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Franc-Gontier, dit et contredits, satire et contre-satire de Philippe de Vitry à François Villon

franc-gonthier_poesie_ballade_medievale_satirique_vie_curiale_philippe_vitry_françois_villon_moyen-ageSujet  : poésie médiévale, ballade,  auteur médiéval, poète, moyen-français, poésie satirique, vie curiale, humour
Auteurs  :  Philippe de Vitry (1291-1361), François Villon (1431-?1463)
Titre  : « Le dit de Franc-Gontier » et « les Contredicts de Franc-Gontier »
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages  : oeuvres de Villon,  PL Jacob  (1854) , oeuvres de phillipe de Vitry, Prosper tarbé (1850)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans le courant du XIVe siècle, Philippe de Vitry (1291-1361), évêque de Maux, auteur savant, poète et grand musicien champenois célèbre et apprécié de son temps, écrivit une poésie connue sous le nom de « dit de Franc-Gontier » (Gonthier).

Empreinte de lyrisme, faisant l’éloge des plaisirs simples et champêtres, l’auteur y mettait en perspective une vie rupestre, devenue symbole d’une certaine liberté et deco_medievale_enluminures_phillipe_de_vitryindépendance, qu’il opposait à une vie curiale aux valeurs dévoyées, emplie de compromis, de trahison, de convoitise, d’ambition, etc.. Dans son élan, Philippe de Vitry n’hésitait pas à désigner les courtisans comme des « serfs », suggérant que le moins libre des hommes, entre celui qui travaillait la terre et celui qui traînait ses chausses à la cour, n’était pas forcément celui que l’on croyait.

Certes, on ne pouvait à la fois vouloir la paix d’une vie retirée au grand air et espérer dans le même temps, richesse, luxe et confort. Le Dit de Franc-Gontier encensait donc aussi une certaine simplicité corollaire de ce choix de vie et on pouvait encore lire, dans ce plaisant récit demeuré une pièce célèbre de poésie et de littérature médiévale, l’éloge d’un travail de la terre faisant sens et étant même en soi une récompense; belle réhabilitation au passage du vilain ou du serf, de leur labeur et de la vie rupestre élevés avec ce poème et dans ce courant de XIVe siècle, au dessus de certaines moqueries  communes dont ils avaient été si souvent l’objet au cours des siècles précédents (voir article les vilains des fabliaux).

Le dit de Franc-Gonthier
de Philippe de Vitry

Soubs feuille verd, sur herbe delictable
Sur ruy bruyant et sur claire fontaine
Trouvay fichee une borde portable,
Là sus mangeoient Gontier o dame Heleyne
Fromage frais, laict, beurre, fromagée,
Cresme, maton, prune, noix, pomme, poire,
Cibor, oignon, escaillongne froyee
Sur crouste grise (bise) au gros sel pour mieulx boire.
Au groumme burent; et oisellons harpoient
Pour rebaudir et le dru et la drue,
Qui par amours depuis s’entrebaisoient
Et bouche et née, et polie, et barbue
Quand eurent prins des doux mets de nature,
tantot Gonthier hache au col au bois entre
Et Dame Héleine si mit toute sa cure
A ce buer, qui cueuvre dos et ventre.
‘J’ouïs Gonthier en abattant son arbre
Dieu mercier de sa vie très sure:
“Ne scai, dit-il, que sont piliers de marbre,
Pommeaux luisans, murs vestus de peincture;
Je n’ay paour de trahison tissue
Soubz beau semblant, ne qu’empoisonné soye
En vaisseau d’or. Je n’ay la teste nue
Devant tyran, ne genoil qui se ploye.
Verge d’huissier jamais ne me desboute,
Car jusques la ne me prend convoitise,
Ambition, ne lescherie gloute.
Labour me paist en joieuse franchise :
Moult j’ame Helayne et elle moy sans faille,
Et c’est assez. De tombe n’avons cure.”
Lors je dy : “Las! serf de court ne vault maille,
Mais Franc Gontier vault en or jame pure”.

Version de Prosper Tarbé – les Œuvres de Philippe de Vitry (1850)

Dans le courant du même siècle et même du suivant, les thèmes de ce Franc-Gontier seront repris par d’autres auteurs médiévaux, souvent eux-même lassés de la vie curiale et de ses artifices. On pourra compter parmi eux Eustache Deschamps (voir ballade sur l’estat moyen  ou encore ballade je n’ay cure d’être en geôle) ou encore Alain Chartier (1385-1430), pour ne citer que ces deux-là.

Comme référence encore plus directe, il faut encore mentionner Pierre d’Ailly (ou Ailliac) qui, dans le courant de ce même XIVe siècle et dans une petite pièce très réussie, connue d’ailleurs sous le nom de « Contre-dicts de Franc-Gontier » rendra explicitement grâce à la vie du Franc Gontier de Philippe de Vitry et à ses valeurscontre celles du tyran dont il fera le portrait vitriolé dans sa poésie.

