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A la découverte d’un manuscrit ancien du moyen-âge central: la Bible de Maciejowski

manuscrit_ancien_enluminures_miniatures_medieval_moyen-age_central_XIIIe_siecleSujet : enluminures, miniatures, manuscrit ancien, ancien testament, bible, monde médiéval,
Période : moyen-âge central, XIIIe
Titre : Bible de Maciejowsky, Morgan Bible, la Bible des croisés
Référence manuscrit : Ms M. 638
Conservation :  Pierpont Morgan library (New York)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui nous mettons le nez dans les vieux livres en provenance du monde médiéval, pour vous parler d’un des plus prestigieux d’entre eux.  Ce manuscrit ancien, encore exceptionnellement bien conservé à ce jour, est connu sous la référence de  Ms M 638, mais aussi sous de nombreux autres noms:  Bible de Maciejowski ou Maciejowsky, Bible de Morgan, Bible de Shah Abbas ou encore bible des croisés.

Manuscrit ancien: bible Maciejowski, la genêse , feuillet 1R, enluminure,miniature, moyen-âge central
Manuscrit ancien: bible Maciejowski, la genêse , feuillet 1R, enluminure,miniature, moyen-âge central

Datant du XIIIe siècle, cette Bible de Maciejowski est considérée comme un des plus grand témoin de l’excellence artistique française du moyen-âge central, en terme d’enluminures et notamment en terme d’art gothique.  L’ouvrage a ceci de précieux qu’il contient, en effet, de nombreuses miniatures de qualité exceptionnelle.  Comme son nom l’indique, il puise ses origines dans la Bible et illustre l’histoire de l’ancien testament, depuis la genèse jusqu’au livre II de Samuel et l’histoire de David et Absalom.

Du point de vue de son contenu, il se compose de 46 feuillets. On y trouve des scènes de batailles et de guerre, des scènes de crimes et de meurtres, mais aussi des scènes de la vie de tous les jours. Et même si son sujet se rapporte à une période biblique supposée bien antérieure à l’époque dont il est contemporain, le soin apporté aux illustrations en font un allié précieux des « reconstituteurs » et historiens quand il s’agit de se représenter fidèlement le XIIIe siècle. Il était, en effet, habituel que face à des sujets anciens ou bibliques, les artisans du monde médiéval se servent pour les illustrer d’éléments qui leur étaient contemporains, faisant même souvent des allusions dans leurs planches à des événements ou faits concrets étant survenus à leur propre époque. Et si ce manuscrit de Maciejowski n’est pas la seule Bible illustrée qui nous soit parvenue du moyen-âge, cette règle ou ce parti-pris artistique semblent se confirmer le plus souvent dans les autres ouvrages de ce type.

Histoire et  périples de la bible de Maciejowski à travers les siècles

On a pensé longtemps que cette bible ancienne avait été commandée par le roi SAINT-LOUIS en personne, mais cette version a été remise en cause depuis par plusieurs historiens qui penchent pour lui attribuer plutôt des origines du côté d’ateliers de Flandres et peut-être même de Bruges (Alliston STONES et Francois AVRIL). Il reste donc difficile de faire le tri quand on sait encore que d’autres experts soutiennent que ces illustrations seraient le fruit de différents artistes d’ateliers parisiens. Quoiqu’il en soit, le manuscrit semble en tout cas contemporain de la première croisade de Louis IX. Après sa création, les périples qui l’ont conduit à son lieu actuel nous sont manuscrit_ancien_enluminures_miniatures_monde_medieval_moyen-age_central_bible_maciejowskiplus connus. Ils pourraient presque, à eux-seuls, fournir le prétexte d’un roman tant l’ouvrage a voyagé à travers les siècles.

Parti de France pour l’Italie et la cour de Naples, autour de 1300, il y demeurera quelques temps mais on le retrouvera bientôt en Pologne, où il demeurera, jusqu’à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. A la fin de cette période polonaises, on retrouve le manuscrit ancien  dans les mains du cardinal Bernard MACIEJOWSKI ou  Maciejowsky, (1548-1610) évêque de Cracovie (portrait ci-dessus) qui donnera au manuscrit le nom sous lequel on le connait le plus souvent, aujourd’hui. Il semble que c’est un peu avant sa mort, qu’il  fera présent de la Bible au chah Iranien Abbas Ier le Grand, (Shah Abbas the great), roi de perse en 1608. C’est d’ailleurs un des autres noms qu’on connait à l’ouvrage la Bible de Shah Abbas. Comme les italiens l’avaient faits, les perses annoteront alors le manuscrit de leurs interprétations, en marge des illustrations.

