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Conférences : découvrir L’invention Du Moyen Âge Et Du Médiévalisme

Sujet : monde médiéval, histoire médiévale, histoire des représentations, médiévalisme.
Période : Moyen Âge, XVIIIe s au XXIe s
Conférences : l’Invention du Moyen Âge : du marquis de Paulmy à « Game of Thrones »
Organisateur : BnF, Bibliothèque de l’Arsenal, 1, rue de Sully – 75004 Paris
Dates : 18 décembre 2023, 15 janvier 2024, 5 février 2024
Intervenants : Fanny Maillet, Isabelle Durand, Vincent Ferré.

Bonjour à tous,

rands amateurs et amis du Moyen Âge sous toutes ses formes y compris les plus modernes, c’est au tour de la prestigieuse BnF de se pencher très sérieusement sur le sujet du médiévalisme. L’institution vous propose, en effet, tout prochainement, un détour par la Bibliothèque de l’Arsenal pour un cycle de conférences gratuites, animées par d’éminents médiévistes.

Du Moyen Âge au médiévalisme

Comment le Moyen Âge s’invite-t-il dans notre monde moderne et sous quelles formes ? Livres, fictions, jeux vidéo, jeux de rôles ou de plateaux, films et séries… Au XXIe siècle, les temps médiévaux continuent d’habiter nos productions culturelles modernes et, avec elles, un peu de notre quotidien. L’affaire n’est pas nouvelle. Le Moyen Âge, sa résurgence ou même sa réinvention sous les formes les plus diverses n’a guère tardé pour échapper à la courte éclipse dans laquelle avait voulu le plonger les auteurs renaissants ; même avec le plus grand des talents de plume, on ne tire pas impunément un trait sur mille ans d’histoire.

Voilà donc que le XVIIIe siècle voyait déjà renaître le Moyen Âge. Oui, mais lequel ? Sur ce nouveau terreau, notre bel objet historique se cherchait déjà de nouvelles racines et représentations sous l’impulsion du marquis de Paulmy. A quelque temps de là, suivraient bientôt les élans magnifiques des romantiques avec leur flamboyant, inquiétant et glorieux Moyen Âge. Plus tard, viendraient encore se greffer de nouvelles charges symboliques, de nouveaux territoires oniriques ou politiques, des espaces de luttes idéologiques et culturelles, de nouveaux horizons perdus ou à perdre, bref autant de nouveaux Moyen Âge(s).

La chose est actée. Depuis ses retrouvailles au XVIIème siècle (a-t-il jamais vraiment été perdu ?), le Moyen Âge projeté, revisité ou reconstruit n’a jamais cessé d’évoluer, de changer de visage. Et c’est justement cette longue et passionnante évolution, des premiers re- découvreurs des siècles passées jusqu’au Trône de Fer de G.R.R Martin, que la BnF vous propose de parcourir, à partir du 18 décembre prochain.

Le cycle de trois conférences prévu a pour titre : L’Invention du Moyen Âge : du marquis de Paulmy à « Game of Thrones ». En plus de ces interventions de qualité, les visiteurs auront la joie de découvrir quelques précieux manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal pour illustrer tous ces propos.

Trois conférences pour mieux comprendre le Moyen Âge et le Médiévalisme

Ces trois conférences seront données à l’Arsenal même. L’entrée en sera gratuite mais il est recommandé de réserver et, à défaut de se présenter suffisamment à l’avance. Voici le programme de cet événement qui devrait donner des clés utiles de compréhension sur le Moyen Âge, ses représentations historiques et modernes, comme sur le médiévalisme.


Le Moyen Âge des Lumières.
Le marquis de Paulmy entre érudition et littérature

Date : le lundi 18 décembre 2023, à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

C’est la médiéviste Fanny Maillet, enseignante en littérature médiévale à l’université de Zurich qui l’aura en charge. Il sera ici question de se pencher sur le rôle et l’influence du marquis de Paulmy. Dans le courant du XVIIIe siècle, cet homme de culture, diplomate et homme d’Etat français a, en effet, contribué à la diffusion d’un certain Moyen Âge, notamment au travers de sa collection médiévale.

Qui était le marquis de Paulmy ?

Portrait d'Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy

Grand collectionneur et bibliophile du XVIIe siècle, Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy (1722-1787) fut à l’initiative de la transformation de l’Arsenal de Paris en ce qui deviendra plus tard la prestigieuse Bibliothèque de l’Arsenal.

Amis des livres et des anciens manuscrits, revoyez vos critères sur la définition de « belle » bibliothèque et sortez vos mouchoirs ! Celle du marquis de Paulmy contenait près de cent mille ouvrages. Autrement dit, de quoi donner le vertige ou même plutôt des envies de s’enfermer des milliers d’heures pour explorer tous ces trésors. Ils sont, aujourd’hui, sous la bonne garde du conservateur des lieux et de ses archivistes.

En grand lettré, le marquis de Paulmy fut aussi à l’initiative de nombreuses publications et de sélections à partir de sa vaste collection. En plus de rendre tribut à son influence sur une première relecture du Moyen Âge, c’est un double hommage que rendra ici la Bibliothèque de l’Arsenal à son lointain aïeul et fondateur.


L’invention du Moyen Âge par les écrivains romantiques

Date : le lundi 15 janvier 2024 à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

La professeure de littérature générale et comparée Isabelle Durand (université de Bretagne Sud) aura en charge cette deuxième conférence plus particulièrement ciblée sur les romantiques et leur nouveau souffle pour un Moyen Âge perdu et à reconquérir.

Portrait de Victor Hugo, féru de Moyen Âge au temps des romantiques.

La période couvrira le XVIIIe siècle de Jean-Charles-Emmanuel Nodier pour s’étendre au XIXe siècle de Victor Hugo. Comme dans toute analyse médiévaliste sérieuse, les préoccupations et projections immédiates des romantiques, dans leur entreprise de réinvention d’un Moyen Âge onirique et sublime, seront mises en exergue.


Le médiévalisme fait des vagues (XVIe-XXIe siècle)

Date : le lundi 5 février 2024 à l’Arsenal.
Horaires : 18 h 30 – 20 h.

Avec cette dernière conférence, on se rapprochera plus particulièrement du médiévalisme moderne. L’universitaire Vincent Ferré, professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris 3-Sorbonne Nouvelle sera en charge de la conduire.

Prince Vaillant, affiche de cinéma, Moyen Âge et médiévalisme

Entre « réception savante » et Moyen Âge récréatif, l’intervenant se penchera ici sur les origines du médiévalisme. La conférence abordera particulièrement les questions soulevées par cette jeune discipline complexe qui tente de démêler les soutènements de tous ces Moyen Âge(s) de fiction, de pellicule, de costumes ou de papier. L’engouement pour ce monde médiéval qui n’en finit pas d’être à la mode et qui, par là, interpelle d’autant plus le médiévalisme, sera également examiné.


