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« S’eu fos en cort » la chanson médiévale d’un fine amant en peine par Peire Vidal

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : S’eu fos en cort
Interprète : Ensemble Peregrina
Album :   Cantix (2013)

Bonjour à tous,

E_lettrine_moyen_age_passionn suivant les pas de Peire Vidal et de ses désillusions amoureuses, nous vous entraînons, cette fois,  du côté de la Provence médiévale. Nous sommes   quelque part entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle  et  le troubadour nous conte  comme il se trouve mis à mal par l’indifférence de sa dame.  Sous les formes (habituelles pour l’époque) de la courtoisie, cette chanson médiévale est l’histoire d’une impasse et, comme tout bon loyal amant continue de l’être,  quelquefois, au delà de toute raison, le poète s’accroche  à ses sentiments  autant qu’à son désespoir de ne pas les voir aboutir.

Pour servir cette  belle chanson en occitan médiéval, dont nous vous proposerons une traduction, nous avons choisi l’interprétation d’une formation de talent : l’Ensemble Peregrina, ce qui nous donnera l’occasion de vous la    présenter.

S’eu fos en cort, de Peire Vidal par l’Ensemble Peregrina

L’Ensemble Peregrina

L’ensemble  Peregrina a été  fondé à Bâle, en 1997, par la musicologue et  chanteuse   Agnieszka Budzińska-Bennett (au centre, sur la photo ci- dessous). Il a des relations étroites avec la Schola Basiliensis Cantorum puisque c’est là que ses membres se sont rencontrés. On se souvient que cette école suisse spécialisée dans l’apprentissage des musiques anciennes et médiévales a vu passer des professeurs de renom (voir autobiographie intellectuelle de Jordi Savall) mais qu’elle a aussi favorisé la formation de  nombreux ensembles de talent.

ensemble-medieval-Peregrina-album-musique-moyen-ageDès sa formation, Peregrina a opté pour un répertoire très clairement médiéval avec une prédilection pour les musiques sacrées ou profanes du Moyen Âge central à tardif (XIIe au XIVe siècle). Depuis sa création, il y a presque 20 ans, l’ensemble a fait du chemin. Il s’est produit en concert sur de nombreuses scènes en Europe (Suisse, Pologne, Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Estonie, …) mais aussi aux Etats-Unis. Il a également produit un nombre important d’albums sur les thèmes les plus divers :  musiques médiévales de l’Europe du nord (Finlande, Suède et Danemark),  musiques   du Tyrol,  compositions autour de Saint-Nicolas , chants dévots à la vierge du XIIe siècle, etc… A différentes occasions, Peregrina  a reçu de nombreux prix et sa reconnaissance sur la scène des musiques médiévales est, aujourd’hui, largement établie.

Voir le site web de l’Ensemble Peregrina (anglais)Voir sa Page FB

L’album Cantrix
Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste

Enregistré en 2012 et mis à la distribution l’année suivante, l’album Cantrix  a pour vocation de faire tribut aux musiques médiévales autour de Saint Jean-Baptiste,  notamment tel qu’on le chantait dans les couvents royaux des  hospitalières de  Sigena et des Cisterciennes de   Las Huelgas.

On y retrouve des musiques principalement liturgiques extraites, dont  une grande partie, issues du Codex  de    Las Huelgas.   L’ombre de la Reine Sancha qui fonda un monastère en Aragon plane aussi  sur cet album.  Ceci explique la présence de  pièces issues du répertoire des troubadours, une de Rostainh Berenguier de Marselha et celle du jour de Peire Vidal. On la retrouve  sous deux formes dans l’album :   en version vocale et   musicale.  Comme on le verra, dans sa chanson, le troubadour provençal et occitan  fait allusion à la grandeur d’une reine d’Aragon et son roi et leur adresse même cette création. Au vue des éloges qu’il y prodigue à leur encontre,  il semble bien qu’il s’étaitmusique-medievale-album-ensemble-peregrina-cantix-moyen-age  fait des deux monarques  des  protecteurs très appréciés et bienveillants.

Pour revenir à l’album Cantrix, sa sortie coïncidait aussi avec l’anniversaire les 900 ans de l’Ordre de Malte et sa reconnaissance par le pape.  Il a d’ailleurs été co-produit par  l’Association Suisse pour le règne souverain de l’Ordre de Malte (la Swiss Association of the Sovereign Order of Malta). On y retrouve 24 pièces  dont une majorité de chants polyphoniques et motets, mais aussi des pièces plus instrumentales.

L’album est encore disponible à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations :   Cantrix. Musique Médiévale pour Saint Jean-Baptiste. Ensemble Peregrina.

