Un jour, tous les thésards du monde se donneront la main et on publiera alors un immense ouvrage qui donnera enfin à l’humanité une vision très exacte de la vérité scientifique et historique. Le seul petit problème c’est que le bouquin en question fera 8 millions de pages et sera écrit en 183 langues.
Archives par mot-clé : vérité historique
A la recherche de la vérité en histoire et en sciences humaines
Sujet : citation, vérité historique, épistémologie, conduite de l’histoire, Historiographie, histoire comparée, Sciences humaines.
“L’historien est dans la position d’un physicien qui ne connaîtrait les faits que par le compte rendu d’un garçon de laboratoire ignorant et peut-être menteur.” Charles Seignobos (1854 – 1942), Historien.
Bonjours à tous,
‘il n’est pas à proprement parler un médiéviste, s’étant plutôt spécialisé dans l’histoire politique, cette citation de l’historien ardéchois Charles Seignobos sur la conduite de l’Histoire trouve naturellement sa place ici puisque nous y sommes amenés à aborder régulièrement la question de la vulgarisation historique autant que celle de la « vérité » en Histoire.
L’objectivité relative
des sources documentaires
Hormis les sources juridiques ou d’archives de type registres, pour le reste, concernant la source des documents sur lesquels l’Histoire s’appuie, il n’est pas rare qu’il y ait controverses sur leur « objectivité ». On retrouve, notamment, ces doutes exprimés au sujet des chroniques ou de récits narratifs faits par des auteurs médiévaux qui se trouvaient souvent à la solde des seigneurs ou des princes qui les rémunéraient ou leur assuraient leur pitance. Quand ces ouvrages n’étaient pas de pures et simples commandes pour mettre en valeur leurs commanditaires, leurs faits ou leur lignages, leurs auteurs étaient, quoiqu’il en soit, pris dans le jeu de leurs propres classes sociales, de leurs idéologies, de leurs préjugés et finalement de leur temps.
La même chose s’applique encore aux écrits ou chroniques religieuses et, même en dehors des documents « narratifs », certains courants de l’Histoire récentes en sont venus à remettre en question la fiabilité de sources tels que les registres ou compte-rendus de tribunaux inquisitoriaux par exemple, en pointant du doigt le fait qu’au delà de leur contenu et des comptes ou résultats dont ils faisaient état, ils étaient aussi indéniablement le produit de représentations corporatistes ou biaisées, ou n’en étaient, en tout cas, pas dénuées. C’est un débat qui agite notamment le sujet de l’hérésie albigeoise, en plus de la fiabilité contestée de certaines sources ecclésiastiques; une des questions étant, par exemple, de savoir à quel point les inquisiteurs tentaient de faire entrer les pratiques dissidentes dans des grilles établies. L’autre, en élargissant, consiste à se demander à quel point se fier aux descriptions d’un fait social et religieux dont on ne possède principalement comme témoignages que ceux de son pire ennemi ou de ses détracteurs.
De fait, à la lumière de ces éléments, on comprend bien comment la citation de Charles Seignobos, plus d’un siècle après qu’il l’ait écrite, n’a pas pris une ride. Pour conduire correctement l’analyse historique, il faut donc en plus de vérifier les sources et les dater, sans cesse les recouper entre elles en espérant en avoir les moyens matériels, ce qui n’est pas toujours le cas sur certains sujets.
L’historiographie et l’Histoire comparée
au secours de « l’objectivité » en Histoire
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Définition : « l’historiographie a pour objet l’écriture de l’histoire ; Activité de celui qui écrit l’histoire de son temps ou des époques antérieures. »
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De fait, sans parler de leur rareté dans certains domaines ou pour certaines périodes de l’Histoire, en sus de la duplicité ou même du peu de fiabilité que l’on peut accorder à certains documents, et même avec les guillemets que peuvent mettre les historiens sérieux dans leur interprétation, il faut encore ajouter à la difficulté de l’analyse, le fait que l’interprétation historique est elle-même souvent, sinon toujours, le fruit d’un contexte idéologique et historique. D’une certaine façon, au fil de l’évolution idéologique des sociétés, elle n’en finit donc pas de se réviser elle-même: l’histoire médiévale du XXe n’en finit pas de réécrire celle du XIXe siècle, celle du XXIe continue son oeuvre tout en réécrivant déjà les limites de celle du XXe. On le voit, la sacro-sainte « vérité historique » ressemble de plus en plus à un mirage qui nous file entre les doigts, rendant difficile toute forme de vulgarisation, sauf à le faire de manière partisane et biaisée.
