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Histoire des châteaux-forts & techniques de siège médiévales 4

index des autres articles sur le sujet
1. Naissance des châteaux-forts
2. Du bois vers la pierre
3. Mottes, forteresses de bois et techniques de siège

4. XIIe, XIIIe siècles
L’ÂGE D’OR DES CHATEAUX-FORTS

« Sur un territoire couvert de châteaux fortifiés occupés par des seigneurs turbulents, audacieux, la guerre était et devait être à l’état chronique. D’ailleurs, celui qui possède une arme n’attend que l’occasion de s’en servir, et la provoque au besoin. De même celui qui possède une forteresse ne vit pas sans un secret désir de la voir attaquer, ne fût-ce que pour prouver sa puissance. »
Eugène Viollet Le Duc,
Dictionnaire Raisonné de l’architecture française, 1856

N_lettrine_moyen_age_passionous voilà donc rendu dans le courant du XIIe siècle. Aux points de tensions les plus forts, à la faveur de la disponibilité du matériau mais aussi de la capacité des seigneurs les plus fortunés et les plus aptes à s’entourer d’experts dans la construction, les fortifications de pierre viennent peu à peu se substituer aux palissades de bois des siècles précédents. Bien sûr, les disparités régionales commandent et, comme nous l’avons déjà dit dans les articles précédents, on construira encore longtemps des mottes castrales de terre et de bois. Certaines continueront même d’être occupées durant plusieurs siècles, sans être fortifiées par la pierre.

chateau_fort_histoire_medievale_guillaume_conquerant_normandieA la faveur du tassement de la terre, il faut quelquefois attendre plus de cinquante ans pour pouvoir  jucher une haute tour  de pierre sur une butte, mais on admet généralement que dans le courant du XIe siècle, on commencera gra-duellement à ériger des donjons en pierre sur de nombreuses mottes castrales en lieu et place des tours de bois. Graduellement, les murailles défensives, entourant cette grande tour – et même celles de la basse-cour quand on le peut – seront elles-mêmes construites dans ce matériau bien plus résistant au feu que le bois. Quand l’espace et le diamètre de la butte castrale à son point le plus élevé le permettra, on construira aussi, directement sur la motte de véritables châteaux. (photo ci-dessus château Guillaume le Conquérant, ou château de falaise, un des premiers châteaux normands en pierre, sa construction s’étale du Xe au XIIIe siècle)

En l’absence de place sur la motte  pour y construire tous les édifices utiles au seigneur, les bâtiments connexes pourront aussi venir s’appuyer contre la butte même comme à Windsor. Dans d’autres cas encore, on désertera tout simplement les mottes castrales pour des endroits plus accessibles et plus spacieux sur lesquels on s’installera à la faveur de la sécurité qu’offre la pierre. Au fond, même si l’élévation reste appréciée pour les avantages défensifs qu’elle confère, avec l’usage plus systématique de la pierre, la possibilité est aussi offerte d’élever des remparts  bien plus hauts et bien plus résistants. De fait, même si l’on continuera à jucher des châteaux sur des hauteurs ou des promontoires durant ce siècle, l’élévation du terrain ne sera peut-être déjà plus une donnée aussi sensible pour la construction de telles forteresses, fait que l’avènement de l’architecture philippienne viendra encore consacrer.

« Enchâtellement » et monde féodal

Château-Gaillard, XIIe siècle, le château d'un roi d'Angleterre au coeur de la Normandie
Château-Gaillard, XIIe siècle, le château d’un roi d’Angleterre au coeur de la Normandie

En réalité, il faut bien encore le répéter, aucune généralité ne convient vraiment quand il s’agit de dépeindre l’histoire des châteaux-forts et l’Histoire de ces terres de France qui se fortifient durant le moyen-âge central; l’architecture médiévale défensive reste hétérogène parce que ses avancées sont avant tout commandées par la loi du contexte, des moyens et ressources en présence, et encore de la nécessité. Les donjons de pierre ou les châteaux de pierre existent déjà dans certains endroits depuis le XIe siècle et on connait aussi les enceintes castrales, sans même parler des monastères ou des fortifications d’origines urbaines, villageoises ou religieuses. Tous les châteaux sont loin d’être à motte en ce début de XIIe siècle.  Malgré cette disparité, une vérité semble aujourd’hui indéniable, durant ce siècle comme celui qui le suivra, on verra les châteaux ou les donjons de pierre se multiplier. « L’enchâtellement » se poursuivra donc et ce maillage du territoire par des édifices défensifs et des seigneurs vassalisés connaîtra encore de beaux jours. La féodalité n’est pas encore à son automne même si Philippe Auguste s’emploiera à la mettre à mal pour renforcer sa couronne et avec elle, le pouvoir du roi sur les terres de France et sur les grands vassaux. (ci contre architecture_defensive_histoire_medievale_chateau_fort_l_age_d_orchâteau de Lassay, Loire, construction du XIIe au XVe siècle. Comme bien d’autres châteaux, ce bel édifice est construit en lieu et place d’une ancienne motte.)

