ujourd’hui, nous revenons aux réalités du monde médiéval avec une citation de l’historienne Régine Pernoud. Elle est extraite de son ouvrage Lumière du Moyen Âge. Sorti en 1946, cet essai prenait le contrepied d’une foule d’idées reçues sur le Moyen Âge.
Contre les idées reçues sur le monde médiéval
Bien que situé dans les premières publications de Régine Pernoud, Lumière du Moyen Âge semble préfigurer son œuvre toute entière. Dès lors, la médiéviste n’a cessé de combattre les préjugés à l’égard du Moyen Âge. Place des femmes, structure du pouvoir, rôle de l’Eglise, vie rurale et urbaine, « nouveauté » du Moyen Âge, particularités médiévales, peu de sujets ont échappé à sa sagacité.
A 80 ans de la sortie de ce livre, de nombreux médiévistes ont repris, depuis, ce même effort de déconstruction des préjugés à l’encontre du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, cet ouvrage de Regine Pernoud reste, cependant, un classique facile d’accès et agréable à lire. On peut donc le recommander à tous ceux qui veulent appréhender, de manière plus juste et nuancée, la période médiévale.
Le goût du Moyen Âge pour la poésie
Dans la citation du jour, il est question de la poésie médiévale et de sa place dans la vie de l’homme du Moyen Âge. Régine Pernoud lui portait là un vibrant hommage. Elle parvenait même à nous la faire sentir de manière palpable dans le quotidien de l’homme médiéval, toutes classes confondues.
Nos lecteurs le savent, ce thème ne peut que nous parler. Depuis 2016, nous avons, en effet, mis en ligne plus de 560 textes issus de la littérature médiévale. Entre poésies, chansons, extraits divers, ces productions nous on permis de vous présenter, à date, plus de 80 auteurs médiévaux.
Pour les rendre accessibles, tous ces textes ont été traduits depuis leur langue d’origine (langue d’oïl, langue d’oc, anglo-normand, galaïco-portugais, …) en français actuel. Il nous est même arrivé de faire quelques incursions vers l’Italien, l’Anglais ou l’Espagnol anciens. Finalement, toutes ces langues reflètent la variété des langages de la France d’alors mais aussi d’une partie de l’Europe médiévale.
En matière de thème, les textes approchés portent sur l’amour courtois, la poésie morale et satirique, les fables, ou la vie médiévale. Toutefois, la prose y occupe une place bien moindre que la poésie et les formes versifiées. La citation du jour ne pouvait donc que nous ravir. C’est une évidence, le Moyen Âge a particulièrement aimé et célébrer ses langues et leurs richesses, à travers la poésie.
La poésie dans le monde médiéval, Régine Pernoud
« Jaillie tout entière de notre sol, la littérature médiévale en reproduit fidèlement les moindres contours, les moindres nuances ; Toutes les classes sociales, tous les événements historiques, tous les traits de l’âme française y revivent, en une fresque éblouissante. C’est que la poésie a été la grande affaire du Moyen Âge, et l’une de ses passions les plus vives. Elle régnait partout, à l’Eglise, au château, dans les fêtes et sur les places publiques : il n’y avait pas de festin sans elle, pas de réjouissances où elle ne joua pas son rôle, pas de société, université, association ou confrérie où elle n’eut accès. (…) Dire des vers ou en écouter apparaissait (au Moyen Âge) comme un besoin inhérent à l’homme. On ne verrait guère, de nos jours, un poète s’installer sur des tréteaux, devant une barraque de foire, pour y déclamer ses œuvres : spectacle qui était alors commun. Un paysan s’arrachait à son labour, un artisan à sa boutique, un seigneur à ses faucons, pour aller entendre un trouvère ou un jongleur. Jamais peut-être, sauf aux plus beaux jours de la Grèce ancienne, ne se manifesta un tel appétit de rythme, de cadence et de beau langage. »
Régine Pernoud (1909-1998) – Lumière du Moyen-âge (1946).
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : séries TV, médiévalisme, séries télévisées, Moyen Âge représenté, Moyen Âge imaginaire, Période : Moyen Âge, monde moderne. Ouvrage : Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées, Justine Breton, Presses Universitaires François Rabelais (2023)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’un ouvrage qui a pour objet non point uniquement le Moyen Âge, sinon ses représentations et ses formes les plus récentes. Nous vous parlerons, en effet, de l’ouvrage « Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées » de la spécialiste en littérature médiévale Justine Breton. Avant d’en arriver là, nous donnerons quelques mots de contexte pour comprendre comment des médiévistes ou des universitaires férus de littérature ont pu se trouver conduits à arpenter les productions médiatiques ou littéraires les plus actuelles sur le monde médiéval.
Du Moyen âge au Médiévalisme
L’Histoire est une discipline qui a beaucoup évolué depuis le temps des vieilles approches chronologiques et des grandes dates, pour affiner ses méthodes et élargir ses terrains d’investigation. Dans ce cadre, elle a souvent emprunté, de plus en plus, à d’autres sciences humaines comme l’anthropologie, la sociologie ou la psychologie sociale.
Dans la lancée de ces extensions méthodologiques et épistémologiques, on a ainsi vu, près de nous, de nouveaux historiens ou spécialistes en littérature, armés de leurs connaissances sur le monde médiéval venir le débusquer jusque dans ses représentations les plus récentes, en élargissant leurs investigations à ce que l’on nomme, désormais, communément le médiévalisme : autrement dit, le Moyen Âge tel qu’il nous est présenté dans les sociétés modernes et ce dans ses formes les plus variées : au cinéma, dans la littérature, de Tolkien aux plus récents romans de médiéval-fantasy, dans les séries télévisées, dans les jeux vidéos, les dessins animés, les fêtes médiévales, etc… « Le Moyen Âge est à la mode » avait dit Jacques Le Goff en son temps. Depuis son constat, cette réalité ne s’est toujours pas démentie. Le matériau médiéval moderne abonde et occupe même à plein temps tous les chercheurs qui veulent bien s’y pencher.
Médiévalisme & modernité
Dans son entreprise, le chercheur en médiévalisme hérite, dès lors, d’un double objectif ou d’un double défi :
D’abord, une volonté de démystifier certaines idées reçues et/ou préjugés encore à l’œuvre au sujet du monde médiéval, et ce bien que la recherche historique les ait déconstruits ou nuancés de longue date (voir notre article sur le Moyen Âge des préjugés ). Autrement dit, il s’agit pour lui de confronter l’objet Moyen Âge « grand public » ou « imaginaire », au Moyen Âge des laboratoires de recherche ou à l’état de la science historique.
