Sujet : vers brisés, huitain, vers tronqués, réthorique, culte marial, oraison à la vierge.poésie médiévale Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Ouvrage : Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis XI, Arthur de la Borderie, 1896
Bonjour à tous,
our revenir à la poésie de Jehan Meschinot, auteur médiéval breton du XVe siècle, voici un huitain qui peut se lire de bien des façons et dont le poète breton nous dit lui-même :
« Cette Oraison se peut dire par huit ou par seize vers, tant en rétrogradant que autrement, tellement qu’elle se peut lire en 32 manières différentes et plus, et à chacun y aura sens et rime, et commencera toujours par motz différentz qui veult «
Du côté du contenu, cette poésie s’inscrit totalement dans le culte marial puisque c’est une oraison à la vierge, Du point de vue de son intérêt, elle reste reste plus à inscrire au titre des « amusements » , voire des curiosités rhétoriques et littéraires qu’au panthéon de l’œuvre de Jean Meschinot. Ce dernier, comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir,excelle largement mieux dans les poésies morales, satiriques ou politiques.
Ce sont donc des vers brisés, autrement dit des vers qui, une fois tronqués et séparés en deux colonnes après leur premier hémistiche (la moitié d’un ver à césure donc, eg : six pieds pour un alexandrin ), peuvent être également lus de haut en bas. On n’en connait des exemples qui recèlent de véritables sens cachés (1). Ce n’est pas le cas de celui-ci qui reste une éloge dans tous les sens du terme et quelque soient les sens de lecture qu’on en fait.
D’ailleurs, si vous voulez faire un jeu (assez vite lassant j’en conviens) avec vos amis, vous pourriez même écrire chacun des 16 hémistiches sur des bouts de papiers différents, les mettre dans un grand chapeau ou un bocal et les tirer dans le désordre. Vous obtiendrez toujours une poésie qui se tient. Comme l’indique d’ailleurs Arthur de la Borderie dans son ouvrage Jean Meschinot, sa vie, ses œuvres, ses satires contre Louis XI, en reportant les propos d’un tiers. Plus que 32 manières, il y en a en réalité 16 puissance 16, mais, on le sait bien et c’en est encore une preuve s’il en était besoin, on ne saurait résumer la poésie aux mathématiques, ni au comptage de pieds. Curiosité au programme donc aujourd’hui, plus qu’œuvre d’anthologie.
Oraison à la Vierge
D’honneur sentier Confort seur et parfait Rubi chéris Safir très précieux Cuer doulx et chier Support bon en tout fait Infini pris Plaisir mélodieux Ejouy ris Souvenir gracieux Dame de sens Mère de Dieu très nette Appuy rassis Désir humble joyeux M’âme déffens Très chière pucelette.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
(1)sortons un peu du cadre médiéval pour illustrer les vers brisés dans leurs formes les plus intéressantes, avec cet exemple d’une poésie d’époque, écrite à la gloire de l’empereur, à la première lecture, mais tout cela bien sûr, sans compter les césures.
Que Vive à jamais l’Empereur des français
La famille royale est indigne de vivre
Oublions désormais la race des Capets
La race impériale est celle qui faut suivre
Soyons donc le soutien de ce Napoléon
Du Comte de Chambord chassons l’âme hypocrite
C’est à lui qu’appartient cette punition
La raison du plus fort a son juste mérite
Sujet : citations médiévales, proverbe, poésie morale, morale médiévale, proverbe moral, mort, réflexions sur la mort. Auteur : Christine de Pizan (Pisan) (1364-1430) Période : moyen-âge central à tardif Ouvrage : Oeuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, Tome 3, (1896)
“Quoy que la mort nous soit espouventable
A y penser souvent est prouffitable.”
Proverbes moraux. Oeuvres poétiques, Tome 3. Christine de Pizan,femme de lettres et de sciences, écrivain, poétesse des XIVe et XVe siècles.
Sujet : poésie médiévale, satirique, morale, fables, métaphores animalières, Isopets, Ysopet, littérature médiévale, ballade, moyen-français Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle. Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Le renard et le corbeau » Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps, Georges Adrien Crapelet (1832)
Bonjour à tous,
n le sait, en plus de ses centaines de ballades ou poésies, on doit à Eustache Deschamps quelques jolies fables. Nous avions déjà publié celle du chat et des souris et, aujourd’hui, nous partageons ici sa version du Renard et du Corbeau (ou l’inverse) que nous connaissons presque tous sous la plume de Jean de La Fontaine, pour l’avoir apprise sur les bancs de l’école.