Membres de  l’Ensemble Peregrina sur cet album

Agnieszka Budzińska-Bennett  (dir, voix, harpe), Kelly Landerkin, Lorenza Donadini, Hanna Järveläinen, Eve Kopli, Agnieszka Tutton (voix),  Baptiste Romain (vièle),  Matthias Spoerry (voix)


S’eu fos en cort de Peire Vidal
de l’Occitan au Français moderne

Pour nous guider dans la traduction de cette chanson, nous avons suivi   les travaux de  Joseph Anglade : Les  poésies de Peire Vidal (1913). Nous les avons complétés avec des recherches personnelles sur divers lexiques et dictionnaires occitans. Se faisant, il n’est jamais question d’arrêter une version définitive, ni d’en avoir la prétention, mais plus d’ouvrir d’autres pistes et même, par endroits, de susciter certaines interrogations sur les sens et les  interprétations.

S’eu fos en cort on hom tengues dreitura,
De ma domna, sitôt s’es bon’ e bela,
Me clamera, qu’a tan gran tort mi mena
Que no m’aten plevi ni covinensa.
E donc per que.m promet so que no.m dona,
No tem peccat ni sap ques es vergonha.

Si j’étais dans une cour où on obtienne justice,
De ma dame, quoiqu’elle soit bonne et belle,
Je me plaindrais, car elle me traite avec tant d’injustice,
En ne respectant ni promesse, ni convention (gage, accord).
Et puisqu’elle me promet ce qu’elle ne me donne pas;
Elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu’est la honte.

E valgra.m mais quem fos al prim esquiva,
Qu’ela’m tengues en aitan greu rancura ;
Mas ilh o fai si com cel que cembela,
Qu’ab bels semblans m’a mes en mortal pena,
Don ja ses leis no cre aver garensa,
Qu’anc mala fos tan bêla ni tan bona.

Il eut mieux valu qu’elle me fut, d’emblée, farouche,
Puisqu’elle me tient dans un chagrin (rancune ?) si grand et si sévère
Mais elle a fait comme celui qui tend un piège (au moyen d’un leurre)
Puisqu’avec ses belles apparences, elle m’a mis dans une peine mortelle,
Dont jamais sans elle, je ne crois pouvoir  me guérir
Tant, pour mon malheur, elle n’eut sa pareille en beauté et en bonté.

D’autres afars es cortez’ e chauzida,
Mas mal o fai, car a mon dan s’abriva,
Que peitz me fai, e ges no s’en melhura,
Que mals de dens, quan dol en la maissela;
Que.l cor me bat e.m fier, que no.s refrena,
S’amors ab leis et ab tota Proensa.

En d’autres affaires, elle est courtoise et distinguée (indulgente, avisée ?)
Mais elle agit mal, car elle s’acharne à me causer de la peine,
En me faisant le pire et cela ne s’améliore en rien,
Pas plus que le mal de dents quand il s’étend à la mâchoire ;
Au point que mon cœur bat et frappe, sans se refréner,
D’amour pour elle, dans toute la Provence.

E car no vei mon Rainier de Marselha,
Sitot me viu, mos viures no m’es vida ;
E.l malautes que soven recaliva
Garis mout greu, ans mor, si sos mals dura.
Doncs sui eu mortz, s’enaissi.m renovela
Aquest dezirs que.m tol soven l’alena.

Et puisque je ne vois mon Rainier de Marseille,
Quoique je vive, ce n’est pas une vie ;
Et comme le malade, qui ne cesse d’avoir de la fièvre
Est plus dur à guérir, et meurt, si son mal persiste.
Ainsi je suis bien mort, si ne cesse de se renouveler,
Ce désir qui me prive souvent de respiration.

A mon semblan mout l’aurai tart conquista,
Car nulha domna peitz no s’aconselha
Vas son amic, et on plus l’ai servida
De mon poder, eu la trob plus ombriva.
Doncs car tan l’am, mout sui plus folatura
Que fols pastres qu’a bel poi caramela.

A ce qu’il me semble, je l’aurais conquise trop tard,
Car nul femme ne prend de si dures résolutions,
Envers son ami (amant), et plus je l’ai servie
De toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse.
Ainsi puisque je l’aime tant, je suis encore plus fou
Que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline.

Mas vencutz es cui Amors apodera ;
Apoderatz fui quan ma domn’ aic vista,
Car nulh’autra ab leis no s’aparelha
De pretz entier ab proeza complida.
Per qu’eu sui seus e serai tan quan viva,
E si no.m val er tortz e desmezura.

Mais il est vaincu celui que l’amour possède
Je fus pris dès que j’ai vu ma dame,
Car nulle autre ne lui ressemble,
De ses mérites entiers à sa bonté parfaite.
Et pour cela je suis à elle et le resterais aussi longtemps que je vivrais
Et si elle ne me porte secours ce sera tort et démesure.

Chansos, vai t’en a la valen regina
En Arago, quar mais regina vera
No sai el mon, e si n’ai mainta quista,
E no trob plus ses tort e ses querelha.
Mas ilh es franc’ e leials e grazida
Per tota gent et a Deu agradiva.

