« D’être content sans vouloir davantage, c’est un trésor qu’on ne peut estimer »
Citation de Clément MAROT de Cahors (1496-1544), poète de la toute fin du moyen-âge et du début de la renaissance
Bonjour à tous,
ouir le bonheur de peur qu’il se sauve ou le cueillir pour ce qu’il est? Tel est « le » question comme dirait un de mes amis anglais.
Pour l’illustration de cette citation de Clément Marot, empreinte de sagesse, nous avons choisi d’utiliser son second portrait présumé. Si vous vous souvenez, dans un article précédent, nous avions abordé la question de l’autre portrait connu du célèbre poète, une peinture du XVIe siècle de Gian Giacomo de Alladio, dit Macrino D’Alba, mais comme cette dernière ne semble pas plus représenter le poète médiéval que mon arrière-grand père n’était représentant en Saucisses de Toulouse, cette fois-ci, nous avons opté pour la seconde peinture que l’on utilise généralement pour figurer Marot et qui est, d’ailleurs elle-aussi, un portrait présumé. On la doit à Corneille de la Haye (1500-1575), peintre franco-hollandais contemporain de Marot, rebaptisé, quelques siècles après sa mort, Corneille de Lyon.
Quoiqu’il en soit, il reste difficile, dans bien des cas, de mettre un vrai visage sur les hommes du monde médiéval. Les portraits que nous connaissons d’eux datent en effet, pour la plupart, de la renaissance – période durant laquelle cet art commencera a acquérir ses belles lettres -, et même souvent des siècles suivants et du XIXe siècle. D’ailleurs, ironie de l’histoire et même CQFD, pour ce peintre portraitiste lui-même, nous n’avons, là aussi, qu’un auto-portrait présumé (photo ci-dessus).
Mais, allons, puisque nous ne sommes plus à ça près, postons encore une ânerie du jour pour que la vérité triomphe. Et que le meilleur gagne!
Sur ce joie, santé et longue vie, mes amis! Puisse l’étincelle de vie que nous portons en nous suffire, à chaque nouveau souffle, à nous faire toucher du doigt le trésor dont nous parle Clément Marot ici.
Fred
pour moyenagepassion.com. « L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. »Publiliue Syrus Ier s. av. J.-C
Sujet : poésie médiévale, poésies morales et satiriques, poésie réaliste, ballade, vieux français Période : moyen-âge tardif Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : Nul ne tent (fort) qu’a emplir son sac
Bonjour à tous,
omme la vague revient sans se lasser vers la jetée, et même si les plages estivales semblent déjà loin, nous revenons sans cesse, ici, sur les ballades de ce grand poète satirique, politique et moral du moyen-âge que fut Eustache Deschamps.
Employé de cour de petite noblesse, alternativement chevaucheur, messager, huissier d’armes, maître des eaux et forêts, et encore baillis de Senlis – soit chargé d’administrer la ville et d’y faire appliquer la justice pour le compte du roi -, tout au long de sa vie, cet auteur et poète médiéval aura côtoyé et servi les rois et les puissants. Pourtant, pour autant qu’il s’est trouvé indubitablement lié au pouvoir et au risque de nous répéter, cet auteur prolifique du XIVe siècle et du moyen-âge finissant ne cesse de surprendre par le courage de sa plume et son engagement.
De la forme vers le fond, un homme debout
« Car il n’est rien qui vaille franche vie » Eustache Deschamps
Bien sûr, on s’est arrêté souvent à son Art de Dictier la prose (1392), à ses apports remarquables en stylistique et en rhétorique, à son attachement à créer ou à formaliser l’exercice d’une poésie qu’il défend comme un art à part entière ayant sa propre musicalité et se suffisant à lui-même. Il y aura bien, c’est indéniable, un avant et un après Eustache Deschamps dans l’Art poétique français du moyen-âge tardif. Sur le style toujours, on a pu encore souligner, à raison, son talent unique à manier courtoisie et satire, mais au delà des formes et à la lecture de ses belles ballades poétiques empreintes de causticité, nous ne pouvons nous empêcher de nous arrêter sur le fond et de voir derrière ses textes, rien un homme alerte, face à son temps.
