Sujet : Brocéliande, légendes bretonnes, lyrique courtoise, lecture poétique, spectacle. Période : Moyen-âge central (XIIe, XIIIe siècle) Evénement : Printemps des poètes 2019 : « Bréchéliant, lecture-spectacle » Auteur : Annick Le Scoëzec Masson Date : le dimanche 24 mars 2019, à 14h30 Lieu ; Théâtre du Nord-Ouest 13 Rue du Faubourg Montmartre, Paris 9e
Bonjour à tous,
out au long de ce mois de Mars, le Printemps des Poètes est de retour à Paris. Il fêtera, cette année, ses 20 ans et c’est le thème de la beauté qui a été choisi pour célébrer cet anniversaire. En renouant, avec les lectures et la poésie vivante, l’événement devrait, à nouveau, permettre au public de découvrir de nombreux textes et auteurs.
S’il fait une large place à la poésie contemporaine, on notera cette année, la présence d’un spectacle original, en référence au monde médiéval, et particulièrement à la « matière de Bretagne » et à la poésie des troubadours. Cette lecture à plusieurs voix, avec chants et musique, est basée sur le roman Bréchéliant de l’hispaniste et écrivain Annick Le Scoëzec Masson etelle sera donnée le dimanche 24 mars à 14h30, au Théâtre du Nord-Ouest.
Paru en 2017, aux éditions Garamond, l’ouvrage Bréchéliant se présente comme un récit poétique sur le thème de l’attente et de la perception du temps, au prisme d’un certain univers féminin seigneurial médiéval. Son intrigue se situe dans un moyen-âge central littéraire et « archétypal » et on en retrouve tous les ingrédients : un château au seuil d’une forêt peuplée de mystères, une dame en sa haute tour, son chevalier parti aux croisades et qui n’a pour compagnie que deux autres femmes, l’arrivée d’un inconnu venu chambouler ce monde fait d’émotions contenues, de non-dits et de prières.
Sur fond de légendes bretonnes et de lyrique courtoise, l’auteur(e), agrégée d’Espagnol et docteur ès lettres, a renoué, ici, avec l’esprit des Lais de Marie de France et cette lecture-spectacle devrait permettre d’en retrouver l’inspiration.
Avec : Yannick Barne, Anne Langlois, Caroline Duchenne (chant), Annick Le Scoëzec, Frédéric Ligier (arrangements musicaux) et Antoine Desmard (violoncelle)
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, auteur médiéval, ballade médiévale, poésie morale, réaliste, ballade, moyen-français, cour royale, ingratitude, poésie satirique, satire Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Il n’est chose qui ne viengne a sa fin» Ouvrage : Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, Tome IX. Marquis de Queux Saint-Hilaire, Gaston Raynaud (1893)
Bonjour à tous,
n partance pour le Moyen-âge tardif, nous ajoutons aujourd’hui, une nouvelle poésie médiévale, au crédit d’Eustache Deschamps. Cette ballade (sans envoi) a pour thème l’ingratitude des princes et de leurs cours envers ceux qui les servent.
On se souvient que, sous sa plume très critique et moraliste, Eustache fut assez prolifique sur le sujet de la vie curiale (voir notamment « Deux ballades sur la cruauté et la vanité des jeux de Cour« ). Il fut d’ailleurs loin d’être le seul. Pour n’en citer que quelques-uns, de Colin Muset, à Rutebeuf, en passant par Guiot de Provins, Alain Chartier et tant d’autres, quantités de poètes médiévaux, chacun à leur façon, entre leurs lignes ou plus directement, nous ont parlé du Moyen-âge des cours, de leurs dures lois et des aléas auxquels ces dernières les soumettent.
Qu’elles soient princières, royales, ou seigneuriales, au vue de leur importance, il est bien naturel que ces hauts lieux de pouvoir se situent au cœur de tant de préoccupations, quand on sait que nombre d’auteurs ou poètes médiévaux comptent sur les protecteurs potentiels qui y trônent pour subsister confortablement. Du côté de quelques grands thèmes satiriques abordés (sans toutefois les épuiser), on pourra les trouver tour à tour, protégés ou lâchés par les puissants, exilés volontaires ou conspués sous le coup de quelques traîtrises de couloir, quand ce n’est pas sous l’effet de quelques débordements de langage de leur part, ou quand ils ne sont pas simplement devenus trop vieux ou trop usés, pour y être reçus. Dans ce dernier cas, sans doute plus proche de celui de la ballade du jour, on repensera notamment aux lignes poignantes du Passe-temps deMichault Taillevent : s’il ne fait pas bon dépendre totalement du bon vouloir des cours pour subsister, il fait encore moins bon vieillir après les avoir servies et d’autant moins qu’on n’a pas prévu quelques plans de secours pour passer ses vieux jours.