Chanson, va-t-en jusqu’à la vaillante reine
En Aragon, car reine plus authentique
Je ne connais au monde, et pourtant j’en ai vu plus d’une
Et je n’en trouve d’autre, sans tort et sans tâche
Mais, elle, est franche, et loyale et gracieuse
aimée de tous et de Dieu.

E car lo reis sobr’autres reis s’enansa,
Ad aital rei coven aitals regina.

Bels Castiatz, vostre pretz senhoreja
Sobre totz pretz, qu’ab melhors faitz s’enansa.

Mon Gazanhat sal Deus e Na Vierna,
Car hom tan gen no dona ni guerreja.

Et puisque le roi au dessus des autres rois s’élève,
A un tel roi convient une telle reine.

Beau Castiat (1), votre mérite surpasse
tous les mérites, car il s’élève par de plus hauts faits (nobles actions).

Dieu sauve mon Gazanhat (profit, protecteur ?) et dame Vierna (2),
Car personne ne sait mieux qu’eux donner et guerroyer.


Notes

(1)   Castiatz : Raymon V de Toulouse, protecteur du troubadour. d’après M.E Hoepffner suivi par une grande majorité de médiévistes depuis.

(2)   Na Vierna : Dame très souvent mentionnée dans les poésies de Vidal, et qui d’après Hoepffner vivait certainement dans l’entourage du comté de Toulouse. Dans ses poésies, Peire Vidal la mentionne, en effet, systématiquement  en même temps que Castiatz.  Dans un article de 1943, la philologue et médiéviste Rita Lejeune  nous apprend que son nom véritable aurait été  Vierna de  GangesSelon elle toujours, cette Na Vierna aurait pu être plus proche du comte de Toulouse que seulement une vassale et lointaine parente. Elle pense même que serait cette dame à laquelle le troubadour aurait volé un baiser qui allait lui coûter son exil de Toulouse par le comte lui même. En suivant son raisonnement, ce serait peut-être encore la dame à laquelle est destinée cette pièce. Très sincèrement, il n’existe aucun moyen de vérifier cela aussi libre à vous de suivre ou non la médiéviste dans ses allégations et son raisonnement. (Voir Les personnages de   Castiat  et de  Na Vierna  dans Peire Vidal,  Annales du Midi, Tome 55, N°217-218, 1943). 

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval    sous toutes ses formes.

Marcabru : « L’autrier, a l’issida d’abriu », un départ de pastourelle pour une poésie satirique

troubadour_moyen-age-central_musique_chanson_poesie_medieval_occitan_oc_occitanie_MarcabruSujet  : troubadours, langue d’oc, poésie, chanson, musique médiévale,  chant de croisade. poésie satirique, occitan
Période : moyen-âge central, XIIe siècle
Auteur :   Marcabru   (1110-1150)
Titre  :  « L’autrier, a l’issida d’abriu»
Interprète : Ensemble Tre Fontane
Album
Le Chant des Troubadours v1 (1992)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous repartons, aujourd’hui, pour le pays d’Oc médiéval et ses premiers troubadours, avec une nouvelle chanson de Marcabru (Marcabrun). Au menu, sa traduction de l’occitan vers le français moderne, quelques réflexions sur son contenu, et sa belle interprétation par l’Ensemble Tre Fontane.

Quelques réflexions
sur la chanson médiévale du jour

« L’autrier, a l’issida d’abriu » est une pièce satirique qui débute de manière « conventionnelle », entendez courtoise, avec même de claires allures de pastourelle. Aux portes du printemps, le poète occitan se tient en pleine nature et un chant d’oiseau va l’inspirer. Il croise ainsi une jeune fille, tente de la séduire, mais bientôt les vers de cette dernière se font satiriques et désabusés. La demoiselle se détourne de lui, son cœur est ailleurs, lui dit-elle : prix, jeunesse et joie déchoient. A qui se fier dans un siècle où les nobles valeurs se perdent ? Même les puissants seigneurs s’y associent aux pires goujats. Croyant éviter les trahisons adultérines en confiant à ces derniers la garde de leurs épouses, ils se fourvoient grandement et sont deux fois trahis.

marcabru_poesie-satirique-chanson-medievale_manuscrit-medieval-ancien-français-12473-s« L’autrier, a l’issida d’abriu » de Marcabru, Chansonnier K, Chansonnier provençal ou Français 12473, de la BnF    (consultez sur Gallica)

Au delà d’une première approche de traduction, peut-être faut -il renoncer à comprendre totalement la poésie de Marcabru pour la goûter pleinement ? Cette question n’en finit pas d’être posée à travers les vers tout en allusion de ce troubadour qui semblent, si souvent, se référer à des réalités connues, seules, de ses contemporains, quand ce n’est pas seulement de lui-même.