Quoiqu’il en soit, avec l’avènement de la pierre, quelques hommes juchés sur un rempart ou un tour de pierre pourront ainsi défendre de manière encore plus efficace le territoire mais surtout le seigneur qui occupe le château et y vit. Les temps où une poignée d’hommes déterminés pouvait mettre en échec une motte castrale sont en recul et les châteaux forts entrent dans leur âge d’or. Le simple feu désormais ne suffit plus et,  du point de vue des techniques de siège, il semble désormais que sans alliés dans la place prompts à trahir le maître des lieux, seul le blocus du château-fort en lui coupant les voies de communication, ou même une armée forte et experte en travail de mines ou dotée d’engins de siège puisse faire échec à ces édifices. Pour les assaillants les plus empressés, il faudra même faire appel à de plus gros engins de siège que les simples catapultes afin d’en venir à bout .

Quand le château de pierre fait le seigneur

« Si l’on en juge par les comptes de l’Échiquier anglais, de telles constructions en pierre étaient très coûteuses. Seuls les grands princes pouvaient en assumer les frais. Leur multiplication est un signe d’un renforcement du pouvoir monarchique en Occident. Tandis que s’opérait cette révolution, la masse des seigneurs continuait à vivre dans des châteaux périmés. Certains élevaient encore des mottes – désormais quadrangulaires – dans la première moitié du XIIIe siècle. S’épuisant à moderniser leur demeure, beaucoup étaient entraînés dans un processus de déclassement qui touchait en même temps le lignage et le bâtiment. »
Michel Bur. Château Fort, Universalis

D’un point de vue sociologique et pour faire écho à Michel Bur sur ces questions, durant les siècles précédents, là où quelques hommes et paysans, rangés aux côtés d’un seigneur ou d’un vassal (même de prestige modeste), pouvaient construire en quelques temps une motte castrale, une tour ou une palissade de bois, l’ère des châteaux de pierre marquera encore la distance, à l’intérieur même de la classe des seigneurs, en permettant aux plus puissants et riches d’entre eux de se distinguer de leurs pères par le prestige tout autant que l’efficacité défensive du château de pierre.

L’architecture philippienne et les nouveaux standards d’un roi bâtisseur pour les châteaux

Le Louvre de Philippe Auguste (XIIe, XIIIe siècle), pionnier de l'architecture philippienne
Le Louvre de Philippe Auguste (XIIe, XIIIe siècle), pionnier de l’architecture philippienne

Dans le courant de ce XIIe siècle, le roi de France, Philippe Auguste, lancera  la construction du Louvre. (ci-dessous portrait de Philippe-auguste par Louis-Félix Amiel, XIXe, Château de Versailles). Il en profitera pour formaliser et synthétiser, avec ses bâtisseurs, les standards de tout bon château-fort qui se respecte; l’architecture chateaux_architecture_medievale_philippienne_philippe_auguste_moyen-age_passionque l’on nommera de son nom « philippienne » verra alors le jour: murs à créneaux et courtines, chemin de ronde cintrant l’édifice et courant sur les murailles d’une tour à l’autre permettant de les protéger plus efficacement, porterie et corps de garde solidement plantés à l’entrée et défendant l’accès principal, trouées d’archères dans les tours ou les murs, tours flanquées aux angles des remparts, et présence d’un donjon qui, du centre de la forteresse, se déplacera bientôt sur l’un des angles. Le standard évoluera avec les successeurs de ce roi « bâtisseur » au très long règne, et influencera, indubitablement, les siècles qui suivront, rayonnant au delà des frontières du royaume, et notamment en Angleterre.

Château de Bodiam, Angleterre, XIVe, tribut tardif d'un chevalier anglais à l'architecture philippienne?
Château de Bodiam, Angleterre, XIVe siècle, tribut tardif d’un chevalier anglais à l’architecture philippienne?

Avec l’architecture philippienne, on admet généralement que la défense passera aussi de passive à active puisque la masse de la pierre ne sera plus la seule parti-prenante à la défense du bâtiment et, plus loin, du territoire.  Il ne s’agit plus, en effet, d’opposer simplement l’inertie de la matière et l’élévation aux attaquants: ouverts aux quatre orients et sis sur ses remparts, le château-fort pourra désormais protéger l’ensemble des terres qui l’entourent et les hommes juchés sur son  chemin de ronde ou embusqués dans son corps de garde, pourront par les dispositifs défensifs des tours et des murailles, autant par la circulation facilitée sur les courtines, défendre activement l’édifice. De fait, comme nous le suggérions plus haut, on se mettra même à construire les châteaux philippiens en plaine, sans nécessairement avoir à le jucher sur une hauteur.

Du XIIe au XIIIe siècles : continuité dans les innovations de l’architecture défensive

Maquette du Château de Dourdan, début XIIIe très bel exemple d'architecture philippienne, de fait propriété de Philippe Auguste
Maquette du Château de Dourdan, début XIIIe très bel exemple d’architecture philippienne, de fait propriété de Philippe Auguste

D_lettrine_moyen_age_passionans la série des innovations que ce siècle verra encore émerger, les architectes médiévaux privilégieront progressivement la tour ronde plutôt que la tour carrée parce qu’elle offre moins de prise aux projectiles. Cette nouvelle forme architecturale connaîtra un succès plus marqué lors du siècle suivant, même si en fonction des disparités culturelles on continuera dans certaines régions de privilégier le haut donjon résidentiel carré (Michel Bur, château fort, Universalis). Ce XIIe siècle verra aussi les mâchicoulis ou les bretèches commencer à s’ouvrir dans les hauteurs des murs de pierre, des porteries ou des remparts, pour remplacer progressivement  les hourds de bois. On ne démontra pas forcément ces derniers notamment quand ils forment
herse_chateau_fort_histoire_medievaleles supports des toitures sur le haut des tours  mais les nouveaux châteaux leur préféreront désormais, les mâchicoulis, bien plus résistants au feu mais aussi aux projectiles.