Concernant Eustache Deschamps, on se souvient qu’il ne dépendait pas de sa plume pour vivre puisqu’il a été employé de longues années, au service des rois et sous des fonctions diverses (messager, huissier, baillis, etc…). On le retrouve ainsi, dans cette ballade, faisant le compte de toutes ses années de service pour si peu de retours. « Il meurt de froid » nous dit-il, ne peut plus se vêtir dignement et n’a plus un cheval « sain ». Dans deux autres ballades, on le trouvera d’ailleurs à quémander du bois de chauffage et encore un cheval.
De ceux qui servent aux cours royaulx
ou Je muir de froit, l’en ma payé du vent.
O serviteur qui aux cours vous tenez, Advisez bien des seigneurs la maniere : Moult promettent quand servir les venez, Mais du paier va ce devant derriere ; Vo temps perdez, et brisez vostre chiere* (face, mine,…) ; Sanz acquerir, tout despendez souvent ; Ainsis m’en va, si m’en vueil traire arriere* (se retirer, reculer) : Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.
Quant servir vins, j’estoie bien montez Et bien vestuz, l’en me fist bonne chier, Et n’estoie nulle part endebtez ; Or doy partout et si n’ay robe entiere Ne cheval sain, s’ay bien cause et matiere De moy doloir ou est foy ne couvent ; Mentir les a estains soubz sa banniere : Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.
Mieux me vaulsist ailleurs estre occuppez : Povres m’en vois a ma vie premiere Sanz guerredon* (récompense), tuit cy garde prenez : De plus servir ja nulz ne me requiere. Mais Dieux qui est vraiz juges et lumiere, Rendra a tous ce qu’il leur a couvent* (promis) ; Servir le vueil tant que sa grace acquiere. Je muir de froit, l’en m’a payé du vent.
En vous souhaitant une excellente journée !
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale. Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Ab l’alen tir vas me l’aire Interprète : Camerata Mediterranea, Joel Cohen. Album : Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300 (1990)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte (ou la redécouverte) d’une chanson médiévale du troubadour toulousain Peire Vidal. En plus de sa traduction, cette pièce nous fournira l’occasion de parler d’un ensemble de renom : le Boston Camerata. Né outre atlantique dans les années 60-70, cette formation a trouvé également des prolongements sur les terres européennes, sous l’impulsion de son directeur Joel Cohen et à travers la Camerata Mediterranea.
« Ab l’alen tir vas me l’aire », Peire Vidal par la Camerata Mediterranea
Joel Cohen : de la Boston Camerata
à la Camerata Mediterranea
Ensemble dédié aux musiques anciennes, le Boston Camerata a vu le jour au milieu des années 50. Attaché dans un premier temps au Musée des Arts de la ville, il prit son indépendance 20 ans plus tard, dans le courant de l’année 74. Sous la direction du luthiste passionné de « Early Music » Joel Cohen, assisté bientôt de la chanteuse soprano française Anne Azéma (son épouse), la formation a produit dès lors un nombre considérable d’albums et de programmes. Son répertoire de prédilection s’étend du moyen-âge à la période baroque, mais va même jusqu’à des musiques classiques, populaires ou folkloriques du XIXe siècle. Le Boston Camerata est, à ce jour, toujours actif et Anne Azéma en a repris l’entière direction depuis 2008. A côté de cela, cette dernière a également créé, dans le courant des années 2000, l’Ensemble Aziman.
Dans le courant de l’année 1990, Joel Cohen fut également à l’initiative de la création de la Camerata Mediterranea, organisme à but non lucratif visant à promouvoir la recherche, les échanges et la communication entre artistes issus particulièrement du berceau méditerranéen et des trois religions monothéistes, autour du répertoire des musiques traditionnelles et anciennes, C’est sous l’égide de cette organisme que s’inscrivait l’album Lo Gai Saber : Troubadour and Minstrels 1100-1300, enregistré en France et dont est issue la chanson de Peire Vidal que nous vous présentons ici.