Le texte du jour n’échappe pas à la règle. Avec cette image de l’épouse cadenassée et sous bonne garde, Marcabru fait-il référence, sans le nommer, au cas d’un noble en particulier, en prenant soin, au passage, de le noyer dans une catégorie : celles des « hommes puissants et des barons » ? Le phénomène est-il si généralisé qu’il a l’air de le dire ?  N’est-ce là qu’un prétexte fourni au grand maître de cette forme de poésie hermétique qu’est le trobar clus, pour critiquer indirectement la toile de fond courtoise et ses fréquents appels à l’adultère ? On le sait, les valeurs qu’affectionne le poète occitan sont chrétiennes et les amours cachées et interdites mises en exergue par la courtoisie ne sont pas pour lui, ni de son goût « moral ».

« L’autrier, a l’issida d’abriu » Marcabru par l’Ensemble Tre Fontane

Le Chant des Troubadours d’Aquitaine
par l’Ensemble Tre Fontane

Nous avons déjà mentionné ce bel ensemble médiéval qui a dédié une large partie de sa longue carrière à l’interprétation des chansons de troubadours occitans du Moyen-âge central. A cette occasion, nous avions même détaillé la production dont est issue la pièce du jour aussi nous vous invitons à vous y reporter: Marcabru, « Dirai vos senes duptansa» : la chanson médiévale désabusée d’un troubadour loin de la Fine Amorchanson-musique-medievale-troubadours-occitan-medieval-tre-fontane

L’album en question est toujours édité et disponible à la vente  en ligne. Voici un lien utile pour en savoir plus : Le chant des troubadours volume 1 par l’Ensemble Tre-Fontane.


« L’autrier, a l’issida d’abriu »,
de l’occitan médiéval au français moderne

Pour la traduction nous avons suivi partiellement celle de JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909). Le reste est le fruit de croisements et de recherches personnelles.

I
L’autrier, a l’issida d’abriu,
En uns pasturaus lonc un riu,
Et ab lo comens d’un chantiu
Que fant l’auzeill per alegrar,
Auzi la votz d’un pastoriu
Ab una mancipa chantar.

L’autre jour, au sortir d’avril,
Dans  des pâturages, au long d’un ruisseau,
Et, alors (la chanson) commence un (d’)chant
Que font les oiseaux pour se réjouir,
J’entendis la voix d’un pastoureau
Qui chantait avec une jeune fille.

II
Trobei la sotz un fau ombriu
 « Bella, fich m’ieu, pois Jois reviu
…………………………………………..
Ben nos devem apareillar. »
—  « Non devem, don, que d’als pensiu
Ai mon coratg’ e mon affar. »

Je la trouvais sous un hêtre ombreux.
— « Belle, lui dis-je, puisque Joie revit.
……………………………………………..
Nous devrions bien nous mettre ensemble.»
— « Nous ne le devons pas, Sire, car ailleurs
Sont tournés mon coeur et mes préoccupations.» (« pensées & désirs ». Dejeanne) 

III
— « Digatz, bella, del pens cum vai
On vostre coratges estai? »
—  « A ma fe, don, ieu vos dirai,
S’aisi es vers cum aug comtar,
Pretz e Jovens e Jois dechai
C’om en autre no’is pot fiar.

— « Dites-moi, belle, de ses pensées qui ainsi,
occupent votre cœur? »
— « Par ma foi, sire, je vous dirai,
S’il est vrai comme je t’entends conter,
Prix, Joie et Jeunesse déchoient,
De sorte qu’on ne peut se fier à personne.

IV
D’autra manieira cogossos,
Hi a ries homes e baros
Qui las enserron dinz maios
Qu’estrains non i posca intrar
E tenon guirbautz als tisos
Cui las comandon a gardar.

D’autre façon (dans un autre registre) sont cocufiés les maris.
Et il est des hommes puissants et barons
Qui enferment leurs femmes dans les maisons,
Afin que les étrangers ne puissent y entrer,
Et qui tiennent des goujats aux tisons
Auxquels ils donnent ordre de les garder.

V
E segon que ditz Salamos,
Non podon cill pejors lairos
Acuillir d’aquels compaignos
Qui fant la noirim cogular,
Et aplanon los guirbaudos
E cujon lor fills piadar. »

Et selon ce que dit Salomon,
Ceux-là ne peuvent accueillir de pires larrons
Que ces compagnons
qui abâtardissent les rejetons (1),.
Et ils caressent les  goujats
En s’imaginant ainsi couvrir leurs propres fils d’affection.»  (2)

(1) La traduction que nous avons utilisée ici de « noirim » comme bouture, rejeton, nourrain  provient du Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours: comparée avec les autres langues de l’Europe latine, P Raynouard (1811) De son côté JML Dejeanne (Poésies complètes du troubadour Marcabru (1909)  traduit : « abâtardissent la race ».  Pour information, on trouve le même terme traduit comme « nourriture » dans le Dictionnaire d’Occitan Médiéval en ligne.

