Sujet : événement, festival médiéval, musiques anciennes, musiques médiévales, patrimoine, églises romanes, Ars Nova, chants polyphoniques, Cantigas de Santa Maria, Trobairitz, églises médiévales Période : Moyen Âge central à tardif Evénement :Festival Voix et Route Romane, « l’Alpha et l’Omega, une Histoire du Temps » Dates : du 30 août au 22 septembre 2019 Lieu : Alsace, itinérant, (route, romane)
Bonjour à tous,
partir du 30 août et jusqu’au 22 septembre 2019, le beau Festival Voix et Route Romane sera de retour, sur les routes d’Alsace, pour sa 27eme édition. Pour ceux d’entre vous qui seraient passés à côté de notre article sur l’édition 2018 de ce bel événement, le projet original de ses organisateurs est à la croisée du monde musical et patrimonial. Il s’agit, en effet, de faire découvrir à ses auditeurs des églises médiévales et romanes de la région alsacienne, tout en leur proposant des concerts issues du répertoire du Moyen Âge et interprétés par les plus grandes formations du moment.
Une édition 2019
sur les traces du Merveilleux au Moyen Âge
Dans un monde médiéval perçu par ses contemporains comme empli de mystères, de magie et de miracles, la frontière est ténue et se brouille, quelquefois, du naturel au surnaturel ; du point de vue thématique, l’édition 2019 du Festival Voix et Route Romane ne se contentera pas de vous entraîner sur les routes. Elle porte, en effet, en elle, de belles promesses de voyages spirituels et imaginaires puisqu’elle se propose de vous inviter sur les traces du Merveilleux au Moyen Âge avec ses bestiaires, ses miracles, ses étranges métamorphoses, ou encore ses sortilèges et ses philtres d’amour.
Pour accompagner cet itinéraire que mêlera plus que jamais patrimoine, histoire, imaginaire et musiques médiévales, onze dates clefs, étalées sur quatre week-end sont à retenir sur vos agendas. De Strasbourg à Saint-Dié-des-Vosges, en passant par Eschau, Marmoutier, Haguenau et bien d’autres sites encore, elles vous entraîneront, du XIIe au XVe siècle, sur les terres de l’Europe médiévale et même au delà.
Ensembles de musique et thèmes abordés
Le Miroir de Musique (l’étonnement amoureux dans la Bourgogne du XVe siècle) – Mora Vocis (les compositrices du Moyen Âge) – Peregrina (musique et miracles autour de Saint Nicolas, du XIIe au XVe) – Ordo Virtudum (Chants grégoriens et rivalités monacales de Cluny à Cîteaux) – La Fonte Musica (Mythes antiques et métamorphoses dans l’Ars Nova) – Hesam Naseri et l’Ensemble Novak (mélodies persanes du XIIIe) – Cum Jubilo (l’Amour et l’émerveillement amoureux médiéval au Féminin) – Canticum Novum (les Miracles dans les Cantigas de Santa Maria) – Trio Mediaeval(itinéraire musical et chants anciens d’Islande, Italie, Norvège et Angleterre) – Ars Choralis Coeln (sur les traces du culte marial Cantigas d’Alphonse X et llibre vermeil de Montserrat) – Alla Francesca (bestiaire médiéval des IIIe et XIVe)
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie, rose, littérature courtoise, chant médiéval chrétien. Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 10 rosas das rosas Interprète : Marina Lys(2015) Bonjour à tous,
ous poursuivons ici notre présentation, adaptation et traduction des Cantigas de Santa Maria, qui nous viennent de l’Espagne médiévale du XIIIe siècle et du règne d’Alphonse X le Sage.
