Sujet : poésie médiévale, amour courtois, troubadours, fine amor, lyrique courtoise, langue d’oc Période : moyen-âge central Auteur : Michel Zink Ouvrage : Les troubadours, une histoire poétique (éditions Perrin, 2013) Programme : Ça Rime à Quoi
Sophie Nauleau, France Culture
Bonjour à tous,
n 2014, l’auteur(e), productrice et animatrice de Radio Sophie Nauleau recevait Michel Zink, sur France Culture, dans le cadre de son programme Ça Rime à Quoi. L’académicien et grand spécialiste de littérature médiévale venait lui présenter son ouvrage, daté de 2013 et ayant pour titre « les troubadours une histoire poétique« .
« C’est le Moyen-âge qui a mis l’amour au centre de la poésie (…) mais il y a quelque de particulier dans la poésie des troubadours, qui est tout à fait délibéré et qui est extrêmement fascinant, c’est que les troubadours considèrent que l’amour est un sentiment essentiellement contradictoire. C’est, à la fois, une exaltation et une dépression, c’est une joie et une souffrance. L’amour c’est le désir, le désir va vers son assouvissement, mais redoute d’être assouvi, parce qu’assouvi, il disparaîtra comme désir. Donc l’amour est en lui-même quelque chose de contradictoire. » Michel Zink extraits entretien France Culture (2014)
Après nous avoir touché un mot de son parcours et sa prédilection pour la poésie médiévale. Michel Zink en profitait pour faire ici, avec sa générosité et sa passion habituelles, une belle incursion dans l’art poétique et l’esprit des troubadours occitans du moyen-âge central, ce « moment où l’amour est devenu la grande affaire de la poésie ». On abordera ainsi, à ses côtés, les particularités de l’Amour Courtois, les liens entre exercice poétique et Fine Amor (fin’amor), entre savoir-faire littéraire et « compétence amoureuse », le rapport au langage et aux sentiments, le tout ponctué de quelques lectures et extraits.
Au passage,le médiéviste philologue nous gratifiera encore de quelques « anecdotes » issues des Vidas et Razos, On sait que leur étude lui a toujours été cher, pour peu qu’on les approche pour ce qu’ils sont : des « objets » littéraires. Si ces récits postérieurs à la vie des troubadours sont, dans bien des cas, demeurés les seules traces « biographiques’ que nous ayons conservées d’un certain nombre d’entre eux, on sait, en effet, qu’ils mêlent sans complexe, détails factuels et extrapolations, pour nous présenter une véritable romance de la vie des troubadours des XIIe, XIIIe siècles.
Ça rime à quoi : Les Troubadours : Une histoire poétique. Michel Zink
Depuis 2017, ce livre de Michel Zink est disponible au format poche chez Tempus Perrin. Voici un lien utile pour vous le procurer : Les troubadours. Une histoire poétique
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du moyen-âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fine amor, langue d’oc, poésie satirique, biographie, oeuvres. manuscrits anciens, servantois, sirvantès. Période : moyen-âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210)
Bonjour à tous,
ous continuons aujourd’hui d’explorer le moyen-âge des troubadours avec l’un d’entre eux qui fut particulièrement remuant et voyage beaucoup : Peire Vidal (ou Pierre). Outre ses aventures dans les cours des puissants, ce poète et chanteur médiéval, grandiloquent et plein de fantaisie est également resté célèbre pour avoir laissé une oeuvre particulièrement abondante. Son activité artistique commence autour de 1180. Nous sommes entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, et il s’inscrit donc dans la deuxième, voir la troisième génération de troubadours, héritière de la poésie d’Oc et de ses codes.
Eléments de Biographie
Même si l’on retrouve un certain nombre de documents rattachés au comté de Toulouse qui mentionne un certain Petrus Vitalis (voir A propos de Peire Vidal, Joseph Anglade, Romania 193 , 1923) et qui pourrait se référer, sans qu’on en soit certain, à notre troubadour du jour, comme de nombreux autres poètes et compositeurs occitans de cette période, les informations que nous possédons sur lui proviennent des vidas ou encore de ce que l’on peut déduire entre les lignes de ses poésies.
