where never a bird wanders, She plays upon a lute.
Au milieu de la forêt du silence Où même les feuilles sont muettes Où jamais un oiseau ne vagabonde, Elle joue sur un luth.
With fingers gently passing, She touches golden strings, Till the trees almost remember The long-departed wings,
Avec des doigts pleins de délicatesse Elle caresse les cordes d’or Jusqu’au moment où les arbres se souviennent presque Des ailes envolées depuis longtemps,
And the knights and the gay ladies, And the music that went before, And the days of joy and passion. They will find these things no more.
Et des chevaliers et des dames joyeuses, Et de la musique qu’on jouait alors, Et des jours de joie et de passion. Ils ne retrouveront plus jamais toutes ces choses.
One plaintive lute recalling The loud citoles and shawms, She alone has not left them, Of the beautiful, noble forms.
Un luth plaintif se souvient Des citoles et des chalemies bruyantes, Elle seule ne s’est pas dessaisie De leurs belles et nobles formes.
If she would cease from playing, The people with hearts of stone Would lead her from the forest, And set her on a throne.
Et si elle cessait de jouer, Les gens au cœur de pierre, La conduiraient hors de la forêt Pour l’asseoir sur un trône.
She would be bright with jewels, She would sit crowned on high, But if she left the forest, Alas, the trees would die.
Elle serait étincelante sous les bijoux, Elle porterait haut la couronne, Mais si elle quittait la forêt, Hélas, les arbres en mourraient.
In the midst of the forest of silence, Where even the leaves are mute, Where never a bird wanders, She plays upon a lute.
Au plus profond de la forêt du silence, Où même les feuilles sont muettes, Où jamais un oiseau ne vagabonde, Elle joue sur un luth.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, ballade, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, Période : moyen-âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491) Alain Chartier (1385-1430) Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889) & œuvres de Maistre Alain Chartier de André du Chesne Tourangeau (1667)
Bonjour à tous,
e ses premières formes, au XIIe siècle, jusqu’au Moyen-âge tardif et même au delà, l’amour courtois et son héritage ont traversé le temps. Aujourd’hui, nous le retrouvons au cœur du XVe siècle, avec un ballade très inspirée de JeanMeschinot.
Le manuscrit médiéval Ms Français 9223
On peut retrouver la ballade du jour dans un ouvrage d’intérêt, daté de la fin du XVe siècle : le Ms français 9223 conservé au département des manuscrits de la BnF.
« Recueil de ballades, rondeaux et bergerettes »
Consultable sur Gallica, ce manuscrit contient 109 feuillets et 195 pièces d’une quarantaine auteurs : certains confirmés, poètes ou écrivains de profession, d’autres s’étant essayé à la poésie, le temps de quelques compositions. Témoin de l’activité poétique qui régnait alors, autour de Charles d’Orléans, on y retrouve les œuvres de ce dernier, aux côtésde celles de Marie de Clèves (sa troisième épouse), Meschinot, mais aussi de poètes moins renommés. Une partie au moins des auteurs présents dans le Ms fr 9223 fréquentait assez régulièrement la cour de Blois et les cercles de poésies du duc d’Orléans et de Valois.
Effervescence poétique & défilés d’auteurs à Blois
Pour qui s’intéresse à la littérature de la fin du moyen-âge (ou des débuts de la renaissance suivant les points de vue), cet ouvrage possède un véritable intérêt ; vue de loin, la poésie du XVe siècle peut, en effet, sembler se résumer à deux auteurs que l’on reconnait (non sans raison), parmi les plus grands de leur temps : Charles d’Orléans et François Villon. En s’approchant un peu de cette période, on se rend, pourtant, vite compte qu’elle a vu naître d’autres poètes de talent ; nous avons déjà eu l’occasion d’ajouter à notre liste des Meschinot, des Alain Chartier, ou même encore des Michault Taillevent. Or, s’il n’est pas le seul manuscrit de poésie du XVe, le MS français 9223 nous permet de découvrir une foule d’autres auteurs. Certes, ses poésies peuvent s’avérer d’inégale qualité, mais on y trouve tout de même quelques pépites. Au delà, le style de tous ses auteurs, les thèmes abordés et la langue en usage nous aident aussi à mieux remettre en contexte et en perspective les œuvres des deux grands poètes susnommés.
Ajoutons aussi que ce manuscrit permet encore de se délecter de nombreuses pièces ayant fait l’objet de concours de poésie dont Blois était le théâtre.
Sources modernes du manuscrit
Parmi les médiévistes français des XIXe et XXe siècles qui se sont penchés sur le MS Français 9223, on citera Gaston Raynaud. Le moyen le plus rapide d’accéder à tous ces textes est d’ailleurs son ouvrage : « Rondeaux et autres poésies du XVe siècle« , daté de 1889. Comme on le verra, Pierre Champion a aussi apporté sa précieuse contribution sur ce sujet.
Une Ballade courtoise de Meschinot
Attribution
Le MS français 9223 attribue explicitement notre ballade du jour à Jean Meschinot. A date, ceci ne semble pas faire l’objet de grandes polémique chez les médiévistes mais il semble que de nombreux éditeurs éditeurs aient pourtant continué longtemps de la considérer comme étant de Charles d’Orléans. De fait, cette erreur se reflète encore, de nos jours, sur de nombreuses pages en ligne.
Dans un article au sujet du manuscrit, Pierre Champion (qui confirme cette attribution, conformément à l’ouvrage mais aussi à G. Raynaud) nous apprend encore que le poète a pu rencontrer Charles d’Orléans et même séjourner à Blois autour de 1457-1458 (Voir Persée : remarques sur un recueil de poésies du milieu du XVe siècle, Pierre Champion, Romania 1922). Pour l’anecdote et toujours selon P. Champion, le poète suivait alors le connétable de Richemont et était payé 5 écus par rondeau. Au vue de sa plus grande longueur, il est à supposer que la ballade devait être encore plus lucrative.