Aujourd’hui, c’est une des plus célèbres de ces cantigas que nous abordons : la dixième. Elle est, comme toutes les autres, en galaïco- portugais, elle a pour titre « Rosa das Rosas » (rose d’entre les roses) et c’est une chant allégorique entre la rose, fleur des fleurs de l’occident médiéval et la Sainte vierge. Nous sommes donc à nouveau au coeur du culte marial si prégnant au moyen-âge central, et nous verrons en particulier ici comment cette place réservée à la sainte a pu hériter dans certains textes ou chants chrétiens d’alors, d’aspects tout droit sortis de la littérature profane des XIIe, XIIIe siècles, et notamment de la lyrique courtoise des troubadours et de leur fin’amor (ou fine amor).
Pour parler de cette Cantiga, nous avons choisi une belle version de l’artiste, chanteuse et musicienne Marina Lys que cet article va aussi nous donner le grand plaisir de vous présenter.
La Cantiga Santa Maria 10 : Rosa das rosas par Marina Lys
Marina Lys, chanteuse, musicienne et belle égérie sur la route des fêtes médiévales
ormée au conservatoire de musique d’Orly, Marina Lys excelle autant dans le chant que dans les instruments à cordes ou à archet.
A ses premières passions pour la guitare, du registre Jazz manouche au classique, son goût pour les musiques anciennes et médiévales l’a rapidement conduite à compléter sa formation pour y ajouter, sous la houlette d’artistes et professeurs reconnus dans ce domaine, le chant mais encore des instruments aussi variés que la vièle à archet, le luth, le luthare, le bouzouki irlandais, la flûte et même la harpe ou la harpe-lyre, à l’occasion.
Le travail artistique de Marina évolue des chants chrétiens anciens aux envoûtantes mélopées séfarades du moyen-âge central, en passant par des registres plus variés et folkloriques (tziganes, celtiques ou nordiques) mais toujours inspirés par les musiques anciennes. Entre restitution historique, émotion et adaptations artistiques plus libres, elle déroule encore ses talents vocaux dans un répertoire qui couvre près de dix langues, de l’araméen, à l’hébreu, en passant par le latin, le serbe, le galaïco-portugais, le tzigane russe ou encore le suédois.
A la manière de bien des artistes, trouvères ou trobairitz des XIIe et XIIIe siècles, c’est, pour l’instant, de manière itinérante que Marina a décidé de faire partager sa passion pour les musiques anciennes, bien décidée à les faire découvrir au plus large public. Aussi, c’est dans l’ambiance enjouée d’une belle fête médiévale, dans la fraîcheur et l’atmosphère propice d’une église, ou encore dans un beau jardin,, au milieu d’un parterre de fleurs, que vous pourrez avoir le plaisir de la rencontrer et de découvrir son art.
Elle ne sera d’ailleurs pas toujours seule puisqu’elle a fondé en 2012 la troupe musicale « Jàdys » qui se dédie à un répertoire d’inspiration festif plus ouvert : musiques tzigano-médiévales et danses et chants du monde, au programme. Trois ans après sa création, le travail artistique de la formation a d’ailleurs été salué par la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques et lui a valu d’être distinguée comme le meilleur groupe 2014-2015.
Rosa das rosas, les paroles de la Cantiga 10 et leur traduction en français moderne
Questa è di lode a Santa Maria, come è bella e buona e ha gran potere.
Cette Cantiga est une louange à Sainte-Marie, à sa beauté et sa bonté et à son grand pouvoir.
Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Rosa de beldad’ e de parecer e Fror d’alegria e de prazer, Dona en mui piadosa ser Sennor en toller coitas e doores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Rose de beauté et belle apparence Et fleur de joie et de plaisir. Dame de grande piété (miséricorde) Reine pour ôter peines et douleurs Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Atal Sennor dev’ ome muit’ amar, que de todo mal o pode guardar; e pode-ll’ os peccados perdõar, que faz no mundo per maos sabores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Telle seigneuresse* (reine) doit-on bien aimer Qui de tout le mal nous peut préserver Et peut pardonner pour tous les péchés Qu’on fait dans le monde par mauvais goût ( à mauvais escient) Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Devemo-la muit’ amar e servir, ca punna de nos guardar de falir; des i dos erros nos faz repentir, que nos fazemos come pecadores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Nous devons l’aimer (beaucoup) et bien la servir Car elle peut nous garder des fautes Et nous faire repentir des erreurs Que nous commettons, nous, pécheurs, Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Esta dona que tenno por Sennore de que quero seer trobador, se eu per ren poss’ aver seu amor, dou ao demo os outros amores. Rosa das rosas e Fror das frores, Dona das donas, Sennor das sennores.