Du point de vue des porteries, on note l’émergence des herses (porticullis) et autres grilles de fer ou de bois, et les barbacanes à double porte renforcée qui peuvent être dotées d’assommoirs, viennent encore s’ajouter à la panoplie défensive (Jean Mesqui. La fortification des portes avant la guerre de cent ans). Enfin, dans le courant du XIIIe siècle et face aux progrès de l’enceinte, impulsée sous Philippe auguste, le donjon disparaîtra même dans un nombre important de nouveaux édifices et le logis du Seigneur sera alors construit dans la cour intérieure, appuyé sur l’une des murs d’enceintes. 

En définitive, l’image du château fort « type » que nous avons souvent en tête doit beaucoup aux innovations de ces XIIe et XIIIe siècles. Concernant le pont-levis, il faudra toutefois attendre la fin du XIIIe au début du XIVe siècle pour les voir émerger et se standardiser, même si les siècles précédents connaîtront déjà l’existence de ponts mobiles: « les ponts torneis » et les « postis ». (Eugène Viollet le Duc. dictionnaire raisonné d’architecture médiévale. sur les ponts). 

Château fort de Douvres, XIe siècle et suivant. Guillaume de Normandie, illustration du XIXe siècle. L
Château fort de Douvres, XIe siècle et suivant. illustration du XIXe siècle.  Place forte historiquement célèbre fortifiée par Guillaume de Normandie puis Henri II

L’héritage sarrasin et l’expérience acquise
au retour des croisades

Dans le courant de ce même siècle, les croisés reviendront de l’Orient, aguerris de dures batailles à l’issue pas toujours favorable, mais avec dans leurs bagages de notables améliorations des engins et des techniques de siège. Plus que d’une véritable révolution en matière de poliorcétique, on aura finalement renoué avec l’héritage gréco-romaine enrichi de la science des sarrasins. Et de la même façon qu’ils rapportèrent les écrits et le canon de la médecine du génial Avicenne et d’autres écrits de histoire_siege_chateaux_medievale_croisade_jerusalem_moyen-agesavants arabes, et avec eux Aristote, les croisés ramèneront aussi les progrès effectués sur les engins et techniques de siège, à la lumière des connaissances scientifiques et mathématiques sarrasines, et encore à la richesse des échanges avec ingénieurs italiens ou d’autres provenances qui se sont joints à eux sur le terrain des batailles. Connaissances certainement, mais expérience aussi, car les croisés reviennent aguerris par le fruit des combats, et tout cela aura permis d’éprouver à la fois la discipline militaire dans les sièges autant que leurs  stratégies d’attaque. (ci-dessus Godefroi de Bouillon (1058-1100) attaque Jerusalem, ‘Roman De Godefroy De Bouillon et de Saladin’, 1337)

Dans le même temps, ces croisades joueront en faveur des rois. En plus de renforcer le sentiment national et le pouvoir des rois, elles auront pour conséquence d’affaiblir la féodalité et la puissance des seigneurs qui auront pris la croix, puisque ces derniers quand ils n’y laisseront pas leur peau en reviendront bien souvent ruinés, ce qui renforcera leur dépendance vis à vis du trésor royal. Au final, l’ost qui tirera le bénéfice de toute cette expertise militaire semble bien l’armée du roi, même s’il faudra encore attendre le règne de Saint Louis qui poursuivra l’oeuvre de Philippe Auguste pour que la féodalité et le pouvoir des vassaux soient en plus net recul.

Première croisade, prise d'Antioche, source Bnf, manuscrit du XVe siècle
Première croisade, prise d’Antioche, source Bnf, manuscrit du XVe siècle

Trébuchets à contrepoids & Mangonneaux

C’est également autour de cette période du XIIe siècle que l’on verra émerger l’usage du Trébuchet à Contrepoids. Il est assez difficile de dater précisément son apparition durant les sièges mais on s’entend généralement sur le fait que c’est son usage qui impulsa la naissance de l’architecture philippienne et que c’est pour contrer cet engin trebuchet_architecture_medieval_chateau_fort_histoire_militairequ’il décida de formaliser et améliorer avec ses ingénieurs militaires l’architecture des châteaux-forts. L’ombre de la poule plane sur l’oeuf.

On peut lire, encore, en certains endroits, que le trébuchet était connu et utilisé dès le VIe siècle en Europe. Peut-être l’était-il de manière marginale? Cela reste à vérifier. Il semble en tout cas que son usage se soit généralisé dans le bassin méditerranéen autour du XIIe siècle. Dans le même registre, concernant cette redoutable machine de jet, certains historiens en avaient fait une invention française du XIIe siècle, mais à la lumière d’autres études, la version médiévale que nous connaissons de cet engin, semble bien n’être que l’importation tardive et l’adaptation d’une invention chinoise du Ve siècle avant Jésus Christ.