Au final, un constat demeure. Sauf à suivre une école ou un auteur, mais lequel? Le dernier qui a parlé en présumant qu’il est le plus objectif de tous? Le plus académiquement reconnu?, ou sauf à se dégager de toute opinion en citant les auteurs eux-même ce qui reste tout de même le plus commode, on peut encore se retrancher derrière ce que l’on pourrait appeler une intime conviction dusse-t-elle prendre les dehors de la théorie la plus objective et la mieux échafaudée. L’honnêteté intellectuelle commanderait sans doute de se resituer idéologiquement aux yeux du lecteur, mais l’expérience a prouvé que l’exercice s’accommodait peu de la prétention de l’objectivité. Aussi, qu’il ait ou non conscience de son propre positionnement, chaque auteur finit donc souvent par écrire sa vérité, charge au lecteur d’y mettre des guillemets.
De tout cela, il résulte, que, pour le chercheur averti comme pour l’amateur curieux ou passionné, il ne peut y avoir de discipline sérieuse en Histoire et même en vulgarisation historique sans approcher l’Historiographie. On ne peut étudier sérieusement la première sans passer par la seconde. Une fois brossé le portrait des courants, des interprétations, et des historiens ayant approché un sujet donné, tout cela ne dit pas pour autant que la vérité est au bout de la ligne droite et qu’elle n’est pas encore en devenir pour qui espère encore, après cela, la saisir. Car là-encore, l’exercice donne simplement l’état des « croyances », des « théories », des « interprétations » possibles sur le sujet en question dans un espace-temps défini. Charge alors de se forger sa propre opinion dans les creux et les pleins de cette méthode comparative et salutaire, mais, il est vrai, fastidieuse.
Border le champ d’observation?
La question qui se pose toutefois dans cette approche reste tout de même de savoir ou s’arrêter dans le « panorama » théorique, et j’entends par là, à la fois dans l’analyse exhaustive des « Histoires » produites, comme celui de l’espace historique et temporel de ces « Histoires ». Sauf à consacrer à chaque sujet une thèse doctorale et sans limiter les études à un certain champ, on pourrait en effet y passer un certain temps: analyse de toutes les sources documentaires, analyse de tous les auteurs dans le temps ou des plus importants, analyse des écrits ou des sources des parties idéologiques en présence et parties territoriales impliquées pourquoi pas? province, pays, autres nations impliquées, provinces frontalières, etc… Si l’on ne choisit pas un angle simple et partisan, l’exercice de la recherche sérieuse, mais aussi celui de la vulgarisation peut s’avérer complexe quand on ne veut pas simplement le réduire à des fiches de lecture d’auteurs.
Je ne peux m’empêcher en disant tout cela de penser à Edouard Sapir et à son analyse de la définition de champ culturel et son « deux-plumes n’est pas de cet avis ». Sur un certain nombre de questions relatives à la culture de la tribu, l’indien deux-plumes jamais d’accord avec les autres faisait pourtant bien partie pour Sapir du champ de la culture étudiée. Cette dernière devait donc être étendue à lui et c’est un principe sans doute applicable à la notion de champ historique ou historiographique. Pour faire une note d’humour, on aura encore ici une pensée émue pour le thésard transis auquel l’un des membres du jury reproche, en plein milieu de sa soutenance, de ne pas avoir lu un auteur en particulier qu’il considère comme essentiel, quand la bibliographie du pauvre bougre en contient déjà deux cent cinquante. Où s’arrêter et qui fait la liste ?
L’épistémologie des sciences humaines
et le statut du chercheur face à son objet
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Définition : épistémologie. « Partie de la philosophie qui a pour objet l’étude critique des postulats, conclusions et méthodes d’une science particulière, considérée du point de vue de son évolution, afin d’en déterminer l’origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique. »
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Ces questionnements rejoignent encore d’une manière générale, l’épistémologie des sciences humaines ou la manière « objective » et scientifique de les conduire. Tout cela renvoie aux difficultés du chercheur pour ne pas parler à l’impossibilité technique qu’il y a à s’abstraire de son propre champ d’études. L’honnêteté scientifique en sciences humaines commande à tout le moins d’être conscient de cette donnée afin de la border, à défaut d’être tout à fait capable de l’éradiquer. Sans humain, pas de sciences de l’homme.
