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Qui était Giraut de Bornelh ? A la découverte du « maître » des troubadours

Sujet  : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, biographie, vida, razo, manuscrit médiéval, chansons, occitan, langue d’oc, trobar leu
Période : Moyen Âge central, XIIe & XIIIe s
Auteur :  Giraut de Borneil, Guiraut de Bornelh Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)

Bonjour à tous,

oilà longtemps que nous ne sommes partis en direction du pays d’Oc médiéval, à la découverte de nouveaux troubadours, mais il est temps de rattraper cela. Aujourd’hui, nos pas vont nous entraîner à l’ère « classique » des premiers troubadour occitans. Nous sommes donc au Moyen Âge central, entre les deux derniers tiers du XIIe et les premières années du XIIIe siècle et le poète que nous vous présentons se nomme Guiraut de Borneill ou Bornelh. C’est un grand de sa génération et Dante l’a même classé parmi ses troubadour favoris, après Arnaut Daniel, en le qualifiant même (dans son De Vulgari eloquentia), de “poète de la rectitude“.

D’aprés les chronologies usuelles, Guiraut de Bornelh aurait vécu entre 1138 et 1215. Pour le situer, il arrive un peu après Guillaume IX d’Aquitaine. Le très talentueux Marcabru, maître du trobar clus, le précède également dans le temps. Même si les dates suggèrent qu’ils ont pu être contemporains, Guiraut n’a pas encore engagé sa carrière quand Marcabru termine la sienne. Il est donc plus de la génération d’un Bernard de Ventadorn. Chez les trouvères qui commencent déjà à répandre, traduire ou s’inspirer de l’art musical et poétique occitan, des poètes comme Gace Brûlé ou Blondel de Nesle ont officié en même temps que lui.

La biographie de Guiraut de Bornelh suivant les vidas et les razos.

Avec toutes les réserves qu’on doit y mettre, sa vida, ainsi que quelques razos nous content quelques éléments supposés de sa vie. Comme tous les récits de cette famille, ceux de Guiraut de Borneill ne peuvent guère être étayés par des documents et des sources historiques avérées. De fait, rédigés longtemps après la vie de troubadours, vidas et razos sont, bien souvent, basés, en grande partie, sur le contenu des poésies de leurs auteurs.


Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure du manuscrit Français 854, chansonnier A (retouchée par nos soins).

« Guiraut de Bornelh si fo de Limozí, de l’encontrada d’Esiduòlh, d’un ric castèl del viscomte de Lemòtges. E fo òm de bas afar, mas savis òm fo de letras e de sen natural. E fo mèlher trobaire que negús d’aquels qu’èron estat denan ni foron après lui ; per que fo apelatz maestre dels trobadors, et es ancar per totz aquels que ben entendon subtils ditz ni ben pausats d’amor ni de sen. Fòrt fo onratz per los valentz òmes e per los entendenz e per las dòmnas qu’entendian los sieus maestrals ditz de las sous chansos. E la soa vida èra aitals que tot l’invern estava en escòla et aprendia letras, e tota la estat anava per cortz e menava ab se dos cantadors que cantavon las soas chansos. Non volc mais mulhèr, e tot çò qu’el gazanhava dava a sos paubres parenz e a la eglesia de la vila on el nasquèt, la quals glesia avia nom, et a encara, Saint Gervàs. « 

La Biographie des troubadours en Langue Provençale – Camille Chabaneau – Editeur Edouard Privat, Toulouse (1885) (1)


Lettré, sage et talentueux : le « maître » des troubadours selon son biographe médiéval

Suivant sa vida, Guiraut naquit, donc à Excideuil, en Limousin, dans l’actuel département de la Dordogne, à moins que, comme l’a fait remarquer le romaniste et philologue Jean-Pierre Chambon, il ne s’agisse, plus vraisemblablement d’Exideuil, dans le canton de Chabanais, en Charente (2). On ne connait pas grand chose de l’enfance de ce troubadour mais pour ce qui est de sa condition, son biographe médiéval nous le présente comme un homme de modeste extraction, plein de sagesse, lettré et de “bon sens” (ou doté naturellement d’intelligence et de raison, si l’on préfère).

Enluminure médiévale de Guiraut de Bornelh
Enluminure Ms Français 12473 – Chansonnier provençal K – Bnf, dept des manuscrits

A propos des talents du poète, l’auteur de sa vida n’hésite pas à qualifier Giraut de Borneil de « meilleur des troubadours » pas seulement auprès de ses contemporains mais également de ses prédécesseurs. Il nous dit même encore qu’il fut appelé « maître des troubadours ». Quant à sa postérité du temps de sa vida, elle se poursuit dans la même veine puisque « tout ceux qui, de nos jours, comprennent les paroles subtiles et bien agencées à propos d’amour et de bons sens (jugement, raison, intelligence » continuent, de le considérer comme un maître.