Capable de propulser des blocs de pierre de plus de cent kilos contre les murailles et les tours des châteaux, cet engin de siège impressionnant, pèche, toutefois, par son peu de maniabilité et la lenteur de sa cadence de tir; des variations plus légères et plus rapides sur le principe de la fronde avec contrepoids, verront le jour (bricoles) même si elles ne pourront pas rivaliser avec lui en matière de capacité de propulsion. On a fait également du Trébuchet un engin de siège représentatif de la guerre biologique médiévale. De la même façon en effet, que les défenseurs utilisaient les hourds ou les mâchicoulis pour jeter, entre autres choses, sur la tête des assaillants, immondices, excréments, et autres entrailles d’animaux dans l’espoir de les contaminer, le tir en cloche mangonneau_histoire_chateaux_forts_engins_siège_medievaldu Trébuchet aurait été utilisé pour projeter des cadavres infectés à l’intérieur des remparts de la fortification ou du château assiégé. Pas très ragoutant, forcément, mais c’était l’effet recherché.

Dans cette famille des engins de siège « mastodontes », il y aura encore le mangonneau qui, par un système complexe de contrepoids, compensera certaines limites du trébuchet. Mais il reste que ces deux engins supposent tout de même de mobiliser un nombre conséquent d’hommes pour les manipuler, les connaissances suffisantes pour les fabriquer ou les monter, et faut de mieux, les deniers pour les acquérir. Il n’est donc à pas à la portée d’un quelconque vassal.

Inquiétants mais pas suffisamment dissuasifs pour faire perdre la foi dans les châteaux

Aussi terrifiant soient-ils, ces engins de siège ne freineront pourtant pas la confiance que l’on pouvait alors avoir dans la pierre et dans l’efficacité stratégique des châteaux pour défendre les terres. Au contraire, le XIIe siècle est encore considéré comme l’âge d’or des châteaux forts et le siècle suivant verra encore s’élever nombre de ces édifices de pierre. Ils évolueront encore sous l’arrivée de la poudre et il faudra encore la conjonction de plusieurs facteurs pour que l’on cesse d’en construire et ceci fera l’objet d’un prochain article.

Voilà, c’est donc tout pour aujourd’hui, mes amis. Comme nous l’avions indiqué dans le début de cette série d’articles, notre prétention n’est pas encyclopédique, l’idée étant plutôt de jeter les bases de l’histoire des châteaux forts. En attendant le prochain article sur le sujet, et comme toujours, nous vous souhaitons une merveilleuse journée où que vous vous trouviez sur les terres de ce vaste monde.

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Mieux vaut honneur que honteuse richesse, une ballade d’Eustache Deschamps

poesie_medievale_satirique_eugene_deschamps_moyen_ageSujet : poésie médiévale, poésie satirique
Auteur : Eustache Deschamps, dit Morel (1340-1405)
Période : Moyen Âge central, XIVe siècle
Titre : Mieux vault honeur que honteuse richesce.

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous avons le plaisir de vous présenter Eustache Morel dit Eustache Deschamps, un autre grand poète du Moyen Âge: Enfant du XIVe siècle, témoin de son temps, on l’inscrit volontiers dans la lignée de l’archipoète, de la poésie goliardique ou de Rutebeuf, et de la poésie sociale et satirique des XIIe, XIIIe siècle. On verra même, quelquefois, dans son œuvre et à travers ses réflexions ironiques ou morales sur les événements qu’il traverse, l’annonce de l’œuvre de François Villon et même encore de Charles d’Orléans.

Quand on se penche un peu sur la biographie de ce poète médiéval, on semble loin, pourtant, de la marginalité des clercs goliards,  de la misère sociale du jongleur Rutebeuf, ou même encore, des frasques et des déboires judiciaires de François Villon. Durant la majeure partie de sa vie, Eustache Deschamps sera un « petit officier de la cour royale », comme nous  le désigne Daniel POIRION (dans son article sur la eustache_deschamps_poete_medieval_huissier_armes_sous_charles_Vpoésie lyrique sur universalis), et restera proche du pouvoir qu’il représente ou qu’il défend.

Successivement écuyer, messager royal (chevaucheur) et huissier d’armes affecté à la garde du roi Charles V (portrait ci-contre),  il sera même, à l’automne de sa vie et sous le règne de Louis d’Orléans, nommé trésorier du fait de justice. Résolument attaché à la cour des rois, avec des positions variables en fonction des souverains au pouvoir, Eustache Deschamps côtoiera également Guillaume de Machaut, clerc, trouvère et poète qui aura une grande influence sur la codification des formes poétiques et musicales de son temps, voie dans laquelle, pour la poésie au moins, Eustache le suivra, se réclamant même de son influence.

L’art de la poésie chez Eustache Deschamps:
une musique naturelle et innée

Ce poète médiéval prolifique nous a laissé plus de mille cinq cent poèmes dont près de mille ballades, mais aussi des fables et 82 000 pieds de vers pour approcher le Moyen Âge central et le XIVe siècle finissant.