Ensuite, et inévitablement, en faisant de l’actualité leur objet, ses historiens ou chercheurs se retrouvent sur un terrain assez voisin de celui des sociologues, des anthropologues ou même quelquefois des journalistes (c’est le pire qu’on peut leur souhaiter et quelques historiens plus à l’aise avec les salles d’archives ont pu quelquefois les en railler). Dans tous les cas, ils se retrouvent face à un objet un peu paradoxal qui, sans être encore cristallisé sous forme de fait historique, entre dans le champ des représentations modernes « projetées » et donc souvent aussi, des idéologies. Se pose alors la question des outils d’analyse, de l’approche et de l’ingestion nécessaire (ou pas) par le chercheur d’outils habituellement réservés à des disciplines connexes (la philologie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, autant de pas que la Nouvelle Histoire les avait déjà enjoints à franchir).
Dans cet exercice complexe de double éclairage qui se situe entre analyse historique, analyse « littéraire » et analyse de la modernité sociale et culturel, des questions nouvelles surviennent sur la table : s’il y a un Moyen Âge reconstruit, qui le construit, comment et dans quel but ? En quoi est-il différent du Moyen Âge « académique » ? Et dans cette distance à cet objet médiéval historique, documenté, « réaliste » (et donc nécessairement plus complexe et plus nuancé), que nous dit ce Moyen Âge projeté et reconstitué de notre propre modernité ?
Bien entendu et comme dans toutes les sciences humaines, il faudrait encore ajouter une bonne couche d’épistémologie en se demandant ce que nous dit cette analyse du positionnement de l’historien ou du chercheur qui la conduit mais laissons cela pour l’instant. De notre côté, nous aurions mauvaise grâce à ergoter sur la légitimité de ce nouveau terrain investi par des historiens ou des spécialistes littéraires, puisque venant de l’Anthropologie et de la Sociologie, nous avons fait l’exact chemin inverse. Partant du monde médiéval représenté dans le monde moderne, nous avons, en effet, décidé de nous rapprocher du Moyen Âge plus historique et factuel, en allant, en quelque sorte, de l’actualité vers l’histoire. Une différence subsiste toutefois dans notre approche avec celle des médiévalistes : loin des couloirs de l’académie, si notre objet couvre bien « l’exploration du Moyen Âge sous toutes ses formes » (historiques et modernes), nous nous situons dans l’esprit d’un travail d’archive et d’une monographie tranquille et curieuse bien plus que dans une tentative ambitieuse de synthèse.
Des têtes de file du médiévalisme
D’un point de vue factuel, le Médiévalisme est un objet de recherche relativement récent. Il date de quelques décennies tout au plus. Au titre de ses pionniers on pourra compter, à la toute fin des années 70, des noms comme le philologue et romancier suisse Paul Zumthor ou encore l’universitaire et chercheuse anglo-américaine Leslie J. Workman. Par la suite, d’autres auteurs se joindront également à l’appel. Nous ne nous étalerons pas ici sur l’ensemble d’entre eux mais nous vous renvoyons à l’article « Le médiévalisme a quarante ans » du professeur de littérature générale et comparée Vincent Ferré comme un bon point de départ sur ces questions (1).
Pour ne citer que quelques noms récents de ce courant parmi les chercheurs les plus médiatisés, on peut justement, difficilement passer de l’auteur susnommé. Cet universitaire et chercheur s’est fait une spécialité du médiévalisme à travers notamment l’œuvre de Tolkien dont il est un grand spécialiste. On doit encore à Vincent Ferré d’avoir impulsé de nombreuses publications ou ouvrages collectifs sur la question. Dans la même génération suivront des noms comme William Blanc, historien de formation, particulièrement actif et prolifique dans le domaine du médiévalisme appliqué à la fantaisie moderne, aux séries TV ou aux super héros (voir notre article sur les légendes arthuriennes modernes ). Ajoutons encore Anne Besson. Plus orientée, elle aussi, sur la littérature comparée que l’histoire médiévale a proprement parlé, elle a notamment contribué avec les deux auteurs précédents, au Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, Le médiévalisme, hier et aujourd’hui, sorti en 2022, aux éditions Vendémiaire.
Enfin toujours dans la même mouvance et du côté des plus jeunes têtes, on retrouvera les très productifs Justine Breton, maître de conférences à l’université et spécialiste de littérature médiévale, et l’universitaire et médiéviste Florian Besson (ce dernier avait créé avec quelques autres plumes étudiantes leblogActuelmoyenage désormais un peu en sommeil). Entre autres productions et contributions précoces, tous deux avaient aussi conduit l’ouvrage « Kaamelott un Livre d’Histoire » sorti en 2018 (également aux Editions Vendémiaire) dont nous avions alors parlé dans nos colonnes. On pourra encore ajouter à leur actif l’ouvrage « Une histoire de feu et de sang. Le Moyen Âge de Game of Thrones » qu’ils avaient coécrits en 2020.
Des incursions dans la modernité
Toujours dans cette même mouvance qui tente de mettre l’Histoire médiévale en perspective ou de l’éclairer au moyen des productions modernes (et vice et versa), certains historiens comme Martin Aurell se sont aussi prêtés à l’exercice (voir Kaamelott à la table du roi Arthur de Eric Nabour). On pourrait inclure également des historiens comme Michel Pastoureau qui, même s’il ne se situe pas à proprement parler dans le champ pur et dur du médiévalisme, n’hésitent pas dans ses analyses des couleurs, ses conférences ou ses bestiaires à faire de nombreux allers-retours entre les représentations les plus historiques et les plus modernes pour éclairer nos lanternes. Un listing est forcément injuste et nous en oublions sans doute. Quoi qu’il en soit, le courant semble plutôt bien représenté en France. Et si certains historiens chercheurs n’en ont pas fait leur spécialité, ils ne rechignent pas, au gré de leurs propres sujets de prédilection, à apporter leur contribution et à s’aventurer sur ces terrains hors labo, souvent plus vivants et peut-être aussi plus vendeurs. Si le sujet vous intéresse, la lecture de quelques ouvrages collectifs ou actes de colloque pourra aisément vous permettre d’en découvrir quelques-uns de plus.
Voilà pour ce bref détour qui permettra de mieux contextualiser notre sujet du jour, sans prétendre l’épuiser. Revenons donc maintenant à notre propos, ce Moyen Âge en clair-obscur signé de la plume de Justine Breton et qui se propose de traquer le monde médiéval tel qu’on nous le présente dans les séries télévisées des XXe et XXIe siècle.
Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées
Parlons d’abord de l’ouvrage, l’objet. Sorti aux Presses Universitaires François Rabelais, il présente sur un peu moins de 400 pages, une mise en page dynamique et soignée : les amateurs de séries télévisées sur le thème médiéval y trouveront donc de nombreuses photos, mises en exergue de citations, encarts thématiques, mais encore de nombreuses notes et références pour une bibliographie assez fouillée.