Deux cents ans plus tard, nous sommes en 1800, le manuscrit sera vendu à un collectionneur égyptien. Dans le siècle qui suivra, il passera encore dans les mains de quelques collectionneurs pour finalement  être racheté en 1916 par le fondateur de la bibliothèque dans lequel il se trouve encore aujourd’hui conservé: John manuscrit_ancien_enluminures_miniatures_medieval_moyen-age_central_bible_maciejowski_tour_babelPIERPONT MORGAN, qui, à son tour, donna à l’ouvrage un de ses autres noms connus: the Morgan Bible. A noter que si l’ensemble du manuscrit se trouve à New york et dans cette bibliothèque, trois autres de ces feuillets sont conservés en deux autres endroits:  deux se trouvent à la Bibliothèque nationale de France, et un autre au J. Paul Getty Museum de Los Angeles.

Old testament Miniatures:
une édition anglophone des années 70

En 1969, Cockerell, Sydney C, directeur du Musée Fitzwilliam à Cambridge. et John Plummer, décidaient de proposer au grand public, une édition  de la bible ancienne en grand format, réunissant une quantité importantes d’enluminures et de miniatures en provenance du manuscrit M 638. Y seront adjoints aussi des dessins et reproductions du designer Emery Walker et cet ouvrage portera le titre de « Old testament Miniatures ».

Ou trouver la bible de Maciejowski?

On trouve plusieurs versions du livre mentionné ci dessus à la vente mais pour qui ne peut ou ne veut se fendre d’une centaine d’euros, voir même de trois à quatre fois plus, en fonction de l’état de l’ouvrage, pour l’acquérir, il reste d’autres options. Côte version papier, il existe une autre version plus récente de l’ouvrage, datant de 1998 et réimprimée en Suisse, ayant pour titre : « The morgan crusader bible : The picture Bible of Saint-Louis ». Nous ne pouvons pas préjuger ici de la facilité à le débusquer mais nous le mentionnons tout de même.

Pour le reste et si vous savez vous en contenter, on peut en cherchant un peu accéder à plusieurs versions digitalisées sur le web. Après avoir fait un tour de la question, il semble qu’une des meilleures version se trouve ici : Version digitale de la bible de Maciejowski

C’est d’ailleurs dont nous nous sommes servis pour vous présenter les illustrations de cet article. Comme vous l’imaginez sûrement, nous les avons retouchées quelque peu pour mieux les mettre en valeur et leur donner plus de profondeur.  Au delà du fait qu’elles ont près de huit cent ans, leur grand niveau de détails et leur qualité sont véritablement remarquables et l’on comprend bien le plaisir véritable qu’il y a aurait à en posséder une version papier et grand format.

En vous souhaitant une merveilleuse journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

Célébration et réjouissances médiévales: Aigues Mortes fête sa Saint-Louis

heraldique_aigues_mortes_camargues_ville_medievale_saint_martinSujet : festivités médiévales, Saint-Louis, festival médiéval, défilés, ville historique, lieux d’intérêt,idées sortie week-end.
Evénement : Fêtes de La Saint-Louis, Période : moyen-âge central
Lieu : Aigues-Mortes (Camargue,Gard)
Dates: Samedi 27 et dimanche 28 août.

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionans le cadre de nos idées de sorties à thème, nous vous invitons cette fin de semaine en direction de la Provence et de la méditerranée, dans la belle et encore quelque peu préservée Camargue, au Sud des terres de France.  Ce week end, s’y déroule, en effet,  à Aigues-Mortes, l’une des plus jolies et des plus médiévales villes de cette région, de grandes festivités qui s’étalent sur plus de deux jours et qui ont pour thème le XIIIe siècle et le roi Saint Louis. Quel est donc le programme que nous ont concocté les organisateurs de cette grande fête médiévale mais encore, que vient y faire  Saint Louis vous demanderez-vous peut-être? Et bien, si c’est le cas, ces deux questions tombent extrêmement bien puisque c’est justement ce à quoi nous allons nous employer à répondre dans cet article.

Aigues Mortes : joyau médiéval surgi de terre par la volonté d’un roi

Aigues mortes ville histoire medievale patrimoine historique

Surgie au XIIIe siècle, au milieu des sables et des zones marécageuses du delta du Rhône et à deux pas de la mer,  Aigues-Mortes s’y tient encore fière et comme au premier jour, dressant jusqu’au ciel ses beaux remparts de pierre remarquablement préservés du temps. Et quand, arrivant à ses portes, on la découvre dans son bel écrin de pierre, on se dit presque, avec raison, qu’une telle cité  n’a pu naître que du caprice d’un roi ou de sa volonté. De fait, il y a indéniablement, concernant la belle cité historique et fortifiée d’Aigues Mortes, un avant et après son fondateur Louis IX, connu encore sous le nom de Saint-Louis.

ville_medievale_historique_saint_louis_lieux_interetDès le début de son règne, soucieux de posséder un débouché direct sur la méditerranée, autant que de se doter d’une autonomie pour le transport maritime des croisés (alors affrétées, la plupart du temps, par les flottes italiennes), Saint-Louis, décide qu’il lui faut un port au Sud du territoire.  A cette époque le grand port de Marseille n’est pas encore sous la main du roi de France, mais sous celle de son frère Charles D’Anjou. roi de Naples.