De Marie de France à Eustache Deschamps, pour aller jusque La Fontaine justement et pour ne citer qu’eux, il serait bien présomptueux de prétendre faire des échelles entre tous les auteurs qui se sont attaqués au genre de la fable depuis le célèbre Esope : autres temps, autres langues, autres mondes. La proximité du francais du XVIIe siècle avec le nôtre (ou ce qui en demeure), autant que le talent stylistique de La Fontaine en ont fait invariablement l’un de ceux que l’on étudie le plus. Pourtant, qui aime les langues à travers le temps ne pourra que se laisser séduire par cette version médiévale du Corbeau et du Renard, autant que par la musicalité et les charmes du moyen-français du XIVe siècle, sous la plume d’Eustache Deschamps ; si cette dernière ne l’est pas toujours, elle se fait ici légère avec son très laconique et enlevé « On se déçoit par légièrement croire » qui vient scander cette fable, en manière de ballade. Pour peu, on aurait presque envie que Fabrice Luchini sorte un peu de sa fascination du XVIIe de La Fontaine et de Molière aux auteurs contemporains pour s’y essayer, en s’aventurant un peu sur des terres plus médiévales.
Pour le reste, comme dans la reprise de la même fable, quelques siècles avant maître Deschamps par Marie de France, la viande qu’avait mis Esope dans le bec de son Corbeau s’est définitivement changée ici en fromage, mais le fond reste le même : perfidie et intérêts à peine voilés des flatteurs et des beaux parleurs, crédulité et naïveté des flattés, aveuglés par leur si beau reflet dans un si beau miroir et qui en redemandent. Vérités inchangées, Les métaphores animalières d’Esope ont été taillées, indubitablement, pour traverser les âges. Bien sûr, chez Eustache Deschamps, les travers de la cour ne sont jamais loin et la vie curiale se niche encore entre les lignes de cette fable, même si l’on s’en voudrait de l’y restreindre.
Avant de lui céder la place, nous ne résistons pas au plaisir de citer, dans le verbe, la morale que faisait deux siècles avant lui, de cette même fable, la poétesse médiévale Marie de France (1160–1210) :
« Cis example est des orgueillox Ki de grant pris sunt desirrox Par lusenger è par mentir Les puet-um bien a gré servir. Le Jur despendent follement Pour fause loange de la gent »
« Ainsi est-il des orgueilleux Qui de gloire sont désireux Par tromperie et par mentir On peut, à bon gré, les servir Et ils dépensent follement Pour les fausses louanges des gens. »
Corbel qui prist un Fromaisges ou Dou Corbel è d’un Werpilz – Marie de France
« On se déçoit par légièrement croire »
La fable du Renard et du Corbeau
Renart jadis que grant faim destraignoit Pour proie avoir chaçoit par le boscage ; Tant qu’en tracent, dessur un arbre voit Un grant corbaut qui tenoit un frommage. Lors dist renars par doulz et humble langaige Beaus thiesselin (1), c’est chose clere et voire, Que mieulx chantes qu’oisel du bois ramage : On se déçoit par légièrement croire (2).
Car li corbauls le barat* (ruse) n’apperçoit, Mais voult chanter; po fist de vasselage*(prouesse) ; Tant qu’en chantant sa proye jus chéoit. Renart la prist et mist à son usaige ; Lors apperçut le corbaut son dommaige : Sanz recouvrer perdit par vaine gloire. A ce mirer se doivent foul et saige : On se déçoit par légièrement croire.
Pluseurs gens sont en ce monde orendroit* (désormais), Qui parlent bel pour quérir adventaige ; Mais cil est foulz qui son fait ne congnoit, Et qui ne faint à telz gens son couraige. Gay* (geai) contre gay doivent estre en usaige ; Souviengne-vous de la corneille noire De qui renars conquist le pasturage : On se déçoit par légièrement croire.
1) Thiesselin : nom donné au corbeau dans le Roman de Renard
(2) Légièrement : facilement. “On se fourvoie à être trop crédule”
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, auteur médiéval, littérature médiévale. Auteur : François Villon (1431-?1463) Titre : Le grand testament (extrait) Période : moyen-âge tardif, XVe siècle. Ouvrages : diverses oeuvres de Villon, PL Jacob (1854) , JHR Prompsault (1832), Villon & Rabelais, Louis Thuasne (1911)
Bonjour à tous,
ous vous proposons aujourd’hui un nouvel extrait commenté du Grand Testament de François Villon. A ce point de l’oeuvre, le brillant poète du XVe a loué les dames du temps jadis, mais encore ses Seigneurs et, suite à sa ballade qui scande « Autant en emporte ly vens« , il prolonge ses réflexions sur la mort et le temps qui passe. Testament oblige, il nous régale ici de quelques strophes profondes sur ces mêmes thèmes qui offrent une belle ouverture à la ballade des regrets de la belle Heaulmière, qui suivra.
En virtuose accompli, Villon continue d’édifier l’incomparable trésor qu’il légua à la poésie à travers les âges, en usant de son verbe unique et faisant resurgir devant nous les plus belles merveilles de la langue française du XVe siècle.
Avant d’avancer et du point de vue des méthodes, précisons que nous croisons ici des recherches de vocabulaire à l’aide de dictionnaires anciens (Godefroy et Hilaire Van Daele notamment), avec plusieurs notes ou commentaires d’oeuvres diverses du grand maître de poésie médiévale (dont vous trouverez les références en tête d’article). Comme point de départ, je dois avouer que j’affectionne particulièrement la version très richement commentée de PL Jacob. Cet article lui doit beaucoup.