(2) Raynouard : rendre leur fils plus affectueux


En vous souhaitant une agréable journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Peire Vidal, de retour dans sa Provence natale, l’abandon du fine amant à sa dame

peire_vidal_troubadour_toulousain_occitan_chanson_medievale_sirvantes_servantois_moyen-age_central_XIIeSujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue d’oc, amour courtois, Provence médiévale, fine amor, fine amant
Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle
Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Titre : Pos tôrnatz sui en Proensa
Interprète : Ensemble Beatus
Album : l’Orient des Troubadours (2011)

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons, aujourd’hui, à l’art des troubadours du moyen-âge central, en compagnie de Peire Vidal. De retour dans sa chère Provence natale, le poète dédiait cette pièce, à sa dame, à son seigneur mais encore, et peut-être même, principalement, à la fine amor (fin’amor)  et aux qualités supposées du fine amant véritable.

La belle interprétation que nous avons choisie de vous proposer de cette chanson médiévale courtoise nous est servie par l’Ensemble Beatus avec Jean-Paul Rigaud au chant, accompagné de Jasser Haj Youssef. Nous profiterons de cet article pour vous présenter cette formation plus en détail.

« Pos tôrnatz sui en Proensa » avec l’Ensemble médiéval Beatus

L’ensemble Beatus aux temps médiévaux

musiques-chansons-medievales-troubadours-ensemble-beatus-album-jean-paul-riigaudFondé dans le courant de l’année 2005, en terre limousine, l’ensemble Beatus s’est distingué, depuis, sur la scène des musiques médiévales. On connait, par ailleurs, son fondateur et directeur Jean-Paul Rigaud pour être un passionné du genre. Ce dernier a été, en effet, maintes fois, salué et primé pour la qualité de ses interprétations, aux côtés de Diabolus In Musica, mais encore de SequentiaPerceval  ou  Organum, pour ne citer que ces ensembles.

Bien qu’enfant du sol occitan et trempé de racines limousines, Beatus n’a pas limité son répertoire à l’art des anciens troubadours locaux. On le retrouve, en effet, à l’exploration des musiques et chants, profanes ou liturgiques, du Moyen-âge, des XIIe au XVe siècles, Le travail privilégié par la formation se situe au carrefour de l’ethnomusicologie et de la musique contemporaine et, pour son directeur, il est avant tout question de développer « une approche de ces répertoires dans leur relation avec la création artistique, musicale et littéraire actuelle. »

Beatus a produit, jusque là, quatre albums. Les deux premiers, dont celui du jour, sont dédiés à l’art des troubadours, Le troisième, intitulé le Lys et le lion, porte sur les chants polyphoniques de la France et de l’Angleterre médiévales du XIVe siècle. Enfin, le quatrième « Lux Lucis », part à la redécouverte des chants sacrés médiévaux d’Occident et d’Orient, sur le thème de la lumière, avec l’appui des Manuscrits anciens de l’abbaye Saint-Martial de Limoges.

Visiter le  site web de la formation et suivre son actualité

L’Orient des troubadours, l’album

Jasser-Haj-Youssef-musique-medievale-orient-des-troubadoursEn 2011, Jean-Paul Rigaud s’associait au musicien, violoniste et compositeur tunisien Jasser Haj Youssef. Muni de sa viole d’amour. ce dernier délaissait un temps le Jazz, pour une excursion aux sources de l’imaginaire courtois, sous l’angle des influences arabo-andalouses de l’art des tout premiers troubadours.  Du point de vue de l’interprétation et de la restitution, une certaine modernité était, là aussi, de mise avec un programme, qui, des propres mots de l’Ensemble « ne prétend pas à une reconstitution historique mais propose, à partir des sources manuscrites, une interprétation actuelle des cansos de troubadours dont l’oeuvre est imprégnée d’un Orient vécu ou rêvé ». 

Ainsi, avec un total de douze pièces, l’album suggère et souligne de possibles rapprochements entre Orient et Occident médiéval, en alternant des chansons et compositions de troubadours célèbres – Guillaume d’Aquitaine, Peire Vidal, Rimbaut de Vaqueiras, Gaucelm musiques_medievales_amour-courtois-ensemble-beatus-album-orient-des-troubadours-moyen-age-centralFaidit, Jaufre Rudel, etc… – avec des pièces instrumentales issues du
répertoire oriental traditionnel et qui laissent une large place à l’improvisation. L’album est toujours disponible à la vente au format CD ou MP3. Voici un lien utile pour plus d’informations : L’Orient des troubadours par l’Ensemble Beatus

« Pos Tornatz Sui en Proensa », le  fine amant courtois tout entier livré au bon vouloir de sa dame