Et quand on le décrit, ici ou là, comme un vieil homme auquel la fortune et la gloire ont échappé et qui s’est aigri avec l’âge, en invoquant, un peu facilement sans doute, ses rancoeurs personnelles pour expliquer certaines de ses diatribes ou sa nature caustique, nous refusons, quant à nous, de nous y laisser aller; ce genre de considérations n’enlève rien au fond, ni au sens de ses textes et loin de toutes explications « psychologisantes » (détestablement) à la mode, son sens critique continue de nous paraître admirable autant que son courage, son amour de l’honneur et sa droiture. Et s’il faut parler du passage du temps, puisque Eustache Dechamps a vécu longtemps, il nous semble plus juste qu’il y ait acquis une forme de sagesse, née de l’observation et de l’expérience. Indéniablement, Eustache Deschamps reste et restera un poète éveillé et critique de son temps, un des grands témoins de la société, des guerres et des misères du XIVe siècle et une voix qui s’élève avec liberté et franchise: un homme debout.
Se dresser ou se taire
A-t’il gardé de sa formation de clerc et de ses connaissances juridiques, une forme de droiture dans la posture d’esprit? C’est bien possible. Le christianisme est-il encore à l’inspiration de certaines des valeurs qu’il défend dans ses ballades satiriques? Sans aucun doute. Justice, équité, empathie et égards pour les petites gens – leur sagesse, leur honneur, leur sens du travail – autant que valeurs chrétiennes sont certainement des piliers sur lesquels sa morale repose, mais au delà, sa nature d’homme y est encore sûrement pour quelque chose. Face à l’iniquité et pour réussir à la cour, hier comme aujourd’hui, le silence, l’hypocrisie et la soumission restent toujours des valeurs payantes. Et si ce n’était de sa nature même, n’aurait-il pas été plus simple et plus confortable pour lui, étant si proche du pouvoir et de la cour de verser dans les ronds de jambes et de se soustraire aux règles des jeux de cour?
Qu’est-ce qui fait qu’un homme issu de petite noblesse, s’intéresse aux petites gens et aux hommes du peuple au point, parfois, de s’en faire la voix, au détriment de sa propre réussite sociale et de ses propres intérêts? Plus loin encore, qu’est-ce qui fait que certains hommes se dressent quand d’autres se taisent ou se couchent? Le courage? Ou peut-être même simplement l’impossibilité dans laquelle leur nature les met de pouvoir faire autrement.
La ballade du jour
Nous l’avons déjà évoqué ici, on retrouve Eustache Deschamps sur des thèmes moraux, sur des grandes valeurs d’honneur, de loyauté, de justice sociale. Dans un élan qui pourrait avoir les accents d’un étonnant manifeste antimilitariste médiéval, il est aussi ce poète désabusé qui critique les vaines et futiles guerres de pouvoir : elles ne servent que les caprices ou les intérêts de ceux qui les déclenchent, au détriment des peuples mis à sac et à sang. Il est encore à la satire acerbe des habitudes de cour, fustigeant l’hypocrisie qui y règne du côté des courtisés comme des courtisans.
Dans cette ballade que nous vous proposons aujourd’hui, il s’attaque à nouveau à la classe des puissants dans une diatribe qui, venant s’ajouter à d’autres, a peut-être contribué à lui attirer quelques inimitiés supplémentaires à la cour. Il y oppose encore le petit peuple, (cette fois-ci celui de la terre) aux seigneurs et finalement le travail véritable contre la cupidité ou l’appât de l’or.
Nulz ne tent qu’a emplir son sac.
Une ballade d’Eustache Deschamps
Je doubte trop qu’il ne viengne chier temps (1), Et qu’il ne soit une mauvaise année, Quant amasser voy grain a pluseurs gens Et mettre a part; faillir voy la donnée (2), L’air corrumpu, terre mal ordonnée, Mauvais labour et semence pourrie, Foibles chevaulx, et le laboureur crie, Contre lequel le riche dit : eschac ! (3) Par ce convient que le peuple mendie, Car nulz ne tent qu’a emplir son sac.