Voilà donc un programme de prestige à ne pas manquer si vous êtes en région parisienne à ces dates. N’oubliez pas de réserver le cas échéant. A cette fin, reportez-vous aux pages officielles de la BnF dédié à l’événement. Pour ceux qui se tiendront trop loin de la capitale et de l’Arsenal, on espère que la technique permettra d’assurer l’enregistrement et la rediffusion en ligne de ces conférences d’intérêt.

Sur le sujet du médiévalisme voir aussi:

 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

NB : le portrait du Marquis de Paulmy sur l’image d’en-tête est tirée d’un portrait daté du 18e, conservé au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. En arrière plan vous aurez reconnu le Dragon tiré du Trône de Fer de G.R.R. Martin.

Un Moyen Âge en clair-obscur, Justine Breton & les séries TV médiévalistes

Sujet : séries TV, médiévalisme, séries télévisées, Moyen Âge représenté, Moyen Âge imaginaire,
Période : Moyen Âge, monde moderne.
Ouvrage : Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées, Justine Breton, Presses Universitaires François Rabelais (2023)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à la découverte d’un ouvrage qui a pour objet non point uniquement le Moyen Âge, sinon ses représentations et ses formes les plus récentes. Nous vous parlerons, en effet, de l’ouvrage « Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées » de la spécialiste en littérature médiévale Justine Breton. Avant d’en arriver là, nous donnerons quelques mots de contexte pour comprendre comment des médiévistes ou des universitaires férus de littérature ont pu se trouver conduits à arpenter les productions médiatiques ou littéraires les plus actuelles sur le monde médiéval.

Du Moyen âge au Médiévalisme

L’Histoire est une discipline qui a beaucoup évolué depuis le temps des vieilles approches chronologiques et des grandes dates, pour affiner ses méthodes et élargir ses terrains d’investigation. Dans ce cadre, elle a souvent emprunté, de plus en plus, à d’autres sciences humaines comme l’anthropologie, la sociologie ou la psychologie sociale.

Dans la lancée de ces extensions méthodologiques et épistémologiques, on a ainsi vu, près de nous, de nouveaux historiens ou spécialistes en littérature, armés de leurs connaissances sur le monde médiéval venir le débusquer jusque dans ses représentations les plus récentes, en élargissant leurs investigations à ce que l’on nomme, désormais, communément le médiévalisme : autrement dit, le Moyen Âge tel qu’il nous est présenté dans les sociétés modernes et ce dans ses formes les plus variées : au cinéma, dans la littérature, de Tolkien aux plus récents romans de médiéval-fantasy, dans les séries télévisées, dans les jeux vidéos, les dessins animés, les fêtes médiévales, etc… « Le Moyen Âge est à la mode » avait dit Jacques Le Goff en son temps. Depuis son constat, cette réalité ne s’est toujours pas démentie. Le matériau médiéval moderne abonde et occupe même à plein temps tous les chercheurs qui veulent bien s’y pencher.

Médiévalisme & modernité

Dans son entreprise, le chercheur en médiévalisme hérite, dès lors, d’un double objectif ou d’un double défi :

  • D’abord, une volonté de démystifier certaines idées reçues et/ou préjugés encore à l’œuvre au sujet du monde médiéval, et ce bien que la recherche historique les ait déconstruits ou nuancés de longue date (voir notre article sur le Moyen Âge des préjugés ). Autrement dit, il s’agit pour lui de confronter l’objet Moyen Âge « grand public » ou « imaginaire », au Moyen Âge des laboratoires de recherche ou à l’état de la science historique.
  • Ensuite, et inévitablement, en faisant de l’actualité leur objet, ses historiens ou chercheurs se retrouvent sur un terrain assez voisin de celui des sociologues, des anthropologues ou même quelquefois des journalistes (c’est le pire qu’on peut leur souhaiter et quelques historiens plus à l’aise avec les salles d’archives ont pu quelquefois les en railler). Dans tous les cas, ils se retrouvent face à un objet un peu paradoxal qui, sans être encore cristallisé sous forme de fait historique, entre dans le champ des représentations modernes « projetées » et donc souvent aussi, des idéologies. Se pose alors la question des outils d’analyse, de l’approche et de l’ingestion nécessaire (ou pas) par le chercheur d’outils habituellement réservés à des disciplines connexes (la philologie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, autant de pas que la Nouvelle Histoire les avait déjà enjoints à franchir).

Dans cet exercice complexe de double éclairage qui se situe entre analyse historique, analyse « littéraire » et analyse de la modernité sociale et culturel, des questions nouvelles surviennent sur la table : s’il y a un Moyen Âge reconstruit, qui le construit, comment et dans quel but ? En quoi est-il différent du Moyen Âge « académique » ? Et dans cette distance à cet objet médiéval historique, documenté, « réaliste » (et donc nécessairement plus complexe et plus nuancé), que nous dit ce Moyen Âge projeté et reconstitué de notre propre modernité ?

Bien entendu et comme dans toutes les sciences humaines, il faudrait encore ajouter une bonne couche d’épistémologie en se demandant ce que nous dit cette analyse du positionnement de l’historien ou du chercheur qui la conduit mais laissons cela pour l’instant. De notre côté, nous aurions mauvaise grâce à ergoter sur la légitimité de ce nouveau terrain investi par des historiens ou des spécialistes littéraires, puisque venant de l’Anthropologie et de la Sociologie, nous avons fait l’exact chemin inverse. Partant du monde médiéval représenté dans le monde moderne, nous avons, en effet, décidé de nous rapprocher du Moyen Âge plus historique et factuel, en allant, en quelque sorte, de l’actualité vers l’histoire. Une différence subsiste toutefois dans notre approche avec celle des médiévalistes : loin des couloirs de l’académie, si notre objet couvre bien « l’exploration du Moyen Âge sous toutes ses formes » (historiques et modernes), nous nous situons dans l’esprit d’un travail d’archive et d’une monographie tranquille et curieuse bien plus que dans une tentative ambitieuse de synthèse.

Des têtes de file du médiévalisme

D’un point de vue factuel, le Médiévalisme est un objet de recherche relativement récent. Il date de quelques décennies tout au plus. Au titre de ses pionniers on pourra compter, à la toute fin des années 70, des noms comme le philologue et romancier suisse Paul Zumthor ou encore l’universitaire et chercheuse anglo-américaine Leslie J. Workman. Par la suite, d’autres auteurs se joindront également à l’appel. Nous ne nous étalerons pas ici sur l’ensemble d’entre eux mais nous vous renvoyons à l’article « Le médiévalisme a quarante ans » du professeur de littérature générale et comparée Vincent Ferré comme un bon point de départ sur ces questions (1).