Il marquera sa différence avec les auteurs qui l’entourent de deux manières.  D’une part, il entend approcher résolument la poésie dans sa musicalité propre et l’affranchir ainsi du chant et de la musique: la poésie possède un musique naturelle propre, opposée à la musique qui a un musicalité écrite et artificielle. Cette dernière est apprise, l’autre est innée et on la possède ou non. Dans son approche rhétorique et dans son ouvrage « Art de Dictier » (1392-1393), Eustache Deschamps contribuera encore à eustache_deschamps_morel_poesie_medievale_satirique_moyen-age-centralcodifier  les règles de l’écriture poétique en langue vernaculaire. A la différence des Goliards qui prisaient le latin, il fera partie de ces clercs qui veulent mettre à la portée de tous la poésie et la langue française de son temps.

D’autre part, là où l’amour courtois et les petits malheurs (ou les grands drames) qu’il occasionne chez ses contemporains semble leur fournir d’inlassables prétextes à l’écriture autant que, hélas, en épuiser l’exercice, Eustache Deschamps s’y soustraira dans quelques-uns de ses poèmes, mais s’en affranchira aussi totalement dans la grande majorité des autres. Ainsi, il laissera en héritage, des textes plus volontiers tournées vers  l’observation de son temps où la critique et la satire l’emportent.

Mieux vaut honneur que honteuse richesse,
Eustache Deschamps, Ballade du XIVe

Nous vous présentons aujourd’hui un très beau texte de cet auteur du XIVe siècle qui, même s’il nous vient du monde médiéval, fait souffler un vent salutaire sur certaines valeurs dévoyées de notre monde moderne. « L’argent n’a pas d’odeur », dit-on ? Et bien, nous aurons ici,avec Eustache Deschamps,  l’outrecuidance de prétendre le contraire .

Qui puet vivre de son loial labour,
De l’art qu’il a, ou de sa revenue
Sans excéder, il vit a grand honour,
Car sa vie est de tous bonne tenue,
Puis qu’il ne toult (vole), qu’il ne ravit ou tue
Et que tousjours a loyaulté s’adresce,
N’acquierre jà chevance malostrue* :
Mieulx vault honeur que honteuse richesce.

(* ne gagne rien de façon malhonnête)

Car riches faulx n’a fors que deslionour,
En un moment est sa terre perdue,
Et ses péchiez fait muer sa coulour.
Que l’en perçoit (en voyant) sa grant desconvenue ;
Il n’ose aler teste levée et nue
Pour son meffait, ainz vers terre s’apresse,
Mas (Mat) et honteus comme une beste mue:
Mieulz vault honnour que honteuse richesce.

Car puis qu’uns homs ara  fait un faulx tour,
Monstrez sera au doit parmi la rue ;
Et lors ne fait que quérir un destour
Pour lui mucier, car son pechié l’argue**
Povres loyaulx lient son chief vers la nue
Homme ne craint, car honte ne le blesce.
Geste chose soit de tous retenue :
Mieulz vault honeur que honteuse richesse.

(** Pour se cacher, car son péché l’accuse)

Envoi

Princes, prodoms puet de nuit et de jour
Aler partout. Sa teste lieve et dresce.
Mais desloiaulx ne quiert que tenebrour :
Mieulx vault honour que [honteuse] richesce.

Une très belle journée à tous me amis, que la joie accompagne chacun de vos pas.

Fred
Pour moyenagepassion.com
« A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes »

Lecture « video » : la ballade des pendus de Villon et un mot de justice médiévale

poesie_medievale_francois_villon_la_requeste_poesie_satiriqueSujet : poésie médiévale, poésie satirique, poésie réaliste
Auteur ; Villon, encore Villon, toujours Villon
Médias : vidéo youtube, lectures poétiques
Titre : la ballade des pendus
Période : moyen-âge tardif
Interprète : Gérald Robert, comédien voix-off

Lecture poésie médiévale: la ballade des pendus de François Villon

Bonjour à tous,

Q_lettrine_moyen_age_passionuel plaisir de se lever matin et relevant ses courriers d’y trouver un message  qui nous parle de François Villon et qui, même mieux que simplement nous en parler, nous le dit.

Un visage sur une voix-off

poesie_medievale_lectures_audio_gerald_robert_epitaphe_françois_villonGérald Robert qui nous fait, aujourd’hui, l’amitié de ce partage   est comédien « voix off » mais comme une voix, cache toujours une âme et un corps, il est bien sûr, avant tout, comédien et publie également des vidéos youtube où il se met en scène. Et quand il ne lit pas du François Villon ou des textes (nul doute que d’autres sont en préparation), il prête sa voix et son sens de la comédie à divers supports et médias: radios, publicités, corporate, documentaires, lectures audios, etc… Dans un projet sorti en août dernier, il a même incarné la voix du souverain pontife François pour une lecture audio de son encyclique. Le voilà devenu officiellement un des papes de la voix off! Peut-être d’ailleurs l’avez-vous déjà entendu sans le voir, c’est tout le mystère de son art. En bref, gardez à l’oeil et à l’oreille ce comédien des temps modernes qui fait, aujourd’hui, revivre pour nous Villon dans cette interprétation de la ballade des pendus.