« Las ! Trop mieulx vaut de Franc-Gontier la vie,
Sobre liesse, et nette povreté,
Que poursuivir, par orde gloutonnie,
Cour de tyran, riche malheureté. »

« Les contredits de Franc-Gontier » ou « Combien est misérable la vie du tyran », par Pierre d’Ailly (1351-1411), Notice historique et littéraire sur le Cardinal Pierre d’Ailly, Eveque de Cambray au XVe siècle, par M Arthur Dinaux (1824)  

Vous pouvez désormais retrouver cette poésie complète ainsi qu’un portrait de son Auteur Pierre d’Ailly ici.

Satire et contre satire,
Le franc-Gontier de François Villon

Contrairement à la pièce citée de Pierre d’Ailly qui avait reconnu volontiers une certaine exemplarité dans le choix de vie du Franc-Gontier de Philippe de Vitry, les contredits de François Villon, écrits dans le courant du siècle suivant, se situeront dans un contre-pied distancié et moqueur.  Grandi au milieu de l’agitation et du bruit des rues de Paris, Villon reste sans doute plus que tout un urbain, et la vie rustre, sans grand faste, sans confort et pire que tout, à l’eau et sans vin, n’ont rien pour le séduire.

francois_villon_contredits_franc-gontier_ballade_poesie_medievale_satirique_moyen-age_tardif« Il n’est trésor que de vivre à son aise. », il se gaussera donc « gentiment » des vers de Philippe de Vitry en invoquant l’image satirique d’un gros chanoine jouisseur et bon vivant, se tenant avec sa maîtresse dans une chambrée confortable et s’adonnant à tous les plaisirs, aidés de torrents d’Hypocras. Plus loin, poursuivant sa raillerie, il mettra encore en opposition le confort d’une bonne couche contre le lit d’herbe sous le rosier et se moquera encore de la nourriture campagnarde qui avait l’objet de tous les éloges de l’évêque de Maux, fustigeant, au passage, l’haleine chargée d’ail des deux tourtereaux, Bref, Villon tournera en dérision le Franc Gontier de Philippe de Vitry, en affirmant tout de même qu’il ne veut les juger et que chacun est libre, mais que cette vie n’est surtout pas pour lui.

Opposition entre confort et rusticité, et peut-être même  au fond entre l’urbain, l’homme de la ville et l’homme de la ruralité, on ne peut s’empêcher de voir encore à travers cette ballade, le Villon gouailleur qui se fait, par jeu et par farce et avec un plaisir jamais dissimulé, le porte-parole des bons vivants, des « francs jouisseurs » et des fêtards. Pour peu, on l’imagine même bien lire cette ballade à voix haute dans quelque taverne parisienne, en faisant rire, à gorge déployée, ses compagnons de beuverie.

Pourtant et c’est finalement assez cocasse, à la relative profondeur de la satire que Philippe de Vitry avait opposé à son siècle et à la vie curiale et ses excès (convoitise, pouvoir, ambition, etc…) en prônant deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclele retour à une certaine « vérité » des valeurs,  Villon vient opposer à son tour, une contre satire qui, pour être provocatrice dans son humour et les images (anticléricales) qu’elle soulève  n’est pas dénuée d’un certain conformisme sur le fond.

Contre ce monde médiéval chrétien qui tente pourtant si fort d’en freiner les ardeurs, le désir de richesse, de confort, et même plus loin de débauche et de luxure, les hommes et les satires n’en sont-ils pas déjà pleins ? Qu’ils suffisent de lire les fabliaux ou les diatribes de tous bords, adressées aux puissants, aux princes ou même au personnel de l’église et du clergé par la plupart des auteurs satiriques pour s’en convaincre. Dans ce contexte, qu’est-ce que le véritable anti-conformisme ? On en jugera mais finalement, peut-être que, depuis l’aube des temps, l’image du marginal ou du « voyou », polisson, jouisseur, dispendieux, etc, ne va-t’elle jamais tout à fait contre certaines voies tracées par les tenants du pouvoir et n’en est qu’une caricature ou une débauche exacerbée. De ce point de vue, en forme de clin d’oeil et de question ouverte, de Vitry à Villon et même si leurs manières diffèrent, on pourra se poser la question de savoir quel est le plus satirique des deux ?

Les Contredicts de Franc-Gontier
Ballade médiévale de François Villon

Sur mol duvet assis, ung gras chanoine,
Lez ung brasier, en chambre bien nattée*,
A son costé gisant dame Sydoine,
Blanche, tendre, pollie et attaintée :
Boire ypocras, à jour et à nuyetée,
Rire, jouer, mignonner et baiser,
Et nud à nud, pour mieulx des corps s’ayser,
Les vy tous deux, par un trou de mortaise :
Lors je congneuz que, pour dueil appaiser,
Il n’est trésor que de vivre à son aise.

Se Franc-Gontier et sa compaigne Heleine
Eussent ceste doulce vie hantée,
D’aulx et civotz, qui causent forte alaine,
N’en mengeassent bise crouste frottée .
Tout leur mathon, ne toute leur potée.
Ne prise ung ail, je le dy sans noysier.
S’ils se vantent coucher soubz le rosier,
Ne vault pas mieulx lict costoyé de chaise ?
Qu’en dictes-vous? Faut-il à ce muser ?
Il n’est trésor que de vivre à son aise.