Certains linguistes et experts semblent être de l’avis que ce « maître » pourrait designer la profession de Giraut plutôt qu’une supériorité absolue sur ces pairs : maître de rhétorique ou maître dans le sens d’enseignant ? (3) Cela nous parait un peu surprenant, au vue du contexte et du ton général de cette vida, d’autant que dans la continuité de ce grand éloge, on trouve encore la phrase suivante : “Il fut aussi fort honoré ( apprécié, loué) par les hommes nobles de son temps et par les dames qui comprenaient les paroles magistrales de ses chansons.”. Bref, selon l’auteur de cette biographie tardive, nous avons affaire à un troubadour hors du commun.

Cette vida nous dit encore que, l’hiver, Giraut enseignait les lettres et était à l’école et que l’été il se rendait auprès des cours, “emmenant avec lui ses deux chanteurs qui chantaient et jouaient ses compositions”. Cela semble assez étonnant mais explique que, sur un certain nombre de miniatures de manuscrit médiéval, on le voie accompagné de près d’autres personnages. Ainsi, on devine quelqu’un derrière lui sur l’enluminure du MS 854 que nous nous sommes permis de rafraîchir un peu (plus haut dans l’article). Quant à l’enluminure du MS 12473 (ci-dessus également), cette fois, Giraut de Borneil y est bien suivi de deux personnes qui ne peuvent que correspondre à ces « assistants » jongleurs et chanteurs.

Quelques éléments supplémentaires sur sa vie

Il n’est pas rare que les vidas des troubadours nous content des romances entre les poètes occitans et des dames, voire même de grandes dames. Celle de Giraut de Borneil y fait exception. Elle nous dépeint, en effet, un homme qui « jamais ne voulut se marier et qui donnait tout l’argent qu’il gagnait à ses pauvres parents, mais encore à l’église de sa ville de naissance, qu’on nommait et qu’on nomme toujours Saint Gervais.

Il faut chercher dans les 6 razos qu’on trouve encore sur lui pour débusquer un peu plus d’éléments sur ses histoires de cœur (op cité Chabaneau). Dans certains d’entre eux, il est notamment fait allusion à une dame de Gascogne : Alamanda d’Estanc, « dame très prisée pour son intelligence, sa beauté et sa valeur« . Las, l’histoire s’est, semble-t-il, mal finie et les razos nous disent que le poète en souffrit beaucoup.

Pour finir le tour de ces éléments de biographie, un autre razo nous conte que Guiraut partit avec Richard Coeur de Lion pour la 3ème croisade et au siège d’Acre. Dans ses autres protecteurs, ces mêmes sources et ses poésies mentionnent encore Alfonse VIII de Castille : ce dernier, avec d’autres nobles de sa cour, lui auraient même fait cadeau d’un palefroi ferré ainsi que d’autres riches présents« . On peut aussi y ajouter des personnages tels que Aimar vicomte de Limoges, vraisemblablement Adémar V (1138 1199), le dauphin d’Auvergne, un comte de Toulouse, sans doute Raimon V selon Alfred Jeanroy (4) et Boemond III, Prince d’Antioche. Enfin, dans ces mêmes sources, on trouve encore mentionnés Raimbaut d’Orange et Ramons Bernartz de Rovigna (Raymond Bernat de Rouvenac ?).

Sources manuscrites : Mss 854 et Mss 12473 deux chansonniers du XIIIe siècle

Manuscrit médiéval Guiraut de Bornelh

On citera les deux manuscrits déjà mentionnés à propos des enluminures. Tous deux sont conservés à la BnF et consultables en ligne sur le site de Gallica. Le premier, le Ms Français 854 est également connu sous le nom de Chansonnier provençal A. Daté du XIIIe siècle, ce manuscrit médiéval, d’origine italienne, contient vidas et razos de troubadours, ainsi que leurs oeuvres, dont celles de Guiraut de Borneill.

Dans le même registre, le manuscrit médiéval MS Français 12473 est, sans doute, encore plus célèbre. Connu sous le nom de Chansonnier provençal ou Chansonnier K, il est daté de la deuxième partie du XIIIe siècle et présente également un large nombre de troubadours et poètes de langue occitane médiévale avec leurs biographies tardives. Copié en Italie, cet ouvrage, richement illuminé, se tint longtemps à la Bibliothèque du Vatican (cote Vat. 3204), avant de revenir à la BnF où il se trouve actuellement conservé.

Au vu des similitudes entre les deux manuscrits, les conservateurs et archivistes de la BnF ont conclu qu’ils furent probablement réalisés dans le même atelier italien (Marie-Pierre Laffitte archives et manuscrits sur bnf.fr).

Legs poétique et oeuvre de Giraut de Bornelh

Giraut de Bornelh a laissé un legs poétique assez conséquent : plus de 80 pièces dont un très petit nombre seulement sont notées musicalement. Son oeuvre contient, en majeure partie, des compositions profanes : poésies, chansons, sirvantois et pièces satiriques, pastourelle, etc… Sur un plan plus liturgique, on retiendra une composition religieuse et deux chansons d’appel à la croisade.