Priez Dieu que tous nous veuille absoudre

mort_justice_moyen_age_villon_ballade_des_pendus_poesie_medievale

L_lettrine_moyen_age_passiona ballade des pendus ou l’épitaphe de Villon  est sans nul doute le texte le plus connu de notre plus cher poète du XVe siècle et de la fin du moyen-âge. Léo Ferré a porté cette poésie, nous en avons déjà parlé dans un article sur le sujet, mais d’une certaine manière, bien au delà du phrasé du bel anarchiste grisonnant et révolté du Paris des années soixante, soixante-dix, l’entêtante et merveilleuse litanie de Villon continue de vivre dans nos mémoires et de s’y accrocher. Cela tient sans nul doute au fait que plus qu’une poésie réaliste qui nous conte la déroute et le châtiment de ces pendus que les misères poursuivent jusqu’après leur mort, l’épitaphe reste et sera pour toujours, une prière que Villon adresse pour nous tous.

Le gibet de Montfaucon et le temps des pendaisons

« Les hautes justices locales, dit M. A. Champollion-Figeac, pouvaient élever autant de fourches qu’elles désiraient en établir. Les ordonnances du roi Jean, de 1345 et de 1356, paraissent suffisamment l’indiquer. Mais le sage monarque Charles V y ajouta un privilège nouveau pour certaines localités, celui d’avoir des fourches patibulaires à deux piliers.
Eugène Viollet le Duc,
Dictionnaire raisonné d’architecture médiévale, XIXe siècle

C_lettrine_moyen_age_passionette illustration (ci-dessous) de l’impressionnante fourche patibulaire de Montfaucon est tirée de l’incontournable Dictionnaire raisonné d’archi-tecture médiévale d’Eugène Viollet le Duc, On pouvait voir ce gibet, frappé de gigantisme,  au bord de la route et à l’approche du domaine quand la justice donnait encore en spectacle public ses punitions et ses sentences, Les premières traces de ce monument remontent au XIIe siècle mais il a perduré jusque tard dans le XVe siècle. il reste, à ce jour, l’ouvrage le plus monumental connu  dédié à la pendaison ou à la fourche_capitulaire_montfaucon_viollet_le_duc_pendus_moyen_age_Villonsuspension des condamnés, mais les fourches patibulaires ont été populaires et répandues sur tout le territoire de France pendant de longs siècles.

Je ne  cite pas tout à fait innocemment le Gibet de Montfaucon, car outre le fait qu’il aurait peut-être inspiré la ballade des pendus, on attribue encore à Villon une autre poésie moins connue le concernant: la Repeue faîte auprès de Montfalcon. Si l’on se fie à ce texte largement plus grivois et que nous aurons certainement l’occasion de partager ici, il semble que non loin de ce genre d’endroits que l’on venait quelquefois même contempler avec ses enfants pour les éduquer (cf Catherine de Médicis qui « pour repaître ses yeux, l’alla voir un soir et y mena ses fils, sa fille et son gendre. » Viollet le Duc), on trouvait encore dans les parages des gibets, et notamment celui-ci, quelques lieux de plaisirs achetés et de perdition.

Plus étonnant et anecdotique encore,  on ne pendait pas que des humains sur les fourches patibulaires et les gibets, mais également des animaux condamnés. Jugez plutôt :

« Les fourches patibulaires ne servaient pas seulement à pendre des humains, on y suspendait aussi des animaux, et notamment des porcs, condamnés à ce genre de supplice à la suite de jugements et arrêts rendus pour avoir dévoré des enfants. En cas pareil, les formalités judiciaires du temps étaient scrupuleusement suivies, et, comme il était d’usage de pendre les condamnés vêtus de leurs habits, on habillait les animaux que l’on menait au gibet. « En 1386, une sentence du juge de Falaise condamna une truie à être pendue pour avoir tué un enfant. Cette truie fut exécutée sur la place de la ville, en habit d’homme… »
Citation de  M. E. Agnel par Eugène Viollet le Duc (opus cité)

C’est vraiment à me donner des idées d’écrire un roman et je pense d’ailleurs que cela sera le prochain:  « L’histoire de la truie meurtrière pendue en habits de notaire ». De grâce, si vous êtes notaire, ne m’en voulez pas  de « Brassensiser » un peu à vos dépens, mais il s’agit ici de poésie satirique et en plus, il me fallait une rime pour faire un bon titre.

Supplices et sentences : la justice jusque dans les chairs et jusque dans l’au-delà

N_lettrine_moyen_age_passionous n’allons pas prétendre réécrire, ici, en deux lignes, les longues et passionnantes pages de « Surveiller et punir » du brillant Michel Foucault quand il nous parle de ces sociétés médiévales et monarchiques, qui marquent les suppliciés de leur justice jusque dans leurs chairs et qui mettent en scène leurs souffrances de manière publique; cette idée qu’alors, s’attaquer aux lois c’est s’attaquer au corps sacré du roi (ou du seigneur) qui les personnifie et les incarne, comme il incarne l’Etat. Mais, des premières fourches patibulaires médiévales michel_foucault_surveiller_et_punir_epitaphe_de_villonaux gibets les plus récents de la période monarchique, il y a, indéniablement, dans la symbolique et la scénarisation de cette justice du passé, la volonté d’exposer un pouvoir qui se perpétue de manière symbolique jusque sur le plan de la mystique. D’une certaine manière, ces pendus que Villon nous décrit si bien semblent véritablement poursuivis dans leur corps et leur âme, bien après leur trépas et en quelque sorte jusque dans l’au-delà.