De gros pain bis vivent, d’orge, d’avoine,
El boivent eau, tout au long de l’année.
Tous les oyseaulx, d’îcy en Babyloine,
A tel escot, une seule jouinée
Ne me tiendroient, non une matinée..
Or s’esbate, de par Dieu, Franc-Gontier,
Hélène o luy, soubz le bel esglantier;
Si bien leur est, n’ay cause qu’il me poise ;
Mais , quoy qu’il soit du laboureux mestier,
Il n’est trésor que de vivre à son aise.

Envoi.

Prince, jugez, pour tous nous accorder.
Quant est à moy (mais qu’à nul n’en desplaise),
Petit enfant, j’ay ouy recorder
Qu’il n’est trésor que de vivre à son aise.

En vous souhaitant une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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Jean Meschinot, Une Ballade médiévale contre la guerre commune, les faux rapporteurs et les « rappineurs de bref »

manuscrit_24314_jean_Meschinot_poete_breton_medieval_poesie_politique_satirique_moyen-age_tardifSujet : poésie politique, morale, réaliste, poésie médiévale, biographie, portrait, poète breton.
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491)
Manuscrit ancien : MS français 24314 bnf
Ouvrage : Les lunettes des Princes (extrait). Edition de 1494, chez Etienne Larcher Nantes.

Bonjour à tous,

O_lettrine_moyen_age_passionn trouve dans un rare manuscrit des Lunettes des princes de Jean Meschinot datant de 1494, trois ballades inédites du poète du moyen-âge tardif et nous vous proposons, aujourd’hui, de découvrir l’une d’entre elles. (1)

C’est une dénonciation des tensions intérieures qui sévissent dans la France d’alors et c’est aussi du même coup un appel à l’union contre la guerre civile et contre les intérêts des « faux rapporteurs » et « rappineurs de bref », autrement dit ceux qui, dans ce genre de situation, tirent le meilleur partie, dressent les communautés ou les différentes composantes d’un peuple les unes contre les autres et attisent les conflits pour des raisons qui leur sont propres et qui ne voilent toujours que leurs propres intérêts politiques ou pécuniaires.

jean_meschinot_poesie_ballade_medievale_litterature_moyen-age_valeurs_morales_chretiennes

« Dieu reconnaîtra les siens » nous disait donc, en quelque sorte ici le poète breton : ceux qui continueront d’oeuvrer et de prier pour que l’union et la paix triomphent. Autre monde, autre contexte, autres sens ? Gardons nous de tout mélanger, certes, mais sans doute est-ce le propre de toute poésie morale quand elle contient un fond de vérité que de s’inscrire, d’une certaine manière, dans la durée. Alors, jean_Meschinot_poesie_ballade_mediavale_moral_politique_anti-militariste_paix_moyen-age_tardif_XVe_sieclepeut-être qu’en lisant cette ballade médiévale,  certains d’entre vous seront tentés de transposer et lui trouveront des échos bien actuels et plus d’une triste illustration de par le monde.

De fait, pardonnez cette remarque qui nous sort un peu de notre terrain d’analyse habituelle, mais dans nos sociétés comme sur le terrain géopolitique mondial il n’est pas un conflit ou une guerre civile et intérieure de ces cinquante dernières années à laquelle ne se soient trouvés mêlés et totalement partie prenante des acteurs aux intérêts les plus tordus et les plus dévoyés (promoteurs, négociants, financiers, armateurs, états tiers, etc, d’allumeurs de mèches à artisans directs), avançant toujours, bien sûr (quand ils le font à la lumière), sous les bannières les plus prétendument morales.

Benoists soient ceulx qui en feront debvoir !

L’une des grans douleurs de soubz la lune,
C’est veoir  le feu en sa propre maison.
Mais trop plus est veoir la guerre commune
En ung pays, et sans juste achaison* (motif).
Des querelles pour present nous taison,
Car Dieu, enfin, tout recompensera,
Mais je ne scay quant il commencera.
Or luy prions qu’il vueille recepvoir
Les oraisons que le peuple fera :
Benoists soient ceulx qui en feront debvoir !

Jenne conseil et celée rancune* (querelle, rancune cachée),
Propre proufit ont fait des maulx foeson.
Et de cecy cause ne vous rend qu’une
C’est le deffault de justice et raison.
Faulx rapporteurs ont bien eu la saison ;
Mais, se Dieu plest, leur regne cessera.
Je desire sçavoir quant ce sera,
Car aultrement, paix ne povons avoir.
S’a nous ne tient, le mal temps passera :
Benoists soient ceulx qui en feront debvoir !

N’imposons pas a mal eur ne fortune
Les grans deffaulx que nous mesmes faison.
Qui nous pourra faire ressource aucune
Si nostre paix et seurté desprison* (de desprisier ; déconsidérer)?
Unyon, vault plus que sans comparaison
Que tous les biens que guerre amassera.
Le rapineur de bref trespassera,
Peu luy vauldra sa richesse et avoir ;
A concorde le saige pensera.
Benoistz soient ceulx qui en feront debvoir !

L’envoy

Prince des cieulx, cil qui confessera,
Ta grant valeur plus ne t’offensera,
Ne ne vouldra jamais guerre esmouvoir ;
Mais unyon et paix compassera.
Benoists soient ceulx qui en feront debvoir !