En caricaturant un peu, on friserait presque la dialectique du maître et de l’esclave, à travers cette rhétorique dont Peire Vidal se fait ici le chantre. Si le cadre reste la lyrique médiévale courtoise, il nous parle, en effet, dans cette chanson, d’un abandon total du fine amant qui, se livrant sans réserve au pouvoir et au bon vouloir de sa dame (au point même qu’elle pourrait le donner ou le vendre), retirerait à travers cela, une source du pouvoir qu’il peut avoir sur elle.  Patience, impeccabilité, fidélité, abandon, voilà les armes véritables de l’amant courtois. Peine et souffrance, son lot, la conquête, sa récompense.  Il faut, bien sûr, voir, là, une envolée lyrique, bien plus littéraire que factuelle, tout à fait dans la veine courtoise, et peut-être encore la marque de la grandiloquence qui est une des signatures de ce poète occitan mais l’idée demeure intéressante par les cartes qu’elle met en main du fine amant (prêt à se réduire presque à néant pour parvenir à ses fins) et la dialectique de pouvoir qu’elle sous-tend.

Pour le reste, après quelques vers teintés de mystère (strophe II) qui pourraient évoquer, par leur nature allusive, les formes du Trobar Clus, on ne pourra que louer la qualité et la pureté incomparable du style de Peire Vidal.

E poiran s’en conortar
En mi tuit l’autr’ amador,
Qu’ab sobresforsiu labor
Trac de neu freida foc clar
Et aiguà doussa de mar.

En pourront s’en réconforter
En moi tous les autres amants,
Car, par grands efforts de labeur,
Je tire de la neige froide un feu clair
Et de l’eau douce, de la mer.

Les paroles  adaptées de l’Occitan au français moderne

Pour base d’adaptation de cette chanson médiévale, nous avons suivi la traduction de Joseph Anglade ( Les poésies de Peire Vidal, Librairie Honoré Champion, 1913). Nous nous en sommes toutefois largement éloignés, par endroits, avec l’appui de quelques bons vieux dictionnaires et lexiques d’occitan médiéval.

I
Pos tôrnatz sui en Proensa
Et a ma domna sap bo,
Ben dei far gaia chanso,
Sivals per reconoissensa :
Qu’ab servir et ab bonrar
Conquier hom de bon senhor
Don e benfait et honor,
Qui be-l sap tener en car :
Per qu’eu m’en dei esforsar.

Puisque je suis revenu en Provence,
Et que ce retour plait à ma dame
Je me dois de faire une chanson joyeuse,
Au moins par reconnaissance;
Car en servant et en honorant
On obtient de bon seigneur
Don et bienfait et honneur,
Pour qui qui sait bien le chérir :
Aussi dois-je m’en efforcer.

II
Ses peccat pris penedensa
E ses tort fait quis perdo,
E trais de nien gen do
Et ai d’ira benvolensa
E gaug entier de plorar
E d’amar doussa sabor,
E sui arditz per paor
E sai perden gazanhar
E, quan sui vencutz, sobrar.

Sans avoir péché je fis pénitence
Et sans tort je demandai pardon ;
Et je tirai de rien un gentil don,
Et de la colère, la bienveillance,
Et la joie parfaite, des pleurs,
Et de l’amer, la douce saveur ;
Et je suis courageux par peur,
Et je sais gagner en perdant,
Et, quand je suis vaincu, triompher* (surpasser)

III
E quar anc no fis falhensa,
Sui en bona sospeisso
Quel maltraitz me torn en pro,
Pos lo bes tan gen comensa.
E poiran s’en conortar
En mi tuit l’autr’ amador,
Qu’ab sobresforsiu labor
Trac de neu freida foc clar
Et aiguà doussa de mar.

Et comme jamais je ne commis de faute,
J’ai bon espoir
Que l’effort * (souffrance, peine) tourne à mon profit,
Puisque le bien commence si gentiment.
En pourront s’en réconforter
En moi tous les autres amants,
Car, par grands efforts de labeur,
Je tire de la neige froide un feu clair
Et de l’eau douce, de la mer.

IV
Estiers non agra garensa,
Mas quar sap que vencutz so,
Sec ma domn’ aital razo
Que vol que vencutz la vensa ;
Qu’aissi deu apoderar
Franc’ umilitatz ricor,
E quar no trob valedor
Qu’ab leis me pose’ aiudar,
Mas precs e merce clamar,

Sans cela, je n’aurais pas de salut (secours);
Mais quand, me sachant vaincu,
Ma dame suit un tel principe
Qu’elle veut que, vaincu, la vainque :
Car ainsi doit l’emporter
La franche humilité sur la puissance (la franche et noble humilité ?)
Et je ne trouve aucune aide,
Qui, auprès d’elle, me puisse secourir,
Autre que lui demander pitié et merci.