Un tableau saisissant du mal d’amour
Jusque là, nous avons plutôt présenté Jean Meschinot sous son jour satirique et politique (voir article sur Les lunettes des Princes) mais, pour varier un peu, c’est à l’exercice de la courtoisie que le poète du moyen-âge tardif, s’adonnait dans cette ballade ; elle est, du reste, propre au Ms Fr 9223 et on ne la trouve pas dans les Lunettes des Princes.
D’un point de vue courtois, le propos n’est pas ici centré sur le « loyal amant » et la mise en valeur de ses qualités. Il glisse plutôt, tout entier, vers le thème de la distance et de la souffrance avec l’objet du désir : l’amour de loin. Le poète breton se présente comme un être désespéré ayant perdu le goût de tout. Au delà de la virtuosité et de la maîtrise des formes qui caractérisent Meschinot, on relèvera, dans cette ballade, une grande modernité. Dans un long exposé de ses sentiments et de son ressenti, le poète dresse un tableau « psychologique » très détaillé du mal d’amour, on serait presque tenté de dire de la « dépression » amoureuse.
A près de six siècles de là et par delà les menues difficultés que peuvent soulever certaines de ses tournures, le fond de ce texte nous parle encore. Il faut aussi dire que Meschinot est de la veine de ces auteurs médiévaux qui n’hésitent pas, dans certains de leurs textes, à pratiquer une poésie « à cœur ouvert », en mettant en scène et en vers leurs propres déboires et souffrances. D’une manière générale, c’est ce type de textes qui ont le mieux résisté au temps par l’universalité de leurs thèmes : la pauvreté d’un Rutebeuf, les errances, les misères et la peur de la corde d’un Villon, les amers constats d’un Michaut Taillevent face à la vieillesse et au temps passé, le désamour d’un Meschinot ou même encore sa tentative désespéré d’en finir avec la vie. Autant de « Je » au bord du gouffre, dans lesquels nous pouvons encore facilement nous projeter, parce qu’ils pourraient être des « nous », des « soi ».
Pour compléter cette présentation, on notera avec Gaston Raynaud, que le refrain de cette poésie est inspirée très directement d’une ballade d’Alain Chartier. Nous ne résistons pas à reproduire cette dernière (en pied d’article) pour l’intérêt historique de la chose, même si, pardon de le dire, son style est largement plus « ampoulé » que celle de Meschinot.
« Puis que de vous aproucher je ne puis »
dans le moyen-français de Jean Meschinot
Plus ne voy rien qui reconfort me donne, Plus dure ung jour que ne souloient (ne le faisaient) cent, Plus n’est saison qu’a nul bien m’abandonne, Plus voy plaisir, et mains mon coeur s’en sent, Plus qu’oncques mais mon vouloir bas descent, Plus me souvient de vous, et plus m’empire, Plus quiers esbas, c’est lors que plus soupire, Plus fait beau temps, et plus me vient d’ennuys, Plus ne m’atens fors tousjours d’avoir pire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus vivre ainsi ne m’est pas chose bonne, Plus vueil mourir, et raison s’i consent, Plus qu’a nully Amours de maulx m’ordonne, Plus n’a ma voix bon acort ne assent, Plus fait on jeux, mieulx desire estre absens, Plus force n’ay d’endurer tel martire, Plus n’est vivant home qui tel mal tire, Plus ne cougnoys bonnement ou je suis, Plus ne sçay bref que penser, faire ou dire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus suis dollent que nulle aultre personne, Plus n’ay d’espoir d’aulcun alegement, Plus ay desir, crainte d’aultre part sonne, Plus cuide aller vers vous, mains sçay comment, Plus suis espris, et plus ay de tourment, Plus pleure et plains, et plus pleurer desire, Plus chose n’est qui me puisse souffire, Plus n’ay repos, je hay les jours et nuys, Plus que jamais a douleur me fault duire (m’habituer, me conformer), Puis que de vous aproucher je ne puis.
Plus n’ay mestier de jouer ne de rire, Plus n’est le temps si non du tout despire, (dédaigner, mépriser) Plus cuide avoir de doulceur les apuys, Plus suis adonc desplaisant et plain d’ire, Puis que de vous aproucher je ne puis.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
La Ballade de Chartier ayant inspiré Meschinot
Se fortune m’a ce bien, pourchassé, Envers amours, qui tant m’ont soustenu, Que vostre vueil soit au mien enchassé Le plus heureux comme le chier tenu, Vostre loyal serviteur retenu, M’amour, mon bien où sont tous mes apuiz: Si me semble-il que riens n’ay obtenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Enuie m’a durement dechassé, Tant qu’à peine me suis-je revenu, De la langueur où dueil m’avoit chassé, Sans concevoir que soye devenu. Mais de mes maulx il vous est souvenu, Si m’est allé de mieux en mieux depuis: Combien, Dame, que ce m’est mal venu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Sobre amer dueil en amours exaulcé, Mot, ung tandis, puis à coup descongneu, Comme l’arbre de terre deschaussé, Quon veult tirer, & qui est incogneu: Tout ung de moy, se je suis mescogneu, Mieux me vauldra gecter dedans ung puis, Et ne vivre tant que soye chenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Princesse, las ! selon ce contenu, Mourir m’en vois le chief sur le chapuis, Les yeulx bandez, à force detenu, Puis que de vous approcher je ne puis.
Alain Chartier – Les Oeuvres de Maistre Alain Chartier
par André Du Chesne Tourangeau (1667)