Cette dame là que je tiens pour reine et dont je veux être le troubadour Si je pouvais obtenir (gracieusement) son amour Je laisserai au démon tous les autres amours Rose d’entre les roses, fleur d’entre les fleurs
Dame d’entre les dames, reine d’entre les reines
Culte Marial et lyrique courtoise
Littérature profane, littérature religieuse
vec cette Cantiga 10 et ses louanges à la Sainte-Vierge, nous nous situons dans le registre du grand chant « adapté » de la lyrique courtoise profane, appliqué au culte marial. Ici, le croyant s’assimile en effet lui-même au troubadour et les sentiments voués à la Sainte viennent pratiquement se calquer sur la lyrique courtoise, ou y être transposés. C’en est même au point que le poète se dit prêt à « jeter au diable » toutes ses autres amours s’il gagnait l’amour de la Vierge.
A partir de son émergence à la fin du XIIe et dans le courant du siècle suivant, c’est une tendance que l’on retrouvera souvent dans le culte marial. Certains médiévistes feront même l’hypothèse que l’entrée de la lyrique courtoise au sein des chants liturgiques et de la littérature religieuse mariale a été une forme de réponse « politique » pour, en quelque sorte, reprendre à son compte les éléments de la littérature profane, tout en proposant une alternative pieuse et acceptable à la Fin’amor, qui, par ses transgressions et ses formes assez clairement adultérines n’était pas tout à fait du goût de l’église. Quelques auteurs parlent de calquage littéral, ou même de « registre parasite » de la littérature courtoise profane, d’autres médiévistes restent un peu plus nuancés et mettent l’accent sur une forme adaptée et recomposée. Sans non plus verser dans la naïveté, peut-être n’y a-t-il pas eu là que des volontés d’instrumentalisation, mais aussi, par moments, quelques élans sensibles de la part des auteurs religieux qui, inspirés par certains éléments de la lyrique courtoise et par certaines de ses valeurs chevaleresques aussi, se mettent au diapason d’une société qui à travers sa littérature et son art, est en train de repenser le sentiment amoureux au coeur même de ses valeurs (1).
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
(1)Hors de l’Espagne médiévale et des Cantigas de Santa Maria, on trouvera un exemple saisissant de ces questions de transposition de la lyrique courtoise au culte marial, dans l’oeuvre du trouvère et moine bénédictin Gautier de Coinci et on pourra valablement se reporter, comme point de départ, à un article publié en 2010 par Jean-Louis Benoit dans la revue Le Moyen : « La dame courtoise et la littérature dans Les Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci »
Sujet : musique médiévale, musicien, trouvère, troubadour, poète médiéval, amour courtois, virelai Titre : « Je vivroie liement» Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge Interprète : Elisabeth Pawelke
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous revenons vers le grand maître de musique Guillaume de Machaut pour partager l’un des trente trois virelais qu’il nous a laissés. Soucieux de formaliser les genres et les compositions musicales, comme le fut son ami Eustache Deschamps de le faire pour la poésie, Guillaume Machaut fut un des premiers à organiser de manière systématique son œuvre.
De fait, il nous a légué trois manuscrits complets sur son abondant travail de composition et d’écriture, fournissant même l’ordre dans lequel classer ses différentes œuvres musicales. Nous retrouvons donc la pièce du jour, le virelai V23 intitulé « Je vivroie liement » (je vivrai dans la joie) dans différents manuscrits anciens enluminés, avec ou sans notation musicale, dont certains qui furent même réalisés de son vivant et à l’élaboration desquels il a certainement participé (la miniature ci-dessous est tirée de l’un deux et même de plus ancien: le manuscrit 1586 de la BnF).