Concernant les Vidas des troubadours, rappelons, une fois de plus, que ces récits « biographiques » sont largement postérieurs à la vie des intéressés. Si on les a quelquefois pris un peu trop au pied de la lettre, du point de vue des romanistes et médiévistes contemporains, on s’entend généralement bien sur le fait qu’ils sont plus à mettre au compte d’une littérature provençale romancée, qu’à prendre comme des chroniques précises et factuelles. De fait, ces vidas sont elles-mêmes largement basées sur l’extrapolation des faits, à partir des vers des poètes dont elles traitent. Avec toutes les réserves que tout cela impose et considérant tout de même qu’on peut prêter un peu de foi aux dires de Peire Vidal, voici donc quelques éléments de biographie le concernant, entre faits (à ce jour, invérifiables) et possibles inexactitudes.
« Drogoman senher, s’agues bon destrier, En fol plag foran intrat mei guerrier : C’aqui mezeis cant hom lor me mentau Mi temon plus que caillas esparvier, E non preson lor vida un denier, Tan mi sabon fer e salvatg’ebrau. »
Seigneur Drogoman, si j’avais un bon destrier, Mes ennemis se trouveraient en mauvaise passe ; Car à peine ont-ils entendu mon nom, Qu’ils me craignent plus que les cailles l’épervier, Et ils n’estiment pas leur vie un denier, Tant ils me savent fier, sauvage et féroce !
Les Poésies Peire Vidal Joseph Anglade (1913).
Entre les lignes de Peire Vidal et des vidas
Originaire de Toulouse, Peire Vidal était fils d’un marchand de fourrure « fils fo d’un pelissier. ». Sous la protection de Raymond V et œuvrant à la cour de ce dernier, on le retrouve ensuite à Marseille, auprès du vicomte Barral de Baux, suite à quoi il voyage vers l’Espagne pour rejoindre la cour de Alphonse II d’Aragon. Après un nouveau passage par la France provençale, il sera en partance pour l’Italie et l’Orient. Du côté de Chypre, il aurait pris en épousailles une Grecque pour revenir ensuite à la cour de Marseille.
Son itinéraire voyageur et sa fréquentation des cours d’Europe ne s’arrêtent pas là puisqu’on le retrouve encore dans le Piémont, à la cour de Boniface de Montferrat, puis à celle d’Aimeric de Hongrie, en Espagne, auprès d’Alphonse VIII de Castille, et même à Malte. Entre ses nombreux protecteurs (successifs ou occasionnels), on dit qu’il a aussi compté le roi Richard Coeur de Lion, dont il prit même la défense contre Philippe-Auguste. Pour finir, il est possible que dans toutes ses pérégrinations à donner le vertige à plus d’un troubadour de son temps, il ait participé à la quatrième Croisade, mais rien ne permet de l’attester.
Pour n’être pas lui-même issu de la grande noblesse, la qualité de son art lui a, en tout cas, indéniablement ouvert les portes de la cour d’un certain nombre de Grands de l’Europe médiévale et il semble même qu’il fit office de conseiller (occasionnel là encore et avec réserve), auprès de certains d’entre eux.
Démêlés politiques, excès de « courtoisie »
ou âme vagabonde ?
Inconstance, goût insatiable pour les voyages, courtoisie un peu trop enflammée et douloureuse déception amoureuse, est-il poussé au dehors des cours ou en part-il de lui-même? Peut-être, y a-t-il un peu de tout cela. Même s’il reste indéniablement attaché par le coeur à sa Provence natale, il confesse lui-même que séjourner longtemps en un même lieu ne lui sied pas.
« So es En Peire Vidais, Cel qui mante domnei e drudaria E fa que pros per amor de s’amia, Et ama mais batalhas e torneis Que monges patz, e sembla – I malaveis , Trop sojornar et estar en un loc. «
» Voilà Messire Peire Vidal, Celui qui maintient courtoisie et galanterie, Qui agit en vaillant homme pour l’amour de sa mie, Qui aime mieux batailles et tournois Qu’un moine n’aime la paix et pour qui c’est une maladie de séjourner et de rester dans le même lieu. »
Les Poésies Peire Vidal Joseph Anglade (1913).