V
E pos en sa mantenensa
Aissi del tôt m’abando,
Ja ,no’m deu de no ;
Que ses tota retenensa
Sui seus per vendr’e per dar.
E totz hom fai gran folor
Que ditz qu’eu me vir alhor ;
Mais am ab leis mescabar
Qu’ab autra joi conquistar.

Et puisque, en son pouvoir (territoire, garde, …)
Ainsi, tout entier, je m’abandonne,
Jamais elle ne me refuse :
Car, sans aucune réserve,
Je suis sien pour vendre ou pour donner,
Et tout homme fait grande folie
Qui dit que je me tourne ailleurs,
Puisque je préfère faillir auprès d’elle
Qu’avec une autre conquérir le bonheur ( me procurer de la joie).

VI
E cel que long’ atendensa
Blasma, fai gran falhizo ;
Qu’er an Artus li Breto,
On avian lor plevensa.
Et eu per lonc esperar
Ai conquist ab gran doussor
Lo bais que forsa d’amor
Me fetz a mi dons emblar,
Qu’eras lo-m denh’ autreiar.

Et celui qui longue attente,
Blâme, commet une grande faute :
Car, hier, en Arthur, les Bretons
avaient mis leur confiance, (1)
Et, moi, par une longue attente
J’ai conquis avec grande douceur
Le baiser que la force d’amour
Me fit ravir à ma dame,
Et que, désormais, elle daigne m’octroyer.

VII
Bels Rainiers, per ma crezensa,
Noms sai par ni companho,
Quar tuit li valen baro
Valon sotz vostra valensa.
E pos Deus vos fetz ses par
E.us det mi per servidor,
Servirai vos de lauzor
E d’als, quant o poirai far,
Bels Rainiers, car etz ses par.

Beau Rainier, par ma foi,
Je ne vous connais ni pair ni compagnon,

Car tous les vaillants barons
Valent moins que votre vaillance.
Et puisque Dieu vous fit sans égal
Et me donna à vous pour serviteur,
Je vous servirai en faisant votre éloge
Et de toute manière que je pourrai,
Beau Rainier, car vous êtes sans égal.

(1) traduction de J. Langlade : « car maintenant les Bretons ont leur Arthur où ils avaient mis leur espoir. » 

En vous souhaitant une belle  journée.

Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen-Age sous toutes ses formes.

Chanson médiévale : une cantiga de amigo du troubadour Estêvão Coelho par l’Ensemble Manseliña

chanson-medievale_chanson-de-toile_troubadour_moyen-ageSujet :  musique, poésie médiévale,   Cantiga de amigo, galaïco-portugais, troubadour, Portugal médiéval
Période :  XIIIe siècle, moyen-âge
Auteur : Estêvão Coelho (1290/1336 ?)
Interprète  :  Manseliña
Titre:   Sedía la Fremosa  
Album :   Sedía la Fremosa  (2018)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’une nouvelle Cantiga de amigo, ces chansons médiévales originaires de l’Espagne ou du Portugal qui mettaient en scène l’attente d’une jeune amoureuse, ses espoirs ou encore sa tristesse.

Estêvão Coelho, noble troubadour portugais
du moyen-âge central

La pièce du jour nous vient d’un troubadour portugais de la fin du XIIIe siècle et des débuts du XIVe du nom de Estêvão Coelho de Riba Homem. De sang noble, l’homme était le fils d’un vassal du Roi Denis 1er du Portugal : Pero Anes Coelho, lui même descendant direct d’un chevalier et conseiller du roi Alphonse III, João Soares Coelho, connu pour être également troubadour.

Hormis cela, des documents juridiques ou administratifs d’époque ont permis d’avérer quelques détails supplémentaires de la vie de Estêvão Coelho : des possessions autour de la cité portugaise de Santarém, un héritage du côté des Tierras de Santa Maria et encore même de préciser la date supposée de sa mort, autour de 1330-1336. Entre-temps, il a peut-être aussi officié à la cour.

Sources et manuscrits anciens

chanson-medievale_troubadour_Estevao-Coelho_manuscrit_ancien_cancioneiro_da_vaticana_moyen-age_sDu point de vue de son legs, l’oeuvre du troubadour se résume à deux Cantigas de amigo. Ces deux chansons sont mentionnées dans le Cancioneiro da Vaticana. Ce manuscrit médiéval de grand intérêt contient 228 feuillets pour un total de 1205 chansons galaïco-portugaises, datées des XIIIe et XIVe siècles. Il ne fait état d’aucune notation musicale (cliquez ici pour le consulter en ligne). On retrouve encore ces deux pièces de Estêvão Coelho dans le Cancioneiro da Biblioteca Nacional, conservé à Lisbonne. Rien d’étonnant puisque les deux ouvrages sont des copies, réalisées au début du XVIe siècle, à partir d’un même manuscrit original.