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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(1) C’est encore au très pointu Pierre Champion, fils d’Honoré que l’on doit d’avoir souligné la présence de ces ballades de Meschinot,Voir article de Romania datant de 1923 sur Persée.

« Volez oïr la muse Muset? » une belle version d’une chanson du trouvère, en provenance d’Allemagne

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, auteur médiéval, vieux-français, lyrique courtoise, fine amor
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Volez oïr la muse Muset ? »
Interprètes : Ensemble für frühe musik Augsburg
Album :
Amours & Désirs, Lieder der Trouvères Christophorus Records (1993)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est toujours un grand plaisir de revenir vers la poésie médiévale de Colin Muset parce que l’on sait que l’on va très certainement y trouver de la joie. Le trouvère manie le code courtois autant qu’il le malmène ou le détourne et ses textes regorgent souvent d’un humour rafraîchissant. Sa nature de bon vivant l’emporte en effet, la plupart du temps, sur le reste et il semble qu’il ne cède à la lyrique courtoise que pour nous entraîner sur d’autres terrains. deco_medievale_enluminures_trouvere_Affaire de goût bien sûr et de moments sans doute, il faut bien avouer que la masse de textes qui gravite autour d’une fine amor aux frustrations et aux douleurs sans cesse remâchées peut devenir parfois un peu lassante. Avec la chanson médiévale du jour, nous somme loin de tout cela.

Ajoutons que pour autant qu’on puisse apprécier certaines interprétations lyriques (et elles sont légion) des pièces en provenance des troubadours et des trouvères du moyen-âge, ici, sous des accents qui pourraient sonner presque « folk », la voix franche et enjouée du chanteur/conteur semble finalement s’approcher au plus près de l’esprit du poète du XIIIe siècle. Pour un peu, on imaginerait les convives autour en train de rire et festoyer au son du trouvère et de son instrument. Tout y est retraduit : le rythme enlevé, l’orchestration minimaliste, mais aussi l’enthousiasme, la farce, la nature légère de la poésie de Colin Muset et cette version pleine d’énergie que nous partageons avec vous, aujourd’hui, demeure, de ce point de vue, une totale réussite et un véritable enchantement. Nous la devons à une formation allemande qui n’a plus fait parler d’elle depuis quelque temps déjà et que nous vous présenterons un peu plus bas :  L’Ensemble für frühe musik Augsburg.

Colin Muset par l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsburg

L’Ensemble für frühe musik Augsburg

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondé en 1977 par le musicologue, chanteur et instrumentiste Hans Ganser, accompagné de deux autres artistes et musiciens Rainer Herpichböhm et  Heinz Schwamm,  l’Ensemble für frühe musik Augsburg (l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsbourg) se dédia entièrement au répertoire médiéval.

Des musiques profanes au religieuses, des chants d’Hildegarde de Bingen ou des pèlerins du moyen-âge central aux chansons des trouvères français ou des minnesängers allemands, la formation a ensemble_medieval_musiques_poesies_moyen-age_Ensemble_fur_-fruhe_musik_Augsburgété active durant près d’une trentaine d’années. Durant cette longue carrière, elle a sorti près d’une vingtaine d’albums, donné des centaines de concerts en Europe et outre-atlantique et connu une véritable popularité  en Allemagne dans le champ des musiques médiévales et anciennes.

Leur dernier album remonte à 1997, date à partir de laquelle il semble que la formation musicale médiévale n’ait plus rien produit. De son côté et en 1999, Hans Ganser a fondé l’Ensemble vocal Celsitonantes dédié aux chants grégoriens, aux chants sacrés médiévaux et aux premières compositions polyphoniques du moyen-âge.

Consulter le site web de l’ensemble (en allemand)

« Amours et désirs », une heureuse incursion dans le moyen-âge des trouvères

En 1993, l’Ensemble musical allemand décidait de s’attaquer, à son tour, aux chants des trouvères, du XIIe siècle aux débuts du XIIIe. L’album avait pour titre « Amours & Désirs. Lieder der Trouvères » (chansons de trouvères). Comme son titre l’indique, plus que d’amour courtois, il y était question de couvrir le thème de l’amour et du désir, mais aussi de refléter l’effervescence créatrice de cette période dont nous avons déjà parlé ici. C’est un moment où l’art des troubadours trouve un terrain favorable en Oil, sous la plume des poètes du nord que le transposent et l’adaptent. C’est encore le siècle de floraison des grandes universités.

chanson_trouveres_musique_poesie_medievale_colin_muset_Ensemble_für_frühe_musik_AugsburgAvec 15 pièces au total, l’album nous gratifie de chansons de Colin Muset, Moniot d’Arras, Blondel de Nesle, Thibaut de Champagne, Jean Erart et contient même une pastourelle de  Jehan Bodel. Un grand nombre de pièces puise aussi dans le répertoire anonyme des XIIe, XIIIe siècles entre chants de croisades, pastourelles, chansons de toile et encore quelques estampiesIl est encore disponible en ligne au lien suivant : Amour & Desirs [Import anglais]