Quand on fréquente les cours médiévales sauf à être totalement ingénu, se mêler de trop près de politique impose forcément que l’on soit prêt à subir les revirements des puissants. Peut-être cette dimension est-elle aussi présente puisque Peire Vidal ne s’est pas toujours contenté de critiquer uniquement les ennemis de ses protecteurs et de brosser ses derniers dans le sens du poil. Quoiqu’il en soit, il semble bien qu’il se soit fait bannir et chasser de certaines cours (Le troubadour Peire Vidal : sa vie et son oeuvre – Ernest Hoepffner, 1961).
Dans le courant du XXe siècle, sa fantaisie, son ironie et son style critique conduiront le romaniste et philologue Alfred Jeanroy à comparer notre poète médiéval à un Clément Marot avant la lettre (La Poésie lyrique des troubadours, T2, 1934). Au delà du style, et en se gardant bien de céder aux rapprochements faciles, il reste amusant de noter qu’à plus de trois siècles de distance, les deux poètes ont voyagé de cour en cour, peut-être, sous l’impulsion de nécessités semblables et, à tout le moins, pour avoir perdu le soutien de leur protecteur. L’un comme l’autre ne seront pas, du reste, les seuls poètes du moyen-âge poussés au dehors des cours, du fait de leur propre « impertinence » ou de leur goût de la prise de risque mais comme Peire Vidal semble tout de même avoir eu l’âme plus aventurière et voyageuse que Marot, la comparaison s’arrête là. Cet article ne nous fournit, de toute façon, pas les moyens d’une étude comparative (délicate et peut-être même hasardeuse) sur une possible parenté de fond qui toucherait certaines formes communes à une « poésie de l’exil » chez nos deux poètes.
Ajoutons que si l’on perçoit chez le troubadour de Toulouse une forme d’arrachement (il s’est sacrifié pour une dame qui ne l’a pas récompensé de son amour, il lui fallait partir, etc…) il ne boude pas non plus son plaisir de voyager et de se trouver en terres lointaines et loue volontiers les seigneurs qui l’accueillent.
« Mout es bona terr’ Espanha, E’1 rei qui senhor en so’ Dous e car e franc e bo E de corteza companha ; E s’i a d’autres baros, Mout avinens e mout pros, De sen e de conoissensa E de faitz e de parvensa. »
L’Espagne est une bonne terre Et les rois qui y règnent en sont Polis et aimables, sincères et bons Et de courtoise compagnie; Et on y trouve d’autres barons, Très accueillants et très preux, Hommes de sens et de savoir, En apparence et en faits.
Les Poésies Peire VidalJoseph Anglade (1913).
Oeuvre, legs et manuscrits
Entre poésie courtoise et satirique, l’oeuvre de Peire Vidal s’inscrit dans la double tradition lyrique et satyrique de ses contemporains. Quand il se lance dans son art, les codes de la courtoisie et de la fine amor sont déjà bien établis pour ne pas dire déjà un peu cristallisés voire « repassés », mais on lui prête d’avoir su leur insuffler un esprit qu’on pourrait qualifier de rafraîchissant. Outre ses qualités de style, son originalité réside dans un sens de la caricature et une forme d’ironie et d’auto-dérision qui le démarquent de ses homologues troubadours. Il se prête également (et on l’en crédite volontiers), un grain de folie qui s’épanche dans la grandiloquence et dans l’exagération et participe de cet humour, même si avec le recul du temps les nuances peuvent s’avérer quelquefois difficiles à percevoir.
Sources historiques
Sur la foi des manuscrits, plus de soixante pièces lui ont été d’abord attribuées mais, comme souvent, ce nombre a été revu, pour se trouver réduit par les érudits qui s’y sont penchés. Après diverses études, son legs poétique a ainsi été ramené à un peu moins d’une cinquantaine de pièces, ce qui en fait, quoiqu’il en soit, une oeuvre prolifique, au vue de l’époque et des données comparatives en présence.
Du point de vue des sources, on peut retrouver ses compositions, chansons ou poésies dispersées dans de nombreux manuscrits. On citera ici ceux qui ont servi de base aux illustrations de cet article. Il s’agit du ms 12473 (Français 12473), dit chansonnier provençal ou chansonnier K et du ms 854 (Français 854) tous deux copiés en Italie et datés du XIIIe siècle. Ils contiennent, chacun, un nombre important de pièces du troubadour médiéval. Vous pouvez consulter ces deux manuscrits anciens sur le site Gallica de la BnF aux liens suivants.ms 12473 – ms 854.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen-âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, servantois, sirventes. chanson de voeux, portrait, éléments biographiques, vidas. Titre : « Ar’ agues eu mil marcs de fin argen », « Puisse-je avoir mil marcs d’argent fin » Auteur : Pistoleta, troubadour provençal, Aquitaine et Languedoc Période : moyen-âge central, XIIIe siècle
Bonjour à tous,
u troubadour Pistoleta, les vidas ou le parnasse occitan nous apprennent qu’il fut lui-même le chanteur du troubadour et conteur Arnaud de Mareuil. Clerc d’assez pauvre condition, ce dernier colporta son art dans l’entourage de Raymond V de Toulouse et notamment de la soeur de ce dernier la contesse de Burlats. Il est d’ailleurs entré plus largement dans la postérité que l’artiste qui nous intéresse aujourd’hui mais il faut dire qu’à la période contemporaine de Pistoleta et au vue de leur nombre, les troubadours qui se tenaient en Provence, en Aquitaine et au delà se trouvaient exposés à une sérieuse concurrence.
Vida de Pistoleta et parnasse occitanien
« Pistoleta si fo cantaire d’en Arnaut de Maruoill e fo de Proensa; e pois venc trobaire e fez cansos con avinens sons. E fo ben grazitz entre la bona gen ; mais hom fo de pauc solatz, e de paubra enduta, e de pauc vaillimen. E tolc moiller à Marseilla ; e fes se mercadier e venc rics ; e laisset d’anar per cortz. »Le parnasse occitanien. Edtion de 1819.
Le peu d’informations biographiques que l’on trouve concernant Pistoleta puise, de manière plus ou moins explicite, à la même source : les Vidas. Nous l’avons déjà dit par ailleurs mais il est sans doute bon de le répéter ici : issues vraisemblablement de la tradition orale provençale colportée sur les troubadours, ces « biographies » furent rédigées près d’un siècle plus tard et se présentent toutes sous une forme plus ou moins anecdotique et romancée. Leur nature littéraire a été largement soulignée par Michel Zink qui recommande de prendre, à leur égard, un certain recul critique, en privilégiant plutôt l’analyse littéraire justement, la véritable valeur historique des faits rapportés ne pouvant, dans bien des cas, pas être corroborée par d’autres sources. Nous mettons donc quelques guillemets à ces éléments biographiques mais comme ils sont à peu près les seuls en notre possession, il nous faut bien au moins les citer ici.
Ci-contre représentation de Pistoleta, Chansonnier provençal dit chansonnier K, manuscrit ancien, ms 12473 Bnf, milieu du XIIIe siècle)
En activité de la fin du XIIe siècle au début du XIIIe (1230), il semble donc qu’à force de colporter et de chanter les oeuvres d’Arnaud de Mareuil, Pistoleta fut lui-même tenté de s’essayer à la composition et à la rédaction de ses propres chansons. Homme de pauvre apparence et peu de moyens (toujours d’après les vidas), il se serait fait plus tard marchand en la ville de Marseille ce qui lui aurait réussi plutôt bien . Il aurait alors laisser de côté l’art de trobar et ses errances de cour en cour pour se consacrer entièrement à cette nouvelle activité.
Histoire générale de Provence
En fouillant un peu plus loin dans les sources, nous trouvons encore les lignes suivantes (plutôt lapidaires) concernant notre troubadour. L’ouvrage est une Histoire générale de Provence, rédigée vers la fin du XVIIIe siècle :
« Pistoleta, après avoir longtems chanté les chansons des autres, voulut en faire ; mais il n’eut point de succès : on n’en aima que les airs qui furent trouvé agréables. Il nous reste de lui cinq chansons triviales, sur l’amour qu’il avoît pour une dame d*un haut rang, qui ne pouvoit le souffrir. C’est lui-même qui nous apprend cette circonstance dans une pièce, où il dit, que le tems qu’il passe avec elle, « lui paroit si court y que l’adieu touche presqu’au bon jour ». La dame ne devoit pas le trouver de même, s’il est vrai, comme le dit l’historien provençal, qu’il fut peu amusant, qu’il eût peu de mérite et peu d’usage du monde.
Dans ce cas-là, il fit très-bien de renoncer à la poésie, & de se faire marchand à Marseille, où il s’enrichit ; ce qu’il n’auroit pas fait dans la carrière du bel esprit, ingrate même pour les talens & où l’on se couvre de ridicules, quand on n’y porte que des prétentions. Pistoleta avoit été dans plusieurs cours : nous avons de lui une chanson dont l’envoi est au comte de Savoie, ( probablement Amédée IV), prince sage, dit-il, doué de toutes les belles qualités, aimant le mérite et se faisant aimer. » Histoire générale de Provence T2, page 414. (1778)
Pistoleta connut-il un succès relatif ou pas du tout ? Suivant qu’ils se fient ou non aux Vidas, Les auteurs semblent plutôt mitigés sur cette question même si le changement d’orientation dans la carrière de l’infortuné troubadour semble plutôt plaider en défaveur de son art. Quoiqu’il en soit, la chanson que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui est joliment tournée et on devine bien, à travers ses lignes, la vie de misère et les difficultés que l’artiste dut traverser, du temps où il s’exerçait à la poésie et au chant. Sans être très caustique, ni d’une satire manifeste, elle est sans doute à ranger dans les « sirventes » pour sa dimension sociale puisqu’elle compte les misères du poète et ce même si elle comprend aussi des éléments courtois.
Servantès ou chanson de vœux adaptée
Ar agues eu mil marcs de fin argen
Contre l’Histoire générale de Provence citée plus haut, dans un ouvrage de 1893, intitulé La poésie lyrique et satirique au moyen-âge, le philologue et chartiste lyonnais Léon Clédat se rangeait lui-même, implicitement (et même mot pour mot, mais sans les citer), du côté des Vidas pour nous parler de Pistoleta : « Il se fit troubadour à son tour, et il eut beaucoup de succès parmi les bonnes gens ». ( « E fo ben grazitz entre la bona gen ») .
Dans la foulée, il faisait encore remarquer que la chanson du troubadour que nous vous présentons aujourd’hui avait due connaître un succès suffisamment important pour se voir traduite en français et nous fournissait même l’adaptation de deux de ses paragraphes (hélas sans en citer la source, ni l’auteur précis).De son titre provençal qui est, en général, la reprise de la première ligne de la chanson « Ar agues eu mil marcs de fin argen », le titre de la version française était alors devenu « Chanson de Voeux ».
Pour le reste de la traduction, hormis ses deux paragraphes livrés « clefs en main » par Leon Clédat(voir image en tête d’article) nous nous sommes basés pour « adapter » le reste de la chanson sur une traduction de Cyril Heshon, paru en 2003, dans la revue des langues romanes(la partition moderne que nous livrons plus haut provient du même article). Pour être honnête, nous n’avons pas cherché la rime et cette adaptation mériterait franchement que l’on y revienne à un moment ou à un autre. Pour le moment, elle aura au moins le mérite de rendre un peu plus intelligible l’Oc original de Pistoleta.
Ar agues eu mil marcs de fin argen et atrestan de bon aur e de ros, et agues pro civada e formen, bos e vacas e fedas e moutos, e cascun jorn .c. liuras per despendre, e fort chastel en que·m pogues defendre, tal que nuls hom no m’en pogues forsar, et agues port d’aiga dousa e de mar.
Puissé-je avoir mil marcs de fin argent Et tout autant de bon or et de roux, Et quantité d’avoine et de froment. Boeufs et vaches et brebis et moutons, Et chaque jour cent livres à répandre, Et fort château où me pusse défendre, Tel que nul homme y forcer ne me pût ; Puissé-je avoir port d’eau douce et de mer !…
Et eu agues atrestan de bon sen et de mesura com ac Salamos, e no·m pogues far ni dir faillimen, e·m trobes hom leial totas sasos, larc e meten, prometen ab atendre, gent acesmat d’esmendar e de rendre, et que de mi no·s poguesson blasmar e ma colpa cavallier ni joglar.
Et si j’avais suffisamment de sens Et de mesure comme en eut Salomon, Ne me trompant jamais, ni en faits, ni en dits, Et si j’étais loyal en toutes circonstances, Large et généreux, fidèle à mes promesses, bien prompt à m’amender et à payer mes dettes, Et que de moi jamais on ne puisse blâmer Ni critiquer mes faits, jongleurs ou chevaliers.
Et eu agues bella domna plazen, coinda e gaia ab avinens faissos, e cascun jorn .c. cavallier valen que·m seguisson on qu’eu anes ni fos ben arnescat, si com eu sai entendre; e trobes hom a comprar et a vendre, e grans avers no me pogues sobrar ni res faillir qu’om saubes atriar.
Et si j’avais aussi une dame plaisante aimable, belle et gaie, aux manières avenantes, Et chacun jour pour moi des chevaliers vaillants qui me suivent où que j’aille et où que je me tienne Bien harnaché, comme je sais m’y entendre; Et si j’avais assez pour acheter et vendre, Et que grands avoirs ne me manquent jamais Ni ne me manque rien que l’on puisse acquérir.
Car enueis es qui tot an vai queren menutz percatz, paubres ni vergoinos, perqu’eu volgra estar suau e gen dinz mon ostal et acuillir los pros et albergar cui que volgues deissendre, e volgra lor donar senes car vendre. Aissi fera eu, si pogues, mon afar, e car non pois no m’en deu hom blasmar.
Car dur il est tout l’an d’aller chercher Menus profits comme un pauvre honteux. Aussi voudrais être heureux et tranquille Dans mon hôtel et accueillir les preux. Et héberger qui voudrait y descendre, Et je voudrais leur donner sans rien vendre. Si je pouvais, mènerais telle vie : Quand ne le puis, ne m’en doit-on blâmer.
Domna, mon cor e mon castel vos ren e tot quant ai, car etz bella e pros; e s’agues mais de que·us fezes presen, de tot lo mon o fera, si mieus fos, qu’en totas cortz pois gabar ses contendre qu’il genser etz en qu’eu pogues entendre. Aissi·us fes Dieus avinent e ses par que res no·us faill que·us deia ben estar.
Mon cœur et mon château, Dame, je vous remets Et tous les biens que j’ai, car êtes noble et belle; Si j’avais plus encore, présent je vous ferais, pour peu qu’il soit mien du monde en son entier Car en toutes les cours je vante sans ambages que plus belle que vous, on ne puisse trouver. Ainsi comme Dieu vous fit, charmante et sans égale que jamais rien ne manque qui puisse vous contenter.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, amour courtois, fin’amor, langue d’oc. Période : moyen-âge central, XIIe siècle Auteur : Bernart de Ventadorn, Bernard de Ventadour. (1125-1195)
Interprète : Gérard Zuchetto Titre : Quan vei la lauzeta mover (quand je vois l’alouette)
Bonjour à tous,
ous nous rendons aujourd’hui en terres d’Oc, pour découvrir ou redécouvrir la poésie chantée d’un des plus grands représentants de l’Art des troubadours occitans du moyen-âge central et du XIIe : Bernart de Ventadorn(francisé Bernard de Ventadour).
Sa vie nous est connue principalement au travers de ses propres oeuvres et notamment de manière posthume par les « vidas », ces biographies de troubadours attribuées (au moins pour celle de Bernard de Ventadorn) au troubadour et poète Uc de Saint-Circ (1213 -1257).
Bernard de Ventadour,
Manuscrit 12473 , BnF (XIIIe)
Ces vidas apparaissent au XIIIe et près d’un demi-siècle après la mort du célèbre poète. Elles se destinaient à témoigner de l’art des trouveurs occitans et à introduire leurs œuvres poétiques et leurs chansons.
La vida de Bernart de Ventadorn
La vida de Bernart de Ventadorn nous conte ainsi que le poète était d’origine limousine. On le dit d’humble lignage. Il aurait fréquenté la cour d’Alienor d’Aquitainedont il serait tombé amoureux et qu’il aurait suivi après que cette dernière se fut mariée au duc de Normandie et roi d’Angleterre Henri II Plantagenet. Plus tard, notre poète et « trouveur » aurait servi à la cour de Raymond V de Toulouse, pour, plus tard, renoncer à son art poétique en se faisant moine à l’Abbaye de Dalon, en Dordogne où il finira sa vie.
Les « vidas » sont aujourd’hui étudiées plus, ou au moins autant, pour leur valeur littéraire que pour l’authenticité historique de leurs affirmations. Il est donc difficile de savoir si Bernart de Ventadornfut vraiment amoureux d’Alienor d’Aquitaine comme l’affirme Uc de Saint Circ ou s’il s’agit là d’une façon romancée de présenter la vie du grand troubadour occitan.
« Et el s’en parti e si s’en anet a la duchessa de Normandia, qu’era joves e de gran valor e s’entendia en pretz et en honor et en bendig de lausor. E plasion li fort las chansos e·l vers d’En Bernart, et ella lo receup e l’acuilli mout fort. Lonc temps estet en sa cort, et enamoret se d’ella et ella de lui, e fetz mantas bonas chansos d’ella. Et estan ab ella, lo reis Enrics d’Engleterra si la tolc per moiller e si la trais de Normandia e si la menet en Angleterra. En Bernart si remas de sai tristz e dolentz, e venc s’en al bon comte Raimon de Tolosa, et ab el estet tro que·l coms mori. Et En Bernart, per aquella dolor, si s’en rendet a l’ordre de Dalon, e lai el definet. »
« (…) Et il s’en sépara (l’épouse du vicomte de Ventadour) et s’en alla à la duchesse de Normandie qui était jeune et de grande valeur et qui comprenait le prix et l’honneur et les belles paroles de louange et elle le reçut et l’accueillit très bien. Longtemps il fut en sa cour et fut amoureux d’elle et elle de lui et fit beaucoup de bonnes chansons d’elle. Et étant près d’elle le roi Henri d’Angleterre la prit pour femme et l’emmena de Normandie et l’emmena en Angleterre. En Bernart resta de ce côté triste et douloureux et s’en alla au bon comte de Toulouse et fut près de lui jusqu’à ce que le comte mourût. »
Vida de Bernart De Ventadorn – Extrait
L’auteur médiéval légua quarante-cinq chansons considérées comme de véritables fleurons de la langue occitane dans sa forme la plus aboutie. Il y chante le fin’amor, cet amour courtois que les troubadours porteront haut et fort durant le XIIe siècle et qui influencera les formes littéraires du sentiment amoureux durant de nombreux siècles après eux.
Gérard Zuchetto, un troubadour moderne
à la recherche des trésors occitans
Musicien, interprète et chercheur, Gérard Zuchetto a consacré son temps, ses recherches et son talent à l’art des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. Nous sommes avec cet artiste, passionné de musiques médiévales au point d’en être devenu expert, autant dans la performance artistique que dans l’ethnomusicologie, c’est à dire dans le parti-pris de restitution au plus près de l’esprit de l’art des trobadors. Créatif, il propose également des compositions plus libres d’inspiration autour de ce même thème.
Ses recherches se déclinent en productions musicales, mais aussi en films et encore en ouvrages sur la question. Au fil du temps, une troupe s’est d’ailleurs formée autour de Gérard Zuchetto qui produit spectacles, concerts et autres événements en relation avec l’art des troubadours et la culture occitane, sous les labels et appellations Trob’Art productionet Troubadours Art Ensemble. Vous trouverez le détail de leurs activités et productions, ainsi que leur agenda sur leur site web: art-troubadours.com.
La primavera d’amore, Trovatori XII-XIIIe
Dans cet album enregistré en 1997 et sorti l’année suivante chez Foné, Gérard Zuchetto était accompagné des musiciens et instrumentistes Patrice Brient et Jacques Khoudir pour mettre à l’honneur son sujet de prédilection et nous proposer entre autre, cette très belle version de la célèbre Lauzeta de Bernart de Ventadorn.
Quan vei la lauzeta mover : les paroles en occitan & adaptation en français moderne
Can vei la lauzeta mover De joi sas alas contra’l rai, Que s’oblid’ e’s laissa chazer Per la doussor c’al cor li vai, Ai! Tan grans enveya m’en ve De cui qu’eu veya jauzion! Meravilhas ai, car desse Lo cor de dezirer no’m fon
Quand je vois l’alouette
agiter de joie ses ailes
face aux rayons [du soleil],
s’oublier et se laisser choir
dans la douceur qui au cœur lui vient,
hélas ! une si grande envie me pénètre
de ce bonheur que je vois,
que je tiens à miracle
si mon coeur ne se consume pas de désir.