Pour plus d’informations sur les productions et les activités du Boston Camerarata, vous pouvez consulter le leur site web au lien suivant
Lo Gai Saber : un album de choix
autour des troubadours du moyen-âge central
Fort de vingt-une pièces, ce bel album tout entier dévoué à l’art des troubadours du sud de France médiévale, s’étendra même jusqu’à l’Espagne et au galaïco-portugais puisque ce sont les « Ondas de Mar » deMartim Codax qui en feront l’ouverture, Elles seront suivies de près par deux compositions de Peire Vidal, mais encore des chansons des plus célèbres représentants de la langue d’oc du moyen-âge central : Gaucelm Faidit, Bertrand de Born, Raimbault de Vaqueiras, Guillaume IX de Poitiers, Marcabru, Bernard de Ventadorn et bien d’autres encore.
Dès sa sortie, l’album fut encensé par la presse spécialisée. Entourés de grands noms de la scène des musiques anciennes, Joel Cohen et Anne Azema y prêtent leur voix et leur talent. A leur côtés, on retrouve Cheryl Ann Fulton à la harpe, Shira Kammen à la vielle et au rebec, mais aussi Jean-Luc Madier et François Harismendy à la voix. On peut encore trouver cette production à la vente au format CD ou même au format MP3 dématérialisé. A toutes fins utiles, voici un lien utile pour vous le procurer : Joel Cohen: Lo Gai Saber – Troubadours and Minstrels 1100-1300.
« Ab l’alen tir vas me l’aire » : la Provence médiévale de Peire Vidal
our revenir à la pièce du jour, Joel Cohen se livrait ici à l’exercice (au demeurant très médiéval) du contrefactum, puisqu’il plaquait sur les vers et la poésie de Peire Vidal, une mélodie datant du XIIIe siècle, par ailleurs attachée à une chanson du trouvère Conon de Bethune : « Chanson legiere a entendre ».
« Ab l’alen tir vas me l’aire qu’eu sen venir de Proensa« , « avec l’haleine, je tire vers moi l’air que je sens venir de Provence », ce texte est sans doute l’un des plus célèbres du troubadour du moyen-âge central. Voyageur par goût, mais, on le suppute aussi, un peu contraint par la force des événements, l’auteur médiéval faisait ici tribut à sa Provence natale et aimée. Dans un élan de lyrique courtoise, il y évoquait aussi immanquablement la dame qu’il avait dû laisser derrière lui mais qui continuait d’occuper toutes ses pensées. S’agit-il de l’épouse de son protecteur, Raymond Geoffrey, Vicomte de Marseille, dit Barral de Marseille ? Une légende court sur un baiser volé et on avance quelquefois que les transports du poète à l’égard de la noble dame lui aurait peut-être valu de se faire bannir de la ville. Le mystère demeure et il peut encore s’agir de cette dame autour de Carcassonne auquel le poète fait allusion dans d’autres poésies.
Pour la traduction, nous nous basons sur celle de Joseph Anglade, dans son ouvrage consacré aux Poésies de Peire Vidal en 1913, tout en les revisitant un peu sur la base de recherches personnelles .
Les paroles de la chanson de Peire Vidal
avec leur traduction en français moderne
I Ab l’alen tir vas me l’aire Qu’eu sen venir de Proensa : Tôt quant es de lai m’agensa, Si que, quan n’aug ben retraire, Eu m’o escout en rizen E – n deman per un mot cen : Tan m’es bel quan n’aug ben dire.
Avec mon haleine j’inspire l’air que je sens venir de Provence; tout ce qui vient de là me plaît ; De sorte que quand j’en entends bien rapporter, moi, j’écoute en souriant
et j’en demande pour un mot, cent.
Tant il m’est agréable d’en entendre dire du bien.
II Qu’om no sap tan dous repaire Com de Rozer tro qu’a Vensa, Si com clau mars e Durensa, Ni on tan fis jois s’esclaire. Per qu’entre la franca gen Ai laissât mon cor jauzen Ab leis que fa*ls iratz rire.
Car on ne connaît pas de si doux pays que celui qui va du Rhône à Vence et qui est enclos entre mer et Durance ; et il n’en est pas qui procure tant de joie ; c’est pourquoi chez ces nobles gens j’ai laissé mon cœur joyeux, auprès de celle qui rend la joie aux affligés.