« Volez oïr la muse  Muset ? »
dans la langue d’oil de Colin Muset

Là où la lyrique courtoise s’épanche plus souvent qu’à son tour du côté de la frustration, de l’attente et des désirs insatisfaits, Colin Muset nous entraîne ici dans la « réalisation ». Sur le fond pourtant, l’amour de référence dont il est question reste bien « courtois » et le trouvère s’y décrit, en tout cas, de manière conventionnelle, comme un amant loyal : « Je l’aim tant,  De cuer loiaument ».

deco_medievale_enluminures_trouvere_Au sujet de la « muse » dont il est question ici et qu’il se propose de nous faire entendre, le sens est un peu sujet à caution. La « musette » désignait en effet un instrument à vent ou une cornemuse mais comme le poète nous parle de vièle et d’archet, il semble qu’il faille entendre « muse » dans le sens médiéval de muser : « faire de la musique » (Dictionnaire Godefroy), autrement dit et dans le contexte, une chanson (1).

Le poète joue aussi de son sobriquet en faisant allusion à une composition qui lui est propre. Cette « muse » désigne ainsi une pièce de son cru, connue de l’époque et Colin Muset nous conte même ici l’histoire de cette chanson qui, nous dit-il, quand il la chanta à une demoiselle chère à son coeur, en un « vergier flori », lui permit de la séduire. En entendant les vers du trouvère, la demoiselle (« dancelle », « donzelle ») dont il est question lui aurait donc cédé bien volontiers et avec force baisers, mais aussi (et cela semble pour lui et comme toujours d’égale importance) en le régalant de « bons morceaux » et de vin à profusion. La poésie s’épanche ainsi en de joyeuses ripailles copieusement arrosées à la célébration de ce moment.

Volez oïr la muse Muset ?
En mai fu fête, un matinet,
En un vergier flori, verdet,
Au point du jour,
Ou chantoient cil oiselet
Par grant baudor,* (gaiété)
Et j’alai fere un chapelet* (couronne de fleurs)
En la verdor.
Je le fis bel et cointe et net
Et plain de flor.
Une dancele* (demoiselle) 
Avenant et mult bêle,
Gente pucele,
Bouchete riant,
Qui me rapele :
« Vien ça, si vïele
Ta muse en chantant
Tant mignotement. »

J’alai a li el praelet* (prairie, petit pré) 
Atout la vïele et l’archet,
Si li ai chanté le muset
Par grant amour :
« J’ai mis mon cuer en si bon cuer
Espris d’amors… »,
Et quant je vi son chief blondet
Et sa color
Et son gent cors amoreusct
Et si d’ator,
Mon cuer sautele
Pour la damoisele ;
Mult renouvelé
Ma joie souvent.
Ele ot gounele
De drap de Castele
Qui restencele.
Douz Deus, je l’aim tant
De cuer loiaument !

Quant j’oi devant li vïelé
Pour avoir s’amour et son gré,
Elle m’a bien guerredoné* (récompensé)
Soe merci,
D’un besier a ma volenté,
Deus ! que j’aim si !
Et autre chose m’a donné
Com son ami,
Que j ‘a voie tant desirré :
Or m’est meri !
Plus sui en joie
Que je ne soloie,
Quant celé est moie
Que je tant désir ;
Je n’en prendroie
N’avoir ne mounoie ;
Pour riens que voie
Ne m’en qier partir ;
Ançois vueil morir.

Or a Colin Muset musé
Et s’a a devise chanté
Pour la bêle au vis* (visage) coloré,
De cuer joli.
Maint bon morsel li a doné
Et départi
Et de bon vin fort a son gré,
Gel vous affi.
Ensi a son siècle mené
Jusques ici.
Oncor* (encore) dognoie,
En chantant maine joie,
Mult se cointoie,
Qu’Amors veut servir,
Si a grant joie
El vergier ou dognoie,
Bien se conroie,
Bon vin fet venir
Trestout a loisir.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
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(1)  Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, Ed. Honoré Champion (1938)

Eglogue au Roi sous les noms de Pan & Robin, une parabole aux accents bucoliques de Marot, à l’automne de sa vie

portrait_clement_marot_poesie_medievaleSujet :  poésie renaissante, moyen-âge tardif, poésies courtes, églogue, Robin, Marion.
Période : fin du moyen-âge, renaissance
Auteur :  Clément MAROT (1496-1544)
Titre : « Eglogue au roy (roi), sous les noms de Pan et Robin»
Ouvrage :. oeuvres complètes de Clément MAROT, par Abel grenier, Tome 1 (1879)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionaté de 1539, l’Eglogue au Roy de Clément Marot fait partie de la poésie tardive de l’auteur. Notre poète a passé la quarantaine et il laisse ici de côté le ton grivois et gaulois qu’il a si souvent tutoyé sur le thème de Robin et de Marion, pour une poésie plus sage et plus profonde, mais dont le ton reste léger et imagé.


Eglogue :  l’églogue est une poésie lyrique en général assez courte qui loue et met en exergue le thème de la vie champêtre et pastorale. Son origine remonte aux grecs et au poète Virgile. Dans la forme dont il est question ici, c’est un genre poétique repris aux débuts du XVe.