Sedia la Fremosa d’Estêvão Coelho par l’ensemble Manseliña

Manseliña : à la redécouverte du répertoire médiéval galaïco-portugais

Originaire de Galice, la jeune formation Manseliña se propose de revisiter la poésie galaïco-portugaise du moyen-âge central. Dans son répertoire de prédilection, on trouve des Cantigas de amigo d’origine variées mais encore des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

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A travers son exploration de la péninsule ibérique aux temps médiévaux, Manseliña  fait aussi le pari de remettre en musique certains textes de cette période pour lesquels les notations se sont perdues. L’ensemble privilégie ainsi la technique du Contrefactum que n’auraient pas désavouée les artistes médiévaux, qui savaient aussi en faire usage, à l’occasion.  Les emprunts musicaux proviennent de mélodies et rythmes du répertoire médiéval ou traditionnel galicien et permettent de faire découvrir au public ces textes ou poésies anciennes, privés originellement de partitions.

Composition de l’ensemble Manseliña

María Giménez, voix, vièle et percussion. Belén Bermejo, orgue portatif,  Pablo Carpintero, instruments à vent et percussion, Tin Novio, luth et citole

Sedía la Fremosa : l’album

Manseliña a déjà un premier album à son actif. Sorti au tout début de 2019, il a pour titre celui de la chanson du jour. Ce sont d’ailleurs les paroles de cette dernière qui ont donné son nom à la formation avec cette « voz manselinha », « belle voix » que l’ensemble médiéval entend mettre en avant, en prenant soin de ne pas la musiques_medievales_troubadours-galaico-portugais_album_manseliña_ensemble-medieval-espagnolnoyer sous des orchestrations trop prégnantes ou complexes.

On  retrouvera, dans cet album, diverses Cantigas de Amigo, dont certaines du célèbre troubadour Martin Codax, d’autres encore, en provenance des Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X de Castille.

Vous pouvez le découvrir, dans son entier, sur la chaîne youtube officielle de la formation. Si vous souhaitez l’acquérir, il est également disponible à la vente en ligne au lien suivant (format CD ou mp3) : Sedia la fremosa.  Enfin, vous pouvez aussi retrouver Manseliña sur leur page facebook officielle.

« Sedía la fremosa » de   Estêvão Coelho
Paroles et traduction

La chanson du jour se distingue des Cantiga de amigo habituelles qui mettent souvent les rimes dans la bouche de la demoiselle qui attend le retour de son promis. Ici, la belle se trouve plutôt questionnée par un interlocuteur et elle est aussi affairée à l’ouvrage, ce qui confère à cette pièce, une proximité certaine avec les chansons de toile qu’on trouve, à la même période, en France médiévale. Il n’est pas impossible que Estêvão Coelho se soit inspiré de ses dernières. On se souvient que certains troubadours voyagent alors, avec leurs œuvres, de cour en cour (cf par exemple Peire Vidal) et que leur influence, depuis leur foyer d’Oc d’origine vers l’Europe, est assez sûrement admise.

Si le contenu de cette « Belle assise tournant son fil de soie » s’apparente à nos chansons de toile, son style reste toutefois conforme à celui des Cantigas de amigo de la poésie galaîco-portugaise : faites de peu de vers, très épurés et au sein desquels la répétition vient en soutien, pour renforcer le rythme autant que l’ambiance.

Sedía la fremosa seu sirgo torcendo,
Sa voz manselinha fremoso dizendo
Cantigas d’amigo.

La belle, assise, tordant son fil de soie 
De sa belle voix disait joliment
Des  Chansons à l’être aimé.
 

Sedía la fremosa seu sirgo lavrando,
Sa voz manselinha fremoso cantando
Cantigas d’amigo.

La belle, assise,  travaillant son fil de soie 
De sa belle voix chantait joliment
Des Chansons à l’être aimé.

– Par Deus de Cruz, dona, sei eu que havedes
Amor mui coitado, que tan ben dizedes
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, avez-vous 
De si tristes amours, pour dire si bien
Des chansons à l’être aimé ?

Par Deus de Cruz, dona, sei eu que andades
D’amor mui coitada que tan ben cantades
Cantigas d’amigo.

—  Par Dieu sur la Croix, Dame, êtes-vous
si  triste en amour, pour chanter si bien
Des chansons à l’être aimé ?

– Avuitor comestes, que adevinhades.

— Avez-vous manger du vautour (1), pour le deviner ?

(1) Il peut peut-être s’agir du butor qui est nommé vautour dans certain bestiaire médiéval. S’il s’agit du vautour, ce dernier est utilisé alors en fauconnerie et il faut sans doute plus voir ici, une allusion à l’acuité visuelle de l’interlocuteur qu’à des symboles plus péjoratifs et plus actuels attachés à ce rapace.

En vous souhaitant une belle écoute et une excellente journée!

Fred
Pour moyenagepassion.com
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