Le virelai de Guillaume de Machaut
et sa notation musicale du XIVe siècle
Après quelques sérieuses heures de recherche, le nez plongé dans les vieux parchemins et les nombreux manuscrits anciens sur Guillaume de Machaut que l’on peut trouver notamment sur le site de la BNF, nous vous présentons, ci-dessous, ce virelai, accompagné de sa partition. Le tout est extrait du manuscrit ancien numéroté 9221 ayant pour titre « Guillaume de Machaut: œuvres narratives et lyriques« . Cet ouvrage n’est pas tout à fait contemporain de l’artiste puisqu’il date de 1380-1395 mais il a l’avantage d’être accompagné de la notation musicale d’époque. Il n’est, encore une fois, pas le seul dans ce cas puisque les manuscrits anciens sur l’œuvre de Guillaume de Machaut ne manquent pas et dénotent bien de sa popularité comme de son influence sur la musique de son siècle et de ceux qui suivront.
On trouve quelques versions de ce morceau à la ronde dont certaines exécutées par des formations de taille moyenne avec des orchestrations conséquentes mais nous avons choisi pour l’interprétation du jour celle de Elisabeth Pawelke, Elisabeth Pawelke est une chanteuse, musicienne et harpiste qui s’est jusque là spécialisée dans les musiques anciennes et médiévales et qui connait, déjà, des débuts de carrière très prometteurs dans ces répertoires. Elle a participé, depuis plusieurs années, à plusieurs formations médiévales (le groupe Almara, la formation troubadours du monde, Egeria, l’ensemble Ricci Caprici) mais elle a aussi contribué activement à la réalisation de plusieurs albums du groupe folk néo-médiéval allemand FAUN dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ici. Elle se produit également en solo sur divers scènes européennes, où elle propose des répertoires qui vont des lais de Marie de France à des chansons d’amour courtois de troubadours ou Trobairitz médiévaux. Elle nous offre, ici, une version très épurée du virelai de Guillaume de Machaut, sans fioriture et soutenue presque uniquement par sa très belle prestation vocale.
Traduction adaptation de « Je vivroie lentement » en français moderne
On doit au musicologue américain d’origine germanique Leo Schrade d’avoir publié l’ensemble des œuvres de Machaut, dans le courant du XXe siècle, contribuant ainsi à faire mieux connaître le maître de musique médiéval hors de nos frontières. De fait, si vous cherchez une peu à la ronde sur le web, vous vous rendrez compte qu’on parle pratiquement plus de cette pièce du jour sur des sites anglophones que sur des sites français. Dans la même veine, on trouve aussi plus facilement sa traduction et adaptation en anglaise qu’en français. Pour réparer cette ironie de l’Histoire, nous nous y sommes donc attelés et vous donnons ici quelques clés et définitions qui devraient vous permettre de mieux comprendre ce virelai :
Je vivroie liement*, (dans la joie) Douce creature, Se vous saviés vraiement Qu’en vous fust parfaitement Ma cure .
Dame de meinteing (maintien) joli, Plaisant, nette et pure, Souvent me fait dire: « aymi » (Hélas) Li maus que j’endure
Pour vous servir loyaument. Et soiés seüre Que je ne puis nullement Vivre einsi, se longuement Me dure.
Je vivroie liement, Douce creature, Se vous saviés vraiement Qu’en vous fust parfaitement Ma cure.
Car vous m’estes sans mercy Et sans pité dure, Et s’avés le cuer de mi Mis en tel ardure (désir ardent)
Qu’il morra certeinnement De mort trop obscure, Se pour son aligement (soulagement) Merci n’est procheinnement Meüre.* (votre pitié ne tarde à venir)
Je vivroie liement, Douce creature, Se vous saviés vraiement Qu’en vous fust parfaitement Ma cure.
(1) que vous êtes l’objet de toute mon attention, mes soins, mon souci
En vous souhaitant une très belle journée !