A l’époque où Saint Louis décide d’en faire son port vers la méditerranée, le site d’Aigues Mortes n’était déjà plus tout à fait qu’une bande de terre bordée de Salins mais il n’avait pourtant encore rien de commun avec la ville fortifiée que l’on connait aujourd’hui et que le roi de France fit alors surgir de terre. A la fin du IXe siècle, Charlemagne avait déjà fait renforcer la place d’une tour pour y protéger les exploitations de sel et les ouvriers qui en faisaient l’extraction. Bientôt cédée par le légendaire roi des francs aux bénédictins de l’Abbaye de Psalmodie, dont la présence sur le site est attestée dès le début du IXe siècle, la place restera durant de longs siècles sous la coupe des moines. Ils y mèneront une vie pieuse et recluse au milieu de ses terres encore à demi-sauvages où de petites gens et familles d’ouvriers y exploitent le sel, vivant chichement dans leurs petites cahutes.

Les remparts de la belle ville d'Aigues Mortes remarquablement conservés
Les remparts de la belle ville d’Aigues Mortes remarquablement conservés

En 1240, le roi Saint Louis négociera avec les religieux pour récupérer ces terres et commencera alors à y édifier les premières tours et fortifications. Un peu moins de vingt ans plus tard, c’est de là qu’il partira pour sa première croisade. comme il le fera à nouveau en 1270 pour sa deuxième croisade, celle de Tunisie. De fait, Aigues mortes est la dernière ville du sol français à avoir vu Louis IX vivant puisque le roi, périt lors de cette dernière expédition et n’en revint jamais.

Saint_louis_croisade_tunis_aigues_mortes_ville_medievaleLes fortifications et les travaux impulsés par ses soins seront poursuivis après lui sous le règne du Philippe le Hardi et la ville verra finalement la dernière pierre posée à ses remparts quelques décennies plus tard. L’édification d’Aigues-Mortes, bastide fortifiée, fleuron de l’architecture médiévale et nouveau port du sud de la France aura pris pas moins de trente ans.

Moins d’un demi-siècle plus tard, au début du XIVe, la cité sera encore témoin privilégié de l’affaire des templiers, puisque le roi Philippe le Bel, tirera partie des fortifications pour y enfermer une partie de ces derniers. Du point de vue maritime, elle restera un port d’importance longtemps après Saint Louis, et de grands travaux y seront même entrepris au début du XVe siècle, mais à la fin de ce même siècle, le ralliement de la Provence au territoire de France ré-ouvrira la possibilité pour la couronne d’utiliser Marseille et atténuera irrémédiablement l’importance stratégique du port d’Aigues Mortes.

Une grande fête entre les hauts remparts

Le monde médiéval et les beautés de la ville d'Aigues Mortes en plein coeur de la Camargue
Le monde médiéval et les beautés de la ville d’Aigues Mortes en plein coeur de la Camargue

Pour ceux qui auront la chance ou l’opportunité de s’y rendre, ce sont donc deux jours entiers de festivités et de festival que vous propose ce week end la belle cité médiévale camarguaise. Parée de ses plus beaux atours d’époque, elle célébrera son histoire, autant que fetes_saint_louis_aigues_mortes_ville_medievale le roi Saint Louis qui fonda la ville, il y a près de huit cents ans et changea pour toujours la destinée du site.

Les réjouissances commenceront le Samedi, dès le milieu de matinée avec un marché médiéval et se poursuivront jusqu’à la nuit par un bal médiéval où damoiseaux et damoiselles pourront se rendre pour y danser et y festoyer sans compter. Les agapes et festivités reprendront le lendemain, de la matinée jusqu’au soir et le festival se terminera, le dimanche soir et à la nuit tombée, par un grand spectacle pyrotechnique et musical restituant le départ de Saint-Louis pour la croisade.

festival_medieval_saint_louis_aigues_mortesEntre les deux et au programme, en plus des nombreuses animations, théâtres, amusements et autres musiques de rue, vous pourrez assister à de grands défilés historiques et thématiques de Louis IX et sa cour, mais également à un tournoi de Chevalerie, proposé par les voltigeurs de France (seul spectacle payant de la fête qui, par ailleurs, sera totalement libre d’accès et gratuite). Il y aura aussi de nombreux camps médiévaux à thème: forge, cuisine médiévale, armes et escrime anciennes, tir à l’arc, calligraphie et  frappe de monnaie et même encore un camp à la triple nationalité (luxembourgeoise, italienne et française) qui se proposera de vous faire découvrir le quotidien de la vie monastique au moyen-âge.

