Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fine amor, langue d’oc, poésie satirique, biographie, oeuvres. manuscrits anciens, servantois, sirvantès.
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Bonjour à tous,
ous continuons aujourd’hui d’explorer le moyen-âge des troubadours avec l’un d’entre eux qui fut particulièrement remuant et voyage beaucoup : Peire Vidal (ou Pierre). Outre ses aventures dans les cours des puissants, ce poète et chanteur médiéval, grandiloquent et plein de fantaisie est également resté célèbre pour avoir laissé une oeuvre particulièrement abondante. Son activité artistique commence autour de 1180. Nous sommes entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, et il s’inscrit donc dans la deuxième, voir la troisième génération de troubadours, héritière de la poésie d’Oc et de ses codes.
Eléments de Biographie
Même si l’on retrouve un certain nombre de documents rattachés au comté de Toulouse qui mentionne un certain Petrus Vitalis (voir A propos de Peire Vidal, Joseph Anglade, Romania 193 , 1923) et qui pourrait se référer, sans qu’on en soit certain, à notre troubadour du jour, comme de nombreux autres poètes et compositeurs occitans de cette période, les informations que nous possédons sur lui proviennent des vidas ou encore de ce que l’on peut déduire entre les lignes de ses poésies.
Concernant les Vidas des troubadours, rappelons, une fois de plus, que ces récits « biographiques » sont largement postérieurs à la vie des intéressés. Si on les a quelquefois pris un peu trop au pied de la lettre, du point de vue des romanistes et médiévistes contemporains, on s’entend généralement bien sur le fait qu’ils sont plus à mettre au compte d’une littérature provençale romancée, qu’à prendre comme des chroniques précises et factuelles. De fait, ces vidas sont elles-mêmes largement basées sur l’extrapolation des faits, à partir des vers des poètes dont elles traitent. Avec toutes les réserves que tout cela impose et considérant tout de même qu’on peut prêter un peu de foi aux dires de Peire Vidal, voici donc quelques éléments de biographie le concernant, entre faits (à ce jour, invérifiables) et possibles inexactitudes.
« Drogoman senher, s’agues bon destrier,
En fol plag foran intrat mei guerrier :
C’aqui mezeis cant hom lor me mentau
Mi temon plus que caillas esparvier,
E non preson lor vida un denier,
Tan mi sabon fer e salvatg’ebrau. »
Seigneur Drogoman, si j’avais un bon destrier,
Mes ennemis se trouveraient en mauvaise passe ;
Car à peine ont-ils entendu mon nom,
Qu’ils me craignent plus que les cailles l’épervier,
Et ils n’estiment pas leur vie un denier,
Tant ils me savent fier, sauvage et féroce !
Les Poésies Peire Vidal Joseph Anglade (1913).
Entre les lignes de Peire Vidal et des vidas
Originaire de Toulouse, Peire Vidal était fils d’un marchand de fourrure « fils fo d’un pelissier. ». Sous la protection de Raymond V et œuvrant à la cour de ce dernier, on le retrouve ensuite à Marseille, auprès du vicomte Barral de Baux, suite à quoi il voyage vers l’Espagne pour rejoindre la cour de Alphonse II d’Aragon. Après un nouveau passage par la France provençale, il sera en partance pour l’Italie et l’Orient. Du côté de Chypre, il aurait pris en épousailles une Grecque pour revenir ensuite à la cour de Marseille.
Son itinéraire voyageur et sa fréquentation des cours d’Europe ne s’arrêtent pas là puisqu’on le retrouve encore dans le Piémont, à la cour de Boniface de Montferrat, puis à celle d’Aimeric de Hongrie, en Espagne, auprès d’Alphonse VIII de Castille, et même à Malte. Entre ses nombreux protecteurs (successifs ou occasionnels), on dit qu’il a aussi compté le roi Richard Coeur de Lion, dont il prit même la défense contre Philippe-Auguste. Pour finir, il est possible que dans toutes ses pérégrinations à donner le vertige à plus d’un troubadour de son temps, il ait participé à la quatrième Croisade, mais rien ne permet de l’attester.
Pour n’être pas lui-même issu de la grande noblesse, la qualité de son art lui a, en tout cas, indéniablement ouvert les portes de la cour d’un certain nombre de Grands de l’Europe médiévale et il semble même qu’il fit office de conseiller (occasionnel là encore et avec réserve), auprès de certains d’entre eux.
Démêlés politiques, excès de « courtoisie »
ou âme vagabonde ?
Inconstance, goût insatiable pour les voyages, courtoisie un peu trop enflammée et douloureuse déception amoureuse, est-il poussé au dehors des cours ou en part-il de lui-même? Peut-être, y a-t-il un peu de tout cela. Même s’il reste indéniablement attaché par le coeur à sa Provence natale, il confesse lui-même que séjourner longtemps en un même lieu ne lui sied pas.