Fred
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Sujet : poésie, musique médiévale,langue d’oc, occitan, provençal, langues des troubadours Période : du moyen-âge à nos jours Média : vidéo documentaire
Bonjour à tous,
t si on parlait un peu d’histoire des langues sur notre belle terre de France aujourd’hui et notamment du parlé et du chanté des mythiques troubadours provençaux du moyen-âge? Voici donc quelques réflexions et informations sur le sujet, accompagnées d’un documentaire court mais très informatif aux couleurs du Languedoc d’aujourd’hui et de la belle langue provençale d’oc, de ses racines passées à ses plus belles feuilles contemporaines. Nous parlerons ensuite de manière un peu plus précise des troubadours.
Vidéo-documentaire sur la langue occitane
On sourira peut-être à la pensée que c’est à un poète-écrivain Italien du moyen-âge, le grand Dante Alighieri (portrait ci-dessous par Sandro Botticelli, 1495) que l’on doit une des premières mentions de la langue d’oc. Il avait en effet dans son ouvrage « De vulgari eloquentia » (le parler commun ou le parler « vulgaire » au sens commun) classifié les langues romanes suivant la façon de dire « Oui ».: « Oil » au nord, « Oc » au Sud, « Si » en Italie.
Langue millénaire parlée par une bonne moitié sud de la France pendant de nombreux siècles et jusqu’à aujourd’hui dans une moindre mesure, on fait remonter la naissance de l’occitan autour du VIIIe siècle. C’est donc une langue romane qui a aussi des formes dialectales et dont l’espace allait alors de l’Atlantique à la plaine du Pô en Italie, jusqu’au nord du Massif Central et des Pyrénées.
Pour la période médiévale qui nous concerne, on doit, entre autres choses, à la langue d’oc et à ses troubadours la création d’une forme poétique chantée unique en son genre qui comprend, notamment, les grands chants courtois et qui rayonna au delà des frontières occitanes dans le bassin méditerranéen et bien sûr jusqu’au nord de la France où les trouvères qui, eux, s’exprimaient en vieux français et ou plutôt même en langue d’oil, s’en inspirèrent largement.
L’Art des troubadours et la langue d’Oc
au coeur du moyen-âge central
Dans un article sur la question des troubadours (universalis en ligne), Paul Zumthor, romancier et poète suisse, spécialiste de poésie médiévale, nous apprend que l’on dénombrait entre les années 1100 et 1350 et dans la France médiévale, plus de 450 troubadours et plus de 2500 chansons. Ces chiffres donnent la mesure de l’ampleur du phénomène et du berceau de créativité incroyable qu’a été le pays d’oc durant ces périodes. Des artistes, hommes et femmes (les « trobairitz »photo ci-dessous) s’adonnent à cet Art musical et poétique et la « canso » occitane (chanson, vers chantés) connaît son apogée.
Il n’y a pas, alors, dans les chansons des troubadours que les chants d’amour courtois que l’on a souvent retenu. Ces poètes de monde médiéval déclinent, en effet, leur Art sous d’autres formes: polémiques ou satiriques (le Sirventès), ou en forme d’homélie ou de lamentations sur la mort d’un être aimé (le Planh). Fait qui nous en dit encore beaucoup sur les troubadours et l’exercice de leur art, l’absence de notation dans les compositions laisse alors libre champ à l’interprétation de l’artiste sur la rythmique: « le compositeur abandonnait à son interprète le soin de quantifier les temps »(Paul Zumthor. op cité). Au fond, le troubadour et son Art n’existent que face à un public et pour ce public. Dans le même esprit, il y aura aussi les chants improvisés, mais encore les défis poétiques que se lancent entre eux les troubadours pour donner le spectacle. Même si cet leur Art obéit dans l’écriture à des codes, cela reste donc bien une école de la créativité et du jeu.