Sur le fond, l’ouvrage reste consistant et même ambitieux. Autant le dire tout de suite, nous sommes bien dans le cadre universitaire et ce n’est pas un digest de séries dans la veine de l’ouvrage « Séries Illimitées » justement préfacé par Alexandre Astier en 2022. En réalité, le corpus approché par Justine Breton tient même pratiquement de l’exploit. S’attaquer à une classification ou un effort de synthèse après avoir passé plus de 80 séries TV au peigne fin, quand on sait qu’une partie importante d’entre elles s’étale sur un nombre vertigineux de saisons, cela en soi reste une entreprise de taille. On parle ici de plusieurs centaines (milliers ?) d’heures de visionnage, d’un corpus forcément hétérogène et donc d’un sacré défi, ne serait-ce que pour y mettre de l’ordre et s’efforcer de catégoriser une telle masse de contenu. Rien que pour cela, l’ouvrage n’a pas d’équivalent et il faut saluer l’ambition de son auteur(e) autant que ses efforts méthodologiques.
Eléments de résumé
A ce stade, Moyen Âge oblige, il va nous falloir être un peu tranchant (« j’ai fait un trait d’humour, mon oncle« ). On ne peut, en effet, résumer en trois lignes un ouvrage universitaire de ce niveau de densité. Le découpage en cinq parties pour une vingtaine de chapitres permet de mettre à jour l’exercice qui consiste, pour la société du spectacle et du divertissement, à instrumentaliser le Moyen Âge, de façon à créer un produit de consommation formatté, en mettant en scène (ou en exorcisant), au passage ses propres « obsessions » « préoccupations », le tout, en se réclamant (dans un nombre non négligeable de séries télévisées) d’un « Moyen Âge crédible » à défaut d’être réaliste. Crédible ? Oui, mais non, pas tout à fait quand même ! Oui mais si, oui mais bon…
Quitte à enfoncer quelques portes ouvertes, l’écriture fictionnelle a, bien sûr, ses règles narratives qui ne sont pas celles de la rigueur historique. L’objectif de ces sociétés de production mercantiles reste quand même bien de retenir les publics cibles avec des recettes qui marchent et qui ont fait leur preuves. Or, les recettes, vous pourrez compter sur Justine Breton pour les détricoter avec minutie et méthode tout au long de son ouvrage.
Des créneaux pour tous les publics
Comment réussir une série télévisée aux couleurs du Moyen Âge susceptible de conquérir une audience et de la conserver ? Bien sûr, il faut du rythme, des thèmes de fond pour fidéliser sur la durée, mais il faut aussi des épisodes qui bouclent sur de petites histoires dans la grande histoire, pour ne pas trop jouer avec la frustration du spectateur et lui donner sa dose d’émotion packagée, avec juste ce qu’il faut de suspense avant le générique de fin pour lui donner envie de revenir.
Il faut aussi des héros aisément repérables. Dans les séries TV occidentales, comme dans les histoires médiévales du reste, ils sont plutôt blancs, plutôt musclés et plutôt chevaleresques. Rien de très étonnant. Ils sont aussi juste marginaux comme il faut, avec un petit rien de modernité, permettant au spectateur de s’identifier. Il faut aussi pour faire un bon héros médiéval qu’il évolue dans un monde un peu arriéré, et au milieu d’un peuple toujours un peu crado et ignorant sur les bords, avec tout de même quelques Bernardo(s) qui sortent du lot, comme dans Zorro, pour donner la réplique : un gentil forgeron, un tavernier bavard, un mystérieux passant, … Finalement, au jeu du miroir, « Modernité modernité dis moi qui est la plus belle, de moi ou du Moyen Âge« , la réponse est souvent toute trouvée et le spectateur sera content de rentrer dans ses pantoufles, à la fin du voyage.
Alors, sortir des sentiers battus pour les producteurs et scénaristes, oui mais pas trop, même s’il existe des créneaux et des cibles. Si le Moyen Âge est à la mode, il se décline aussi en tranche (d’audience ou d’affinités) pour ratisser large : des séries pour les jeunes, des séries pour le rire et la détente, et d’autres pour les plus franges les plus adultes en quête d’action et d’émotions fortes : du sexe, de la baston, du sexe, de la baston, un peu d’intrigue, du sexe, de la baston, etc… Avec la recette Games of Thrones, les canaux TV privés à la HBO ont tiré le gros lot. Depuis, les concurrents se bousculent à la porte de la succession, heu… sans forcément faire recette. Tout le monde n’a pas le talent d’un GRR Martin (même revisité par une poignée de scénaristes moins bon que lui) pour amener des rebondissements à tiroir, ainsi que de la complexité et des méandres dans ses histoires (voir la saga du Trône de fer). Tout le monde n’a pas non plus le petit côté farceur de GRR pour jouer à la roulette russe sur ses héros principaux au moment où l’on s’y attend le moins.
Des clichés qui s’accrochent
Au milieu de tout ça, des constats un peu nuancés ? Il y en a forcément. Certes, de Thierry la Fronde aux dernières séries TV médiévales, les scénarios ont évolué pour introduire plus de valeurs modernes réactualisées dans les rétroviseurs déformants de leur Moyen Âge reconstitué. En plus de quelques rares tentatives timides « d’inclusivité » (le mot est lâché) sous l’impulsion première de l’influence américaine et anglo-saxonne, l’audience s’est aussi mondialisée.
Si les schémas narratifs ont évolué et les formes d’écritures se sont complexifiées – pour faire plus de place à la bande de héros, dans certains cas, qu’au héros solitaire – certains clichés ont la vie dure et restent, dans l’ensemble, assez peu revisités : le Moyen Âge est guerrier et violent, le Moyen Âge est sale, le Moyen Âge est « barbare », le Moyen Âge est ignorant, le Moyen Âge est en guerre permanente, etc… Il faut qu’il le soit pour coller aux attentes que les scénaristes se complaisent à renforcer. Une fois de plus leur métier n’est pas la vérité historique mais la fidélisation d’une audience friande de Moyen Âge et qui a des idées assez précises sur la friandise en question.
Pour parenthèse, sur le thème de la violence « légitimée » par les sociétés de production de séries TV sous couvert de période médiévale (« c’est pas nous, c’est le Moyen Âge »), je dois avouer que j’ai été interpelé par l’image d’une femme médiévale qu’une majorité de séries semble présenter d’après l’auteur(e) comme brutalisée ou abusée sexuellement dans un nombre vertigineux de séries. Le pire étant que cela est fait dans une perspective présentée comme aussi banale qu’initiatique. Ie : « l’abus sexuel comme le mode d’emploi le plus sûr pour devenir une femme forte au Moyen Âge ». C’est en effet assez inquiétant et n’étant pas suiveur d’un nombre aussi vertigineux de séries médiévales (et même de séries tout court), j’avoue que la chose m’avait échappé. (2)
Un mot de conclusion
L’exercice universitaire consiste toujours à penser la complexité sans chercher à la réduire. Justine Breton connait bien son sujet, elle l’étaye par de nombreux exemples pour produire finalement un ouvrage de référence dans son champ d’exploration qui intéressera un public averti. Le Moyen Âge y est adressé en filigrane plus que véritablement délayé, dans une perspective d’analyse plus actuelle qu’historique mais l’objectif était clairement défini au départ : le propos reste bien la construction sérielle médiévale moderne et non l’histoire médiévale à proprement parler ; un exercice sur le fil donc, que la taille imposante du matériel approché et la volonté de synthèse a forcément conditionné. En contrepartie, le vaste corpus sériel est largement mis à profit et fournit l’occasion de nombreux exemples qui parleront, à coup sûr, aux amateurs de séries télévisées médiévalistes.