D’abord versé dans le Trobar clus à la façon d’un Marcabru, Giraut finit par privilégier, dans ses compositions, un style plus clair et accessible : Trobar leu (léger, ouvert). De fait, il le mit en avant et le défendit de telle manière, qu’on en a parfois fait l’inventeur ou, à tout le moins, le défenseur. Dans de prochains articles, nous aurons l’occasion, de présenter son oeuvre et certaines de ses pièces plus en détail.

En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Sources & notes

(1) La biographie des troubadours en langue provençale – Camille Chabaneau (1885)
(2) Sur le lieu de naissance de Guiraut de Bornelh. Jean-Pierre Chambon Romania, tome 101 n°404, 1980
(3) La literatura en la corte de Alfonso VIII de Castilla – Antonio Sánchez Jiménez (2001)
(4) La poésie lyrique des troubadours – Alfred Jeanroy – T2-(1934)

Guillaume IX d’Aquitaine : une biographie du tout premier troubadour avec Gérard Zuchetto

poesie-medievale-troubadour-guilhem--Poitiers-Guillaume-IX-Aquitaine-moyen-ageSujet : musique médiévale, biographie, troubadours,  portrait, vidas, naissance de l’art des troubadours
Auteur  médiéval   :  Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine   (1071-1126)
Période : Moyen Âge central, XIIe siècle
Ouvrage :   La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s. Gérard Zuchetto, éd Tròba Vox, 2020 (2e édition)

Bonjour  à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion-copiaoilà longtemps que nous nous étions promis de  tirer le portrait de Guilhem de Poitiers ou Guillaume IX d’Aquitaine, seigneur et poète que l’histoire nous désigne encore comme le tout premier troubadour du Moyen Âge. « A tout seigneur, tout honneur », notre plaisir est, aujourd’hui, doublé puisque  c’est avec  Gérard Zuchetto que nous allons  le faire. Ce talentueux musicologue, chanteur et musicien chercheur, spécialiste de ces questions  nous fait, en effet, la grande faveur de nous autoriser à partager, ici, un extrait de son ouvrage  La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours des XIIe-XIIIe siècles :  celui qui concerne, justement, la présentation du comte Guilhem de Peiteus, ainsi que des éléments de sa biographie .

Quelques notes sur le débat des origines

deco_medievale_enluminures_trouvere_Où et comment naissent les idées et les formes culturelles ? C’est un thème cher aux ethnologues ou  aux anthropologues culturels, comme on les nomme quelquefois. Concernant l’origine de l’art des troubadours, ce vaste sujet a été balayé plus qu’à son tour par les médiévistes et les folkloristes, depuis le XIXe siècle.  On pourrait même se divertir à la lecture de certaines envolées  ou  oppositions entre certains débats nord/sud (de France) ou encore entre orientalistes et occidentalistes. Il suffit, pour cela, de marcher dans les traces de l’historiographie et, par exemple, de relire quelques passages de l’Histoire des trouvères du très normand et, sans doute, un peu partisan, Abbé Delarue pour mesurer la taille de certains grands écarts entre hypothèse d’un art provençal ex-nihilo et revendications d’origines nordiques et celtiques.

Un poète de langue d’oc peut en cacher un autre ?

Avant notre comte Guillaume, n’y-a-t-il eu « quelques épaules de géants pour lui  permettre de voir plus loin » ? Sans même s’éloigner du pays d’Oc et concernant la reconnaissance d’une paternité entière de l’art des troubadours  à notre cher coens de Poetieus, on pourrait, avec  Maria Dimistrescu,  se poser la question de la possible influence, sur la poésie de notre noble seigneur, de certains de ses contemporains, et notamment  de    Eble II de Ventadour

Selon la médiéviste, l’homme,  lui-même vicomte de Ventadorn et vassal de Guilhem, aurait pu être, pour ce dernier et pour d’autres, une sorte de mentor en poésie. C’est en tout cas la thèse qu’elle défendit  à la fin des années 60.   Elle  alla même au delà de la simple idée d’inspiration en formant l’hypothèse que certaines chansons attribuées à notre troubadour du jour auraient  bien pu avoir été reprises par lui, mais écrites de première main, par cet autre poète et seigneur languedocien (voir  Èble II de Ventadorn et Guillaume IX d’Aquitaine – Cahiers de civilisation médiévale n°43 (1968), Maria Dimistrescu).   Il faut dire que le  double   registre de notre troubadour « bifronte », capable de manier, avec virtuosité, grivoiserie et courtoisie, pouvait avoir de quoi dérouter. Quoiqu’il en soit, l’hypothèse soulevée par la médiéviste ne put jamais véritablement être tranchée. En l’absence de sources écrites d’époque permettant de l’établir, elle a donc rejoint le rang des spéculations invérifiables (infalsifiables dirait Popper) et à ce jour,  Guillaume IX d’Aquitaine n’a  pas été officiellement détrôné de son statut légitime de premier des troubadours.