Les racines et les influences des troubadours et de leurs « cansos » (chansons)
Le plus étonnant de ce phénomène artistique et de ces troubadours qui enflammèrent littéralement le moyen-âge demeure que l’on n’a toujours pas trouvé les traces d’une inspiration claire des formes artistiques uniques qu’ils ont crée; entendez par là qu’historiquement, les formes musicales et versifiées de leur poésie leur sont propres et sont originales, Elles ne semblent pas émerger clairement de quelques copies ou influences « historiques » directes leur ayant pré-existé. On a émis quelquefois l’hypothèse que l’ouverture à l’Espagne musulmane d’alors et certaines formes de poésies soufies aient pu les inspirer mais rien ne permet de l’établir de manière certaine. Il est possible encore que certaines formes musicales sémitiques aient également influencé certains d’entre eux; les communautés juives étant alors nombreuses en France méridionale et médiévale. Quoiqu’il en soit, on reste, face à tout cela, dans le champ des hypothèses et si ce petit monde des troubadours semble bien s’entendre sur des formes artistiques « communes », il demeure relativement hétérogène.
Pour avoir une vision un peu plus complète du tableau, il faut ajouter que ces artistes, qu’ils soient rois, chevaliers, clercs ou même anonymes, avaient souvent, à leur actif, une bonne culture latine. Concernant enfin les formes de l’amour courtois dont ils feront une promotion active, marquant ainsi à jamais notre littérature comme notre culture, l’influence des légendes celtiques de Tristan et Yseult a aussi indéniablement compté au nombre de leurs sources d’inspiration. Cette légende et de nombreux récits autour d’elle seront, en effet, publiés sous plusieurs formes en Europe dans le courant même du XIIe siècle (Angleterre, France, Allemagne) et des troubadours tels que Bernard de Ventadorn (portrait ci-contre, enluminure du XIIIe siècle) ou Raimbaut d’Orange auront tôt fait, dès ce même siècle, de les chanter, en comparant leurs propres amours à celles contrariées des deux amants bretons qui, ne pouvant le faire de leur vivant, choisirent pour s’aimer de se rejoindre dans la mort.
Bernard de Ventadour (Ventadorn), « Tant ai mo cor ple de joya »
Extrait en version originale occitane
« Eu n’ai la bon’ esperansa. Mas petit m’aonda, C’atressi.m ten en balansa Com la naus en l’onda. Del mal pes que.m desenansa, No sai on m’esconda. Tota noih me vir’ e.m lansa Desobre l’esponda. Plus trac pena d’amor De Tristan l’amador, Que.n sofri manhta dolor Per Izeut la blonda. »
Traduction français moderne
« j’ai le coeur si plein de joie »
« Je garde bonne espérance, – Qui m’aide bien peu – Car mon âme est balancée Comme nef sur l’onde. Du souci qui me déprime Où m’abriterai-je? La nuit il m’agite et jette Sur le bord du lit : Je souffre plus d’amour Que l’amoureux Tristan Qui endura maints tourments Pour Iseult la blonde. «
Bernard de Ventadour ou Bernard de Ventadorn (1145-1195)
Quelques réflexions hors champ
pour élargir un peu sur le mythe de Babel
« Une langue différente est une autre vision de la vie »
Federico Fellini
Pardonnez-nous la digression qui va suivre mais tout cela nous donne l’occasion de parler un peu de l’apprentissage des langues en général parce qu’au delà de l’appellation « langue régionale » qui semble quelquefois reléguer le débat à quelques documentaires aux heures de peu d’écoute de France 3, il faut se souvenir que plus qu’un assemblage de mots, chaque langue cache d’infinies richesses, un monde de représentations, une façon d’être au monde et de le percevoir. Un mot, un vocable, ne désigne pas seulement la chose mais il l’a crée aussi ou lui donne corps. Chez les touaregs et l’exemple est connu, il existe de nombreux mots pour désigner le sable parce que l’observation et la connaissance de leur milieu de vie les ont conduits à percevoir des nuances là où l’étranger n’y voit goutte (vous me direz dans un désert, cela peut se comprendre). Quoiqu’il en soit, il en est de même pour les choses comme pour les sentiments ou les représentations du monde. Contre toutes idées reçues, apprendre une langue, quelle qu’elle soit, ne sert jamais à rien.