L’affaire devient encore plus épineuse quand on songe que la physique quantique elle-même nous apprend que l’observateur déforme son propre champ d’observation jusque dans cette discipline et concernant de simples particules! L’application de ces problématiques à des objets d’étude aussi complexes que les sociétés humaines au présent comme au passé, et par extension à la conduite objective de l’Histoire, donne clairement le vertige. Faut-il y renoncer? Sans introduire un total découragement, ni une complète impossibilité, on peut tout de même se réjouir en espérant que la conscience des difficultés entraîne chez les chercheurs en sciences humaines une humilité salutaire face à cet objet philosophique si difficile à saisir et que l’on appelle « vérité ».
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Saint Louis, citations oubliées : une chronique de Gonthier Bernoix de la Tanche pour la vérité historique
« Un conseil, quand même, de temps en temps, sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin. »
Le Roi Saint Louis à Jean de Joinville, XIIIe siècle (source non vérifiée)
Une Chronique de
Gonthier Bernoix de la Tanche
ui! Nous revoilà, mes amis, insatiable et sans peur, à la poursuite effrénée de la vérité, non point celle, poussiéreuse et convenue, des mensonges livresques et des prétendus experts, oh que non! Nous, la vérité historique qui nous intéresse, la seule, la vraie, l’unique, c’est celle qui se livre sans imposture, là où on l’attend le moins, de la bouche même de ceux qui s’en souviennent encore : les anonymes, les gens du simple, cette vérité que leurs ancêtres ont surpris, à l’époque même des faits, au détour d’un couloir de château, d’une ruelle sombre ou encore dans le secret d’une taverne, et qui l’ont transmise à leurs descendants, à travers les âges et les générations, avec ferveur, pour qu’un jour elle puisse enfin surgir au grand jour; et c’est là que nous nous efforçons toujours de la débusquer dans son éclatante fraîcheur.
Oh, je sais… On va encore me dire que Jehan de Joinville n’a écrit ses chroniques de Saint-Louis, qu’après les faits et que du vivant de Louis IX, il n’était pas en train de « gratouiller » en permanence avec sa plume. On ajoutera même sûrement, avec un sourire en coin et visiblement fort content de son petit effet, que si le portrait le plus connu de lui, le représente écrivant, cette peinture ne date que de quelques siècles après et a été faite en tribut à l’ensemble des chroniques de l’homme et non pas parce qu’il aurait passé sa vie, une plume à la main. Et bien parlez, parlez toujours, messieurs les érudits et autres olibrius à la longue barbe et à la courte vue ! Rien ne saurait nous faire flancher car nous portons en nous la certitude immuable de nos affirmations et la confiance aveugle dans la fiabilité de nos dires, quand vous n’avez, vous, qu’un tissu maigrelet de vagues présomptions et quelques antiques parchemins.
Les chemins de la vérité, la vraie, la seule
ini le didacte des experts beaux parleurs, réfugiés derrière les pages décaties et mitées des vieux codex ! Exit les gnagnagnis gnagnagnas, les messieurs « je sais tout mieux que tout le monde et je vous en rabats »! Au placard avec leurs boniments et toutes les salades dont ils nous ont abreuvé ! Et croyez-moi, Dieu sait qu’il n’est pas évident de s’abreuver avec de la salade (bon, à la rigueur en la passant au mixeur avec un verre d’eau, mais, de toute façon, là n’est pas le sujet. Je vous en conjure à genoux! Ne commençons pas à nous disperser).
Oui, vous, mes chers compagnons en vérité, mes frères, cousins, cousines, vous le savez, depuis que votre serviteur (j’ai nommé moi-même), l’unique, l’opiniâtre, le flamboyant, Gonthier Bernoix de la Tanche est là, les institutions ne font plus que trembler; elles frémissent, elles chavirent, elles chaloupent, et pour tout dire elles frétillent moins de l’arrière train tant elles ne savent plus comment faire face aux coups de béliers incessants de nos chroniques sur les vieilles portes académiques usées de leur pouvoir passéiste et dépassé (et vous pouvez vérifier, même si ça y ressemble, cela n’a rien d’un pléonasme).