Fragments poétiques du grand testament
de Maistre François Villon
XLII
Puys que papes, roys, filz de roys, Et conceuz en ventres de roynes, Sont enseveliz, mortz et froidz, En aultruy mains passent les resnes; Moy, pauvre mercerot de Renes, Mourray-je pas ? Ouy, se Dieu plaist : Mais que j’aye faict mes estrenes (1) Honneste mort ne me desplaist.
XLIII
Ce monde n’est perpétuel, Quoy que pense riche pillart Tous sommes soubz le coup mortel. Ce confort prent pauvre vieillart, Lequel d’estre plaisant raillart* (moqueur) Eut le bruyt, lorsque jeune estoit; Qu’on tiendroit à fol et paillart*(gueux, méprisable, coquin), Se, vieil, à railler se mettoit.
XLIV
Or luy convient-il mendier, Car à ce force le contraint. Regrette huy sa mort, et hier Tristesse son cueur si estrainct : Souvent, se n’estoit Dieu, qu’il crainct , Il feroit un horrible faict. Si advient qu’en ce Dieu enfrainct, Et que luy-mesmes se deffaict.(2)
XLV
Car, s’en jeunesse il fut plaisant, Ores plus rien ne dit qui plaise. Tousjours vieil synge est desplaisant : Moue ne faict qui ne desplaise S’il se taist, afin qu’il complaise, Il est tenu pour fol recreu* (fatigué, vaincu) S’il parle, on luy dit qu’il se taise, Et qu’en son prunier n’a pas creu.(3)
XLVI
Aussi, ces pauvres femmelettes, Qui vieilles sont et n’ont de quoy Quand voyent jeunes pucellettes En admenez et en requoy, (4) Lors demandent à Dieu pourquoy Si tost nasquirent, n’a quel droit? Nostre Seigneur s’en taist tout coy Car, au tanser, il le perdroit. (5)
François Villon (1431-?1463)
Notes
(1) Il se compare ici à un pauvre marchand de Rennes. Il faut comprendre un miséreux, ou (dans le champ argotique) un « gueux ». Peut-être Dieu décidera-t-il de le faire mourir, mais il ne s’en plaint pas, pourvu qu’il ait pris un peu de bon temps. L’étrenne était l’aumône faite au pauvre mais aussi le premier achat fait à un marchand, soit la vente qui « sauvait » sa journée ou lui adoucissait pour le dire trivialement.
(2) Il commettrait un crime ou un délit pour ne plus avoir à mendier s’il ne craignait Dieu et si, en enfreignant les lois de ce dernier, il n’était conscient de se faire du tort à lui-même.
(3)« Et qu’en son prunier n’a pas creu » Dans ses oeuvres complètes de VillonP.L Jacob propose l’interprétation suivante : « Cette expression proverbiale nous paroît signifier qu’il ne parle pas de son crû, qu’il répète les paroles des autres ». Elle me semble plus évocatriced’une métaphore autour de l’arbre, de sa croissance et peut-être même du fruit. Ie : on explique au vieillard que ses paroles sont stériles et ne portent aucun fruit, autrement dit rien d’utile dont on puisse s’inspirer et qui puisse élever.
(4) En admenez et en requoy, Ce ver semble avoir été sujet à des « traductions » ou « écritures » diverses en fonction des imprimeurs et des éditeurs de Villon. D’un point de vue littéral. on admet généralement que « Admenez » serait un erreur de copiste et doit être plutôt lu comme « Endemenez ». On trouve ce terme traduit dans le Dictionnaire de l’ancien français Godefroy (version courte) comme : « léger, écervelé qui ne peut pas tenir en place. » En Requoy (requoi ou recoi) signifie « en cachette, à part, en secret ». Concernant l’ensemble de cette expression « En admenez et en requoy »,Prompsault (1832-35) lui donne comme sens : « prenant leur plaisir en cachette avec des jeunes garçons ». Il suit ainsi les pas de Marot qui a préféré noter ce ver : « Emprunter elles à Requoi », autrement dit « qui se donnent en cachette ». Bref si nous ne passons pas à côté d’une expression d’époque ou d’une référence à tiroir dont Villon a le secret, il s’agit sans doute là d’exprimer quelque chose qui a trait à des comportements ou des moeurs « légères » et cachottières, ou secrètes.
(5) Ces femmes devenues vieilles qui n’ont plus les attraits de la jeunesse et de la séduction, voyant les jeunes filles s’ébattre et s’adonner aux plaisirs de leur âge, les envient. Elles demandent alors à Dieu pourquoi elles naquirent avant elles et par quelle injustice (quel droit), mais lui se tient coi car il ne pourrait sortir victorieux d’un débat sur la question. On notera avec Louis Thuasne(« Villon et Rabelais ») que cette interrogation renvoie à celle que posait déjà la vielle du roman de la rose :
« Dieu ! en quel soucy me mettoyent
Les beaulx dons que faillis m’estoyent!
Et ce que laissé leur estoit,
En quel torment me remettoit, Lasse ! pourquoi si tost nasqui ?
A qui me dois-je plaindre ? A qui
Fors à vous, filz que j’ai tant chier »
En vous souhaitant une très belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.