Alors aujourd’hui pour le repos de leurs âmes comme peut-être aussi, pour notre propre salut, prions Dieu avec François Villon que tous nous veuille absoudre et en attendant, vivons chaque instant dans la joie de chaque nouvelle respiration car il faut toujours se réjouir d’être en vie.

Un très beau dimanche à tous et longue vie!

Merci encore à Gerald Robert pour nous avoir fourni l’occasion de cet article.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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Histoire ou presque : les chroniques de Saint-louis de Jean de Joinville

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Novembre 1252, le roi Saint Louis est effondré, sa mère, la reine mère Blanche de Castille n’est plus. Des légendaires tensions entre elle et sa belle fille, la reine Marguerite de Provence, il ne reste plus rien, que le vide.

La version officielle

Alors, sur la question du deuil de la reine mère par sa bru, nous avons, bien sûr, le « témoignage » de Jehan de Joinville. Ah le voilà lui encore! le Mossieur « je me la raconte parce que je connais du monde », le Massimo Gargia de la Jet du XIIIe, certes, en moins gigolo quand même, mais bon … Et bien voilà ce qu’il nous dit de tout cela, lui .

  » (…) Madame Marie de Vertus, moult bonne dame, et moult sainte femme, me vint dire que la reine [Marguerite] menoit moult grand deuil, et me pria que j’allasse vers elle pour la réconforter. Et quand je vins là je trouvai qu’elle pleuroit, et je lui dis que vrai dit celui qui dit que l’on ne doit femme croire à pleurer ; car c’étoit la femme que plus vous haïssiez, lui dis-je, et vous en menez tel deuil ! et elle me dit que ce n’étoit pas pour elle qu’elle pleuroit, mais pour le mésaise que le roi avoit, et pour sa fille (qui puis fut reine de Navarre), qui étoit demeurée seule en la garde des hommes ».
Jean de Joinville – Chronique de Saint Louis

Et gnagnagni et gnagnagna, et moult par ci et moult par là, comme si il ne  pouvait pas juste dire ‘beaucoup ». Nonnnnn, trop banal bien sûr! Il faut encore qu’il nous colle des petits effets de style façon soirée cocktail, je cause riche et tout. Vous voyez, lui, je suis sûr que s’il était encore là, ce serait le genre à demander deux olives dans son martini, histoire de bien marquer le coup et de se faire remarquer.

Verum non semper sine dolore

Et bien non, Messieurs les historiens ! C’est trop facile ! Cette fois encore nous ne reculerons pas et nous crierons bien haut la vérité! Parce qu’alors, oui je sais, figurez-vous même que je le vois venir, à force. On va encore venir me dire, « mon petit vieux, vous êtes à l’Ouest, ça ne s’est pas passé du tout comme vous le dites dans votre illustration. Relisez vos classiques! » Seulement voilà, Messieurs les « je sais toujours tout mieux que tout le monde »,  il se trouve qu’à l’Ouest ou pas, le petit vieux, comme vous dites si bien, il a aussi ses sources. Ah! Et non, ne vous en émerveillez point (moi aussi je peux le faire!), le sire De Joinville n’est peut-être pas non plus le seul à avoir assister à tous ces événements. Ah! Il y avait peut-être même dans le secteur, des gens de maison et s’ils n’ont pas laissé, eux, de chroniques écrites en belles lettres, genre « j’me la pète avec ma super plume », peut-être même aussi que ces gens ont transmis l’histoire véritable à leurs descendants pour qu’elle  nous jetset_medievalparvienne dans toute sa cinglante vérité. Ah, ça fait mal hein? Oui ça fait mal! Bien sûr que ça fait mal! Mais la vérité n’est-elle pas toujours un peu douloureuse? Comme on dit en latin, « Verum non semper sine dolore? », enfin c’est surtout google translate qui le dit mais je pense que vous avez cerné l’idée.

Mais heureusement, vous, fidèles amis et lecteurs, vous qui nous connaissez, vous qui vous tenez fiers et droits, résolument de notre côté et de celui de la vérité, (non mais si forcément vous êtes d’accord, ne faites pas cette tête, sinon au pire faîtes comme si je vous expliquerai plus tard). Oui, vous mes amis, vous savez que notre approche de l’Histoire ne se contente pas des quelques sources « officielles » et poussiéreuses qui nous sont parvenues! Oh ça non! A la tranquilité placide des études de bibliothèque, nous c’est l’aventure du terrain qui nous meut; cette recherche effrénée de chaque instant qui nous pousse à traquer l’Histoire, à la débusquer au coeur de notre monde même, dans le témoignage de la descendance encore bien vivante; tous ces gens au milieu de nous, si proches, et dont nul ne pourrait soupçonner qu’ils ont conservé, en secret, la vérité historique authentique, celle que l’on n’ose pas dire, celle qui dérange, celle qui déchire le voile des illusions, Oui, il faut oser! Oui, il faut de l’aplomb, peut-être même une certaine dose de témérité, ne pas avoir peur de se dresser à la face au monde et de lui crier la vérité au visage, une fois découverte, dusse-t’elle être stupéfiante et quelquefois aussi, c’est vrai, dure à entendre. Bon là, en l’occurrence, ça va encore, Marguerite de Provence qui envoit un fion à feu sa belle mère et à De Joinville, ça ne casse pas non plus trois pattes à un canard mais bon, c’est pour dire.