Pour ne citer que quelques noms récents de ce courant parmi les chercheurs les plus médiatisés, on peut justement, difficilement passer de l’auteur susnommé. Cet universitaire et chercheur s’est fait une spécialité du médiévalisme à travers notamment l’œuvre de Tolkien dont il est un grand spécialiste. On doit encore à Vincent Ferré d’avoir impulsé de nombreuses publications ou ouvrages collectifs sur la question. Dans la même génération suivront des noms comme William Blanc, historien de formation, particulièrement actif et prolifique dans le domaine du médiévalisme appliqué à la fantaisie moderne, aux séries TV ou aux super héros (voir notre article sur les légendes arthuriennes modernes ). Ajoutons encore Anne Besson. Plus orientée, elle aussi, sur la littérature comparée que l’histoire médiévale a proprement parlé, elle a notamment contribué avec les deux auteurs précédents, au Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, Le médiévalisme, hier et aujourd’hui, sorti en 2022, aux éditions Vendémiaire.

Enfin toujours dans la même mouvance et du côté des plus jeunes têtes, on retrouvera les très productifs Justine Breton, maître de conférences à l’université et spécialiste de littérature médiévale, et l’universitaire et médiéviste Florian Besson (ce dernier avait créé avec quelques autres plumes étudiantes le blog Actuelmoyenage désormais un peu en sommeil). Entre autres productions et contributions précoces, tous deux avaient aussi conduit l’ouvrage « Kaamelott un Livre d’Histoire » sorti en 2018 (également aux Editions Vendémiaire) dont nous avions alors parlé dans nos colonnes. On pourra encore ajouter à leur actif l’ouvrage « Une histoire de feu et de sang. Le Moyen Âge de Game of Thrones » qu’ils avaient coécrits en 2020.

Des incursions dans la modernité

Toujours dans cette même mouvance qui tente de mettre l’Histoire médiévale en perspective ou de l’éclairer au moyen des productions modernes (et vice et versa), certains historiens comme Martin Aurell se sont aussi prêtés à l’exercice (voir Kaamelott à la table du roi Arthur de Eric Nabour). On pourrait inclure également des historiens comme Michel Pastoureau qui, même s’il ne se situe pas à proprement parler dans le champ pur et dur du médiévalisme, n’hésitent pas dans ses analyses des couleurs, ses conférences ou ses bestiaires à faire de nombreux allers-retours entre les représentations les plus historiques et les plus modernes pour éclairer nos lanternes. Un listing est forcément injuste et nous en oublions sans doute. Quoi qu’il en soit, le courant semble plutôt bien représenté en France. Et si certains historiens chercheurs n’en ont pas fait leur spécialité, ils ne rechignent pas, au gré de leurs propres sujets de prédilection, à apporter leur contribution et à s’aventurer sur ces terrains hors labo, souvent plus vivants et peut-être aussi plus vendeurs. Si le sujet vous intéresse, la lecture de quelques ouvrages collectifs ou actes de colloque pourra aisément vous permettre d’en découvrir quelques-uns de plus.

Voilà pour ce bref détour qui permettra de mieux contextualiser notre sujet du jour, sans prétendre l’épuiser. Revenons donc maintenant à notre propos, ce Moyen Âge en clair-obscur signé de la plume de Justine Breton et qui se propose de traquer le monde médiéval tel qu’on nous le présente dans les séries télévisées des XXe et XXIe siècle.

Un Moyen Âge en clair-obscur, le médiévalisme dans les séries télévisées

Parlons d’abord de l’ouvrage, l’objet. Sorti aux Presses Universitaires François Rabelais, il présente sur un peu moins de 400 pages, une mise en page dynamique et soignée : les amateurs de séries télévisées sur le thème médiéval y trouveront donc de nombreuses photos, mises en exergue de citations, encarts thématiques, mais encore de nombreuses notes et références pour une bibliographie assez fouillée.

Sur le fond, l’ouvrage reste consistant et même ambitieux. Autant le dire tout de suite, nous sommes bien dans le cadre universitaire et ce n’est pas un digest de séries dans la veine de l’ouvrage « Séries Illimitées » justement préfacé par Alexandre Astier en 2022. En réalité, le corpus approché par Justine Breton tient même pratiquement de l’exploit. S’attaquer à une classification ou un effort de synthèse après avoir passé plus de 80 séries TV au peigne fin, quand on sait qu’une partie importante d’entre elles s’étale sur un nombre vertigineux de saisons, cela en soi reste une entreprise de taille. On parle ici de plusieurs centaines (milliers ?) d’heures de visionnage, d’un corpus forcément hétérogène et donc d’un sacré défi, ne serait-ce que pour y mettre de l’ordre et s’efforcer de catégoriser une telle masse de contenu. Rien que pour cela, l’ouvrage n’a pas d’équivalent et il faut saluer l’ambition de son auteur(e) autant que ses efforts méthodologiques.

Eléments de résumé

A ce stade, Moyen Âge oblige, il va nous falloir être un peu tranchant (« j’ai fait un trait d’humour, mon oncle« ). On ne peut, en effet, résumer en trois lignes un ouvrage universitaire de ce niveau de densité. Le découpage en cinq parties pour une vingtaine de chapitres permet de mettre à jour l’exercice qui consiste, pour la société du spectacle et du divertissement, à instrumentaliser le Moyen Âge, de façon à créer un produit de consommation formatté, en mettant en scène (ou en exorcisant), au passage ses propres « obsessions » « préoccupations », le tout, en se réclamant (dans un nombre non négligeable de séries télévisées) d’un « Moyen Âge crédible » à défaut d’être réaliste. Crédible ? Oui, mais non, pas tout à fait quand même ! Oui mais si, oui mais bon…

Quitte à enfoncer quelques portes ouvertes, l’écriture fictionnelle a, bien sûr, ses règles narratives qui ne sont pas celles de la rigueur historique. L’objectif de ces sociétés de production mercantiles reste quand même bien de retenir les publics cibles avec des recettes qui marchent et qui ont fait leur preuves. Or, les recettes, vous pourrez compter sur Justine Breton pour les détricoter avec minutie et méthode tout au long de son ouvrage.

Des créneaux pour tous les publics

Comment réussir une série télévisée aux couleurs du Moyen Âge susceptible de conquérir une audience et de la conserver ? Bien sûr, il faut du rythme, des thèmes de fond pour fidéliser sur la durée, mais il faut aussi des épisodes qui bouclent sur de petites histoires dans la grande histoire, pour ne pas trop jouer avec la frustration du spectateur et lui donner sa dose d’émotion packagée, avec juste ce qu’il faut de suspense avant le générique de fin pour lui donner envie de revenir.