Les deux visages de Marot

deco_medievale_enluminures_clement_marotEn réalité, ce n’est pas qu’une affaire d’âge, ni de maturité. Les deux visages de Marot homme de cour trivial à l’humour caustique  d’un côté et, de l’autre, auteur talentueux d’une grande sensibilité qui sait aussi traiter les sujets avec style et profondeur, sont présents tout au long de son parcours.

Peut-être ne peut-on pas totalement en vouloir à Boileau de l’avoir un peu enfermé et sans doute réduit à ce rôle d’amuseur et cet « élégant badinage ». Marot a cédé plus qu’à son tour aux traits d’esprit et sa verve a, de fait et souvent, pu un peu éclipser l’auteur plus sérieux et formel qu’il savait être aussi. L’humour a quelquefois ceci de « dévorant » qu’il suffit d’en faire un peu pour qu’on veuille vous y réduire ou  même en faire, à votre place, une profession de foi. C’est loin d’être le cas de Marot et on ne peut l’y cantonner, ceux qui se sont penchés sur la totalité de son oeuvre le savent bien. Comme de notre côté, nous avons jusque là beaucoup cédé à ses bons mots, il est temps sans doute que nous approchions un peu son autre visage, pour contrebalancer.

Contexte historique

Que de chemin parcouru entre la première églogue à Virgile de l’Adolescence Clémentine, ou celle encore, en forme d’épitaphe à Ma Dame Loyse de Savoye et celle du jour. De longues années se sont écoulées, plus de vingt ans, avec dans l’intervalle, quelques sérieuses épreuves.

En 1539, Marot est revenu depuis quelque temps déjà de son premier et douloureux exil. Trois ans auparavant et sur demande de François 1er, il a abjuré solennellement à Lyon et, ayant obtenu le pardon du roi, il se tient à nouveau à la cour. Ses conflits avec les autres poètes sont loin derrière lui et sa réputation, autant que sa position, y sont de nouveau bien assises. Quelques années auparavant, ces oeuvres ont été publiées à la faveur d’une imprimerie qui s’impose de plus en plus comme une technologie avec laquelle il faudra désormais compter et malgré les vicissitudes et le parcours agité que notre auteur a connu, le roi semble toujours autant l’avoir en ses faveurs, goûtant, sans les bouder, les charmes de sa plume.

deco_medievale_enluminures_clement_marotPourtant, pour autant qu’il pourrait se contenter du confort dans lequel il se tient, il semble qu’il faille que Marot ne soit jamais tout à fait sage et conforme, ni tout à fait docile. En l’occurrence et cette  même année 1539, il sera, en plus, rattrapé par son passé. L’Enfer – sulfureux pamphlet qu’il avait composé à l’attention de ceux qui l’avaient fait emprisonner en 1526 et contre la magistrature et les théologiens – sera, en effet, édité sans son autorisation. Trois ans plus tard, le même texte sera à nouveau publié par Estienne Dollet dans des conditions similaires.

D’un autre côté et, pour le coup, bien volontairement, Marot continue d’oeuvrer à sa traduction des psaumes. Sait-il que se faisant, il prendra encore le risque d’éveiller les foudres de ses anciens ennemis qui continuent de le surveiller d’un oeil ? Il ne peut l’ignorer et, en tout cas, il semble le redouter, comme on pourra le lire entre quelques lignes de cette Eglogue du Roy.

« Il me suffit, que mon trouppeau (tu) preserves* (Pan)
Des loups, des ours , des lyons, des loucerves, »

Du reste, ces foudres, il les connaîtra à nouveau, quelques temps après, avec ses mêmes psaumes. La Sorbonne en tête, bientôt suivie par l’église et une cohorte de détracteurs, se dressera contre la traduction et la versification de Marot. Bien que le succès de la parution ait été indéniable à la cour comme ailleurs, on le frappa d’hérésie et on vint même demander au roi d’entériner la sanction. Ajoutés au contexte houleux de la réforme et de la chasse aux luthériens, la publication de l’enfer en 1542 et cette agitation autour des psaumes comptèrent sans doute parmi les raisons qui conduisirent le poète à un nouvel exil. On en connait les suites, il s’enfuit à Genève, de là et un peu plus tard, il se réfugia en Savoie, puis encore en Italie et à Turin où, il finit par périr, deux ans plus tard,  loin de son sol aimé.

Liberté et conscience de la postérité

Plus idéaliste que marginal ou même révolté ( au sens social), pour être pensionné et au service du roi, nous le disions plus haut, Marot n’en est pas, pour autant, totalement servile ; une nécessité le pousse à mener son art, autant que ses actes, là où bon lui semble et où sa conscience lui dicte. On ne peut sans doute pas réduire cette liberté à une protection royale et peut-être même une certaine bienveillance qu’il tiendrait pour acquises et dont, le supposant, il aurait fait quelques abus. En 1539, l’expérience lui en a déjà largement démontré les limites. Les choses lui échappent-elle vraiment ? Se pose-t-il même toujours  la question ? A l’image de ses convictions, il semble tout de même que l’écriture reste pour lui une affaire sérieuse qui devrait situer le poète, en dernier ressort, à une certaine hauteur de débat et même au dessus des simples contingences alimentaires. (1)