En un mot, pour vous mettre l’eau à la bouche et sans même parler de gastronomie et des plaisantes ripailles qui accompagneront l’événement pour le plus grand plaisir de vos estomacs affamés ou de vos gorges sèches, plus d’une vingtaine de compagnies de troubadours, acteurs, jongleurs, et artistes sont à l’affiche des réjouissances! C’est vous dire si le programme promet d’être riche en événements. Pour plus de détails le concernant, cliquez ici.

Voilà donc, mes amis, une petite idée de sortie, avant la rentrée dans une ville unique que l’histoire médiévale a touché du bout de ses doigts. Si vous êtes non loin de la belle Camargue et du côté d’Aigues Mortes en cette fin de semaine, n’hésitez pas un seul instant et allez vous plonger dans l’ambiance médiévale, le temps d’une journée ou deux, au souvenir d’un de nos plus célèbres roi du passé: Saint Louis et, bien sûr, pour vous y divertir!

En vous souhaitant une belle journée!
Fred
Pour moyenagepassion.com
« L’ardente passion, que nul frein ne retient, poursuit ce qu’elle veut et non ce qui convient. » Publiliue Syrus  Ier s. av. J.-C

Histoire des châteaux-forts & techniques de siège médiévales 5

Index des autres articles sur le sujet :
1. Naissance des châteaux-forts
2. Du bois vers la pierre
3. Mottes, forteresses de bois et techniques de siège
4. L’âge d’or des châteaux-forts

 5. L’AUTOMNE DES CHÂTEAUX FORTS

N_lettrine_moyen_age_passionous voici arrivé au dernier article de cette modeste série sur l’Histoire des châteaux médiévaux: des premières mottes castrales jusqu’aux derniers châteaux-forts. Après l’âge d’or, c’est maintenant de l’automne et de la fin des châteaux forts qu’il nous faut parler. Que l’on conserve bien à l’esprit ici, comme nous l’avons fait tout du long de cette série, que pour autant que nous puissions faire des chronologies, ou décider que tel ou tel château n’est plus un château-fort mais un château d’agrément, la réalité est toujours plus fine que cela: ce sont des phénomènes qui s’étalent dans le temps, les transitions ne sont jamais brutales, les définitions sont plus complexes, et les disparités commandent aussi. histoire_medievale_moyen-age_chateaux_forts_disparition
L’Histoire n’observe, bien souvent, que des vérités tendancielles qu’il est toujours difficile de figer dans des chronologies simplistes. (ci-contre le château de Lassay, Loire, XVe siècle).

Tout ceci en tête, on s’entend généralement sur le fait que deux grands phénomènes marqueront la fin progressive de l’ère des châteaux forts: le premier vient des progrès de l’artillerie, le second des mouvements dans les équilibres et les jeux de pouvoir; en l’occurrence pour ce dernier phénomène, nous faisons référence à la domination progressive du pouvoir royal sur celui des seigneurs et des vassaux. De fait, quand les châteaux forts entreront dans leur automne et même leur hiver, la féodalité y entrera avec eux.

L’avènement de la poudre à canon et de l’artillerie lourde

Détail de la Bataille de Constantinople, 1453, monastère de Moldovita, Moldavie, XVIe, Fresque de Toma de Suceava
Détail de la Bataille de Constantinople, 1453, monastère de Moldovita, Moldavie, XVIe, Fresque de Toma de Suceava

A_lettrine_moyen_age_passionu début du XIVe siècle, l’avènement de la poudre à canon et des engins de guerre utilisant cette dernière ne compliquera que de manière très relative la tâche de l’architecture médiévale défensive. Comme on l’a vu dans l’article précédent, l’usage de plus en plus fréquent, à partir du milieu du XIIe siècle, d’engins de siège titanesques tels que les trébuchets ou les mangonneaux, n’a pas suffi à empêcher que soient encore construits de nouveaux châteaux. Il en sera de même pour l’arrivée de la poudre: elle ne sera pas dans un premier temps une raison suffisante pour freiner l’élévation de tels édifices et il y aura même encore des avancées de l’architecture médiévale pour y surseoir. Du point de vue des dispositifs d’attaque, cette poudre aura encore quelques progrès à faire avant de menacer histoire_medievale_poliorcetique_chateaux_forts_artillerie_canons_primitifvéritablement les châteaux et les premières bouche de feu du XIVe ne déclasseront pas d’avantage les engins de siège mécaniques qui seront encore utilisés lors des sièges.