Mais alors quoi ? Pour le reste, cet art des troubadours, est-ce une forme culturelle totalement ex-nihilo ? Est-ce encore une variation, une adaptation, un « contrepied », un art qui naît à la faveur de la féodalité et de ses nouvelles normes politiques et relationnelles, ou encore une réponse, qui pourrait prendre, par endroits, des allures de contre feu  à la réforme grégorienne   (voir Amour courtois : le point avec 3 experts  ou encore   réflexions sur la naissance de l’amour courtois) ? Tout cela est possible mais, au delà de toute hypothèse et avec 800 à 900 ans de recul, il résulte que l’art des troubadours fait encore figure de nouveauté culturelle aux formes originales : nouvel exercice littéraire,  nouvelle façon de versifier, nouveaux codes qui vont promouvoir, au moins dans le verbe, de nouveaux modèles relationnels, de nouvelles  formes du sentiment amoureux, etc…

La Tròba de Gerard Zuchetto
ou l’invention lyrique occitane des troubadours

Laissons  là le  grand débat des origines sur l’art des troubadours.  Il est nécessairement complexe comme le sont tous les objets culturels et leur circulation. Il est temps de s’engager  sur  les pas du comte, pour lever un coin du voile sur sa personnalité, son art et quelques uns de ses vers, accompagné de notre érudit du jour, Gerard Zuchetto, en le remerciant encore chaleureusement de cette contribution.

chanson-poesie-medievale-livre-troba-biographie-traduction-art-des-troubadours-gerard-zuchetto-moyen-ageAvant même de lui laisser la parole, précisons que son ouvrage dont est tiré ce portrait de Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitiers, est toujours disponible à la vente en librairie ou en ligne.  Il a même fait l’objet d’une toute nouvelle édition en 2020.

Au format broché, vous y découvrirez plus de 800 pages sur le sujet des troubadours.  En dehors de votre librairie habituelle, vous pourrez le trouver en ligne au lien suivant :   La troba : L’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe siècles.  Inutile d’ajouter que nous vous le recommandons vivement.

Sur ce, nous vous laissons  en bonne compagnie,  en  vous souhaitant    une  excellente lecture.


Une biographie de Guilhem de Peiteus   – Guilhem de Poitiers  par  G Zuchetto.

Farai un vers de dreg nien
Je ferai un vers sur le droit néant

Qu’eu port d’aicel mestier la flor
Car moi je porte de ce métier la fleur

L’inventeur !

L’un des premiers troubadours connus fut un des plus grands seigneurs de l’Europe médiévale : lo coms de Peiteus, Guilhem, septième comte de Poitou et neuvième duc d’Aquitaine, né en 1071.
Lorsqu’il hérite de son père, en 1086, le Poitou, la Gascogne, l’Angoumois et le Limousin, des territoires immenses  entre Nord et Sud, de l’Anjou aux Pyrénées, et d’Est en Ouest du Massif central à l’Atlantique, ses domaines sont bien  plus importants que ceux du roi de France, Philippe Ier, qui ne contrôle réellement à la même époque qu’un petit fief  autour de Paris, Etampes et Orléans, la “little France”, pour les Anglais, une île.
Bon chevalier d’armes, jovial et vantard, le fier vicomte du Limousin est poète. Il chante pour réjouir ses companhos, compagnons de batailles et de distractions.

Companho farai un vers [pauc] convinen
et aura·i mais de foudatz no·i a de sen
et er totz mesclatz d’amor e de joi e de joven.

Compagnons, je ferai un vers peu convenable
et il y aura plus de folie que de bon sens
et il sera tout mêlé d’amour, de joie et de jeunesse !

Pour chanter amor, joi e joven, le seigneur de Poitiers l’exprime en romans, terme qui désigne la langue occitane en opposition au latin :

Merce quier a mon companho
s’anc li fi tort qu’il m’o perdo
et eu prec en Jesus del tron
et en romans et en lati.

Je demande merci à mon compagnon
si jamais je lui fis tort qu’il me pardonne
et je prie Jésus sur son trône
en romans et en latin.

A l’exemple des joglars, ces jongleurs-musiciens aux multiples talents qui allaient par les chemins vendre leurs services, mais avec la finesse du lettré, ce grand trichador de domnas se joue des mots et les versifie adroitement pour plaire aux  dames et les tromper : Si·m vol midons… Ma dame veut me donner son amour, je suis prêt à le prendre, à l’en remercier,  à le cacher, et à la flatter et à dire et faire ce qu’il lui plaît, et à honorer son mérite et à élever ses louanges…Guilhem  annonce ainsi l’aube du trobar :

Mout jauzens me prenc en amar
un joi don plus mi volh aizir…

Très joyeux je me prends à aimer
une joie dont je veux jouir davantage…

premier-troubadour-biographie-guillaume-aquitaine-poesie-chanson-medievale-moyen-ageA l’amour légitime, Guilhem, qui s’était marié avec Ermengarda d’Anjou, puis avec Filipa, veuve du roi d’Aragon,  préfère l’amour hors du contrat social et politique, l’amour hors du mariage-arrangement organisé par la classe  seigneuriale et béni par l’Église. Au légat pontifical Girart, évêque d’Angoulême, entièrement chauve, qui lui fit  reproche de ses “liaisons dangereuses” avec la vicomtesse de Chatellerault, surnommée la dangeroza, il rétorqua : “Tu pourras peigner tes cheveux sur le front avant que je répudie la vicomtesse !”

Le comte est “Ennemi de toute pudeur et de toute sainteté”,    écrit Geoffroy Le Gros, un chroniqueur de l’époque. Ce libertin joyeux et fanfaron, n’est pourtant pas un rustre, il recommande à ses auditeurs et surtout au fin aman, l’amant pur :

Obediensa deu portar
a manhtas gens qui vol amar
e conve li que sapcha far
faitz avinens
e que gart en cort de parlar
vilanamens.

Il doit montrer obédience / obéissance
à maintes gens celui qui veut aimer
et il lui convient de savoir accomplir
des faits avenants
et de se garder, à la cour, de parler
comme un vilain.

Guilhem invente les mots-clefs et les règles du trobar, et il se vante d’être le premier, l’inventeur. Et, sûr de sa valeur de trobador e d’amador, il tient à exposer son métier : “J’ai nom Maître infaillible et jamais ma maîtresse ne m’aura une  nuit sans vouloir m’avoir le lendemain car je suis si bien instruit en ce métier, et je m’en vante, que je puis gagner mon  pain sur tous les marchés.” Il se donne lui-même le titre de maistre certa, maître infaillible, en amour comme en poésie.

Guilhem de Peiteus, l’homme politique et chef d’Etat, ne fut ni un grand batailleur, ni un conquérant zélé. Au retour d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, sentant sa fin proche, le poète écrivit son adieu au monde, Pois de  chantar…, en tant que troubadour, comte de Poitiers et chrétien. Guilhem mourut à Poitiers le 10 février 1126 après  quarante ans de règne, et l’on suppose qu’il fut enterré en l’abbaye de Saint-Jean-l’Évangéliste à Montierneuf.

La biographie tardive résume sa vie en quelques lignes laconiques :
Lo coms de Peiteus si fo uns dels maiors cortes del mon e dels maiors trichadors de domnas, e bon cavalier d’armas e   larcs de domneiar ; e saup ben trobar e cantar.
Le comte de Poitiers fut l’un des plus grands courtois du monde et le plus grand trompeur de dames, et bon chevalier d’armes et généreux en amour; et il sut bien trouver et chanter.

Sur les onze vers connus de Guilhem de Peiteus, seuls deux poèmes nous ont été transmis avec les mélodies en notation  carrée :   Companhos farai un vers pauc convinen et Pois de chantar m’es pres talens.

deco_medievale_enluminures_trouvere_Le début de la mélodie Pois de chantar m’es pres talens… se retrouve dans le jeu de Sainte Agnès, un mystère du XIVe siècle écrit en langue d’oc, dont le planctus, Bel senher Deus tu sias grasitz…, comporte cette indication : Et faciunt  omnes simul planctum in sonu comitis pictavensis. La chanson de Guilhem, ou bien sa façon de chanter, devait avoir  marqué les mémoires, pour être imitée plus de deux cents ans après ! Dès les premiers chants courtois nous sont posées les questions d’interprétation des troubadours : comment chanter, dire ou réciter les poèmes lyriques ? Quelquefois les auteurs eux-mêmes ou les chroniqueurs de l’époque nous donnent des éléments de réflexion : Orderic Vital, historiographe, contemporain de Guilhem rapporte que ce dernier “en homme joyeux et plein d’esprit récita souvent ses   misères de captivité en compagnie de rois et de personnages importants en déclamant des vers rythmés avec des    modulations subtiles.” [Historia Ecclesiastica X 21] Ces “modulations” faisaient-elles référence à un jeu de voix exagéré  de comédien ou bien à une imitation virtuose des ornementations mélodiques de la liturgie ?

Guilhem, qui avait délaissé le latin de l’Église, s’était-il amusé à détourner la musique liturgique en composant des poèmes sur des airs existant déjà dans les tropes et les versus, par défi et pour réjouir ses compagnons ?

Les Maîtres du troubar  :  Guilhem de Peiteus   – Guilhem de Poitiers (1071-1126) –  La Tròba, l’invention lyrique occitane des troubadours XIIe-XIIIe s.   (Tròba Vox, 2020)

Gérard Zuchetto

Sources :
Manuscrit (s) à notation musicale : STMart. fol. 51v ; F : Chigi fol 81
Principale (s) édition (s) : Jeanroy Alfred, Les Chansons de Guillaume IX duc d’Aquitaine, Paris, 1913 et 1927 (Ed. Champion) ; Durrson Werner, Wilhelm von  Aquitanien. Gesammelte Lieder, Zurich, 1969 ; Pasero Nicolo, Gugliemo IX, poesie, Modena, 1973 (Società tipografica editrice Modenese) ; Bezzola Reto Guillaume IX et les origines de l’amour courtois, Paris, 1940 (Romania vol. LXVI) ; Payen Jean- Charles, Le Prince d’Aquitaine. Essai sur Guillaume IX et son oeuvre, Paris, 1980 (Champion)
Miniature : BNF Ms. fr.12473, fol.128


Au sujet de Gérard Zuchetto, voir également Mos cors s’alegr’ e s’esjau    de Peire Vidal     et  Quan Veil la lauzeta mover de Bernart de Ventadorn.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

Denis 1er du Portugal, roi troubadour, poète & laboureur du Moyen Âge central

roi_troubadour_poete_denis_1er_portugal_poesie_chansons_medievales_moyen-age_centralSujet :  roi poète, roi troubadour, troubadour, lyrique courtoise, galaïco-portugais, poésie médiévale, chansons médiévales, Cantigas de Amigo, portrait, biographie, galicien-portugais
Période : Moyen Âge central, XIIIe, début XIVe s
Auteur : Roi Denis 1er du Portugal  (1261-1325)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui à l’Europe médiévale et le vent de l’Histoire nous mène, cette fois-ci, vers la péninsule ibérique pour y découvrir un grand roi laboureur et poète de la deuxième moitié du XIIIe et des débuts du XIVe siècle : le roi Denis 1er du Portugal (Diniz ou Dionisio 1er).

Dans la lignée des grands de Castille
et du Portugal

Grand féru de culture et de littérature, ce sixième souverain du Portugal fut surnommé le roi troubadour et il compte, de fait, parmi les plus grands troubadours de langue galaïco-portugaise au Moyen Âge central. Ce goût pour les lettres et la musique, n’était pas tout à fait un hasard, puisque ce souverain appartenait à ce lignage nobiliaire de la péninsule espagnole particulièrement fécond sur le plan culturel et dans lequel l’histoire a compté quelques grands noms. Alphonse X de Castille, ou Alphonse le Sage était, en effet, rien moins que le grand-père de Denis.

blason_armoirie_medievale_portugal_roi_denis_1erSans doute ce dernier a-t-il encore hérité de son père Alphonse III d’excellents talents d’administrateur mais aussi d’une certain qualité d’écoute auprès du peuple.  Son géniteur œuvra, en effet, à renforcer la main mise de la couronne sur ses territoires par un habile maillage de petits seigneurs et de représentants du pouvoir central, mais il s’employa aussi à refréner les privilèges de la noblesse et de l’Eglise. On lui prête ainsi d’avoir favoriser le développement des classes moyennes, mais aussi le développement urbain. A noter que  Alphonse III fut aussi à  l’initiative de la création de Lisbonne comme capitale du pays.

Eléments de biographie :
roi poète et roi laboureur

De son côté, couronné à l’âge de 18 ans et déjà bien formé aux compétences et devoirs exigés par sa fonction, le roi Denis ne se contenta pas de laisser en héritage des chansons et des poésies qui comptent parmi le fleuron de la littérature galaïco-portugaise. Après avoir visité ses différentes provinces et dans la continuité de son père, il fut soucieux d’administrer, au plus près, son royaume et de protéger son peuple et notamment ses classes les plus défavorisées. Son épouse, Isabelle, fille du roi d’Aragon, surnommée roi_troubadour_poesie_chanson_medievale_statue_roi_denis_1er_universite_coimbra_portugalelle-même la reine sainte, alla d’ailleurs dans le même sens et fut également connue pour sa grande  charité chrétienne.

(ci-contre statue du Roi Denis,
Université de Coimbra, Portugal)

Au cours de son règne, le Roi Denis entreprit de grandes avancées dans le domaine commercial et économique. Sur le plan agricole, ses actions d’envergure le firent même surnommer par ses sujets, comme le roi laboureur.

Bien sûr, nous sommes au XIIIe siècle et  peu de royaumes échappaient alors aux travers de leur temps. Il eut donc à gérer d’inévitables tensions d’héritage (avec sa propre descendance), quelques querelles de territoire avec ses voisins castillans et encore des luttes de pouvoir contre l’Eglise et ses ambitions politiques. Pourtant, d’une manière générale, une large partie de son règne s’inscrivit sous le signe de la paix.  Sa nature et son caractère n’y sont sans aucun doute pas étrangers ; l’homme n’était ni un conquérant assoiffé, ni un belliciste et il laissa pour longtemps l’image d’un grand souverain dans l’esprit du peuple portugais. Sur le plan culturel, il fonda également l’Université de Coimbra qui contribua au rayonnement du Portugal  au sein de l’Europe médiévale.

L’œuvre du roi Denis 1er du Portugal

En plus d’avoir œuvré pour la littérature portugaise, il favorisa également le développement de la lyrique et de l’art des troubadours et il fut lui-même, comme nous le disions plus haut, l’un des plus prestigieux par le titre, mais aussi l’un des plus prolifiques d’entre eux.

Au titre de son legs, on compte autour autour de 138 pièces dans lesquelles on trouvera des Cantigas de Amigo  (52), des Chansons de Amor (76), mais aussi des Chansons de maldizer (10, « chansons de médisance »,  forme de poésies critiques sur le ton de l’humour et qu’on peut comparer aux sirvantois ou sirvantès occitans).

Sources, manuscrits et chansonniers

Du point de vue des sources contenant les œuvres de Don Denis, on citera notamment  le volumineux   Cancioneiro Colocci-Brancuti. Datée du XVIe siècle, cette véritable bible de la littérature galaïco-portugaise présente près de 1570 pièces dont un nombre considérable de cantigas. Entre autres manuscrits, le Cancioneiro da ajuda, mais également le Cancioneiro da Vaticana, contiennent encore des pièces du roi troubadour portugais. 

Cette liste n’a rien d’exhaustive et on doit au romaniste suisse  Henry R. Lang (1853-1934)  d’avoir regroupé l’œuvre du Roi Denis sous la forme d’un ouvrage de synthèse que vous pourrez trouver, si vous en avez la curiosité, à l’adresse suivante : Cancioneiro d’el Rei Dom Denis   by Diniz, King of Portugal, 1261-1325; Lang, Henry Rosemann (1853).

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Le parchemin Sharrer & ses notations musicales

Seulement sept des pièces composées par le roi poète portugais nous sont parvenues avec leur notation musicale. Il a fallu attendre pour cela la mise à jour fortuite, tardive et presque « miraculeuse », en 1990, du Parchemin Sharrer. Découvert à Lisbonne par Harvey L Sharrer, le document avait servi à fabriquer la reliure d’un registre notarial du XVIe siècle. On suppose que ce précieux fragment de document a pu provenir d’un chansonnier mentionné par ailleurs et dont on n’a jamais retrouvé la trace.

Voilà pour ces éléments de biographie sur le Roi Denis 1er et son œuvre. Comme vous vous en doutez, nous aurons bientôt l’occasion de publier et détailler ici quelques-unes de ses plus belles pièces.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Découvrez une autre cantiga de amigo du Moyen Âge.

« Retrowange Novelle » une chanson imprégnée de dévotion mariale et de lyrique courtoise par Jacques de Cambrai

moyen-age_culte_marial_lyrique_courtoise_trouveres_jacques_de_cambrai_rotrouenge_nouvelle_XIIIe_siecleSujet : trouvère, chanson médiévale, poésie médiévale, retrouange, culte marial, rotrouenge, lyrique courtoise, amour courtois, vieux français, langue d’oil
Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle
Auteur : Jacques de Cambrai (1260-1290)
Titre : Retrowange Novelle
Interprètes : Ensemble Oliphant
Album :    Chansons pieusesJoie Fine  Medieval Pious Trouvère Songs (2006)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn continuant d’explorer la poésie et les chansons médiévales du côté du nord de la France, notre route croise aujourd’hui celle d’un trouvère du moyen-âge central du nom de Jacques de Cambrai  (orthographié encore Jaque, Jaikes ou Jacquemes). Il a laissé derrière lui douze pièces en tout et pour tout : sept chansons religieuses, vouées au culte marial, dont celle du jour, une pastourelle et encore quatre autres chansons d’amour courtois.

Eléments de biographie

Ils demeurent à peu près inexistants. D’après ses œuvres, on a pu déduire que le trouvère avait vécu vers la fin du XIIIe siècle et qu’il était en activité quelque part entre les années 1260 et 1290.

Etait-il jongleur ? Avait-il fait de l’art de trouver son métier ou n’était-ce qu’un clerc qui s’adonnait à cet exercice en dehors d’autres activités ? On ne le sait pas. Les plus pieuses de ses chansons font en tout cas état d’une véritable dévotion et de certaines connaissances théologiques sur ces sujets, même si la religion était loin de demeurer à cette période, l’apanage unique des clercs ou du personnel ecclésiastique ou épiscopal.

Manuscrit principal et mélodies

Du côté des manuscrits, on trouve la majeure partie de son oeuvre dans le Manuscrit de Berne MS 389, connu encore sous le nom de Chansonnier français C que nous avons déjà cité par le passé. Vous trouverez ci-dessous  la reproduction du feuillet sur lequel on peut trouver la chanson du jour (l’ouvrage est également consultable en ligne ici).

Jaque_de_cambrai_trouvere_chanson_poesie_medieval_lyrique_courtoise_trouvere_culte_marial_moyen-age_centralDu point de vue musical, Jacques de Cambrai a fait de nombreux  emprunts mélodiques à des trouvères l’ayant précédé ou qui lui étaient contemporains pour y greffer ses propres textes. C’est entre autre une des manières qui a permis de le situer un peu plus précisément dans le temps.

La chanson du jour fait partie de celles dont l’emprunt mélodique n’est pas sourcé ni certain, même il est difficile de se fier à l’absence de mentions explicites des manuscrits pour en déduire que notre trouvère en fut l’auteur. Six autres de ses chansons mariales ont, en effet, pris des mélodies existantes et identifiées pour modèle (entre autres chez Thibaut de Champagne, Gauthier d’Espinal, Raoul de Soissons, Gace Brûlé, etc…). De fait concernant cette « rotrouenge », certaines hypothèses penchent favorablement sur un emprunt de la part de Jacques de Cambrai à une autre chanson dont l’auteur est demeuré également anonyme et qui a pour titre « quand voi la flour novele » (Voir Songs of the Troubadours and Trouveres : An Anthology of Poems and Melodies, publié par Samuel N. Rosenberg, Margaret Switten, Gerard le Vot, Garland Publishing, 1998).

La « Rotrowange Novelle » de Jacques de Cambrai par l’Ensemble Oliphant

L’Ensemble Oliphant et les chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central

En 2006, les artistes d’origine finlandaise de l’Ensemble Oliphant sortaient un album sur le thème de la « joie fine » et des chansons pieuses des trouvères du moyen-âge central.

On pouvait y retrouver 15 pièces :  Guillaume de Bethune, Adam de la Halle, Thibaut de Champagne et Aubertin d’Araines, s’y trouvaient aux côtés de cette rotrouenge « nouvelle » signée de Jacques de Cambrai. Le reste des compositions et chansons se partageaient entre neuf pièces musique_chanson_medievale_ensemble_oliphant_joie_fine_chanson_pieuse_jacques_de_cambrai_trouvere_Moyen-ageanonymes de cette même période.

Cet album d’intérêt est encore distribué. Il a entre autre mérite de proposer une sélection originale de chansons médiévales dont certaines sont assez peu connues et, en tout cas, peu fréquemment reprises. A toutes fins utiles, voici un lien sur lequel vous pourrez le découvrir ou l’acquérir au format MP3 ou au format CD : Ensemble Oliphant – Joie Fine – Chanson pieuses – Trouvère songs

La Retrowange novelle  de Jacques de Cambrai

Comme nous l’avons déjà mentionné ici,  à propos du culte marial au moyen-âge central, à un certain point, les thèmes de la lyrique courtoise, ses codes et les formes du sentiment amoureux que cette dernière mettait en exergue, ont été en quelque sorte repris et calqués par des clercs ou mêmes des ecclésiastiques pour les appliquer à la dévotion pour la Sainte (voir aussi article suivant). On retrouve à nouveau ce procédé chez Jacques de Cambrai et on lui reconnait même semble-t-il, d’avoir été l’un des derniers à l’utiliser sous cette forme chantée. (voir ici reprise de sources wikipédia par la Bnf sur cette question).

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Retrowange novelle
Dirai et bone et belle
De la virge pucelle,
Ke meire est et ancelle *(servante)
Celui ki de sa chair belle
Nos ait raicheteit.
Et ki trestous* (tous) nos apelle
A sa grant clairteit.

Je chanterai une chanson nouvelle
Bonne et belle
Sur la vierge pucelle
Qui est mère et servante
Celle qui avec sa belle chair
Nous a racheté
Et qui tous nous appelle
A sa grande clarté.

Ce nos dist Isaïe
En une profesie:
D’une verge delgie* (tige délicate),
De Jessé espanie,* (épanouie, ouverte) (1)
Istroit* (de issir, eissir : sortir, jaillir) flors per signorie
De tres grant biauteit.
Or est bien la profesie
Torneie a verteit.

C’est ce  que nous dit Esaïe
Dans sa prophétie :
D’une tige délicate
De Jessé épanouie,
Jaillirait une fleur noble 
D’une très grande beauté
Et cette prophétie 
s’est bien réalisée.

Celle verge delgie
Est la Virge Marie
La flor nos senefie
De ceu ne douteis mie,
Jhesucrist, ki la haichie* (2)
En la croix souffri;
Fut por rendre ceaus en vie
Ki ierent peri.

Cette tige délicate 
C’est la vierge Marie
Quant à la fleur, il s’agit,
De cela ne doutez pas,
De Jésus-Christ, qui les pires tourments (la  mort?) 
endura sur la croix,
Afin de faire revenir à la vie
ceux qui avaient péri.


(1) Livre d’Isaïe, chap XI, Is 11.1 « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine »

(2)  On ne trouve le mot « Haichie » dans le Dictionnaire Saint-Hilaire Vandaele où il est défini comme suit : « haichie (?), Sf, mort ». C’est une piste. En réalité, orthographié tel quel, de nombreux autres dictionnaires ne mentionnent pas ce mot. En revanche, on trouve à « Hachier » ou à « Haschier » beaucoup plus de définitions : tourments, tortures, supplices etc, qui pourraient parfaitement correspondre au contexte de la chanson de Jacques de Cambrai. Le Godefroy long pourrait même soutenir cette hypothèse puisqu’il nous indique (vol 4. page 441) que  « Haschies » au pluriel fait référence à la Passion du Christ. Le manuscrit référencé plus haut semble pourtant bien mentionner en toutes lettres gothiques : « Haichie ». Il peut s’agir d’une variante linguistique ou d’une erreur de copiste mais dans le contexte, cette définition pourrait faire autant sens, sinon plus que celle que le Saint-Hilaire est un des seuls à nous donner. 

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En vous souhaitant une excellente journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
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