Particulier est chascun en son sens. Et convoiteus, vie est desordonnée, Tout est ravi par force des puissans. Au bien commun n’est créature née. Est la terre des hommes gouvernée Selon raison? Non pas; Loy est perie, Vérité fault, régner voy Menterie, Et les plus grans se noient en ce lac; Par convoitier est la terre perie, Car nulz ne tent qu’a emplir son sac.
Si fault de faim perir les innocens Dont les grans loups font chacun jour ventrée, Qui amassent a milliers et a cens Les faulx trésors; c’est le grain, c’est la blée. Le sang, les os qui ont la terre arée (4) Des povres gens, dont leur esperit crie Vengence a Dieu, vé a la seignourie. Aux conseilliers et aux menants ce bac. Et a tous ceuls qui tiennent leur partie. Car nulz ne tent qu’a emplir son sac.
ENVOY
Princes, le temps est brief de ceste vie, Aussi tost muert homs qu’on puet dire : clac. Que devendra la povre ame esbahie? (5) Car nulz ne tent qu’a emplir son sac.
(1) chier temps : des temps « chers », difficiles au niveau subsistance
(2) faillir voy la donnée*: je vois que les semis ne prennent pas.
(3) eschac: traduction littérale : « Echec! ». Autrement dit, « je ne veux rien savoir » ou « Suffit, pas d’excuses »
(4) Arée : labourée (5) esbahie : étonnée, tremblante, effrayée
Pour information, le marquis de Saint-Hilaire dans sa publication des oeuvres complètes d’Eustache Deschamps, ajoute « fors » dans le vers « Car nulz ne tent qu’a emplir son sac » en spécifiant qu’il manque dans la version de Crapelet des mêmes œuvres, ce qui donnerait : « Car nulz ne tent fors qu’a emplir son sac ». Comme cela fait dépasser un peu les pieds du vers, sans ajouter grand chose au sens, j’ai préféré m’en tenir ici à la version de Crapelet. Je vous laisse choisir la vôtre.
Quoiqu’il en soit, pour conclure sur cette ballade médiévale grinçante d’Eustache Deschamps, il est heureux que les temps aient changé. Elle est bien loin cette époque barbare lointaine dans laquelle les puissants et les gens de pouvoir ne pensaient qu’à leur sac, au mépris des petites gens et de leur labeur. Qu’il suffise de regarder la fonte des classes moyennes dans les pays dits développés ou l’extrême pauvreté qui perdure dans les pays pauvres, pourtant souvent gorgés de ressources, pour s’en convaincre. Non décidément, je ne sais pas ce que vous en pensez vous, mais à n’en pas douter, nos temps modernes sont largement moins individualistes ou empreints de cupidité que ne l’était le monde médiéval et le XIVe siècle d’Eustache Deschamps.
Une très belle journée à tous!
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
“Le sage n’est pas celui qui prêche le bien, mais celui qui le fait.” Gulistan ou l’empire des roses Mocharrafoddin Saadi, ou Sadi, (1210-1291), poète et conteur persan du moyen-âge.
Bonjour à tous,
ous faisons une petite incursion du côté du monde perse, aujourd’hui, mais tout en restant, bien sûr dans le moyen-âge, avec cette citation de Sadi ou Saadi. De son vrai nom Abū-Muḥammad Muṣliḥ al-Dīn bin Abdallāh Shīrāzī, ce poète moyen-oriental du XIIIe siècle, déjà très célèbre et reconnu de son temps, a légué à la postérité de grands textes poétiques, des contes moraux et même satiriques. Entre autres écrits, on lui doit notamment le Boustân : le verger, un recueil de poésies et le Gulistan, un ouvrage en prose, mieux connu en occident comme l’empire ou le jardin des roses, dont cette citation est extraite.
L’oeuvre de Saadi a traversé le temps et ses grandes qualités lui valent d’être encore étudiée et lue, près de neuf siècles plus tard. Nous aurons, d’ailleurs, l’occasion de lui dédier un article plus complet sous peu. Dans l’attente, nous vous souhaitons une très belle journée, pleine de joie!
« Si m’excuse de mon langage – Rude, malotru et sauvage, – Car né ne suis pas de Paris. » Jean Clopinel dit Jean de Meung (1250-1305) poète, érudit médiéval, traducteur et écrivain co-auteur du Roman de la Rose.