Du point de vue de l’architecture défensive, les architectures arrondies offrant moins de prise aux projectiles de tout type, se généraliseront. Du côté des remparts et des fortifications, pour contrer les premiers canons, on ménagera encore en lieu et même souvent en plus des archères, des trous à canons. Un certain nombre de châteaux se verra également construit de manière plus « ramassé » pour que l’ensemble des remparts et tours fassent front plus efficacement aux gros engins de siège comme aux premiers canons.

histoire_medievale_poliorcetique_chateaux_forts_artillerie_canonsConcernant le XIVe siècle et même dans une certaine mesure une grande partie du XVe siècle, il faut aussi noter qu’en dehors même des engins de siège si gros soient-ils et au delà encore du blocus des routes de la forteresse pour affamer et en démoraliser ses occupants, une des stratégies de siège majeure restera encore le travail de sape ou de mines. Or, l’Histoire nous apprend que le travail des sapeurs et ingénieurs de sape qui s’approchent des murailles ou creusent en dessous pour les détruire, continuera durant les XIVe et XVe siècle sur les bases des siècles précédents. Concernant ces techniques, l’usage d’engins explosifs pour détruire les remparts ne se généralisera pas avant le XVIe siècle (voir universalis. Histoire de l’Artillerie).

Oh le boulet…

Mons Meg, château d'Edimbourg. Canon construit en 1449 par Philippe le Bon, et donné en cadeau au roi Jacques II d'Écosse, portée 2 miles (3 km!)
Mons Meg, château d’Edimbourg. Canon construit en 1449 par Philippe le Bon, et donné en cadeau au roi Jacques II d’Écosse, portée 2 miles (3 km!)

M_lettrine_moyen_age_passionême si ce ne sera pas le seul facteur et nous verrons plus loin pourquoi, les progrès du boulet de fonte et son pouvoir dévastateur ainsi que la puissante grandissante des canons atermoieront quelque peu cette idée du château comme moyen privilégié, sinon unique, d’assurer la défense efficace des territoires, mais il faudra attendre pour cela la fin du XVe siècle. Voici une citation de Jean Delmas pour étayer ces dires ;

« L’introduction de la poudre en Occident n’entraîne pas de changements immédiats dans l’architecture militaire. Les boulets de pierre que lancent les premières bouches à feu n’entament pas l’escarpe d’Orléans (1428), n’ébrèchent que légèrement celle de Constantinople (1453). Mais le boulet de fonte triomphe de toutes les fortifications existantes. L’artillerie de Charles VIII en fait une brutale démonstration pendant la campagne d’Italie (1493). Les ingénieurs italiens, ainsi qu’Albert Durer en Allemagne, sont convaincus de la nécessité d’innover. »
Jean DELMAS, Histoire des Fortifications. Universalis.

Et même dans ce contexte, la confiance dans les édifices de pierre continuera d’avoir la vie dure. Dans les exemples de châteaux-forts les plus tardifs de la fin du XVe siècle, on tentera encore notamment « d’enfouir » en partie les châteaux pour éviter que des tirs répétés d’artillerie ne puissent ouvrir des brèches à la base de leurs murailles. La forteresse de Salses (Roussillon) construite entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe par les rois espagnols pour contrer les avancées et l’occupation française, en est un célèbre témoin.

Les derniers châteaux-forts après les perfectionnements de l'artillerie à poudre, Salses, Forteresse du XVIe siècle
Les derniers châteaux-forts après les perfectionnements de l’artillerie à poudre, Salses, Forteresse du XVIe siècle

La recentralisation des pouvoirs militaires  autour des rois et la naissance des nations

P_lettrine_moyen_age_passion copiaparallèlement à tout cela, la centralisation progressive du pouvoir s’organisera de plus en plus autour de la couronne et du royaume. C’est en réalité une lente évolution que l’on fait souvent débuter sous le règne de Philippe Auguste et se poursuivre avec Saint-Louis, mais qui touche bien d’autres pays que la France en Europe.