Pour le reste, comme annoncé plus haut, l’exercice du résumé demeurant limité, il faudra vous attaquer directement à ce « Moyen Âge en clair-obscur » de Justine Breton pour obtenir des clefs de lectures plus nuancées et plus complètes sur le monde médiéval des séries TV. Au passage, l’auteur(e) vous gratifiera d’une analyse de l’évolution historique des séries « médiévalisantes », des toutes premières du milieu du XXe siècle aux plus actuelles. De même, entre autres informations utiles, elle vous permettra de mieux comprendre l’ancrage littéraire shakespearien des productions anglo-saxonnes qui réglementent, tout de même, largement le marché étudié.
Pour les producteurs/scénaristes des séries TV américains ou européens sur le thème du Moyen Âge, le jeu d’équilibre est devenu, quelquefois, un peu casse-tête. D’un côté, ils sont en butte avec la volonté de contenter une fraction du public moderne en attente de valeurs et de représentations, public quelquefois même activiste et militant (lobbying communautaristes, woke, cancel culture, etc… ). Dans certains cas, ces créateurs de séries ont peut-être même simplement pris le parti d’offrir des espaces d’identification à ces mêmes publics pour les conquérir et les rallier. Est-on face à une évolution massive des représentations par le bas ? Sur la frange la plus extrême de ces positionnements, ce n’est pas si certain. Au jeu de la systématisation, voire de quotas appliqués à chaque série, quelques histoires récentes du côté de Disney, de Budweiser et même de Netflix semblent avoir démontré que le matraquage répété d’un certain « progressisme idéologique » ne fait pas toujours bon ménage avec les goûts du grand public.
D’un autre côté et pour des raisons mercantiles évidentes, ces mêmes producteurs et scénaristes ne peuvent évidemment pas se départir de leur volonté de rallier le plus grand nombre, tout en ménageant une évasion dépaysante et hors les murs qui « fasse Moyen Âge », autrement dit qui colle aux représentations collectives sans les chambouler, au risque de ne plus rencontrer l’adhésion du public cible ou des fan base (moteurs économiques de ces séries). Réinventer le Moyen Âge à la lumière des exigences politiques ou des pressions idéologiques modernes, en maintenant quelques bonnes vieilles arcanes à l’ancienne, quitte à en renforcer les préjugés ? Séduire les uns, sans faire fuir les autres ? Voilà de quoi donner la migraine. Si l’on ajoute à tout cela, l’évolution des technologies (distribution massive sur internet, streaming, etc…) et l’ambition de politiques de distribution visant à conquérir une audience occidentale au sens large, et même au delà mondiale, une dimension supplémentaire s’ajoute à la problématique qui ne va pas pour la simplification du ciblage.
Si l’exercice n’est pas toujours dénué de contradictions, il semble qu’entre les lignes, l’auteur(e) elle-même ne cherche pas véritablement à s’en abstraire : de la frustration exprimée d’un trop peu de Moyen Âge réaliste à celle d’une modernité perçue comme trop voyante ou, à l’opposé, de valeurs modernes attendues mais qui ne viennent pas (ou pas suffisamment) là où on les attendrait, quitte à accepter une certaine distance d’avec la réalité historique.
Pour brasser un corpus où l’originalité se laisse souvent supplanter par la monotonie, on peut, bien sûr, comprendre certaines de ses attentes. Toutefois, du point de vue d’une partie importante du public, le sujet de l’inclusivité/diversité reste sensible et polémique à bien des égards, sinon même politiquement glissant. Il est même au cœur d’une lutte idéologique brûlante d’actualité qui divise et oppose conservateurs et progressistes du monde occidental (et au delà), et qui renvoie aussi, dos à dos, influences culturelles récentes, voire exogènes (ie : outre-Atlantique) et modèles endogènes traditionnels encore vivaces. Dans ce contexte, difficile pour le chercheur de reprendre à son compte certains de ces thèmes, sans se positionner de fait, voire sans donner l’impression d’en faire une certaine promotion, au risque de se mettre, au passage, dans la situation peu confortable de compter les points des absences ou des trop pleins (3).
Si ces questionnements sont loin d’occuper tout l’ouvrage, ils ne seront sans doute pas du goût des lecteurs de tous bords. Il leur restera alors à considérer que ce positionnement témoigne de réflexions politico-philosophiques modernes à l’œuvre dans nos sociétés, comme dans certains courants universitaires actuels. Puisque diversité il y a, on peut aisément concevoir que des questions se posent autour de son traitement même s’il faut aussi constater qu’en matière d’Histoire comme de contes ou de littérature classiques, certaines revisites restent très mal reçues par les franges les plus conservatrices du public, qui peuvent même, quelquefois, les percevoir, quand elles se généralisent, comme des formes déguisées de provocation.
Autres réflexions et questionnements
En ce qui nous concerne, des questions toute autre nous sont venues à l’esprit à la lecture de l’ouvrage, notamment en terme d’approche comparée, non point dans le seul champ des séries télévisées médiévalistes, mais dans celui, plus large des séries TV. Ces interrogations touchent sans doute plus aux domaines de la sociologie et de l’anthropologie mais nous les livrons ici pour réflexion, tout en étant conscient qu’elles supposeraient d’élargir le corpus, pour l’approcher sur une autre forme, voire même avec d’autres outils méthodologiques. Il pourrait être intéressant de les poser directement à l’auteur(e) mais qui sait ? L’avenir nous le permettra peut-être.
Hero’s journey, acculturation et Moyen Âge importé ?
Quid de similitudes entre certains modèles d’écriture redondants soulignés dans l’ouvrage et certains procédés en usage dans un bon lot d’autres séries/fictions ? Le célèbre « monomythe » de Joseph Campbell et son « Hero’s Journey » ont, semble-t-il, fait recette chez les scénaristes américains (et même de notre côté du monde puisqu’Alexandre Astier, lui même avait dit s’en être inspiré). Dans un certain nombre de remarques adressées au modèle de l’itinéraire du héros de la série médiévaliste, il nous semble en retrouver clairement la trace.
Toujours sur fond d’anthropologie ou de sociologie critique, qu’en est-il des influences anglo-saxonnes débordantes sur les fictions télévisuelles et leurs narratifs et donc de la part d’acculturation ou « d’impérialisme culturel » dans l’ensemble de ce corpus ? Qui vient nous dire ce que doit être le Moyen Âge ? Comment il doit évoluer, ce qu’il doit désormais inclure ou exclure ? Qui y projette ses idéologies, ses créatures fantastiques, ou ses démons ? De quelle société est-il vraiment le miroir ? Qui tient, encore une fois, les rennes des définitions ? Correspondent-elles véritablement à nos modèles culturels et nos questionnements historiques et sociaux ? Dans le même registre, les mécanismes d’identification aux modèles et aux problématiques sociales, communautaristes, raciales, culturelles outre-Atlantique ne finissent-ils pas par arriver plus vite dans nos sociétés que l’évolution des représentations médiévales elles-mêmes ?