Est-ce une tendance naturelle, un trait de caractère frondeur ou est-ce l’écriture critique et satirique du Jean de Meung du Roman de la Rose, qui l’a formé à l’école d’une certaine liberté qu’on ne peut simplement réduire à de l’impertinence ? Plus haut et plus loin que le désir puéril de provoquer, la plume est un chemin vers une liberté deco_medievale_enluminures_clement_marotqui ne souffre l’aliénation. On a parlé quelquefois à son propos d’étourderie, d’impulsivité, c’est lui prêter, sans doute, un peu trop de « légèreté intellectuelle » et moins de conscience qu’il n’en avait.  La vérité est entre les deux. S’il serait exagéré de faire de Marot un auteur clairement engagé, loin s’en faut, on ne peut pour autant  le résumer à un poète de cour  épris de trivialité et aveuglément au service du roi. (2)

Peut-être un peu de la fronde de François Villon a t-elle aussi fini par se greffer dans un coin de l’esprit de Marot et jusque dans sa destinée houleuse ? On sait l’admiration qu’il vouait à ce dernier et si c’est le cas, le poète de Cahors aurait eu de qui tenir. Même si le rapprochement ne peut se faire que de loin entre  le parcours et « l’anticonformisme » de l’auteur du Grand testament et Marot,  Villon a indéniablement insufflé à la poésie une forme d’absolu, en la mettant, d’une certaine manière, au dessus des lois des hommes et du conformisme. Dans les méandres de sa vie chaotique et marginale, à travers la grande aventure de son écriture, armé de sa seule plume, Villon est finalement demeuré seul face à ses actes, face à Dieu et face à la postérité, insaisissable et élevé par son art.

Marot a-t-il pu être touché par cet absolu et la hauteur à laquelle ce dernier plaçait la poésie ? Peut-être. Dans ses siècles où se forme plus résolument la notion d’auteur, il eut aussi une conscience aiguë de la notion de legs et de postérité :

 « Et tant que ouy, & nenny se dira,
Par l’univers, le monde me lira »
Clément Marot. Epitre LXI a un sien amy (1543)

L’imprimerie, de plus en plus présente, n’est sans doute pas étrangère à cela. Dans ce XVIe siècle déjà renaissant, elle a déjà édité et souvent même égratigné des oeuvres poétiques (celles de Villon notamment) pour les besoins de son commerce, Marot s’en est assez plaint. Nouvelle technologie à double tranchant, elle peut, certes, déformer l’art du poète ou éditer contre lui des oeuvres passées en lui ôtant des mains le contrôle de son legs mais, en même temps, elle l’affranchit (idéalement plus que matériellement) de son royal bienfaiteur en lui offrant un large lectorat. Il est difficile de savoir à quel point cela a pu faire partie des éléments favorisant chez le poète de Cahors la conscience d’inscrire son art et ses actes dans la durée, à l’ère des manuscrits le succès de certains auteurs avait déjà été assuré, mais c’est un élément de contexte que l’on ne peut totalement ignorer.

L’Eglogue au Roy,
sous les noms de Pan & Robin  

Dans cet églogue à la première personne, Marot se glisse dans la peau d’un pastoureau nommé Robin qui nous conte sa vie champêtre tout en louant le Dieu Pan.

De fait, l’ensemble de cette oraison du petit berger à Pan est une belle parabole aux accents rupestres dans lequel le poète relate et « encode » les moments forts de sa vie. On y trouvera donc de nombreux allusions à son propre parcours, beaucoup de légèreté, un brin de mélancolie et de questionnement sur l’avenir mais pas de trace d’amertume. Point de verve ou de vitriol, le calme est retrouvé et à l’approche de l’hiver, l’auteur semble ne rêver que d’un peu d’abri et de tranquillité.

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On en connait le passage célèbre, maintes fois cité que nous reprenons ici à notre tour. Au delà de ces quelques vers connus, en plus du plaisir à la lire, cette églogue vaut vraiment d’être redécouverte dans sa totalité pour ce qu’elle nous apprend de la vie du poète, mais aussi de ses vues sur son art. Nous vous proposons d’ailleurs en pied d’article un lien vous permettant de la télécharger au format pdf.

(…)

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l’arondelle qui volle
Puis ça, puis là : l’aage me conduisoit,
Sans peur ne soing, où le cueur me disoit.
En la forest (sans la craincte des loups)
Je m’en allois souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramages,
Tous differens de chantz et de plumages ;
Ou me souloys (pour les prendre) entremettre
A faire bricz, ou cages pour les mettre.
Ou transnouoys les rivieres profondes,
Ou r’enforçoys sur le genoil les fondes,
Puis d’en tirer droict et loing j’apprenois
Pour chasser loups et abbatre des noix.

Saluant au passage la « jeunesse folle » de Villon,  dans quelques uns de ses premiers vers sur le printemps de sa vie, on pourrait presque entendre raisonner avec quelques siècles d’avance, certains accents lyriques du Chant du monde de Giono ou revoir encore défiler les plus belles pages contemporaines de l’enfance buissonnière de Pagnol à la Gloire de son père. Le cadre de la vie campagnarde est joliment posé.