Il faut aussi des héros aisément repérables. Dans les séries TV occidentales, comme dans les histoires médiévales du reste, ils sont plutôt blancs, plutôt musclés et plutôt chevaleresques. Rien de très étonnant. Ils sont aussi juste marginaux comme il faut, avec un petit rien de modernité, permettant au spectateur de s’identifier. Il faut aussi pour faire un bon héros médiéval qu’il évolue dans un monde un peu arriéré, et au milieu d’un peuple toujours un peu crado et ignorant sur les bords, avec tout de même quelques Bernardo(s) qui sortent du lot, comme dans Zorro, pour donner la réplique : un gentil forgeron, un tavernier bavard, un mystérieux passant, … Finalement, au jeu du miroir, « Modernité modernité dis moi qui est la plus belle, de moi ou du Moyen Âge« , la réponse est souvent toute trouvée et le spectateur sera content de rentrer dans ses pantoufles, à la fin du voyage.

Alors, sortir des sentiers battus pour les producteurs et scénaristes, oui mais pas trop, même s’il existe des créneaux et des cibles. Si le Moyen Âge est à la mode, il se décline aussi en tranche (d’audience ou d’affinités) pour ratisser large : des séries pour les jeunes, des séries pour le rire et la détente, et d’autres pour les plus franges les plus adultes en quête d’action et d’émotions fortes : du sexe, de la baston, du sexe, de la baston, un peu d’intrigue, du sexe, de la baston, etc… Avec la recette Games of Thrones, les canaux TV privés à la HBO ont tiré le gros lot. Depuis, les concurrents se bousculent à la porte de la succession, heu… sans forcément faire recette. Tout le monde n’a pas le talent d’un GRR Martin (même revisité par une poignée de scénaristes moins bon que lui) pour amener des rebondissements à tiroir, ainsi que de la complexité et des méandres dans ses histoires (voir la saga du Trône de fer). Tout le monde n’a pas non plus le petit côté farceur de GRR pour jouer à la roulette russe sur ses héros principaux au moment où l’on s’y attend le moins.

Des clichés qui s’accrochent

Au milieu de tout ça, des constats un peu nuancés ? Il y en a forcément. Certes, de Thierry la Fronde aux dernières séries TV médiévales, les scénarios ont évolué pour introduire plus de valeurs modernes réactualisées dans les rétroviseurs déformants de leur Moyen Âge reconstitué. En plus de quelques rares tentatives timides « d’inclusivité » (le mot est lâché) sous l’impulsion première de l’influence américaine et anglo-saxonne, l’audience s’est aussi mondialisée.

Si les schémas narratifs ont évolué et les formes d’écritures se sont complexifiées – pour faire plus de place à la bande de héros, dans certains cas, qu’au héros solitaire – certains clichés ont la vie dure et restent, dans l’ensemble, assez peu revisités : le Moyen Âge est guerrier et violent, le Moyen Âge est sale, le Moyen Âge est « barbare », le Moyen Âge est ignorant, le Moyen Âge est en guerre permanente, etc… Il faut qu’il le soit pour coller aux attentes que les scénaristes se complaisent à renforcer. Une fois de plus leur métier n’est pas la vérité historique mais la fidélisation d’une audience friande de Moyen Âge et qui a des idées assez précises sur la friandise en question.

Pour parenthèse, sur le thème de la violence « légitimée » par les sociétés de production de séries TV sous couvert de période médiévale (« c’est pas nous, c’est le Moyen Âge »), je dois avouer que j’ai été interpelé par l’image d’une femme médiévale qu’une majorité de séries semble présenter d’après l’auteur(e) comme brutalisée ou abusée sexuellement dans un nombre vertigineux de séries. Le pire étant que cela est fait dans une perspective présentée comme aussi banale qu’initiatique. Ie : « l’abus sexuel comme le mode d’emploi le plus sûr pour devenir une femme forte au Moyen Âge ». C’est en effet assez inquiétant et n’étant pas suiveur d’un nombre aussi vertigineux de séries médiévales (et même de séries tout court), j’avoue que la chose m’avait échappé. (2)

Un mot de conclusion

L’exercice universitaire consiste toujours à penser la complexité sans chercher à la réduire. Justine Breton connait bien son sujet, elle l’étaye par de nombreux exemples pour produire finalement un ouvrage de référence dans son champ d’exploration qui intéressera un public averti. Le Moyen Âge y est adressé en filigrane plus que véritablement délayé, dans une perspective d’analyse plus actuelle qu’historique mais l’objectif était clairement défini au départ : le propos reste bien la construction sérielle médiévale moderne et non l’histoire médiévale à proprement parler ; un exercice sur le fil donc, que la taille imposante du matériel approché et la volonté de synthèse a forcément conditionné. En contrepartie, le vaste corpus sériel est largement mis à profit et fournit l’occasion de nombreux exemples qui parleront, à coup sûr, aux amateurs de séries télévisées médiévalistes.

Pour le reste, comme annoncé plus haut, l’exercice du résumé demeurant limité, il faudra vous attaquer directement à ce « Moyen Âge en clair-obscur » de Justine Breton pour obtenir des clefs de lectures plus nuancées et plus complètes sur le monde médiéval des séries TV. Au passage, l’auteur(e) vous gratifiera d’une analyse de l’évolution historique des séries « médiévalisantes », des toutes premières du milieu du XXe siècle aux plus actuelles. De même, entre autres informations utiles, elle vous permettra de mieux comprendre l’ancrage littéraire shakespearien des productions anglo-saxonnes qui réglementent, tout de même, largement le marché étudié.

Avant d’aller plus loin, voici un lien pour acquérir l’ouvrage sur le site des Presses universitaires François Rabelais. Vous y trouverez également des vidéos complémentaires et des interviews de l’auteur(e).


Remarques sur le ciblage & le positionnement

Pour les producteurs/scénaristes des séries TV américains ou européens sur le thème du Moyen Âge, le jeu d’équilibre est devenu, quelquefois, un peu casse-tête. D’un côté, ils sont en butte avec la volonté de contenter une fraction du public moderne en attente de valeurs et de représentations, public quelquefois même activiste et militant (lobbying communautaristes, woke, cancel culture, etc… ). Dans certains cas, ces créateurs de séries ont peut-être même simplement pris le parti d’offrir des espaces d’identification à ces mêmes publics pour les conquérir et les rallier. Est-on face à une évolution massive des représentations par le bas ? Sur la frange la plus extrême de ces positionnements, ce n’est pas si certain. Au jeu de la systématisation, voire de quotas appliqués à chaque série, quelques histoires récentes du côté de Disney, de Budweiser et même de Netflix semblent avoir démontré que le matraquage répété d’un certain « progressisme idéologique » ne fait pas toujours bon ménage avec les goûts du grand public.