Ecriture de classes et moyens de distanciation ?
Sur un registre un peu différent (quoique) : dans la construction de ces séries ne peut-on voir à l’œuvre un modèle (néo)libéral sous-jacent, peut-être même l’existence d’une « écriture de classes » appliquée à la série médiévale comme à d’autres thématiques ? En somme, « pouvoir, argent, faste, réussite sociale, conquête, guerre » restent souvent les thèmes idéologiques moteurs, avec un peu de romance pour habiller tout le monde et une main tendue vers la veuve, l’orphelin et le bon peuple pour le côté chevaleresque. Or, n’y a-t-il pas certaines convergences entre le héros nobiliaire des séries médiévales et le héros libéral bourgeois de certaines séries TV plus modernes (aisance financière et capitalistique, aisance dans la consommation, aisance dans le transport, mais encore instrumentalisation similaire des classes populaires et des personnages d’arrière-plan : le tavernier bavard vs Huggy les bons tuyaux, l’indic, l’informateur, ou encore le forgeron surdoué vs le type qui refile des gadgets à la cool à James Bond ou à Batman ? En pensant à tout cela, nous avons en tête l’ouvrage d’un sociologue des années 70-80 qui traitait justement des feuilletons télévisés américains sous cet angle sociologique de classe dont nous n’avons pas encore retrouver la référence.
Dans la série des questions qui viennent encore à l’esprit : si on a bien compris que, dans la course aux produits sériels « goût Moyen Age », la recherche d’une certaine consistance historique ne supplante que rarement l’exercice du divertissement : qui sont les auteurs et quels sont leurs moyens en terme de distanciation ? Se documentent-ils vraiment sérieusement et avec quel degré d’exigence sur la question historique ? Font-ils de l’idéologie ou reproduisent-ils simplement des préjugés qui se colportent sur le monde médiéval ? Dans la même veine, quand il y a des conseillers historiques quels sont leur véritable statut ? Décorum, costume, cohérence relative ? Ont-ils une incidence réelle sur les narratifs ou ne servent-ils que de caution ? (4). On boucle un peu, mais une fois de plus, il serait intéressant d’approcher en détail la question de qui finance et qui écrit, mais aussi de se plonger de plus près sur ces terrain là, pour mieux comprendre les processus de création de l’intérieur (contraintes et figures imposées aux auteurs, dimensions collective ou individuelles des processus d’écriture, nature des représentations, indicateurs et critères de mesure d’un scénario réussi, etc,…).
Roman national et séries historiques hors occident
Enfin, on analyse bien ici des productions occidentales mais une analyse culturelle élargie pourrait sans doute être pertinente. Si l’on se penche du côté de certaines séries télévisuelles asiatiques ou même de long métrages japonais, coréens ou chinois sur la période médiévale, on verra que le narratif colle souvent à des partis-pris plus proches du « roman national ». L’universalisme ou l’individualisme ne semblent pas se tenir au centre de tous ces narratifs, voire même plutôt moins que plus. Cela soulève de fait une autre question : cet exercice de valorisation « collective » ou de recherche d’une certaine cohésion sociale par l’histoire fictionnelle est-il devenu ringard ou même tabou à tout le moins, dans les pays de la zone européenne qui ont vécu directement le Moyen Âge ? S’est-il dilué dans d’autres objectifs idéologiques (universalisme, européisme, atlantisme, etc…) ? Et pour finir, à quelques exceptions près (ex : kaamelott) vivons-nous dans un Moyen Âge imaginaire, par regards interposés et qui n’obéit plus qu’à des agendas hors de notre portée ?
En terme sociologique, il nous semble que ce sont autant de questions qu’il pourrait être pertinent d’adresser même si, encore une fois, elles débordent du strict contexte du médiévalisme que s’était fixé l’auteur(e) de l’ouvrage présenté ici.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE. Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
(2) Après et c’est une question plus large sur le thème générique de la violence dans les séries, mais les sociétés de production ont-elles vraiment besoin faire appel au Moyen Âge pour légitimer ou satisfaire le goût de l’horreur et de la violence débridée ? Il semble que les séries sur les serial killers, les zombies et autres joyeusetés ont allégrement ouvert la marche.
(3) Cf l’impossible neutralité du chercheur dans le champ des sciences humaines
(4) Des médiévistes comme Jacques le Goff ou Michel Pastoureau ont servi comme conseillers et donc comme caution historique sur le film « le Nom de la Rose » de JJ Annaud), construction magistrale mais qui reste assez caricaturale et a sans doute beaucoup contribué aux préjugés sur un certain Moyen Âge inquisitorial. En réalité, il semble que leur rôle se soit limité en grande partie qu’au décorum (architecture, gestuelle,… représentation des paysans, …). Pas question d’infléchir le scénario ou d’avoir un mot sur tout donc. Il y a quelques années, nous avions été, nous-même contacté par des scénaristes de BD ainsi qu’un illustrateur pour deux BD sur le Moyen Âge. On nous promettait même de nous citer abondamment dans les crédits en contrepartie. Quand nous questionnions le réalisme du scénario ou ses aspects caricaturales en général, les remarques n’étaient, en général, pas suivi d’effets. En revanche pour les costumes, les couleurs, les décorum on attendait notre caution, un peu comme un accessoiriste finalement ou un guide visuel. Devant l’irréalisme, les poncifs et le délire de certains scénarios , nous avons préféré retiré nos billes, plutôt que nous y trouver associé.
Sujet : citation, Moyen-âge, bestiaire médiéval, loup, sorcellerie, diable, préjugés, idées reçues, représentations, anthropologie, histoire médiévale. Période : de l’antiquité à nos jours Ouvrage : Le loup : Une histoire culturelle, Michel Pastoureau, Seuil (2018).
« Contrairement à une idée reçue, les affaires de sorcellerie ne concernent pas tant le Moyen-Âge que l’époque moderne : la grande chasse aux sorcières commence, en effet, à l’horizon des années 1430 et va occuper l’Europe pendant trois siècles. Une surenchère à l’orthodoxie pousse désormais l’Église à voir partout des hérétiques, des adorateurs du Diable, des déviants de toutes espèces parmi lesquels de nombreux loups garous. »
Michel Pastoureau, le loup : Une histoire culturelle (2018)
Bonjour à tous,
e n’est pas faute de l’avoir souvent dit mais les idées reçues et les préjugés à l’égard du Moyen Âge ont la dent dure. Aussi, autant vaut-il le répéter, en compagnie, cette fois, d’une citation de l’historien médiéviste Michel Pastoureau : la chasse aux sorcières n’est pas médiévale.