Viendra encore s’y ajouter l’affirmation de la vocation précoce du poète et un long hommage à son père Jean Marot pour lui avoir transmis cet art que l’auteur mettra ici en comparaison avec celui des troubadours ou des trouvères de la lyrique courtoise, en parlant de ‘chants », de « chansons », de « notes » et encore de « flûtes » et de « flajolets« .

O quantesfoys aux arbres grimpé j’ay,
Pour desnicher ou la pye ou le geay,
Ou pour jetter des fruictz ja meurs et beaulx
A mes compaings, qui tendoient leurs chappeaux!
Aucunefoys aux montaignes alloye ,
Aucunefoys aux fosses devalloye,
Pour trouver là les gistes des fouynes,
Des herissons ou des blanches hermines,
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Allois cherchant les nidz des chardonnetz
Ou des serins, des pinsons ou lynottes.
Desja pourtant je faisoys quelques nottes
De chant rustique, et dessoubz les ormeaux,
Quasy enfant, sonnoys des chalumeaux.

Si ne sçaurois bien dire ne penser
Qui m’enseigna si tost d’y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinée,
Ou ma fortune, en cela destinée
A te servir : si ce ne fust l’un d’eux,
Je suis certain que ce furent tous deux.

Plus tard, plus loin, arrivant à l’été, il nous parlera encore du plaisir qu’il a eut à exercer son art. Cigale plus que fourmi, il n’a eu cure d’accumuler les biens.

Plus me plaisoit aux champestres séjours
Avoir faict chose (ô Pan) qui t’agreast,
Ou qui l’oreille un peu te recreast,
Qu’avoir autant de moutons que Tityre;
Et plus (cent foys) me plaisoit d’ouyr dire :
‘( Pan faict bon oeil à Robin le berger. »
Que veoir chés nous trois cents beufz héberger,
Car soucy lors n’avoys en mon courage
D’aucun bestail ne d’aucun pasturage.
Mais maintenant que je suis en l’autonne,
Ne sçay quel soing inusité m’estonne.
De tel’ façon que de chanter la veine
Devient en moy, non point lasse ne vaine,
Ains triste et lente, et certes, bien souvent,
Couché sur l’herbe, à la frescheur du vent,
Voy ma musette à un arbre pendue
Se plaindre à moy qu’oysive l’ay rendue;

Et le souci le prend un peu de pouvoir se mettre à l’abri, lui et les siens pour anticiper sur l’hiver déjà proche :

D’autre costé j’oy la bise arriver.
Qui en soufflant me prononce l’yver;
Dont mes trouppeaux, cela craignant et pis,
Tous en un tas se tiennent accroupis,
Et diroit on, à les ouyr besler,
Qu’avecques moy te veulent appeller
A leur secours, et qu’ilz ont cognoissance
Que tu les as nourriz dès leur naissance.
Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mille arpentz de pastiz en Touraine,
Ne mille beufz errants par les herbis
Des montz d’Auvergne, ou autant de brebis :
Il me suffit que mon troupeau préserves
Des loups, des ours, des lyons, des loucerves.
Et moy du froid, car l’yver qui s’appreste
A commencé à neiger sur ma teste.

Certains auteurs se sont demandés si sous le visage de Pan, Marot ne s’adressait pas ici, de manière allégorique, à la personne de François 1er. De fait et par son titre cette Eglogue est explicitement adressée au souverain. On a même évoqué l’hypothèse que le poète puisse ici s’adresser au Christ (2). Il semble, en tout cas, qu’à la même période, Marot ait obtenu du roi la donation d’une demeure (« une maison avec jardin rue du clos Bruneau à Paris »).  Les auteurs sont partagés sur la question d’une doléance voilée au souverain ou même encore de remerciements que le poète lui aurait fait à travers cette oraison comme les deux derniers vers semblent le suggérer:

« Sus mes brebis, trouppeau petit et maigre,
Autour de moy saultez de cueur allaigre,
Car desja Pan, de sa verte maison,

M’a faict ce bien d’ouyr mon oraison. »

On trouvera une autre version de cette oraison plus tardive et découverte après le mort du poète. Son authenticité ou sa paternité ont quelquefois été questionnées, mais il semble qu’on n’ait plus grand doute de nos jours sur le fait que cette réécriture est bien de Marot et sans doute du temps de son dernier exil. Elle a pour titre « La Complaincte d’un pastoureau chrestien faict en forme d’églogue rustique, dressant laplaincte a Dieu, soubz la personne de pan, dieu des Bergers ». La « verte maison » en a été gommée :

Puis je connois par ce chesne tremblant
Que Pan mon dieu me monstre bon semblant,
Dont à mon coeur ferme joye est rendue
Puisqu’il a jà ma prière entendue.

Retrouvez l’Eglogue au Roy de Marot dans sa totalité ici :
Télécharger l’églogue au Roy de Clément Marot au format PDF

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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(1) Sur la liberté de Marot, on lira avec intérêt l’article de Daniel Martin « Clément Marot, nouveaux horizons de la poésie et du poète à la Renaissance«  dans le numéro 54 de la revue Réforme, Humanisme, Renaissance de 2004.

(2) Du même auteurLe Valet de chambre et son roi, Marot impertinentRéforme, Humanisme, Renaissance, 2014.