Oui, mes fidèles amis, mes inconditionnels soutiens! Tous savent désormais qu’il leur faut compter avec nous et se tiennent, tapis, dans l’angoisse de la prochaine révélation historique que nous exhumerons du terreau fertile de la mémoire des petites gens, ceux de l’ombre. Car ils sont là silencieux, tout autour de nous, mais ils l’ont gardée en eux comme un trésor, la relayant en secret, à travers les siècles, un peu comme la flamme olympique ou même le jeu de la patate chaude sauf qu’il ne s’agit pas d’une patate chaude, cela n’aurait guère de sens, côté conservation. Par ailleurs, sous Louis IX la patate, ce n’est tristement pas d’époque. Il s’agissait donc clairement, dans notre esprit, d’une image, même si concédons-le, nous aurions pu en prendre une autre. Allons-nous pour autant en faire une raclette ? Bien sûr que non. Avançons, vous avez saisi le fond ! (Qui a dit « la raclette fond sur la patate »? Sortez!)
Le camouflet fondateur
ertes, notre thèse d’état ne fut point accueillie favorablement par les maîtres qui nous mentent et l’odieux corporatisme de leurs institutions, mais comment pouvait-il en être autrement? La remise en cause était bien trop forte, la prise de conscience par trop cinglante. Comment auraient-ils pu l’accepter, eux les chercheurs de laboratoire, les abonnés aux ouvrages tamponnés qu’on doit ramener sous quinzaine sous peine de recevoir une pénalité de deux jours sans prêt, quelquefois même trois ? Et que dire encore des autres, les champions toute catégorie du carbone 14, les aficionados de la petite cuillère farfouilleuse et tenace ! Comment auraient-ils pu admettre que les réponses qu’ils avaient convoitées depuis tant d’années, en grattant la terre, se trouvaient là, à portée de main, pour peu qu’on les cherche au bon endroit. Ah ça! Quand il s’agit de mouiller un peu le maillot, on fait tout de suite moins les fiers! Méritions-nous pour autant, de la part de « l’establishment » et de ses sbires, tandis que nous tentions modestement de conduire nos études, les appellations successives de « farfelu », « fumiste », « plaisantin », ou même pis, de « crétin irrécupérable »? Non point ! Je passe encore sur cette petite phrase assassine de la bouche même du directeur de l’institut d’Histoire de la Sorbonne qui en dit long sur le désarroi et la colère dans laquelle les avaient rendu nos imparables conclusions. Je le cite ici:
« Toute cette navrante histoire ne remet qu’une seule chose en cause: les failles des circuits administratifs sur les dépôts de dossiers, autant que la faiblesse des règles de sécurité de notre établissement. Ces deux facteurs réunis ont seuls permis, hélas, à cet abruti congénital et ce demi-débile, probablement sous l’emprise des psychotropes, de déposer sur la table de nos plus brillants professeurs, (et pire encore de parvenir à leur faire lire) cet indigne « torchon » que cet olibrius a eu l’outrecuidance d’affubler du nom de thèse et qu’il aurait mieux fait de présenter sur papier rose et en rouleau pour nous en faciliter l’usage. »
h le cuistre! Comprenez-vous désormais mieux, mes amis, à quel point nos vérités dérangent ? Que leur restait-il d’autre, rendus face à l’échec de leur prétendue science, que le refuge du silence; ce territoire aphone où, médusés par nos découvertes, les mots ne veulent soudain plus sortir, ce lieu encore, dénué de tout concepts, où ne règne plus que le monde des émotions régressives et de la colère: « pipi, caca, cucul ». Ah! Si je n’avais moi-même quelques notions avancées de psychologie, je dois dire que j’aurais pu, à mon tour, y céder, mais la noblesse de mon lignage m’a très fort heureusement éduquer à ne point répondre à l’harangue. Non, on ne mange pas de ce pain là chez les de la Tanche et en vérité, ce camouflet n’a fait que me conforter dans mon approche. D’ailleurs, si je n’avais touché du doigt un point aussi sensible, je m’en serais tiré, comme tant d’autres, avec une simple mention passable, et on ne m’aurait pas fait jeter de manière si discourtoise hors de l’établissement et sur son parvis comme on le fit alors. Mon dos, Ah! Mon cher dos, tu t’en souviens encore ! Mais qu’à cela ne tienne, nous avons compris dès lors que notre chemin ne pouvait être que solitaire; il nous faudrait l’arpenter en compagnie de la seule vérité, portant sur nos épaules, le poids écrasant de notre découverte.
L’importance d’avoir de bonnes jambes
royez-vous que la voie fut pour autant facile? Non bien sûr. Combien de temps nous fallut-il encore passer, sur le terrain, pour que nos sources enfin rendues confiantes, acceptent de nous livrer, trempées d’une émotion fébrile, la vérité ? Combien de longues heures usées à les questionner sans relâche, tutoyant parfois les limites de la bienséance, au risque de faire éclater celles de leur patience? Combien de coups reçus ou de fuites éperdues? Croyez-moi, il en faut du mollet pour faire un bon historien de terrain. Oui!, mesdames, messieurs, mes amis, mes frères, (et même le petit monsieur là-bas dans le fond qui me regarde de travers), la vérité est timide et fragile. Elle ne se donne pas aisément, ça non ! Il y a encore, chez nombre de ses détenteurs, la touchante pudeur de refuser d’admettre qu’ils en sont les dépositaires, comme s’ils savaient confusément que les simples mots qu’ils nous livrent et qui ont traversé le temps recèlent un terrible pouvoir, capable de faire trembler jusqu’aux fondements même de nos académies et de notre vision du monde.
Mais aujourd’hui encore, c’est cette même vérité qui triomphe à nouveau car nous le crions haut et fort, nous le savons, nous l’affirmons, nous en avons les preuves! Oui, Jehan De Joinville! Monsieur le « je fais rien qu’à passer mon temps dans les jupons du roi », vous avez travesti la vérité, fusse par omission, et travestir par omission c’est très très grave, et pas seulement grammaticalement, car vous n’avez jamais rapporté cette grande phrase du Roi Saint-Louis ; « sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin » et vous espériez sans doute que l’histoire nous en prive, mais vous voilà défait Mossieur le Senéchal, puisque nous la dévoilons au monde dans toute sa lumière. Il est temps que les masques tombent!
La révélation de Saint Louis occultée
par De Joinville, les preuves accablantes
ue l’on sache tout de même que pour révéler au grand jour cette vérité qui risque d’en déranger plus d’un, il aura fallu que nous interrogions, sans relâche, notre contact pour qu’enfin il nous confesse ce qu’il savait depuis si longtemps et gardait bien caché, de crainte, sans doute, de le révéler à quelqu’un qui n’en soit pas digne. Et c’est tout à ton honneur aujourd’hui, Jean-Emile Pichon, chauffeur de bus de la ligne 22 que nous empruntons tous les matins, que nous élevons cette tribune à la vérité historique. Sache, mon cher Jean-Emile, que ce secret, qu’exténué et les nerfs à vif, vaincu par plus de deux ans d’insistance et d’investigation tenace, tu as concédé à nous révéler, sache, dis-je, qu’avec nous, il ne sera point trahi. Il sera sublimé, élevé, il ira rejoindre les étoiles de la vérité et brillera, à tout jamais, dans le ciel de la connaissance. Et nous restituons ici tes mots, sans leur ajouter une virgule, pour que l’Histoire les contemple, que tous en soient témoins et que la vérité éclate enfin:
« Ok, ça va, ça va, il a gagné, allons-y, puisqu’il y insiste… Vous l’aurez pas volé celle-là par contre… Bon… Quand j’étais moutard, y avait un grand oncle dans la famille. On l’appelait Jeannot l’Enfume. J’ai jamais compris pourquoi on l’appelait comme ça mais, à table, quand i causait personne le calculait et comme i s’arrêtait jamais de causer, forcément, personne le calculait jamais. Mais bon, moi je l’aimais bien Jeannot. Il arrêtait pas de faire des grimaces et i me racontait des blagues du genre « tire sur mon petit doigt » et i lâchait des gaz si jamais on tirait dessus. Ca me faisait bien rire même si je trouvais ça un peu lourd, à force. Un jour, il m’a tendu le petit doigt et j’ai fait comme les autres, j’ai tourné la tête et j’ai arrêté de l’écouter. Bon déjà on était à table mais, surtout, on change avec l’âge. Quelque chose s’était brisé. C’est triste mais c’est comme ça. On devient sérieux quoi… En même temps, au bout de deux mille sept cent fois, le coup de « tire sur mon p’tit doigt », ça finit forcément par user. S’il avait eu un peu de blair, il aurait freiné avant, mais bon il était pas du genre à freiner, tonton Jeannot, plutôt l’inverse. Bref… Donc, lui, i m’a raconté un jour quand j’étais minot comme quoiqu’il y avait eu un Pichon célèbre dans la famille. Enfin Célèbre, pas non plus une vedette comme Rita Zaraï ou Gino Eglisias attention!, mais bon. Adrien qu’i s’appelait. C’était un cuistot, enfin un genre d’apprenti plutôt à l’époque. Bon bin i paraîtrait que quand il était mioche, il avait turbiné pour les cuisines du roi là, comment que vous dites déjà? Oui voilà Louis IX, ça doit être ça… Il était rentré par piston grâce à une cousine, courtisane qu’elle était, enfin un genre de pute quoi. Bon bref… Donc le gamin pour en revenir, il marnait tous les jours en cuisine et puis le service terminé, c’est pas rare qu’i s’en jetait un p’tit avec les chefs cuistots après le nettoyage. Et bin c’est là, un jour, en rentrant un peu chaud chez lui, qu’i serait passé dans les couloirs du château où qu’elles étaient toutes les huiles là et qu’il aurait entendu dire, comme quoi machin là, Louis truc, oui voilà, Louis IX, il aurait balancé à l’autre con, Dujoint c’est ça ? Voilà, Joinville, si c’est vous qui le dites, comme quoi bon fallait un peu qu’i se sorte les doigts du fondement et qu’i y avait un peu autre chose à gratter que l’parchemin dans la vie. »
« De Joinville, de temps en temps, sortez un peu le nez de vos notes, mon petit vieux, il y a une vie après le parchemin. »; les mots même de Louis IX, grand roi de France nous sont parvenus aujourd’hui grâce à toi, Jean-Emile. A l’évidence, ton ancêtre Adrien Pichon, dit Adrien le mirliton, n’était pas qu’un simple grouillot qui marnait aux cuisines de Saint Louis, oh non ! Sous les dehors rustres et ingénus de l’apprenti-cuisinier, en charge peut-être des sauces et des farces et qui devait avoir connu de longues heures à la plonge, luttant rageusement contre les restes entêtants de la graisse de porc ou d’oie, battait assurément le coeur d’un grand homme, conscient que l’Histoire l’avait choisi. Et ce jour là où, sans doute exténué par la charge, écrasé par cette âpre destinée de Mirliton du roi, à la fin de ton service et à demi-ivre, tu surpris la conversation entre Louis IX et le mesquin petit De Joinville qui se garda bien d’en faire mention dans ses chroniques, oui, ce jour là, toi, Adrien Pichon, témoin de l’Histoire, tu avais dû savoir, confusément, qu’un lourd devoir de mémoire venait de t’être confié. Pourtant, ne cherchant pas à t’y soustraire, tu y fis front de manière admirable, en confiant précieusement les faits à tes descendants pour que la vérité ne nous soit jamais occultée.
Quant à toi Jean Emile, modeste chauffeur de bus de la ligne 22, lointain descendant de cet héroïque Adrien Pichon, en nous reportant ces mots même de Saint Louis que ta lignée familiale avait su conserver au travers des siècles, tu as su reconnaître en nous, l’humble serviteur de la vérité et nous nous en sentons aujourd’hui, tout à la fois, ému et honoré (même si tu as mis le temps). Ta révélation restera, à jamais, gravée dans notre mémoire et sache encore que par nous, pas plus que par l’Histoire tu ne seras oublié, pas d’avantage que ne le seront tes derniers mots :
« Voilà i sait tout, i va pouvoir me lâcher les crampons maint’nant, le pingouin là, parce qu’i’me déconcentre et c’est pas l’jour que j’mettes le bus dans un mur… Alors si monsieur voulait bien se magner d’aller s’asseoir, tout au fond même, de préférence… Et une dernière chose pour que tout soit bien clair ! Si i doit encore monter dans mon bus, j’veux plus l’entendre jacqueter sans quoi j’aurais du mal à retenir les mandales. Il monte, il descend et entre les deux, il la moule »
Epilogue
eureux de l’admirable découverte, mais aussi epuisé par l’effort intellectuel qu’avait demandé l’entretien, j’allais m’installer à l’arrière du bus, un sourire contenu de victoire aux lèvres. Par la fenêtre, les gens vaquaient à leurs occupations. Combien d’entre eux portaient, bien cachés dans leur mémoire, des vérités susceptibles de changer notre conception même de l’histoire? Combien ? Repensant à Jean Emile et au grand cadeau qu’il m’avait fait, je me sentais rempli d’une gratitude toute particulière. Pourtant, bien que j’avais acquiescé à sa requête, en m’étant sagement assis comme il m’y avait enjoint, passager anonyme parmi les anonymes, je savais qu’il me faudrait, d’ici quelque temps, insister encore auprès de lui pour que nous reparlions d’Histoire. Au fil du temps, notre prometteuse amitié me fournirait sans doute plus d’éclairages sur ce mystérieux et fascinant personnage : l’oncle Jeannot. Tant de questions me venaient à l’esprit. Combien d’autres secrets couvait-il encore? Etait-il même encore vivant? Continuait-il à demander à qui voulait de tirer sur son petit doigt ? Et quoiqu’il arrive, si Jean Emile ne daignait me concéder plus d’informations à son sujet, il faudrait à tout prix que nous reparlions de cette charmante cousine à laquelle il avait fait allusion. Il y avait là matière à vérité, j’en avais l’intuition.
Une belle journée à tous dans la grande lumière de la vérité, la vraie, la seule.
Gonthier Bernoix de la Tanche
Grand pourfendeur d’idées reçues, héros solitaire, amant de la vérité et joueur occasionnel de criquet.
« Notre lignée s’enorgueillit d’avoir eu, il y a fort longtemps un manoir près d’un étang et nous portons, depuis, à tout jamais dans notre coeur, la grande noblesse de la tanche. »
Histoire médiévale (ou presque) : deuxième croisade, « Quantum praedecessores », la bubulle à Eugène
(Humour)
De la deuxième croisade :
Saint Bernard & la bubulle d’Eugène.
« – Grand dieu! Avec c’qu’on s’est mis hier soir, j’ai pas encore bien les yeux en face des trous, moi… C’est cette bière de l’abbaye là! Entre nous, je ne sais pas ce qui z’i collent dedans les moines mais je me suis pris une de ces reculées! C’est pas compliqué cette nuit le plafond de ma cellule on aurait dit un vitrail de la Sainte mère et j’ai bien revérifié encore ce matin en me levant c’est que de la pierre donc bon… Quand j’vous dis que leur bière elle est limite hallucinogène, je sais quand même de quoi j’parle. Ça va qu’i z’étaient contents de me voir et qui fallait un peu marquer le coup, mais un de ces quatre, faudra quand même vérifier si c’est bien compatible avec la règle une bibine pareille… Bon, c’est pas tout ça mais c’est pas le moment de mollir, tout le gratin est là, et y a même le roi et la reine. On va éviter de trop les laisser mariner quand même. Alors… » Quantum praedecessores », la bubulle à Eugène, enfin la bubulle, le bide plutôt… I serait monté tout en haut du Sinaï pour nous la pondre celle-là, il aurait surement eu plus de succès… Bref, ça va pas être de la tarte mais bon on va essayer de rattraper le coup quand même. Tiens, faites-moi passer la croix, ça sera pas de trop… Allez, en piste! Edesse, deuxième expédition vers la terre Sainte! »
Bernard de Clairvaux,
Sermon de Vezelay (juste un peu avant), 31 mars 1146
Pour la petite histoire
rès de Soixante ans après qu’Ubain II ait lancé la première croisade en 1096, le pape Eugène III se décida à lancer, à son tour, une nouvelle expédition en terre Sainte, dans le courant de l’année 1146. Le comté d’Edesse, le plus oriental des États latins, était, en effet, tombé deux ans auparavant. Contrairement à l’écho favorable qu’avait suscité l’appel de la première croisade, relayé rapidement par de nombreux prédicateurs dont Pierre l’Hermite mais également par des mouvements populaires et des pèlerins, « Quantum praedecessores », la Bulle papale d’Eugène III (portrait ci-contre) ne rencontrera pas le même succès. Pourtant, bien déterminé à « conduire » l’expédition, le Saint père demandera à Bernard de Clairvaux, homme d’action et de foi de lui prêter la main pour relayer cet appel. On peut lire ça et là que Saint Bernard s’était montré, au départ, un peu tiède sur l’idée, ce qui est, par ailleurs démenti en d’autres endroits, mais il reste que son sermon de Vezelay lança véritablement et de manière forte, le départ de la deuxième croisade. Le roi de France Louis VII, mais aussi la reine Aliénor, furent convaincus et prirent la croix à Vezelay même. L’empereur Conrad III la pris un an après, à Spire. A l’exclusion de la prise de Lisbonne par les portugais que les croisés anglais auront aidé en chemin, même si la mobilisation finit par être importante, d’un point de vue militaire, on s’accorde à peu près sur le fait que cette expédition fut un fiasco total.
Le devoir de transparence
la sempiternelle question que nous ne manquerons pas de nous voir adresser concernant la fiabilité de la citation que nous livrons ici, nous répondrons encore et toujours la même chose; nous avons, comme on dit dans le métier, « nos entrées ». Bien sûr, nous nous y attendons, ceux qui se sont un peu penchés sur la vie de Bernard de Clairvaux vont surement faire leurs gros étonnés et nous dire que Saint Bernard était bien plus un pratiquant assidu et un ascète, adepte des mortifications, qu’un joyeux drille se pintant avec les autres moines. Nous sentant donc acculé, nous nous verrions alors obligé de lever le voile sur toute l’histoire de cette citation; bref, encore et encore, de parler de nos méthodes d’investigation et de dire tout le sérieux que nous y portons. (ci-contre, peinture de Olaf Simony Jensen, XIXe moines buvant à la taverne)
Pour faire court sur la fiabilité irréprochable de la source dont nous tenons notre information d’aujourd’hui, disons simplement que l’ami de confiance d’une connaissance nous a dirigé vers cette ex-relation à lui. C’est d’ailleurs, à quelques lieues d’ici, au petit matin, que la rencontre magique a eu lieu, dans un charmant petit débit de boissons. L’homme se tenait là, modeste et silencieux, au comptoir, et sans l’intuition aiguisée du chercheur aguerri, nul n’aurait pu penser un seul instant que, sous le voile des apparences presque banales de la situation, la vérité historique se tenait là, belle et placide, dans l’attente d’être révélée.
omme je l’ai dit, la patience reste toujours notre meilleure alliée et ce n’est qu’après quelques tournées pour mettre notre informateur en confiance, que ce précieux témoin de l’histoire, descendant direct du coté de sa mère d’un long lignage de vendeurs ambulants de travers de porc Vézeliens, s’est enfin décidé à nous gratifier de la citation. L’oeil humide et le doigt levé de manière sentencieuse, il nous confia avant cela :
« – Attention, ça je le tiens de mon grand père. Il me l’a dit ici-même, là où que je suis assis, justement. Je me souviens, c’était le matin et déjà à l’époque, on faisait l’ouverture au blanc ici. »
Puis, après avoir essuyé ses yeux mouillés d’émotion du revers de sa manche, il nous révéla la précieuse citation que nous partageons ici avec vous, avant d’ajouter à l’attention du tenancier, sans doute, pour voiler la grande émotion suscitée par l’évocation de son lointain aïeul qui avait laissé alors traîner une oreille indiscrète et surpris la conversation entre les religieux :
« – Bon, mais allez, Ho! On parle on parle mais faut pas s’endormir! Tiens Dédé, remets encore deux p’tits blancs sur l’ardoise du Monsieur et, après ça, on passera au pastis, je vois que c’est déjà dix heures et demi. »
Après quelques heures, je réussissais enfin à m’éclipser pour regagner, plutôt chargé et en toute hâte, mon logis. Et pour la première fois, je fis l’expérience dont, croyez-le bien. je ne tire par gloriole mais que, par souci de restitution, il me faut ici mentionner. Je fis l’expérience, disais-je, que depuis la montée dans le bus jusqu’au perron de ma modeste demeure, il demeurait possible de recouvrir l’ensemble du trajet à quatre pattes.
Bref, après cela, je pense que tout sera bien clair pour tout le monde, que nos méthodes sont irréprochables et que nous n’inventons rien!
Frédéric EFFE.
Pour moyenagepassion.com