On peut, quelquefois, avoir la tentation de souhaiter une certaine fin de Babel, en rêvant d’un monde où nous pourrions tous « enfin » nous comprendre: une langue unique, un esperanto, mais il suffit, en général, d’imaginer que nous perdions notre propre langue maternelle au détriment d’une autre (l’anglais par exemple) pour comprendre combien se diluerait avec cette perte toute une vision des choses, des sentiments, du monde. Fort heureusement, l’homme est un animal linguistique et il n’y a jamais rien eu d’incompatible à apprendre un idiome commun tout en gardant le sien. Louons donc le bilinguisme, le trilinguisme, le quadrilinguisme et plus pourquoi pas, puisque nous en sommes tout à fait capables pour peu qu’on nous en laisse la possibilité.
De tout temps, la lutte des sociétés aux pouvoirs centralisées (et elles le sont désormais toutes), contre leurs langues intra-muros, a toujours été bien plus politique que fondée sur la capacité des hommes à apprendre et manier plusieurs langages. Le dire ne casse pas trois pattes à un canard, ni ne révolutionne l’usage du fil à couper le beurre, mais ce n’est jamais tant la facilité des échanges que l’on cherche que l’uniformisation des consciences: la langue unique, le citoyen unique et finalement, allons-y, à l’heure de la mondialisation, le marché unique. Une seule étiquette pour tout le monde sur les pots de Yaourt, le bonheur enfin! J’ironise à peine mais, encore une fois, tout cela n’est pas vraiment un projet culturel pour l’homme et n’en prend, en tout cas, jamais la forme (ci-dessus illustration tirée du célèbre film The Wall des Pink Floyd). D’ailleurs, dans les régions où les identités culturelles se défendent encore pour ne pas s’éteindre, les détracteurs l’ont bien compris puisqu’ils en prennent le contre-pied en défendant leur langue d’une manière qui pourrait même, parfois, dérouter le visiteur, quand ce n’est pas le compatriote. Imaginez que je parle français mais que quand vous m’adressiez la parole je vous réponde en Limousin, vous percevrez un peu mieux mon exemple. Il faut vivre quelque temps à Barcelone et en Catalogne pour comprendre tout cela mais du même coup, comprendre un peu mieux aussi le Quebec. Il faut encore rencontrer les indiens Bribri du Costa Rica ou d’autres endroits pour comprendre que les priver de leur langue revient à les priver de leurs racines, de leur histoire et de leur identité profonde. Ils l’ont compris d’ailleurs et se remettent à l’apprendre et à l’enseigner à leurs enfants, en plus de l’Espagnol, comme quoi encore une fois, cela n’est pas incompatible.
Comment défendre son identité culturelle sans défendre sa langue dans un contexte qui l’oppresse? C’est une question très difficile même si contre le repli, il faut sans doute mieux plaider pour l’ouverture. Apprendre les langues du monde et conserver la sienne?Inviter l’autre à découvrir sa propre langue et, avec elle, s’ouvrir à un monde insoupçonné? Encore une fois, rien d’impossible!
Pour revenir au monde médiéval, Roger Bacon, le célèbre savant et érudit du XIIIe siècle nous disait déjà que «la connaissance des langues est la porte de la sagesse». Avoir la chance ou le privilège d’apprendre une langue étrangère à la sienne est une richesse que l’on mesure souvent, une fois l’étape franchie mais à n’en pas douter, les vraies richesses des hommes sont nichées dans leurs cultures et de leurs différences, et qu’on le veuille ou non, tout cela passe par leur langage. C’est aussi cela qui a fait, depuis des millénaires, marcher le monde et avancer l’humanité. Au fond, Babel est peut-être aussi un défi merveilleux qui recèle d’infinis trésors. Il faut aimer les langues et les cultures si l’on aime les hommes et il faut les aimer, même si c’est difficile quelquefois, car ils en ont besoin et n’ont peut-être, au fond même, que ce seul vrai besoin là.
Une belle journée à tous!
Frédéric EFFE
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