Les méandres de la vérité

D’autant que cette fois-ci, je défie quiconque de remettre en cause la fiabilité de nos sources sur cette question et sur les mots exacts prononcés lors de cet échange entre Jean de Joinville et Marguerite de Provence qui, à l’évidence, bien qu’ayant un joli prénom de fleur, savait aussi se montrer peau de vache. Ce jour là, mes amis, oui ce jour là même!, Irma Jombières, lavandière du roi, revenait du lavoir, une panière de linge de corps sous le bras et comme elle passait devant la pièce où se tenait De Joinville et la reine de France, elle surprit la totalité de la conversation. La vrai, l’authentique, pas celle gribouillée par De Joinville entre deux martinis, non. Bon d’accord peut-être pas entre deux martinis mais je me comprends…

Entre vous et moi, je vous le demande, solennellement, les yeux dans les yeux, pensez-vous vraiment qu’Irma aurait eu la mesquinerie d’inventer toute cette histoire quand elle la rapporta au soir à une voisine de confiance qui, elle-même, la transmit cette même fin de semaine, à un cousin de province qui fit, à son tour, jurer à ses enfants, après leur avoir contée, d’en conserver le secret et de se le passer de génération en génération? Plus proche de nous, vous aventureriez-vous véritablement à soutenir que quelqu’un qui, il y a une cinquantaine d’années de cela et plus de sept siècles après, aurait, dans son enfance, et plus précisément en classe de CE1, côtoyé le lointain descendant du fameux cousin de province de la voisine de notre bonne et honnête lavandière, oseriez-vous, lavandiere_mere_denisvraiment soutenir, disais-je, que ce quelqu’un aurait eu pu trouver quelque intérêt à échafauder tout ceci de toute pièce en nous le rapportant, il y a encore à peine quelques jours? 

Bien sûr que non, vous n’auriez jamais cette mesquinerie et nous le savons bien, va. Vous restez simplement comme nous, muet, face à l’évidence cuisante de la preuve. Et c’est dans ces moments là, voyez-vous, que je me dis qu’il est heureux de voir que le bon sens est encore de ce monde! J’ose à peine en caresser l’espoir que vous puissiez même partager avec nous ce sentiment ému qui nous vient toujours spontanément, face aux méandres que peut emprunter la vérité historique pour parvenir jusqu’à nous. Ah la coquinette, au fond, c’est un peu comme si elle nous choisissait finalement. A dire vrai, nous ne parvenons toujours pas à nous l’expliquer. Nous nous sentons simplement le témoin privilégié de tout cela, même s’il reste dur de faire l’économie des questions qui nous reviennent sans cesse: pourquoi nous? Qu’avons-nous donc de si spécial? L’avons-nous vraiment mérité? Il nous faut rester modeste mais sans doute  que la réponse est oui. Au fond, qui pouvons-nous si la vérité nous choisit et surtout qui serions-nous pour refuser un don si grand pour la découvrir?

A toi Marcel

Aussi, aujourd’hui nous sommes fiers de le crier haut et fort : Oui, Marcel, propriétaire de la Casse Automobile Marcel Martinez et Fils, de la banlieue de Poissy, Oui! Grâce à toi une autre vérité historique est révélée ce jour-même, à la grande lumière! Et ce n’est pas pour le rabais que tu nous as fait sur le carburateur de R16 et l’aile avant gauche oxydée de Simca 1100 (dont nous n’avons pas encore percé l’utilité mais que tu as insisté pour nous céder en maigre tribut de la précieuse anecdote) que nous voulons ici te rendre hommage, mais c’est bien pour avoir eu le verite_historiquecourage immense de te dresser face à l’Histoire. Oui Marcel! Cet article est le tien. Il est à toi, humble témoin de l’Histoire, et nous n’en sommes, nous, que le modeste scribe. J’entends encore tes derniers mots avant que nous nous séparions.

« – Bon mais là, franchement, en plus déjà que je vous raconte tout ça qui m’avait dit l’collègue quand qu’on était gamin, vous faites vraiment une affaire vous verrez; ça, même aux collectionneurs, j’leur vends pas normalement. Mais vous êtes sûr, par contre, vous voulez vraiment pas la roue de tracteur? Vous qu’êtes passionné d’Histoire c’est un modèle des années 80… »

Je lui répondais gentiment que j’étais venu en bus et que déjà l’aile de Simca 1100 risquait de passer limite, ce qu’il comprit dans sa grande mansuétude. Et puis, je m’éloignais. Tout était dit. Mais en chemin, je repensais à tout cela. Dans le fatras des allées bordées des carcasses rouillées de tous ces chars modernes au rebut, au milieu des aboiements des trois bergers allemands enchaînés à l’entrée de l’établissement qui avaient menacé, à tout instant, de venir boulotter les parties les plus charnues de mon anatomie, qui eut pu supposer, un seul instant, que sous l’apparent cambouis de l’obscurantisme, se tenait en ce lieu de fin des temps, une vérité de nature à changer la face de l’Histoire, n’en déplaise à monsieur de Joinville. Qui?

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Une belle journée à tous!

Fred
Pour moyenagepassion.com