C’est un fait qui semble s’affirmer depuis le XIIe siècle et ne cesse de se voir confirmer dans les siècles suivants: la féodalité dérange le pouvoir central au fur et à mesure qu’il se réaffirme ce qu’il n’a de cesse de faire. Les pouvoirs économiques, politiques ou militaires qu’ont acquis au fil du temps les plus grands vassaux, autant que les trahisons ou manoeuvres de certains d’entre eux, menacent la couronne et la position des souverains. Tout cela a conduit naturellement ces derniers à vouloir y mettre le hola, quand ce n’est pas tout simplement un terme. Qu’on se souvienne, entre autres choses, des stratégies de Philippe-Auguste pendant que le Duc de Normandie et roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion était encore à la croisade et que le roi de France en était revenu, prématurément et sans lui. C’est un temps de reconquête du territoire, autant que du pouvoir royal sur ses propres terres,, et peut-être avec tout cela, l’affirmation de la naissance d’un nation. Il y a encore et bien sûr la victoire aussi réelle que symbolique du roi de France à la bataille de Bouvines qui l’opposait alors à de puissants princes et vassaux français, menés par Jean Santerre, et soutenus par l’empereur du Saint-Empire Otton IV. Comme Saint Louis le fera après lui, Philippe-Auguste édictera également de nombreuses lois pour réaffirmer le pouvoir royal.

La Bataille de Bouvines, 1214, Tableau d'Horace Vernet, XIXe siècle, gallerie de Versailles
La Bataille de Bouvines, 1214, Tableau d’Horace Vernet, XIXe siècle, gallerie de Versailles

D_lettrine_moyen_age_passionans ce phénomène de reconquête du pouvoir par les rois sur l’ensemble de leur territoire, il n’y a au fond, de leur part, que des stratégies visant à récupérer ce que, graduellement, la féodalité leur avaient confisqué, A cette volonté marquée, qui se traduit dans les lois comme dans les faits, il faudra encore ajouter le fait que les croisades auront contribué à décimer les seigneurs et à affaiblir la féodalité. Ces derniers en sont revenus, en effet, souvent ruinés et dépendants du trésor de la couronne pour subsister, quand ce n’est pas simplement les pieds devant. Tout cela fait, à certains endroits, le jeu des rois. A cet effet collatéral des croisades sur les politiques intérieurs et l’équilibre des pouvoirs, viendra encore s’ajouter un autre événement marquant du moyen-âge central qui secouera encore les seigneuries locales: la guerre de cent ans. Outre les pertes qu’occasionnera chez les nobles, ce conflit qui semble ne jamais devoir finir, même s’il est entrecoupé de trêves, la guerre de cent ans entraînera encore, à sa suite, les compagnies de routiers, restes de l’Ost anglais ou de mercenaires de provenance variés et leurs exactions incessantes sur certaines parties du territoire. Il faudra bien alors que l’on se rende compte du soutien que peuvent apporter les rois ou les princes de la couronne pour y mettre fin.chateaux_architecture_medievale_philippienne_philippe_auguste_moyen-age_passion Avec tout cela, le pouvoir royal autant que l’ost du roi se fortifieront et dans les esprits c’est aussi  l’idée de nation qui commencera alors à se forger. Qui pourra alors mieux que le roi la personnifier et comment pourrait-il souffrir quelques concurrences locales dans ce contexte?
(portrait de Philippe Auguste)

Dans les facteurs d’affaiblissement de cette féodalité et pour le mentionner ici par parenthèse, il faut encore ajouter les épidémies de peste noire qui, autant que la guerre de cent ans, décimèrent les populations et changèrent la donne en faveur de la main d’oeuvre restante; une forme de rééquilibrage des forces qui finalement jouera en faveur du petit peuple et en défaveur des seigneurs. A n’en pas douter, le monde féodal se porte de plus en plus mal et les souverains tirent leur épingle du jeu. Dans ce contexte politique et économique, la construction de châteaux (re)deviendra aussi et de plus en plus, le privilège du roi; le pouvoir dont les seigneurs locaux avaient hérité quelques siècles auparavant à la faveur du contexte historique, diminuera graduellement. Le système féodal cédera, peu à peu, la place à la monarchie centralisée.

Château de Sarzay, XVe, XVIe, Indre. témoin de la guerre de cent ans
Château de Sarzay, XVe, XVIe, Indre. témoin de la guerre de cent ans

Le château redevient le fait du prince

O_lettrine_moyen_age_passionutre le fait qu’un des inconvénients du château pour la défense du territoire reste qu’il est difficile d’en déloger des ennemis aux mains desquels l’édifice serait éventuellement tombé à l’issu d’un siège, avec cette centralisation progressive du pouvoir royal, des volontés se sont donc faites jour, du côté des différentes royaumes d’Europe, de François 1er et Chambordfreiner la possibilité pour des nobles ou des seigneurs d’acquérir un peu trop de pouvoir défensif et militaire, et peut-être encore de prestige, par l’intermédiaire de la construction de châteaux. La féodalité finit aussi, à travers cela, par payer le prix de ses abus sur le fait du prince; en dehors du fait que des châteaux s’étaient construits sans toujours attendre l’autorisation des rois (cf Michel Bur) l’expérience aura aussi enseigné aux souverains que par le jeu compliqué des familles et des alliances, les vassaux et les seigneurs n’étaient pas toujours prompts à faire allégeance à leur propre couronne. Ils pouvaient même parfois se retourner contre elle. Se retranchant alors derrière les hauts murs de leurs forteresses, ils se trouvaient alors à faire la nique à leur propre souverain; or, faire ployer le genou à un noble qui possède en château reste toujours et forcément un peu plus délicat que s’il n’en possède pas (voir l’article sur le siège de château Montbrun en 1424).

Et même si l’on s’accorde généralement sur le fait que le lancement par François Ier (1515-1547) (portrait ci-dessus) du château de Chambord, véritable palace de prestige et « d’agrément », qu’il fait ériger à sa gloire marque la fin définitive des châteaux forts, on trouvera encore sous le règne Henri IVd’Henri IV (1553-1610, portrait ci-contre), ces signes forts de la volonté qu’eurent les rois, même encore bien après Philippe Auguste et Saint Louis, de centraliser autour d’eux la défense du territoire et de ne plus laisser quelques nobles locaux mettre leur pouvoir en péril. Henri IV prendra, en effet, la décision de faire détruire ou démanteler de nombreux châteaux et forteresses afin d’éviter « qu’elles ne servent de repaires aux ennemis de l’autorité royale »; signe des temps amorcé des siècles auparavant sous Philippe Auguste, poursuivi sous Saint Louis et qui raisonnera encore jusqu’au début du XVIIe siècle. Léger paradoxe aussi puisqu’au vue des progrès de l’artillerie, le château, sous Henri IV, n’est plus tout à fait indestructible, ni imprenable, mais on le voit il reste encore, à l’évidence, d’une efficacité suffisamment établie pour qu’on le craigne au point de vouloir le détruire. Dans les siècles suivants, on retrouvera jusque dans les révolutions du XVIIIe siècle, notamment en Angleterre, cette même idée puisqu’on détruira alors, sur ordre du parlement, certains châteaux-forts, non seulement pour le symbole de classe qu’il représente mais aussi de peur que quelques ennemis de la nation n’y trouvent refuge. Et à travers tout cela, c’est encore et finalement à l’efficacité défensive des châteaux-forts que l’on rendra hommage, même, entre temps les innovations de l’armement et de l’artillerie seront venues la nuancer.

Murs de chair et contre murs de pierre 

Le siège d'Orléans, 1429, Enluminure, Manuscrit Martial, d'Auvergne, 1493
Le siège d’Orléans, 1429, Enluminure, Manuscrit Martial, d’Auvergne, 1493

Q_lettrine_moyen_age_passionuoiqu’il en soit, tout facteur combiné et les progrès de l’artillerie à poudre inclus, à partir du XVe siècle, les guerres commenceront à changer défini-tivement de visage. La conception de la défense du territoire par les châteaux et par les nobles qui les occupent ne fera plus recette. Bien sûr, toutes les batailles du moyen-âge, du Xe au XVe siècles sont loin de s’être toutes jouées autour de forteresses assiégés mais on commencera alors, de manière plus systématique, à opposer aux armées d’invasion ou aux assaillants les « murs de chair » de l’armée du Roi, contre les « murs de histoire_medievale_la_fin_de_la_chevalerie_don_quichotte_picassopierre » des nobles et des seigneurs qui les avaient précédés. A noter que l’artillerie y prendra aussi sa part active puisque l’usage du canon et autres armes à feu portables ne se limiteront désormais plus à l’assaut des murailles des forteresses.

Ce sera encore, avec tout cela, la fin de l’ère de la chevalerie et des chevaliers. les archers anglais l’avait déjà mise à mal au début du XVe siècle, lors de la bataille d’Azincourt, mais avec ce nouveau type d’armes, la voilà encore bien compromise; même si on continuera encore longtemps de jouter, son rôle durant les batailles autant que les légendes qui entouraient les chevaliers, seront en recul. Bien sûr il y aura encore quelques charges à la lance et aussi l’héroïsme légendaire du chevalier Bayard, mais à quelques temps de là et à un peu plus d’un siècle de là, la chevalerie et ses valeurs auront changé de visage; Cervantes pourra même s’en rire, avec un brin de nostalgie poétique et son Don Quichotte n’aura plus alors que quelques moulins à défier (ci dessus le Don Quichotte de Picasso, XXe siècle).

Les châteaux-forts continueront d’être, pour nous de merveilleux fleurons de l’architecture médiévale comme le sont les cathédrales, mais sur le terrain et dans les faits, à leur rôle défensif, se substituera peu à peu l’édifice qui marque le prestige, celui du seigneur encore, mais surtout du roi qui les fera construire; l’esthétique et le faste primeront alors sur la nature militaire des édifices. Bien sûr, les bâtiments ne seront pas totalement dénués de dispositifs défensifs, mais on s’accorde alors pour dire qu’ils seront devenus plus « palais » ou même « châteaux » tout courts, plutôt que châteaux-forts. Pour nuancer cette question, je vous conseille un article très pertinent d’Hubert Damisch sur Persée, même s’il date déjà un peu : Histoire et Typologie de l’Architecture : le problème du château.

Aller plus loin sur les châteaux

P_lettrine_moyen_age_passion copiaour conclure sur tous ces aspects et sur l’histoire médiévale des châteaux et des techniques de siège, nous voulons encore insister sur le fait que cette série d’articles n’est qu’un survol de la question et n’a d’autres ambitions d’ailleurs. Comme nous le disions, l’analyse des discontinuités, des faits marquants ou des ruptures ne sont jamais si simples en Histoire, à moins que l’on veuille fixer dans les esprits quelques étapes et quelques dates utiles. Nous ne sommes pas entrés dans tous le détail des débats de spécialistes sur ce sujet, et ils sont nombreux, mais nous espérons, au moins, en avoir effleuré quelques uns.

histoire_medievale_chateaux_forts_bibliographie_auteursPour plus d’information et de réflexion critique sur ce sujet de l’Histoire médiévale châteaux-forts, je vous enjoins à consulter les références qui suivent. Je m’y suis appuyé tout au long de ces articles sans forcément les citer toujours explicitement; c’est la liberté et le privilège que donne « l’essai » sur le devoir rendu à l’université qui, lui, exige toujours qu’une bibliographie soit exhaustive et pointue. Appelons donc cela des pistes pour ceux qui veulent creuser:  le dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle d’Eugène Viollet le Duc, les écrits de Michel Bür, de Michel Bouard et du colloque de Caen, les ouvrages de Jean Mesqui, les recherches récentes en archéologie sur ces sujets, l’excellent site persée.fr et ses précieuses sources, le fond documentaire merveilleux de la Bibliothèque Nationale de France et le site Gallica.fr, l’encyclopédie universalis encore pour le sérieux de ces auteurs et de ces articles. Et pourquoi pas encore certains articles de wikipédia quand ils sont bons, même s’ils méritent toujours d’être recroisés avec d’autres sources: les références ou les ouvrages qu’ils citent fournissent, en tout cas souvent, d’excellents points de départ pour aller chercher les informations soi-même sur toutes ces problématiques.

Merci encore de votre lecture et de votre présence!

En vous souhaitant une excellente journée, peut-être à l’ombre d’un vieux mur de pierre ou dans le songe évanescent d’une forteresse qui émerge du brouillard, par un matin blanc d’hiver. Longue vie!

Frédéric EFFE.
pour moyenagepassion.com
A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes

La conduite de l’Etat suivant Saint Louis: citation extraite du testament de Louis IX à son fils

saint_louis_testament_citations_medievales« Cher fils, je t’enseigne que tu aies une solide intention, que les deniers que tu dépenseras soient dépensés à bon usage et qu’ils soient levés justement. Et c’est un sens que je voudrais beaucoup que tu eusses, c’est-à-dire que tu te gardasses de dépenses frivoles et de perceptions injustes et que tes deniers fussent justement levés et bien employés-et c’est ce même sens que t’enseigne Notre Seigneur avec les autres sens qui te sont profitables et convenables. »
Citation médiévale; Louis IX, Saint-Louis, extrait de son Testament à son fils, 1270

 V_lettrine_moyen_age_passion copiaoilà une citation d’un roi de France à son fils, que nous aimerions voir au fronton des Etats et sur lesquels devraient s’engager tout politique du monde moderne. L’Histoire elle, en tout cas, ne l’a pas oubliée.

Elle est extraite du testament de Saint Louis à son fils, le futur roi de France, Philippe III le Hardi. C’est un document empreint aussi d’une grande dévotion que l’on cite souvent chez les chrétiens, mais citations_medievales_testament_de_saint_louis_louis_ix_philippe_le_hardirien d’étonnant bien sûr. Enfant d’un moyen-âge profondément chrétien, Louis IX était, en effet, un roi très pieu dont la vie prenait, en bien des aspects, exemplarité sur celle du Christ. (ci contre le testament de Saint Louis, Annales nationales). 

Quoiqu’il en soit et que l’on soit ou non chrétien, on trouve dans ce testament du roi de France, des paroles de sagesse et de belles idées qui contrebalancent, à elles seules, avec quelques idées reçues sur un moyen-âge sans loi et sans valeur, qu’en dehors de cercles d’historiens et de passionnés de ces questions, on ne semble généralement pas très prompt à déconstruire. Dommage! Le monde moderne aurait peut-être quelques bénéfices à s’inspirer de certaines d’entre elles.