III Qu’om no pot lo jorn mal traire Qu’aja de leis sovinensa, Qu’en leis nais jois e comensa. E qui qu’en sia lauzaire, De ben qu’en diga no’i men ; Quel melher es ses conten E-l genser qu’el mon se mire.
Car on ne peut être malheureux le jour Quand on a d’elle souvenance; car en elle naît et commence la joie ; quel que soit celui qui fait son éloge et quelque bien qu’il en dise, il ne ment pas ; car elle est la meilleure sans conteste et la plus gracieuse et aimable qu’on puisse trouver en ce monde.
IV E s’eu sai ren dir ni faire, Ilh n’aja*l grat, que sciensa M’a donat e conoissensa, Per qu’eu sui gais e chantaire. E tôt quan fauc davinen Ai del seu bel cors plazen, Neis quan de bon cor consire.
Et je ne sais rien dire, ni faire dont le mérite ne lui revienne, car science elle m’a donné et talent (connaissance? ) Grâce auxquels je suis gai et chantant. Et tout ce que je fais de beau
m’est inspiré par son beau corps plaisant,
même quand cela vient du plus profond de mon coeur. (1)
(1) Joseph Anglade traduit ce dernier vers comme « même quand je rêve de bon cœur (?) » ce qui n’a pas tellement de sens. Nous penchons plus en faveur d’une traduction dans laquelle il fait de la dame de son cœur, la source d’inspiration de ses plus beaux vers, même quand ils viennent du plus profond de son être.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : poésies courtes, épigramme, poésie de cour, renaissance. humour, sagesse populaire, vilain Période : XVIe, renaissance, fin du moyen-âge Auteur : Mellin Sainct-Gelays
ou Melin (de) Saint- Gelais (1491-1558) Ouvrage : Oeuvres complètes de Mellin Sainct- Gelays, Prosper Blanchemain, 1873.
Bonjour à tous,
our égayer votre journée, voici une épigramme de Melin Saint-Gelais. Le poète de cour renaissant y opposait, avec humour, le savoir universitaire, la science du lettré au bon sens paysan.
Homme rustre et sans manière ou représentant d’une forme certaine forme de sagesse populaire, l’image du « vilain » oscille tout au long du moyen-âge central et jusqu’aux siècles suivants pour incarner, tour à tour, les deux visages, au gré de l’inspiration des poètes.
Au siècle renaissant de Melin Saint-Gelais, on demeure toutefois assez loin de certains portraits au vitriole de paysans tels qu’on pouvait en trouver dans le courant des XIIe et XIIIe. L’eau a coulé sous les ponts ; dans le courant du XIIIe, les universités se sont ouvertes à des classes sociales plus laborieuses. On en trouvera notamment la marque dans les poésies de Rutebeuf (Ci encoumence li diz de l’Universitei de Paris) et peu à peu, certaines lettrés ou poètes revendiqueront même ouvertement leurs origines paysannes.
Au XIVe siècle, Le Dit de Franc-Gontierde Philippe de Vitry passera aussi par là pour revaloriser l’image de la vie campagnarde. Usés par les artifices des jeux de cour, certains poètes du XVe s’en feront encore les représentants (Alain Chartier, Eustache Deschamps,..) même si Villon y opposera un contre pied humoristique (voir le contredit de Franc-gontier). Sans doute peut-on ajouter à ce mouvement, le rythme de la vie urbaine et son développement. Peu à peu, la séparation entre deux mondes s’affirme, commençant déjà pour certains, à faire de la campagne un ailleurs (nostalgique ?) teinté de la promesse d’une simplicité, d’une authenticité et d’une tranquillité reconquises.
Nous retrouvons, en tout cas, dans cette épigramme de Saint-Gelais un paysan qui nous parle de simplicité, de liberté mais aussi entre les lignes, d’une forme de dignité, celle de nourrir sa famille sans devoir quémander comme le fait ici le miséreux lettré (avec un brin de condescendance).
Un maistre-ès-arts mal chaussé, mal vestu, Chez un paysan demandoit à repaistre ; Disant qu’on doit honorer la vertu, Et les sept arts dont il fut passé maistre. Comment sept arts! répond l’homme champestre; Je n’en sais nul, hormi mon labourage ; Mais je suis saoul quand il me plaist de l’estre, Et si nourris ma femme et mon ménage.