« So es En Peire Vidais,
Cel qui mante domnei e drudaria
E fa que pros per amor de s’amia,
Et ama mais batalhas e torneis
Que monges patz, e sembla – I malaveis ,
Trop sojornar et estar en un loc. «
» Voilà Messire Peire Vidal,
Celui qui maintient courtoisie et galanterie,
Qui agit en vaillant homme pour l’amour de sa mie,
Qui aime mieux batailles et tournois
Qu’un moine n’aime la paix et pour qui c’est une maladie
de séjourner et de rester dans le même lieu. »
Les Poésies Peire Vidal Joseph Anglade (1913).
Quand on fréquente les cours médiévales sauf à être totalement ingénu, se mêler de trop près de politique impose forcément que l’on soit prêt à subir les revirements des puissants. Peut-être cette dimension est-elle aussi présente puisque Peire Vidal ne s’est pas toujours contenté de critiquer uniquement les ennemis de ses protecteurs et de brosser ses derniers dans le sens du poil. Quoiqu’il en soit, il semble bien qu’il se soit fait bannir et chasser de certaines cours (Le troubadour Peire Vidal : sa vie et son oeuvre – Ernest Hoepffner, 1961).
Dans le courant du XXe siècle, sa fantaisie, son ironie et son style critique conduiront le romaniste et philologue Alfred Jeanroy à comparer notre poète médiéval à un Clément Marot avant la lettre (La Poésie lyrique des troubadours, T2, 1934). Au delà du style, et en se gardant bien de céder aux rapprochements faciles, il reste amusant de noter qu’à plus de trois siècles de distance, les deux poètes ont voyagé de cour en cour, peut-être, sous l’impulsion de nécessités semblables et, à tout le moins, pour avoir perdu le soutien de leur protecteur. L’un comme l’autre ne seront pas, du reste, les seuls poètes du moyen-âge poussés au dehors des cours, du fait de leur propre « impertinence » ou de leur goût de la prise de risque mais comme Peire Vidal semble tout de même avoir eu l’âme plus aventurière et voyageuse que Marot, la comparaison s’arrête là. Cet article ne nous fournit, de toute façon, pas les moyens d’une étude comparative (délicate et peut-être même hasardeuse) sur une possible parenté de fond qui toucherait certaines formes communes à une « poésie de l’exil » chez nos deux poètes.
Ajoutons que si l’on perçoit chez le troubadour de Toulouse une forme d’arrachement (il s’est sacrifié pour une dame qui ne l’a pas récompensé de son amour, il lui fallait partir, etc…) il ne boude pas non plus son plaisir de voyager et de se trouver en terres lointaines et loue volontiers les seigneurs qui l’accueillent.
« Mout es bona terr’ Espanha,
E’1 rei qui senhor en so’
Dous e car e franc e bo
E de corteza companha ;
E s’i a d’autres baros,
Mout avinens e mout pros,
De sen e de conoissensa
E de faitz e de parvensa. »
L’Espagne est une bonne terre
Et les rois qui y règnent en sont
Polis et aimables, sincères et bons
Et de courtoise compagnie;
Et on y trouve d’autres barons,
Très accueillants et très preux,
Hommes de sens et de savoir,
En apparence et en faits.
Les Poésies Peire Vidal Joseph Anglade (1913).
Oeuvre, legs et manuscrits
Entre poésie courtoise et satirique, l’oeuvre de Peire Vidal s’inscrit dans la double tradition lyrique et satyrique de ses contemporains. Quand il se lance dans son art, les codes de la courtoisie et de la fine amor sont déjà bien établis pour ne pas dire déjà un peu cristallisés voire « repassés », mais on lui prête d’avoir su leur insuffler un esprit qu’on pourrait qualifier de rafraîchissant. Outre ses qualités de style, son originalité réside dans un sens de la caricature et une forme d’ironie et d’auto-dérision qui le démarquent de ses homologues troubadours. Il se prête également (et on l’en crédite volontiers), un grain de folie qui s’épanche dans la grandiloquence et dans l’exagération et participe de cet humour, même si avec le recul du temps les nuances peuvent s’avérer quelquefois difficiles à percevoir.
Sources historiques
Sur la foi des manuscrits, plus de soixante pièces lui ont été d’abord attribuées mais, comme souvent, ce nombre a été revu, pour se trouver réduit par les érudits qui s’y sont penchés. Après diverses études, son legs poétique a ainsi été ramené à un peu moins d’une cinquantaine de pièces, ce qui en fait, quoiqu’il en soit, une oeuvre prolifique, au vue de l’époque et des données comparatives en présence.
Du point de vue des sources, on peut retrouver ses compositions, chansons ou poésies dispersées dans de nombreux manuscrits. On citera ici ceux qui ont servi de base aux illustrations de cet article. Il s’agit du ms 12473 (Français 12473), dit chansonnier provençal ou chansonnier K et du ms 854 (Français 854) tous deux copiés en Italie et datés du XIIIe siècle. Ils contiennent, chacun, un nombre important de pièces du troubadour médiéval. Vous pouvez consulter ces deux manuscrits anciens sur le site Gallica de la BnF aux liens suivants. ms 12473 – ms 854.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes