Sujet : chanson, poésie d’inspiration médiévale, musique, folk, poésie, résonance poétique, médiévalisme.
Période : XXe siècle
Auteur : Sergueï Essénine (1895 – 1925), Etienne Roda-Gil (1941-2004), Angelo Branduardi
Titre : Confessions d’un Malandrin,
Interprète : Angelo Branduardi
Album : Confession d’un malandrin (1981)
Bonjour à tous,
ans les mystérieuses raisons qui peuvent nous pousser, enfants, à nous intéresser à l’Histoire ( un de ses aspects ou une de ses périodes en particulier), il nous a fallu compter avec un artiste italien, qui, dans les années 80, commença à illuminer de son art et de ses textes uniques le paysage musical français. Indifférent aux modes, en plein cœur des années disco, Angelo Branduardi venait proposer ses créations, ses mélodies aux sonorités anciennes et sa grande poésie et le public en redemandait. Et peu importe alors qu’elles fussent ou non empruntées au moyen-âge historique, elles avaient une saveur toute médiévale et cet auteur-compositeur interprète, qui ne ressemblait à nul autre, semblait être un troubadour égaré dans notre monde. Venu de temps anciens aux commandes d’une mystérieux machine, il était peut-être même le dernier des troubadours italiens.
Angelo Branduardi,
le dernier troubadour italien
S’il a émergé au milieu des années 70 et leur goût prononcé pour le néo folk médiéval d’origine celtique ou même le folk « progressif », Angelo Branduardi a toujours fait figure d’être un artiste solitaire et indépendant. Loin des influences d’autres groupes de cette période, son style demeurait déjà unique. Alors, pour tenter de le ranger quelque part, on a pu parler de « folk-rock d’influence médiévale », mais en réalité, ce que fait surtout Angelo Branduardi, c’est surtout du Angelo Branduardi.
Côté cursus, il vient d’un parcours musical classique. Violoniste soliste surdoué, formé au conservatoire Niccolò Paganini de Gènes, il en sortira à l’âge de 16 ans avec un premier prix. Il étudiera aussi un temps la philosophie et se piquera encore de poésie auprès du poète et écrivain italien Franco Fortini qui sera l’un de ses professeurs.
Entré presque par hasard dans le monde de la chanson, le baladin et multi-instrumentiste compose ses propres musiques et chante dans un nombre impressionnant de langues (italien, anglais, français, espagnol, etc…). Du côté des paroles, s’il s’inspire quelquefois de chansons traditionnelles, de textes anciens ou de poésies plus récentes, c’est presque toujours son épouse Luisa Zappa qui sera sa parolière en italien quand ils n’écriront pas les textes à quatre mains. Dans les autres langues, il choisira soigneusement ses paroliers pour proposer de véritables adaptations poétiques.
Confession d’un malandrin version française
Du côté des compositions, si elle peut sembler d’origine médiévale à l’oreille profane, la musique d’Angelo Branduardi prend en réalité, le plus souvent sa source dans un répertoire plus classique, celui qu’il a appris au conservatoire de Gènes ; il n’y avait pas alors de formation aux musiques plus anciennes et médiévales. Ses œuvres sont donc plus résolument baroques, quelquefois renaissantes, et il va encore chercher dans le folklore méditerranéen ou même yiddish les sources de son inspiration. Sur scène, l’artiste se laisse emporter par son art et il s’y tient souvent, les yeux fermés, tout entier habité par sa musique et plongé au cœur d’une intériorité dont il demeure le seul à possèder les clés.
Maintes fois primé pour ses albums, plusieurs fois disque d’Or, il se fera un peu plus discret en France à compter du milieu des années 90, mais il restera actif artistiquement en d’autres lieux. Après de longues années de travail en Italie et en Allemagne et pour le plus grand plaisir d’un public français qui lui est resté fidèle, il reviendra avec des concerts mais aussi avec un Best Of de ses chansons françaises en 2015.
Sur la partie les plus médiévales de ses productions, dans les années 2000, il signera « L’infinitamente Piccolo », une œuvre poétique et musicale sous forme de spectacle (suivie en 2007 d’un DVD) dédiée tout entière à Saint-François d’Assise : La Lauda di Francesco (la laude, les louanges de Saint-François).
Pour consulter l’actualité et l’agenda d’Angelo Branduardi, voici le lien vers la version française de son site web officiel.
« Les Confessions d’un Malandrin »
une chanson « d’inspiration » médiévale
Bien qu’enregistrée seulement en 1981 en langue française, en plus d’être une pure merveille, la chanson que nous vous proposons aujourd’hui a ceci de particulier qu’elle est la toute première composée par Angelo Branduardi. Ecrite à l’âge de 18 ans, presque par jeu et « dans les tourments de l’adolescence », comme il le confiera lui-même lors d’un interview à la télévision italienne, l’artiste ne se destinait alors pas du tout à être chanteur. Au hasard d’une rencontre c’est pourtant bien cette chanson qui le propulsera dans une carrière qu’il avait été loin d’imaginer et qu’il avait projetée bien plus « classique ».
Du point de vue musical comme textuel, à la première écoute, les confessions de ce malandrin ont déjà l’air de nous transporter dans le moyen-âge des troubadours avec ce poète qui court de village en village. Fils de modestes paysans, il est devenu célèbre et on parle désormais de lui chez « les rois et les reines ». Pourtant, il reste attaché par l’âme et le cœur à sa terre natale, et il se livre, de manière touchante, dans cette poésie.
Le souffle d’un grand poète russe
pour la musique inspirée d’un troubadour italien
Loin de trouver ses origines dans la période médiévale, les paroles de cette chanson proviennent en réalité d’un poème russe daté de 1920 et signé de la main de Sergueï Aleksandrovitch Essenine (Serge Esenin) (1895 – 1925). Auteur de talent, encore largement reconnu en Russie, poète, « voyou », homme engagé aussi aux côtés de la révolution d’octobre, Essenine chanta l’âme russe et l’attachement à sa terre comme personne.
« Ce n’est pas tout un chacun qui peut chanter.
Ce n’est pas à tout homme qu’est donné d’être pomme
Tombant aux pieds d’autrui.
Ci-après la toute ultime confession,
Confession dont un voyou vous fait profession.
C’est exprès que je circule, non peigné,
Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules.
Dans les ténèbres il me plaît d’illuminer
L’automne sans feuillage de vos âmes. »
Sergueï Esenin – Extrait de Confession d’un voyou,
traduction d’Armand Robin
Cette poésie qui toucha Angelo Branduardi au cœur est inspirée directement de la vie du poète russe ; il était lui-même issu d’une famille de paysan. Consumé peut-être par sa propre sensibilité, Sergueï Essénine mit fin à ses jours à l’âge de trente ans, en laissant pour témoignage une poésie écrite de son propre sang. La version du suicide fut contestée par la famille, mais le jeune poète russe au destin tragique emporta la vérité dans sa tombe (pour quelques extraits de son oeuvre, consultez cet article d’Esprits Nomades ).
Ayant trouvé de grandes résonances avec le poète, le jeune Angelo Branduardi signa donc l’adaptation italienne de ces « confessions d’un voyou » dans les années 70 et c’est son parolier français de prédilection, Etienne Roda-Gil qui en fit, bien plus tard, en 1981, une adaptation française très inspirée. Elle vint rejoindre d’autres chansons du troubadour italien dans un album qui portait d’ailleurs le nom de la chanson.
Ajoutons que la version italienne, elle-même magnifique, est assez fidèle dans sa trame et ses vers au poème d’origine de Sergueï Esénine qui l’avait inspirée. On doit son « tour médiévalisant » à Angelo Branduardi qui l’avait déjà amorcé dans la version italienne par son choix de vocabulaire : le « voyou » entre autre, s’était déjà changé chez lui en « malandrin ». Etienne Roda-Gil le suivit dans la version française et renforça encore les images médiévales avec ces paysans qui craignaient « le seigneur du ciel et les tourbières » chez le poète russe et qui, avec lui, se mirent à craindre « les seigneurs et leur colère », avec encore ce poète dont on parlait chez « les rois et les reines » et qui, dans la version originale, chantait la Russie. Le passage à l’univers du Moyen Âge était fait et l’évocation totalement réussie.
Confessioni di un malandrino version italienne
Confessions d’un malandrin, les paroles
et l’adaptation française de Roda-Gil
Je passe les cheveux fous dans vos villages,
la tête comme embrasée d’un phare qu’on allume
Aux vents soumis je chante des orages
aux champs labourés la nuit des plages.
Les arbres voient la lame de mon visage
où glisse la souillure des injures
Je dis au vent l’histoire de ma chevelure
qui m’habille et me rassure.
Je revois l’étang, de mon enfance
où les roseaux et toutes les mousses dansent
et tous les miens qui n’ont pas eu la chance
d’avoir un fils sans espérance.
Mais ils m’aiment comme ils aiment la terre
ingrate à leurs souffrances à leur misère
Si quelqu’un me salissait de reproches
ils montreraient la pointe de leur pioche.
Paysans pauvres mes père et mère
attachés à la boue de cette terre
Craignant les seigneurs et leurs colères
pauvres parents qui n’êtes même pas fiers
d’avoir un fils poète qui se promène
dont on parle chez les rois et chez les reines
qui dans des escarpins vernis et sages
blesse ses pieds larges et son courage.
Mais survivent en moi comme lumière
les ruses d’un voyou de basse terre
devant l’enseigne d’une boucherie campagnarde
je pense aux chevaux morts mes camarades
Et si je vois traîner un fiacre
jaillit d’un passé que le temps frappe
je me revois aux noces de campagne
parmi les chairs brulées des paysannes.
J’aime encore ma terre, bien qu’affligée
de troupes avares et sévères
c’est le cri sale des porcs que je préfère
à tous les discours qui m’indiffèrent.
Je suis malade d’enfance et de sourires
de frais crépuscules passés sans rien dire
Je crois voir les arbres qui s’étirent
se réchauffer puis s’endormir.
Au nid qui cache la couve toute neuve
j’irai poser ma main devenue blanche
mais l’effort sera toujours le même
et aussi dure encore, la vieille Écorce.
Et toi le grand chien de mes promenades
enroué, aveugle et bien malade
tu tournes la queue basse dans la ferme
sans savoir qui entre ou qui t’enferme.
Il me reste des souvenirs qui saignent
de larcins de pain dans la luzerne
et toi et moi mangions comme deux frères
chien et enfant se partageant la terre
Je suis toujours le même, le sang,
les désirs, les mêmes haines
sur ce tapis de mots qui se déroule
je pourrais jeter mon coeur à vos poules.
Bonne nuit faucille de la lune
brillante dans les blés qui te font brune
de ma fenêtre j’aboie des mots que j’aime
quand dans le ciel je te vois pleine
La nuit semble si claire
qu’on aimerait bien mourir pour se distraire
qu’importe si mon esprit bat la campagne et
qu’on montre du doigt mon idéal.
Cheval presque mort et débonnaire
à ton galop sans hâte et sans mystère
j’apprends comme d’un maître solitaire
à chanter toutes les joies de la terre
De ma tête comme d’une grappe mure
coule le vin chaud de ma chevelure.
De mon sang sur une immense voile pure,
je veux écrire les rêves des nuits futures…
En vous souhaitant une belle journée et une très belle écoute.
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
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