D’un autre côté et pour des raisons mercantiles évidentes, ces mêmes producteurs et scénaristes ne peuvent évidemment pas se départir de leur volonté de rallier le plus grand nombre, tout en ménageant une évasion dépaysante et hors les murs qui « fasse Moyen Âge », autrement dit qui colle aux représentations collectives sans les chambouler, au risque de ne plus rencontrer l’adhésion du public cible ou des fan base (moteurs économiques de ces séries). Réinventer le Moyen Âge à la lumière des exigences politiques ou des pressions idéologiques modernes, en maintenant quelques bonnes vieilles arcanes à l’ancienne, quitte à en renforcer les préjugés ? Séduire les uns, sans faire fuir les autres ? Voilà de quoi donner la migraine. Si l’on ajoute à tout cela, l’évolution des technologies (distribution massive sur internet, streaming, etc…) et l’ambition de politiques de distribution visant à conquérir une audience occidentale au sens large, et même au delà mondiale, une dimension supplémentaire s’ajoute à la problématique qui ne va pas pour la simplification du ciblage.

Si l’exercice n’est pas toujours dénué de contradictions, il semble qu’entre les lignes, l’auteur(e) elle-même ne cherche pas véritablement à s’en abstraire : de la frustration exprimée d’un trop peu de Moyen Âge réaliste à celle d’une modernité perçue comme trop voyante ou, à l’opposé, de valeurs modernes attendues mais qui ne viennent pas (ou pas suffisamment) là où on les attendrait, quitte à accepter une certaine distance d’avec la réalité historique.

Pour brasser un corpus où l’originalité se laisse souvent supplanter par la monotonie, on peut, bien sûr, comprendre certaines de ses attentes. Toutefois, du point de vue d’une partie importante du public, le sujet de l’inclusivité/diversité reste sensible et polémique à bien des égards, sinon même politiquement glissant. Il est même au cœur d’une lutte idéologique brûlante d’actualité qui divise et oppose conservateurs et progressistes du monde occidental (et au delà), et qui renvoie aussi, dos à dos, influences culturelles récentes, voire exogènes (ie : outre-Atlantique) et modèles endogènes traditionnels encore vivaces. Dans ce contexte, difficile pour le chercheur de reprendre à son compte certains de ces thèmes, sans se positionner de fait, voire sans donner l’impression d’en faire une certaine promotion, au risque de se mettre, au passage, dans la situation peu confortable de compter les points des absences ou des trop pleins (3).

Si ces questionnements sont loin d’occuper tout l’ouvrage, ils ne seront sans doute pas du goût des lecteurs de tous bords. Il leur restera alors à considérer que ce positionnement témoigne de réflexions politico-philosophiques modernes à l’œuvre dans nos sociétés, comme dans certains courants universitaires actuels. Puisque diversité il y a, on peut aisément concevoir que des questions se posent autour de son traitement même s’il faut aussi constater qu’en matière d’Histoire comme de contes ou de littérature classiques, certaines revisites restent très mal reçues par les franges les plus conservatrices du public, qui peuvent même, quelquefois, les percevoir, quand elles se généralisent, comme des formes déguisées de provocation.

Autres réflexions et questionnements

En ce qui nous concerne, des questions toute autre nous sont venues à l’esprit à la lecture de l’ouvrage, notamment en terme d’approche comparée, non point dans le seul champ des séries télévisées médiévalistes, mais dans celui, plus large des séries TV. Ces interrogations touchent sans doute plus aux domaines de la sociologie et de l’anthropologie mais nous les livrons ici pour réflexion, tout en étant conscient qu’elles supposeraient d’élargir le corpus, pour l’approcher sur une autre forme, voire même avec d’autres outils méthodologiques. Il pourrait être intéressant de les poser directement à l’auteur(e) mais qui sait ? L’avenir nous le permettra peut-être.

Hero’s journey, acculturation et Moyen Âge importé ?

Quid de similitudes entre certains modèles d’écriture redondants soulignés dans l’ouvrage et certains procédés en usage dans un bon lot d’autres séries/fictions ? Le célèbre « monomythe » de Joseph Campbell et son « Hero’s Journey » ont, semble-t-il, fait recette chez les scénaristes américains (et même de notre côté du monde puisqu’Alexandre Astier, lui même avait dit s’en être inspiré). Dans un certain nombre de remarques adressées au modèle de l’itinéraire du héros de la série médiévaliste, il nous semble en retrouver clairement la trace.

Toujours sur fond d’anthropologie ou de sociologie critique, qu’en est-il des influences anglo-saxonnes débordantes sur les fictions télévisuelles et leurs narratifs et donc de la part d’acculturation ou « d’impérialisme culturel » dans l’ensemble de ce corpus ? Qui vient nous dire ce que doit être le Moyen Âge ? Comment il doit évoluer, ce qu’il doit désormais inclure ou exclure ? Qui y projette ses idéologies, ses créatures fantastiques, ou ses démons ? De quelle société est-il vraiment le miroir ? Qui tient, encore une fois, les rennes des définitions ? Correspondent-elles véritablement à nos modèles culturels et nos questionnements historiques et sociaux ? Dans le même registre, les mécanismes d’identification aux modèles et aux problématiques sociales, communautaristes, raciales, culturelles outre-Atlantique ne finissent-ils pas par arriver plus vite dans nos sociétés que l’évolution des représentations médiévales elles-mêmes ?

Ecriture de classes et moyens de distanciation ?

Sur un registre un peu différent (quoique) : dans la construction de ces séries ne peut-on voir à l’œuvre un modèle (néo)libéral sous-jacent, peut-être même l’existence d’une « écriture de classes » appliquée à la série médiévale comme à d’autres thématiques ?
En somme, « pouvoir, argent, faste, réussite sociale, conquête, guerre » restent souvent les thèmes idéologiques moteurs, avec un peu de romance pour habiller tout le monde et une main tendue vers la veuve, l’orphelin et le bon peuple pour le côté chevaleresque. Or, n’y a-t-il pas certaines convergences entre le héros nobiliaire des séries médiévales et le héros libéral bourgeois de certaines séries TV plus modernes (aisance financière et capitalistique, aisance dans la consommation, aisance dans le transport, mais encore instrumentalisation similaire des classes populaires et des personnages d’arrière-plan : le tavernier bavard vs Huggy les bons tuyaux, l’indic, l’informateur, ou encore le forgeron surdoué vs le type qui refile des gadgets à la cool à James Bond ou à Batman ? En pensant à tout cela, nous avons en tête l’ouvrage d’un sociologue des années 70-80 qui traitait justement des feuilletons télévisés américains sous cet angle sociologique de classe dont nous n’avons pas encore retrouver la référence.

Dans la série des questions qui viennent encore à l’esprit : si on a bien compris que, dans la course aux produits sériels « goût Moyen Age », la recherche d’une certaine consistance historique ne supplante que rarement l’exercice du divertissement : qui sont les auteurs et quels sont leurs moyens en terme de distanciation ? Se documentent-ils vraiment sérieusement et avec quel degré d’exigence sur la question historique ? Font-ils de l’idéologie ou reproduisent-ils simplement des préjugés qui se colportent sur le monde médiéval ? Dans la même veine, quand il y a des conseillers historiques quels sont leur véritable statut ? Décorum, costume, cohérence relative ? Ont-ils une incidence réelle sur les narratifs ou ne servent-ils que de caution ? (4). On boucle un peu, mais une fois de plus, il serait intéressant d’approcher en détail la question de qui finance et qui écrit, mais aussi de se plonger de plus près sur ces terrain là, pour mieux comprendre les processus de création de l’intérieur (contraintes et figures imposées aux auteurs, dimensions collective ou individuelles des processus d’écriture, nature des représentations, indicateurs et critères de mesure d’un scénario réussi, etc,…).

Roman national et séries historiques hors occident

Enfin, on analyse bien ici des productions occidentales mais une analyse culturelle élargie pourrait sans doute être pertinente. Si l’on se penche du côté de certaines séries télévisuelles asiatiques ou même de long métrages japonais, coréens ou chinois sur la période médiévale, on verra que le narratif colle souvent à des partis-pris plus proches du « roman national ». L’universalisme ou l’individualisme ne semblent pas se tenir au centre de tous ces narratifs, voire même plutôt moins que plus. Cela soulève de fait une autre question : cet exercice de valorisation « collective » ou de recherche d’une certaine cohésion sociale par l’histoire fictionnelle est-il devenu ringard ou même tabou à tout le moins, dans les pays de la zone européenne qui ont vécu directement le Moyen Âge ? S’est-il dilué dans d’autres objectifs idéologiques (universalisme, européisme, atlantisme, etc…) ? Et pour finir, à quelques exceptions près (ex : kaamelott) vivons-nous dans un Moyen Âge imaginaire, par regards interposés et qui n’obéit plus qu’à des agendas hors de notre portée ?

En terme sociologique, il nous semble que ce sont autant de questions qu’il pourrait être pertinent d’adresser même si, encore une fois, elles débordent du strict contexte du médiévalisme que s’était fixé l’auteur(e) de l’ouvrage présenté ici.

 En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

(1) Le médiévalisme a quarante ans, ou « L’ouverture qu’il faudra bien pratiquer un jour », Vincent Ferré, dans Moyen Âge en séries, Médiévales 78, éd. Alban Gautier (2019)

(2) Après et c’est une question plus large sur le thème générique de la violence dans les séries, mais les sociétés de production ont-elles vraiment besoin faire appel au Moyen Âge pour légitimer ou satisfaire le goût de l’horreur et de la violence débridée ? Il semble que les séries sur les serial killers, les zombies et autres joyeusetés ont allégrement ouvert la marche.

(3) Cf l’impossible neutralité du chercheur dans le champ des sciences humaines

(4) Des médiévistes comme Jacques le Goff ou Michel Pastoureau ont servi comme conseillers et donc comme caution historique sur le film « le Nom de la Rose » de JJ Annaud), construction magistrale mais qui reste assez caricaturale et a sans doute beaucoup contribué aux préjugés sur un certain Moyen Âge inquisitorial. En réalité, il semble que leur rôle se soit limité en grande partie qu’au décorum (architecture, gestuelle,… représentation des paysans, …). Pas question d’infléchir le scénario ou d’avoir un mot sur tout donc. Il y a quelques années, nous avions été, nous-même contacté par des scénaristes de BD ainsi qu’un illustrateur pour deux BD sur le Moyen Âge. On nous promettait même de nous citer abondamment dans les crédits en contrepartie. Quand nous questionnions le réalisme du scénario ou ses aspects caricaturales en général, les remarques n’étaient, en général, pas suivi d’effets. En revanche pour les costumes, les couleurs, les décorum on attendait notre caution, un peu comme un accessoiriste finalement ou un guide visuel. Devant l’irréalisme, les poncifs et le délire de certains scénarios , nous avons préféré retiré nos billes, plutôt que nous y trouver associé.

Expo-conférence : Des femmes et des sorcières au kbr Museum

Actualité du KBR

Sujet : conférences, exposition, manuscrits médiévaux, ducs de Bourgogne, enluminures, Belgique médiévale, représentations médiévales, sorcières.
Période : Moyen Âge central à tardif
Expo-conférence : Sorcières avant la lettre
Lieu : KBR Museum,  Mont des Arts 28, Bruxelles, Belgique
Dates : du 26 octobre au 24 avril 2022

Bonjour à tous,

ous vous avons déjà parlé, ici, du KBR Museum de Bruxelles et de sa belle collection de manuscrits médiévaux de la Bibliothèque des Ducs de Bourgogne (voir article sur le Brussels Renaissance Festival).
Depuis un mois et jusqu’au 24 avril 2022, la prestigieuse institution belge (connue, par le passé, sous le nom de Bibliothèque Royale), a décidé de présenter au public une nouvelle série d’ouvrages de cette collection, le tout enrichie de conférences.

Des sorcières au Moyen Âge ?

Avec pour titre « Sorcières avant la lettre » le thème choisi est de ceux qui fascinent. Il interpelle particulièrement quand on sait que la période ciblée, pour cette exposition, est celle des manuscrits, soit le XVe siècle et le Moyen Âge tardif. Or, nous le savons bien aujourd’hui, l’idée de sorcières et de bûchers à perte de vue, durant les temps médiévaux, est tout simplement fausse même si ce préjugé a la vie dure. S’il perdure même encore dans l’esprit du grand public, la réalité est tout autre. Historiquement, la chasse aux sorcières et la plupart des faits et légendes autour de ce personnage féminin emblématique sont plus tardifs ; les terribles procès et exécutions ont, notamment, connu leur acmé au XVIe et même au XVIIe siècle.

Si le thème de la sorcière tel qu’on se le représente le plus souvent n’est pas médiéval, le cycle expo-conférence du KBR Museum entend, comme son nom l’indique, interroger sa présence à l’aube de sa cristallisation. Il sera donc question de remettre les pendules à l’heure, tout en cherchant à amener une idée plus objective de la femme et son statut dans la Belgique et la Bourgogne du Moyen Âge tardif. Des réalités quotidiennes aux représentations les plus imaginaires, les 30 manuscrits sélectionnés et leurs enluminures permettront d’approcher cet ensemble de représentations complexes. Au passage, le public découvrira d’étonnantes incarnations, fantastiques et surnaturelles, que la femme a pu endosser à la fin du Moyen Âge. Sur les aspects religieux, on ne pourra, non plus, éviter l’image de la Vierge et l’importance du culte marial.

Enluminure médiévale sur l'image de la femme
Enluminure du ms 9228 – Legenda aurea (VF), J. de Voragine. trad J. de Vignay, KBR Museum

Programme des conférences

Dans la continuité de l’exposition, les conférences permettront d’approfondir le thème en interrogeant elles-aussi le (ou les) statut(s) de la femme et de la sorcière au Moyen Âge tardif.

Conférences en langue française

Samedi 27 nov. 11h00 – KBR auditorium
Féminismes & sorcières : histoire d’une idylle et d’une exposition, Valérie Piette et Nathalie Lévy (commissaires de l’exposition « Witches! »)

Samedi 11 déc. 11h00 – KBR auditorium
La construction de l’image de la sorcière au Moyen Âge,
Maxime Gelly-Perbellini (EHESS et ULB)

Samedi 18 déc. 11h00 – KBR auditorium
La « chasse aux sorcières » à l’écran : entre discours féministes et antiféministes, François Dubuisson (ULB)

Samedi 15 jan. 11h00 – KBR auditorium
Christine & the Bitches… La querelle des femmes au XVe s, Tania Van Hemelryck (UCLouvain)

Conférences en langue flamande

Samedi 4 déc. 11h00 – KBR auditorium
Heksen, horror en hoeren? Over de werkelijkheid achter de verhalen van vrouwen in de « donkere middeleeuwen » Jelle Haemers (KU Leuven)

Samedi 29 jan. 11h00 – KBR auditorium
Vrije/Vrijende vrouwen in de Zuidelijke Nederlanden, Jonas Roelens (UGent)

Pour toute information et réservations sur l’expo ou les conférences, consulter la page de l’exposition sur le site du KBR Museum.

Enluminure médiévale sur des femmes sirènes, ms 9242
L’Enluminure de Bavon de Phrygie, dans le ms 9242 – Volume 1 des Chroniques de Hainaut

« Witches » : les sorcières à travers les âges

Ce cycle qui aborde le statut de la sorcière au Moyen Âge tardif, entre représentations et réalités, est réalisé en partenariat entre le KBR Museum et l’ ULB Culture. Il est avantageusement complété par une grande exposition intitulée « Witches » et proposée à l’Espace Vanderborght de Bruxelles (50, Rue de l’Ecuyer).

Sabbat, Albert Joseph Penot. 1910 (détail)

Du 27 octobre 2021 au 16 janvier 2022, cette exposition unique se propose de vous faire découvrir les sorcières à travers les âges, au moyen de 400 documents de toute nature. On y trouvera une large sélection qui va d’œuvres d’art à des documents d’archives, en allant jusqu’à des objets ethnographiques et extraits de films. Amateurs de Moyen Âge et de sorcières à tous les étages, la chose est claire : entre conférences, beaux manuscrits et grande exposition, vous avez désormais trois excellentes raisons de vous rendre à Bruxelles dans les mois qui viennent.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Sur les bûchers au Moyen Âge voir La Légende noire de l’Inquisition.
Sur une femme surnaturelle, voir Odes à Mélusine, fée Bâtisseuse.

NB : l’enluminure en tête d’article est tiré du ms 9242 conservé au KBR Museum et daté du XVe siècle. Ce somptueux manuscrit médiéval de la Bibliothèque des Ducs de Bourgogne (à consulter en ligne ici) est le tome 1 des Chroniques de Hainaut. Ecrites en latin par Jacques de Guise et traduites en langue d’oïl par Jean Wauquelin, ces dernières content sur 3 volumes l’histoire du Comté de Hainaut jusqu’à la fin du XIVᵉ siècle. Les enluminures de ces trois manuscrits anciens sont réalisées par Roger de Le Pasture. Celle du jour représente les déboires de Bavon de Phrygie, fondateur du royaume des Belges, qui ayant pris la mer avec les rescapés pour échapper à la déroute de Troyes, voit son embarcation assaillie par deux monstrueuses sirènes.

Conférence monde médiéval : les procès faits aux animaux avec Michel Pastoureau

conference-moyen-age-monde-medieval-proces-animauxSujet   : procès, animaux, monde médiéval, anthropologie histoire, histoire médiévale, Moyen Âge chrétien
Période : Moyen Âge et  siècle suivants
Vidéo-conférence : Les procès faits aux animaux (du XIIIe au XVIIe siècle)
Intervenant : Michel Pastoureau
Conférence : Archives départementales de la Vienne,    avril 2019

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionmateur d’histoires insolites, cette vidéo-conférence de Michel Pastoureau sur les procès faits aux animaux, du Moyen Âge central aux siècles suivants, pourraient bien vous distraire. Attention, toutefois, l’historien donne  très vite le ton ici : s’il peut nous faire sourire, le sujet doit être pris très au sérieux.  Il fait partie, des mots même du médiéviste, de la grande Histoire et, sous l’apparente trivialité, pas question de laisser l’anecdotique, ou pire,  un deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonssensationnalisme à la mode,  prendre le pas. Ces questions interrogent, en profondeur, les sociétés médiévales et renaissantes dans leurs rapports à la justice, dans leurs rapports homme animal et dans leurs représentations, ,…

Vous l’aurez compris, nous sommes bien au cœur d’une anthropologie historique et culturelle moderne qui vise à approcher le monde médiéval et ses mentalités dans toute leur complexité. Bien sûr,  nous l’avons dit, le sujet autorise tout de même, quelques sourires entendus dont l’historien lui-même, qui ne manque pas d’humour, ne se privera pas au long de sa conférence.  Voici un digest de cette dernière.

Les procès faits aux animaux.

Du XIIIe au XVIIe siècle (de 1250 à 1650), on juge les animaux pour divers crimes en France. Selon Michel Pastoureau, cette vague de procès pourrait correspondrait, en partie, au développement d’une forme de justice ecclésiastique  ayant tendance à se généraliser à la même époque. Dans le même temps,  il reconnait, toutefois, que cette dernière n’est alors pas la seule  à rendre des jugements :  durant la même période, les justices royales et civiles en produisent aussi.

Pour ce qui est de la fin du phénomène, dans le courant du XVIIe siècle, elle  semble toucher, tout à la fois, le souci d’optimiser l’utilité des actions de justice (en les réservant aux hommes), mais encore des raisons ayant trait aux représentations concernant les animaux (non souffrance, inutilité des supplices, …).

Vidéo-conférence de Michel Pastoureau  – les procès aux animaux

Différentes catégories de procès

Le chercheur médiéval distingue   différentes catégories de procès menés a l’encontre des bêtes.

1/ Les procès faits aux animaux pris en groupe,
principalement par la justice ecclésiastique

proces-hanneton-moyen-age-chretien-excommunication-monde-medievalRongeurs, batraciens, vermine, insectes, … Dans cette première catégorie, se  rangent  principalement les petits animaux, comme ces hannetons que l’évêque de Troie sommera, en 1516, de quitter son diocèse sous peine d’excommunication ou encore, quelques années plus tôt, ces anguilles du lac Léman ayant eu l’outrecuidance de se reproduire à l’excès. C’est, cette fois, l’évêque de Lausanne qui s’en mêlera pour tenter de ramener les anguilles à la raison. Que les bêtes laissent un peu de place aux feras,  perches et autres blancs dont vivent les hommes et les pécheurs autour du lac ! Peine perdue. Ce sera l’escalade… Et comme les anguilles resteront sourdes aux demandes de l’homme d’église, il se verra lui aussi contraint de les excommunier,  les expulsant ainsi et sans délai, de la communauté chrétienne.

2/ Les procès faits aux animaux domestiques et de plus grande taille par la justice royale ou civile

Ici, les animaux jugés seront de plus grande taille : cochons (en quantité), ânes, bœufs ou chiens, ayant causé des accidents ou s’étant rendus outrageusement coupables de vandalisme ou autres crimes et délits.  Dans quelques cas, il semble qu’ils puissent  être simplement coupables de ne pas avoir accepté, de bonne grâce, la charge de travail qui leur incombait ? Et on aura peut-être, une pensée (moderne)  émue pour ce bœuf de Toulouse qu’on  décapita, en 1415, pour avoir « démérité ». Quoiqu’il en soit et pour divers motifs, on conduit ces animaux, individuellement, aux tribunaux civils et, une fois leur cause « entendue » et jugée, on les châtie : on peut les exécuter sans ambages ou même d’autres fois, les gracier.

3/Les procès en hérésie, sorcellerie et bestialité

Comme on le sait (ou comme on l’ignore), la sorcellerie et les procès dans cette matière sont des affaires bien plus renaissantes que médiévales : sabbats, histoires d’adoration d’animaux en manière d’adoration du diable, mais encore bestialité et commerce contre-nature entre hommes et bêtes, tout cela donnera lieu à des condamnations qui frappent les uns et les autres, hommes et bêtes  (fréquemment sous couvert de délation). Ces affaires forment le dernier type de procès faits aux animaux que Michel Pastoureau identifie sur la partie la plus tardive de la période étudiée.

Géographie et fréquence

deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonsAprès nous avoir présenté ces catégories, l’historien détaillera ses sources, du côte de leur répartition géographique. Les Alpes semblent alors un foyer privilégié bien que non exclusif de ces actes judiciaires qui peuvent nous paraître, aujourd’hui, si étranges. Étonnamment, on notera que, quelque temps plus tard, les procès en sorcellerie suivront, en partie, cette même géographie en s’accrochant aux montagnes et aux mêmes provinces.

Contrairement aux idées reçues pourtant, en nombre, ces  procès faits aux animaux resteront relativement rares. En suivant le chercheur, peut-être faudrait-il y voir une démonstration symbolique ? Entendons, une forme de théâtralisation de l’action judiciaire ou, au moins, la volonté de mettre en scène une justice toute puissante qui s’exercerait, sur tous, avec une égale magnanimité.

Le porcs au cœur   des procès

Neuf fois sur dix, les animaux concernés sont des porcs. Ils sont alors nombreux à vaquer dans les villes comme dans les campagnes, glanant leur nourriture, en semi-liberté. En milieu urbain, ils aident aussi à éliminer les ordures et les détritus. De fait par cette omniprésence, autant que par leur nature fouineuse et leur régime omnivore, ils finissent fatalement par commettre plus d’actes de vandalisme et sont la cause d’incidents plus fréquents. Michel Pastoureau étendra son raisonnement de la simple statistique à la proximité anatomique et biologique entre le porc et l’homme. Selon lui, le porc aurait été également victime de ce cousinage avec les humains et c’est aussi cela qui lui aurait ouvert la porte des tribunaux. N’étant pas si éloigné de la gente humaine, on  aurait  ainsi pu trouver acceptable qu’il fut jugé.

La  Truie de Falaise

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Illustration représentant l’affaire de la truie de Lavegny, en 1457, qui, avec ses 6 porcelets, aurait dévoré un enfant « The book of days: a miscellany of popular antiquities ( 1869)

Suivant encore, de près, le fil de cette conférence, l’historien nous contera l’histoire, plutôt   gore, de  cette truie de Falaise qui, en  1386,  renversa le   berceau de deux enfants en bas âge, en les tuant sur le coup. Non contente de son forfait, l’animal dévora,  en partie, le cadavre du plus jeune. Condamnée à mort par le bailli de Falaise, après une procès en bonne et due forme, la truie fut traînée par les rues, pendue, puis brûlée, ses cendres dispersées. Étrangement, le supplice lui fut administré après qu’on l’ait vêtu d’habits féminins, sous l’œil d’une foule, sans doute, venue nombreuse y assister. On aurait même alors demandé aux paysans présents à l’événement de s’y présenter avec leurs propres cochons, afin que ceux-ci retiennent à plein la leçon.

Les rapports hommes animaux en tension
dans le Moyen Âge chrétien

Pour conclure ce riche tour d’horizon de son sujet, Michel Pastoureau se penchera sur la, ou plutôt les, pensées chrétiennes et médiévales régissant les représentations homme/animal. Deux courants théologiques et philosophiques coexistent en effet. Le premier différencie clairement le règne de l’homme et de l’animal. C’est le plus classique. Face à lui, un autre courant prône l’idée d’une « communauté des êtres vivants » et celle d’un animal « enfant de Dieu ». Selon le chercheur, ces deux conceptions auraient animé les débats entre juristes et théologiens autour de ces procès  : les animaux peuvent-ils souffrir ? Ont-il une âme semblable à la notre ? deco-medievale-enluminures-proces-animaux-cochonsPeuvent-ils différencier le bien du mal ? Y-a-t-il des animaux supérieurs ?

Toutes ces questions vont être en opposition jusque dans les idées d’animaux machines  et il faudra attendre le XVIIIe siècle et l’Ecosse pour voir la naissance des premières sociétés protectrices d’animaux de l’histoire. Ce sera pourtant loin de consacrer nos vues modernes sur ces questions qui, disons le, demeurent, dans la pratique, toujours contradictoires. D’ailleurs, en creusant un peu, cette duplicité de vue médiéval pourrait très bien y  être encore   à l’oeuvre, soit qu’on considère l’homme comme faisant partie du règne animal, soit qu’on le place largement au dessus.

Notion de responsabilité juridique

A défaut de vues philosophiques partagées sur ces questions dans nos sociétés, la seule chose sur laquelle on semble être parvenu à un consensus est juridique et légale. Elle concerne la responsabilité directe du propriétaire de l’animal sur les dégâts que ce dernier pourrait occasionner. Comme on l’aura remarqué, elle  n’est  pas  en question dans ces procès des temps anciens que nous pouvons, aujourd’hui, trouver insolites. Du reste, une certaine littérature satirique d’époque en avait déjà relevé la nature cocasse et ne s’est pas privée de moquer ces actions en justice .  Michel Pastoureau nous le rappellera, ici, en évoquant  le goût du public médiéval pour les fables ou les   ysopets, mais aussi  le procès fait à Goupil dans le   Roman de Renard.

De nos jours, il arrive encore que la justice juge et condamne des animaux.

Voir nos autre articles au sujet de Michel Pastoureau.

En vous souhaitant une excellente journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.