Ailas! Tan cuidava saber D’amor, e tan petit en sai, Car eu d’amar no’m posc tener Celeis don ja pro non aurai. Tout m’a mon cor, e tout m’a me, E se mezeis e tot lo mon; E can se’m tolc, no’m laisset re Mas dezirer e cor volon.
Hélas ! Je croyais tant savoir
sur l’amour et j’en sais si peu !
Car je ne peux me retenir d’aimer
celle que je ne peux atteindre.
Elle a tout mon coeur, elle m’a tout entier,
elle-même et tout l’univers.
Elle ne m’a rien laissé,
sauf le désir et un coeur fou.
Anc non agui de me poder Ni no fui meus de l’or’ en sai Que’m laisset en sos olhs vezer En un miralh que mout me plai. Miralhs, pus me mirei en te, M’an mort li sospir de preon, C’aissi’m perdei com perdet se Lo bels Narcisus en la fon.
Je n’eus sur moi plus de pouvoir
et je ne m’appartins plus,
du jour où elle me laissa mirer en ses yeux,
miroir qui beaucoup me plaît.
Miroir, depuis que je me suis miré en toi,
les soupirs profonds m’ont fait mourir.
Je suis perdu comme se perdit
en la fontaine le beau Narcisse.
De las domnas me dezesper; Ja mais en lor no’m fiarai; C’aissi com las solh chaptener, Enaissi las deschaptenrai. Pois vei c’una pro no m’en te Vas leis que’m destrui e’m cofon, Totas las dopt’ e las mescre, Car be sai c’atretals se son.
Je désespère des femmes ,
jamais je ne me fierai à leurs paroles;
de même que j’avais coutume de les louer,
de même je les déprécierai.
Pas une pour me défendre
auprès de celle qui me détruit et me confond !
Je les hais toutes et les renie,
car je sais bien qu’elles sont toutes ainsi.
D’aisso’s fa be femna parer Ma domna, per qu’eu’lh’ o retrai, Car no vol so c’om voler, E so c’om li deveda, fai. Chazutz sui en mala merce, Et ai be faih co’l fols en pon; E no sai per que m’esdeve, Mas car trop puyei contra mon.
Bien femme aussi apparaît ma dame,
et c’est pourquoi j’enrage,
car elle ne veut pas ce qu’on doit vouloir,
elle fait ce qu’on lui défend.
Je suis tombé en pitoyable fortune.
J’ai bien fait le fou sur le pont,
et je ne sais pourquoi je m’égare,
voulant monter contre mont.
Merces es perduda, per ver, Et eu non o saubi anc mai, Car cilh qui plus en degr’aver, Non a ges, et on la querrai ? A ! Can mal sembla, qui la ve, Qued aquest chaitiu deziron Que ja ses leis non aura be, Laisse morrir, que no l’aon.
Perdue la pitié vraiment
(et de cela je ne me doutai jamais),
car celle qui devait en avoir le plus
n’en a pas; et où la chercherai-je ?
Ah ! Quelle apparence trompeuse ! En la voyant,
l’imaginerait-on capable de laisser mourir
un passion malheureuse
qui jamais ne s’épanouira sous ses lois ?
Pus ab midons no’m pot valer Precs ni merces ni’l dreihz qu’eu ai, Ni a leis no ven a plazer Qu’eu l’am, ja mais no’lh o dirai. Aissi’m part de leis e’m recre; Mort m’a, e per mort li respon, E vau m’en, pus ilh no’m rete, Chaitius, en issilh, no sai on.
Puisque plus rien ne peut valoir,
ni prière, ni pitié, ni un droit qui fut le mien,
puisque nullement ne lui plaît
le fait que je l’aime, jamais plus je ne lui parlerai,
je me sépare d’elle et je renonce.
Elle me tue, et c’est un mort qui parle.
Et je m’en vais, puisqu’elle ne me retient,
malheureux, en exil, je ne sais où.
Tristans, ges non auretz de me, Qu’eu m’en vau, chaitius, no sai on. De chantar me gic e’m recre, E de joi e d’amor m’escon.
Tristan, vous n’aurez rien de moi, car je m’en vais, malheureux, je ne sais où. Je mets un terme à mes chants et y renonce. Loin de la joie et de l’amour je me cache.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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