Ce triste épisode, qui ne concerne d’ailleurs pas que des femmes, débute à la toute fin du Moyen Âge pour s’étendre largement dans le temps après lui. De même, on confond souvent l’inquisition médiévale à proprement parler avec cette chasse aux sorcières qui intervient donc plus tard dans le temps.
Jusqu’à récemment, la littérature comme le cinéma ont tendu, en effet, à alimenter la confusion, en promulguant certaines visions fausses d’un monde médiéval où se seraient étendus des bûchers à perte de vue et où l’on aurait brûlé, pour un oui ou pour un non, une quantité effroyable de mécréants, d’hérétiques, voire même de pauvres bougres ou bougresses dénoncés par leur voisin. Redisons-le donc à nouveau avec Michel Pastoureau : aujourd’hui, nous le savons bien, le Moyen Âge n’a pas connu de telles pratiques et encore moins de tels chiffres. Comme nous avons déjà écrit à de nombreuses reprises sur ce sujet, nous vous y renvoyons (1).
Michel Pastoureau à la recherche des animaux & des couleurs
La citation du jour de Michel Pastoureau sur la chasse aux sorcières est donc tirée de son l’ouvrage sur l’Histoire culturelle du Loup et nous allons en profiter pour vous faire un large détour à son sujet. On le sait, ce chartiste très populaire s’est fait une grande spécialité de l’histoire des symboles et des représentations et notamment des couleurs et des animaux. Ce sont des thèmes qui lui ont été longtemps assez propres et s’il admet volontiers que l’académie leur prêtait une certaine trivialité, il faut reconnaître qu’il a su en faire des sujets aussi sérieux que passionnants. Depuis, ils ont d’ailleurs été réhabilités.
En ce qui concerne son exploration des bestiaires et autres bébêtes qui meublent le monde des hommes médiévaux, nous avons déjà eu l’occasion de parler, ici, de son histoire du taureau de 2020 ou encore de ces procès faits aux animaux. Dans les vastes travaux qu’il a entrepris autour de l’histoire culturelle et symbolique des animaux, son Loup date, quant à lui, de 2018.
Une histoire culturelle du loup
En utilisant sa méthode habituelle, le médiéviste revient, donc, dans ce livre sur l’histoire du loup d’aussi loin qu’il existe des documents à son sujet jusqu’à une période récente. Se faisant, il balaiera les matériaux à sa disposition pour retracer un portrait du loup à la fois chronologique et thématique : mythologie, contes, fables, iconographie, pièces de littérature seront au rendez-vous de ses références.
Le Loup, chronique d’une peur en dents de scie
« À l’époque féodale, dans les campagnes françaises, on a surtout peur du Diable (2), du dragon, de la mesnie Hellequin ou des revenants, mais on n’a plus guère peur du loup. Cette accalmie, hélas ! ne durera pas ; cette peur reviendra avec force moins de deux siècles plus tard. »
Michel Pastoureau (opus cité)
La première chose qui vient en tête quand on pense au loup, c’est souvent la peur qu’il a pu inspirer aux hommes du passé. Cette dernière pourrait nous paraître ancestrale voire même atavique. Pourtant, l’historien nous apprendra que cette dernière est de nature plutôt variable en fonction des époques.
Pour la période qui nous intéresse, si la peur du loup est présente au haut Moyen Âge, à l’entrée dans le Moyen Âge central, elle semble s’atténuer quelque peu selon Michel Pastoureau. Dans la littérature, on trouvera même le loup moqué dans certaines pièces comme le Roman de Renard et le personnage d’Ysangrin. Pour donner un autre exemple, une histoire médiévale nous parle d’un loup qui terrorisait la ville de Gubbio, en Italie. L’animal se laissera pourtant dompté sagement par Saint François d’Assise et son pouvoir légendaire sur les animaux au point de devenir le protecteur de la ville.
Quoi qu’il en soit, à l’entrée du XIVe siècle, la peur du loup refera surface plus nettement pour durer durant 4 à 5 siècles jusqu’au XIXe siècle. A la faveur du climat et des famines, les loups semblent alors s’être s’approcher des hommes et des villes, faisant resurgir de vieilles terreurs. On imagine qu’ils sont aussi en nombre suffisant pour continuer d’inquiéter les campagnes, en faisant de sérieux dégâts dans les troupeaux d’animaux domestiques et chez les brebis.
Un blason pas vraiment doré
Que la peur soit plus ou moins présente, tout au long du Moyen Âge, il n’y aura pourtant guère de trêve pour le loup. L’Eglise et les hommes le pourchasseront et, si la peur oscille, son blason n’est jamais vraiment doré. C’est le moins qu’on puisse dire. Tout le monde semble s’accorder, en effet, sur le fait qu’il faut l’éliminer et des offices de Louvèterie sont créés pour l’abattre. Ainsi, de Charlemagne au XIXe siècle, ces derniers auront pignon sur rue et on rétribuera l’abatage d’un loup contre quelques pièces.
Le loup dans les bestiaires médiévaux
Les bestiaires médiévaux, de leur côté, diaboliseront l’animal en lui prêtant les pires défauts : agressif, rusé, tricheur, vorace, lâche… Pire encore, pour le faire détester, il déambule et peut chasser la nuit ; il appartient donc au règne des animaux nocturnes. Pas très net tout ça. Fricoterait-il aussi avec le malin ? Qu’il soit plus ou moins craint, le loup qu’on considère comme un comparse du Diable reste honni, d’autant que l’ange déchu pourra même, à l’occasion, revêtir la peau du prédateur pour passer inaperçu et faire de mauvais tours.
En suivant les pas de Michel Pastoureau, et comme nous le disions plus haut, au Moyen Âge central, la peur et les diableries laisseront toutefois place à la moquerie, et le loup deviendra même dans la littérature et les bestiaires, en plus de tout le reste, stupide, lubrique, pathétique, etc… Bref, on s’autorise alors à se rire de lui. A voir le nombre d’enluminures où il est mis en scène, convoitant des brebis, il n’est pas certain qu’on s’en amuse autant dans les campagnes.
Sabbat, diableries et résurgence de la peur
A la toute fin du Moyen Âge, au moment où la peur du loup reviendra de manière plus marquée, on remettra sa dangerosité et ses supposées accointances diaboliques à l’ordre du jour. Animal de sabbat, il se retrouver alors lié, malgré lui, à la sorcellerie justement durant cette période postmédiévale où la chasse aux sorcières sévira.
Autre diablerie d’époque, si la lycanthropie était bien née au Moyen Âge — on se souvient, par exemple, du Lais de Bisclavret de Marie de France — l’ombre terrifiante des loups garous se voit aussi promouvoir, dans la littérature des XVIe & XVIIe siècle. Ne viendraient-ils pas, eux aussi, se joindre aux bals des suppôts du mal et des sorcières ? Dans ce contexte effrayant, mêlé de superstitions, de cérémonies nocturnes et de fantastique, on comprend mieux comment, à la fin du XVIIIe siècle, le loup, voir son homologue anthropoïde, ont pu se retrouver pointés du doigt : coupables tout désignés de l’histoire de la sanguinaire bête du Gévaudan dont le mystère continue à faire couler beaucoup d’encre.
Un changement après le XIXe siècle ?
Selon Michel Pastoureau, il faudra attendre le XIXe siècle et les découvertes de Pasteur et son vaccin contre la rage pour commencer à voir atténuer un bon nombre de craintes à l’égard du loup. Sans doute les nombreux siècles de chasse et de campagnes contre le prédateur européen avaient-ils aussi réduit, considérablement, le nombre de ses populations.
Ainsi, en suivant le fil de l’histoire, le loup de la littérature prendra bientôt une figure plus sympathique : on citera l’histoire de Moogly, l’enfant loup du Livre de la jungle, écrite à la toute fin du XIXe siècle, par Rudyard Kipling ou encore celle de Croc blanc, le demi-loup de Jack London, au tout début du XXe siècle. Un peu plus tard, des loups comme celui de Tex Avery deviendront, à leur tour, plus amusants et complaisants que ceux des siècles précédents. Quand au scouts, ils auront bientôt leurs louveteaux. Mais, alors, en a-t-on fini depuis avec la peur du loup ? Pas si sûr. Tout récemment encore, sa réintroduction a suscité de nombreux débats dans les campagnes qui ne semblent pas toujours se résumer aux seuls risques de prédation sur les troupeaux et les brebis.
Vous pouvez retrouver ce livre de Michel Pastoureau chez votre meilleur libraire. Cet ouvrage est également disponible en ligne au lien suivant.
Idées reçues et Moyen Âge composite
Du point de vue des préjugés, en tout cas, cette histoire culturelle du Loup aura permis de faire d’une pierre de coup. En plus de remettre à sa place l’idée d’une chasse aux sorcières datée des temps médiévaux, on a pu voir aussi combien l’idée très ancrée d’une peur du loup, fortement attachée à la période médiévale doit être, elle aussi, partiellement revisitée. D’après Michel Pastoureau, l’acmé de cette peur est étroitement lié à l’époque moderne. Dans ce mouvement d’oscillation historique (nous n’avons pas évoqué l’antique légende romaine de la louve qui avait nourri Romulus et Remus mais nous aurions pu), le Moyen Âge central et, pour être plus précis, la période qui court du XIe au XIIIe siècle, semble être relativement épargnée.
Dans un autre registre, on voit aussi combien les 1000 ans que recouvre cette tranche d’histoire que nous désignons sous le nom de Moyen Âge recouvrent des réalités souvent grandement composites et variés.
NOTES
(1) Au sujet de la chasse aux sorcières, voir notamment le thème des sorcières médiévales dans l’ouvrage Sacré Moyen Âge de Martin Blais. Voir aussi la conférence sur la légende noire de l’inquisition médiévale par l’historien Lauren Albaret. Enfin, sur le thème des sorcières du monde médiéval et son actualité, vous pourrez valablement vous reporter à la grande exposition donnée du KBR Museum de Bruxelles, l’année dernière. On y abordait, en effet, l’image de la femme au Moyen Âge et les racines d’une certaine « mythologie » fantastique ayant pu préfigurer, plus tard, cette image de la sorcière.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : comme vous l’aurez deviné à la lecture de l’article, l’enluminure de l’image d’en-tête provient du même MS M81 ou Worksop Bestiary de la Morgan Library
Sujet : humour, légendes arthuriennes, roi Arthur, extraits, citations, cinéma, médiéval fantaisie, idées reçues, roman arthurien, non sens, sorcières. Titre : Sacré Graal (the Holy Grail) Période : haut Moyen Âge, Moyen Âge central Réalisation : Les Monty Python (1975)
Bon Anniversaire Mister John Cleese,
e plus grand des Monty Python par la taille (1m96) vient de souffler ses 83 bougies. Les réseaux le célèbrent déjà largement et nous avons décidé d’en saisir, nous aussi, l’occasion. Moyen-Âge oblige, c’est avec le film Sacré Graal qu’il nous est apparu le plus logique de le faire mais la carrière du géant anglais est bien loin de se limiter à ce titre et nous ne pouvons éviter d’en dire un mot.
Le génie comique à l’état pur
On a connu John Cleese impayable dans de nombreux sketches des Monty Python : ses géniales « démarches stupides » (Silly Walks) datés du Flying Circus sont restées légendaires, de même que son habilité au « Fish Slap » ou ses recrutements totalement absurdes. Et dans les long métrages de la joyeuse bande de comiques anglais, il n’est pas une seule scène où l’acteur anglais n’apparaisse sans que sa force comique crève l’écran.
Dans les années 70, les inconditionnels de la série Fawlty Towers (l’hôtel en Folie) n’auront pas oublié, non plus, Basil Fawlty, ce propriétaire furieusement drôle d’un petit hôtel anglais, avec ses terribles gaffes et son impayable maître d’hôtel espagnol Manuel qu’il moleste au delà de toutes règles de décence. John Cleese créa la série avec son épouse d’alors Connie Booth qui y incarne Polly Sherman, la jeune et jolie serveuse et femme de chambre de l’hôtel. De 1975 a 79 fit un tabac et est même entré » depuis au Panthéon des meilleurs programmes télévisés anglais de tous les temps.
On l’avait déjà détecté quand il se trouvait chez les Monty Python mais, si l’on osait une comparaison, avec Fawlty Towers, John Cleese est devenu à l’humour anglais ce que Louis de Funès avait pu être au comique français : un génie comique, explosif, énergique, physique et remuant qui est d’autant plus drôle qu’il est colérique et impitoyable.
Ecriture, acting, l’après Monty Python
Pour avancer sur la carrière de l’acteur-auteur anglais et citer encore quelques références dans sa filmographie, comment oublier ce Poisson nommé Wanda réalisé par Charles Crichton et dont John Cleese avait coécrit le scénario ? Ce dernier en sortira d’ailleurs avec un British Academy Film Awards. En terme d’écriture, ce n’est pas le seul scénario qu’il aura épinglé à sa boutonnière puisque il en a co-écrit un certain nombre avec les Monty dont Sacré Graal, bien sûr, mais bien encore d’autres en solo. Non content d’être bon, John Cleese est aussi une valeur qui dure.
Depuis les années 90, on l’a encore vu dans un grand nombre de films (La panthère rose 2, Harry Potter à l’école des sorciers, Fierce Creatures dont il signe le scénario, …) et il aura encore prêté sa voix off à des films d’animation et même à des jeux vidéos (Jasper dans Fable III ou Sir Cadwell dans The Elder Scrolls Online en autres titres). Plus récemment, dans les années 2015, on l’a vu sur scène et sur écran avec ses complices des débuts, les Monty Python (Monty Python Live (Mostly): One Down, Five to Go – le one down étant Graham Chapman décédé en 1989). Quant à son actualité plus récente, il continue de faire des apparitions dans des films plus récents et il est assez actif sur les réseaux.
Drôle dans la vie comme à l’écran
Pour finir sur une ou deux anecdotes qui montrent que John Cleese est toujours aussi drôle dans la vie qu’au cinéma, on pourra citer son statut Facebook : « John Cleese est une personne de grande taille qui aime les lémuriens, le café et le vin. Il est aussi connu pour écrire. » ou même encore se souvenir que, dans les années 70’s, il a même volontairement caviardé sa filmographie avec des titres de longs métrages aussi nonsensiques que « Confessions d’un planificateur » (Confessions of a Programme Planner). Il n’a confessé ce dernier gag que, bien plus tard dans les années 80 et, pendant tout ce temps, en a ri sous cape.
Quoi qu’il en soit, entre une si belle carrière et sa capacité à rire de tout (y compris de lui-même), il semble que John Cleese ait trouvé là son véritable graal. Nous lui souhaitons, à nouveau, un bel anniversaire et nous vous laissons avec une scène culte du film Sacré Graal pour lui rendre hommage.
La scène culte de la sorcière dans Sacré Graal
Pour ceux qui l’ont vu, Sacré Graal des Monty Python est un empilement de scènes cultes. Avec ce film, comme avec la Vie de Brian on est à l’apogée de l’art comique et du non sens anglais des Monty Python. Chose que l’on perçoit mal de nos jours, s’attaquer aux légendes arthuriennes avec cet humour totalement décalée n’alla pas sans provoquer, en son temps, quelques remous dans la bien-pensance britannique. Il aura sans doute fallu ce Sacré Graal pour que, deux décennies plus tard, Alexandre Astier décide de se pencher sur l’écriture et la réalisation de la série Télé Kaamelott en s’inspirant, à son tour, du roman arthurien. Lui-même n’a d’ailleurs jamais renié une partie de son héritage comique du côté des Monty.
Les villageois : Nous tenons une sorcière. Brûlons-là ! Brûlons-là ! Ils la présentent au chevalier Bédivère. Villageois 1 (Eric Idle) : Nous avons trouvé une sorcière et, maintenant, on doit la brûler ! Les villageois : Brûlons-là ! Brûlons-là ! Bédivère : Comment savez-vous que c’est une sorcière ? Les villageois : Elle ressemble à une sorcière ! Bédivère : Amenez-la moi. La suspecte : Je ne suis pas une sorcière ! Bédivère : Mais vous paraissez bien en être une… La sorcière : Ce sont eux qui m’ont habillée comme ça. Les villageois protestent. La sorcière : Et ceci n’est pas mon nez ! C’est un faux ! Bédivère (à la foule) : Alors ? Villageois 1 (Eric Idle) : Bon, pour le nez, d’accord, on l’a fait. Bédivère : Le nez ? Villageois 1 (Eric Idle) : Et le chapeau… Mais c’est une sorcière ! Les villageois : Brûlez-là ! Brûlez-là ! Brûlez-là ! Bédivère : Et c’est vous qui l’avez déguisée comme ça ? Les villageois : Non, non, Non ! … Oui, un peu… Mais elle a une verrue. Bédivère : Qu’est-ce qui vous fait penser qu’elle est une sorcière ? Villageois 2 (John Cleese) : Oh ! Elle m’a transformé en salamandre. Bédivère : En salamandre ???!!!!! Villageois 2 (John Cleese) : … Je vais mieux depuis.
Les villageois : Brûlez-là ! Brûlez-là ! Brûlez-là ! Bédivère : Du calme ! Du calme. Il y existe des moyens qui permettent de savoir si c’est vraiment une sorcière. Les villageois : C’est vrai ? Dites-nous comment ! Bédivère : Dites moi, que faites-vous avec les sorcières ? Les villageois : On les brûle ! On les brûle ! Bédivère : Et que brûlez-vous en dehors des sorcières ? Villageois 1 (Eric Idle) : Toutes les sorcières ! Villageois 3 (Michael Palin) : Le bois ! Bédivère : Bien. En ce cas, pourquoi les sorcières brûlent-elles ? Les villageois cherchent et réfléchissent Villageois 2 (John Cleese) : Parce qu’elles sont en bois ! Bédivère : Très bien !Alors, comment savoir si elle est en bois ou non ? Villageois 1 (Eric Idle) : En s’en servant pour fabriquer un pont ! Bédivère : Mais ne peut-on construire des ponts à partir de la pierre ? Les villageois : Ah… Oui… Bédivère : Est-ce que le bois coule dans l’eau ? Villageois 1 (Eric Idle) : Non, il flotte ! Jetons-la dans la mare ! Les villageois clament leur approbation Bédivère : Attendez ! Qu’est-ce qui flotte aussi dans l’eau ? Villageois 3 (Michael Palin) : Le pain !… Les pommes !.… Villageois 2 (John Cleese) : Des toutes petites pierres ? Villageois 3 (Michael Palin) : La porcelaine ! Une bonne sauce ! Bédivère : Non… Villageois 2 (John Cleese) : … Une église ? … Le plomb ! le plomb ! Le Roi Arthur (Graham Chapman) qui, jusque là, observait la scène) : Un canard ! Bédivère : Exactement ! Un canard ! Donc logiquement. Si elle… ( il encourage les villageois à réfléchir) Villageois 1 (Eric Idle) : … pèse le même poids qu’un canard… Elle…. Elle est fait en bois ! Bédivère : Et donc ? Les villageois : une sorcière ! C’est une sorcière ! Bédivère : allons-y ! Utilisons la grande balance pour vérifier ! Clameur des villageois. La sorcière est mise dans la balance avec un canard de l’autre côté. Contre toute attente, la démonstration fonctionne. Elle et le canard font le même poids. Les villageois l’emporte pour la brûler : Brûlons-la ! Brûlons-la ! La sorcière : ils m’ont bien eue.
Bédivère reconnait la sagesse du Roi Arthur basée sur son intervention (double dose de non-sens). 😀
Idées reçues sur le Moyen Âge
En reprenant nos articles sur la légende de l’inquisition médiévale et l’imagerie des bûchers de sorcières au Moyen-âge, les idées qu’on s’en fait habituellement se reportent à des faits bien plus sûrement renaissants que médiévaux. Toutefois, comme il s’agit des Monty Python et que la scène reste super drôle, on les pardonne bien volontiers d’enfoncer le clou d’une idée reçue. On le fait d’autant mieux que le raisonnement par analogie utilisé ici pour créer l’effet comique résonne de manière assez pertinente. En médecine médiévale, il n’est pas rare, en effet, qu’on l’utilise des déductions pour opérer à la prescription : formes ou couleurs d’un produit en relation aux humeurs qui permettraient d’obtenir des guérisons ou des améliorations d’état, analogie de la mandragore et du corps humain, etc…
On pourra encore ajouter que certaines formes d’ordalies pratiquées durant le Moyen-âge central (ordalie par le feu ou l’eau, … voir article) pour établir l’innocence ou la culpabilité d’un prévenu n’ont quelquefois pas grand chose à envier au procédé mis en avant ici par les Monty Python.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes