Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, louange, Sainte-Marie, vierge, miséricorde Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 140 « Sean dados honrados » Ensemble : Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic Album : Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria (1999)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, à l’Espagne médiévale d’Alphonse le Savant et ses Cantigas de Santa Maria. Nous avons, jusque là, étudié de nombreux miracles issus de ce corpus du roi de Castille du XIVe siècle. Cette fois-ci, pour varier un peu, la pièce que nous vous proposons, la cantiga 140 est un chant de louange. Elle alimentera également, nos autres articles au sujet du culte marial et son importance au Moyen Âge central.
Theatrum Instrumentorum & Aleksandar Sasha Karlic
Theatrum Instrumentorum et Aleksandar Sasha Karlic
La formation Theatrum Instrumentorum fut fondée au milieu des années 90 et dirigée par Aleksandar Sasha Karlic. La passion de ce musicien yougoslave pour les musiques anciennes ou encore ethniques, n’était pas nouvelle. Installé en Italie, il y avait suivi le conservatoire de Milan et de Parme. Plus tard, il avait également collaboré avec quelques grands noms de la scène locale des musiques anciennes et traditionnelles. En plus de ses talents de directeur, Aleksandar Sasha Karlic est aussi joueur de luth , de oud, de percussions et il également doté de talents vocaux.
Sous sa houlette, la formation Theatrum Instrumentorum s’est faite connaître dans le domaine des musiques anciennes et médiévales, en Italie, mais aussi dans d’autres pays d’Europe. Du point de vue discographique, elle a légué 6 albums qui furent tous bien accueillis par la critique. En plus des Cantigas de Santa Maria qui font l’objet de cet article, on peut y trouver les Carmina Burana, le Llibre Vermell de Montserrat, mais encore des Chants grégoriens et religieux de Giovanni Pierluigi da Palestrina en provenance du XVIe siècle.
Sauf erreur, Theatrum Instrumentorum n’est plus actif depuis longtemps déjà et on ne trouve plus grand chose à son sujet sur le net. Quant à son directeur, en 2004, il a fondé, toujours en Italie, Balkan Blues, une nouvelle formation autour des musiques des Balkans qu’il affectionne particulièrement depuis ses débuts de carrière. Parallèlement, il a continué de laisser vibrer sa passion pour les musiques anciennes et traditionnelles du berceau méditerranéen, en étant encore largement salué par la critique pour ses travaux dans ce domaine.
Alfonso « El Sabio »: Cantigas de Santa Maria
En 1999, Theatrum Instrumentorum sortait un album autour des Cantigas d’Alphonse X de Castille. On peut y trouver 12 pièces d’exception qui laissent une large place à l’interprétation vocale.
Cet album est toujours disponible à la distribution. Le CD ne semble pas avoir été réédité, ces dernières années ; Il peut donc s’avérer difficile à débusquer ou être mis en vente à des prix un peu hors de portée. En revanche, les pièces qui le composent sont disponibles à la vente et au téléchargement, au format MP3, sur divers sites internet. A toutes fins utiles, voici le lien correspondant sur Amazon : Alfonso X « El Sabio »: cantigas de Santa Maria by Theatrum Instrumentorum.
La Cantiga 140
Du galaïco-portugais au français moderne
Esta es de loor de Santa María.
Celle-ci (cette cantiga) est en louanges à Sainte Marie
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Qu’à Sainte-Marie soient faites
des louanges respectueuses. (Que soit louée avec respect Sainte Marie)
Loemos a sa mesura, seu prez, e ssa apostura, e seu sen, e ssa cordura, mui mais ca cen mil vegadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa mesure, Son prestige et son intégrité (maintien) Son bon jugement et sa raison, Bien plus de cent mille fois.
refrain.
Loemos a ssa nobressa, sa onrra e ssa alteza, sa mercee e ssa franqueza, e sas vertudes preçadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa noblesse, son honneur et son altesse (élévation, noblesse des valeurs) Sa miséricorde, sa franchise Et ses précieuses vertus.
refrain.
Loemos sa lealdade, seu conort’ e ssa bondade, seu accorr’ e ssa verdade, con loores mui cantadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons sa loyauté, Sa consolation (ou confort : dans le sens de conforter) et sa bonté, Son secours et sa vérité Avec des louanges bien chantées.
refrain.
Loemos seu cousimento, conssell’ e castigamento, seu ben, seu enssinamento, e sass graças mui grãadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Louons son attention, Son conseil et ses mises en garde, Son bien, ses enseignements, Et ses grâces très prisées.
refrain.
Loando-a, que nos valla, lle roguemos na batalla do mundo que nos traballa, e do dem’ a donodadas.
A Santa Maria dadas sejan loores onrradas.
Et la louant, nous la prions, qu’elle nous prête courage dans la bataille Contre le monde qui nous tourmente Et contre le démon.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, sauvetage, croisades, Saint-Louis, De Joinville Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 193 « Sobelos fondos do mar » Ensemble : Sequentia Album : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1991)
Bonjour à tous,
ans la continuité de nos articles sur le culte marial dans l’Europe médiévale du Moyen Âge central, voici un nouveau récit de miracle tiré du corpus du roi Alphonse X de Castille. Il s’agit cette fois de la Cantiga de Santa Maria 193.
La vierge et son manteau contre les éléments
Au Moyen Âge, il n’est pas d’éléments terrestres qui puissent arrêter les miracle de la vierge. Des profondeurs des mers jusqu’aux plus hauts sommets, elle peut, en effet, intercéder en faveur de ceux qui la prient et ont foi en elle, et lever tous les obstacles.
Le récit de la Cantiga 193 porte sur un sauvetage en mer miraculeux. L’histoire se déroule durant ce qui semble être la première croisade de Saint-Louis. Le poète nous conte qu’un marchand fortuné se tenait sur un navire de la large flotte. L’homme était visiblement entouré de mauvaise compagnie puisqu’il fut jeté par dessus bord par l’équipage qui voulut lui dérober ses biens pour les dépenser à la guerre. Quoiqu’il en soit, la vierge intervint et déploya un voile blanc (un drap, un tissu, ailleurs il sera question de son manteau) entre l’homme et les eaux afin qu’il ne fut pas noyé. Quelque temps plus tard, survint une autre nef qui tira l’homme d’affaire. Suite au miracle, il décida qu’il se joindrait à la guerre et tous louèrent la Sainte pour son intervention.
La version de la Cantiga de Santa Maria 193 par Sequentia
Les Cantigas de Santa Maria par Sequentia
En 1991, l’ensemble Sequentia fit, à son tour, un tribut aux célèbres cantigas d’Alphonse X. Enregistré en Suisse, l’album sortit l’année d’après sous le label Deutsche Harmonia Mundi. Il contient 18 pièces dont 13 cantigas et a pour titre : Songs for King Alfonso X of Castille and León (1221-1284). Pour plus de détails à son sujet voir : un chant de Louanges de Cantigas par Sequentia. Vous pouvez également vous procurer cet album au lien suivant : Sequentia performs Vox Iberica III by El Sabio. Quant à la formation de Benjamin Bagby et Barbara Thornton, vous la trouverez présentée ici : portrait de l’ensemble médiéval Sequentia
Aux origines de la Cantiga 193 :
un récit de Sire de Joinville ?
On trouve la trace de miracles semblables à celui de la Cantiga 193 dans des sources diverses. Pour la plupart d’entre eux, ils portent toutefois sur le sauvetage de plusieurs pèlerins de la noyade par l’intervention de la Sainte. (Les Collections De Miracles De La Vierge en Gallo et Ibéro-Roman au XIII Siècle, Paule V. Bétérous, 1993). Autour de 1248-1250, un récit de Sire de Joinville a pu également inspirer le souverain d’Espagne. L’histoire conte, en effet, un miracle ayant de troublantes correspondances avec celui du roi espagnol, à ceci près qu’il s’agit d’une chute malencontreuse à la mer, et pas d’une tentative d’homicide. Dans Les mémoires de Saint-Louis de De Joinville, c’est aussi une des nefs royales qui secourut l’homme. La voici dans le détail, telle que traduite par Natalis de Wailly, en 1874 :
« 650. Une autre aventure nous advint en mer; car monseigneur Dragonet, riche homme de Provence, dormait le matin dans sa nef, qui était bien une lieue en avant de la nôtre, et il appela un sien écuyer et lui dit : « Va boucher cette ouverture, car le soleil me frappe au visage.» Celui-ci vit qu’il ne pouvait boucher l’ouverture s’il ne sortait de la nef: il sortit de la nef. Tandis qu’il allait boucher l’ouverture, le pied lui faillit, et il tomba dans l’eau, et cette nef n’avait pas de chaloupe, car la nef était petite : bientôt la nef fut loin. Nous qui étions sur la nef du roi, nous le vîmes, et nous pensions que c’était un paquet ou une barrique, parce que celui qui était tombé à l’eau ne songeait pas à s’aider.
651 . Une des galères du roi le recueillit et l’apporta en notre nef, là où il nous conta comment cela lui était advenu. Je lui demandai comment il se faisait qu’il ne songeait pas à s’aider pour se sauver, ni en nageant ni d’autre manière. Il me répondit qu’il n’était nulle nécessité ni besoin qu’il songeât à s’aider ; car sitôt qu’il commença à tomber, il se recommanda à Notre-Dame de Vauvert, et elle le soutint par les épaules dès qu’il tomba, jusques à tant que la galère du roi le recueillît. En l’honneur de ce miracle, je l’ai fait peindre à Joinville en ma chapelle, et sur les verrières de Blécourt. «
Jean Sire de Joinville Histoire de Saint Louis,
credo et lettre a Louis X, Natalis de Wailly (1874)
Contre ce récit miraculeux de Jehan de Joinville, et sous réserve que le roi d’Espagne s’en soit inspiré, on notera que la version de ce dernier ne met pas tellement à l’honneur la qualité de l’ost du roi de France et, encore moins, certains membres de sa flotte.
Les paroles de la Cantiga de Santa Maria 193
et approche de traduction française
Como Santa Maria guardou de morte u mercadeiro que deitaron no mar.
Comment Sainte-Marie sauva de la mort un marchand qu’on avait jeté à la mer.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra á poder Santa Maria, Madre do que tod’ ensserra.
Sur les profondeurs des mers et les plus hautes montagnes, Elle a tout pouvoir Sainte Marie, Mère de celui qui règne sur toute chose,
E daquest’ un gran miragre vos direi e verdadeiro, que fezo Santa Maria, Madre do Rei josticeiro, quand’ o Rei Lois de França a Tunez passou primeiro con gran gente per navio por fazer a mouros guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et, à ce propos, je vous conterai un grand et véritable miracle Que fit Sainte-Marie, Mère du Roi de Justice (Dieu, Jésus), Quand le roi Louis de France navigua vers la Tunisie Avec une grande armée pour faire la guerre contre les Maures.
En ha nave da oste, u gran gente maa ya, un mercador y andava que mui grand’ aver tragia; e porque soo entrara ontr’ aquela conpania, penssaron que o matassen pera despender na guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Sur l’un des navires de son ost, où on comptait beaucoup de gens vils, voyageait un marchand qui avait avec lui une grande fortune. Et comme il s’était embarqué seul avec une telle compagnie Ceux-ci eurent l’idée de le tuer pour dépenser à la guerre
O aver que el levava. E [tal] conssello preseron que eno mar o deitassen, e un canto lle poseron odeito aa garganta e dentro con ele deron. Mais acorreu-ll[e] a Virgen que nunca errou nen erra,
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
toutes les richesses qu’il avait avec lui. Ils s’accordèrent
pour le jeter à la mer, et il lui attachèrent une pierre autour de son cou, et le jetèrent à l’eau. Mais la Vierge, qui n’a jamais commis de péchés et n’en commettra jamais, vint le secourir.
Que aly u o deitaron tan tost’ ela foi chegada e guardou-o de tal guisa, que sol non lli noziu nada o mar nen chegou a ele, esto foi cousa provada; ca o que en ela fia, en ssa mercee non erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Ainsi, elle vint aussitôt à l’endroit où ils l’avaient noyé et le protégea de sorte que la mer ne lui fit aucun mal et ne le toucha même pas. C’est là une chose admise, que, dans sa miséricorde, elle n’abandonne jamais ceux qui ont foi en elle.
E ele ali jazendo u o a Virgen guardava, a cabo de tercer dia outra nav’ y aportava; e un ome parou mentes da nav’ e vyu com’ estava aquel ome so a agua, e diz: «Mal aja tal guerra
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et l’homme resta couché là où la vierge le protégeait Et trois jours plus tard, un autre navire s’est approché Et un homme a arrêté le navire et en voyant comment se trouvait cet homme sous l’eau, il a dit : «Maudit soit une telle guerre
U assi os omes matan en com’ a este mataron.» E dando mui grandes vozes, os da nave ss’ y juntaron, e mostrou-lles aquel ome; e logo por el entraron e sacárono en vivo, en paz e sen outra guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Dans laquelle les hommes tuent comme ils tuèrent celui-ci.» Et comme il poussait de grands cris, ceux du navire le rejoignirent Et il leur montra cet homme ; et ensuite, ils entrèrent (sous les eaux) et l’en sortirent vivant, en paix et sans autres difficultés.
E poi-lo om’ a cabeça ouve da agua ben fora, catou logo os da nave e falou-lles essa ora e disse-lles: «Ai, amigos, tirade-me sen demora daqui u me deitou gente maa que ameud’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et quand l’homme eut la tête bien hors de l’eau, Il vit alors ceux du navire et leur fit cette supplique, et leur dit : « Ah, mes amis, tirez-moi sans tarder de là où m’ont jeté ces mauvaises gens qui aiment faire du tord (pêcher)« .
Quando os da nav’ oyron falar, espanto prenderon, ca tian que mort’ era; mais pois lo ben connoceron e lles el ouve contado como o no mar meteron, disseron: «Mal aja gente que contra Deus tan muit’ erra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux du navire l’entendirent parler, ils furent pris de terreur car ils pensaient qu’il était mort ; mais ils le connaissaient bien et en l’entendant conter comment on l’avait jeté à l’eau, ils dirent : » Bien mauvaises gens qui contre Dieu agissent à si grand tort »
E depois lles ar contava como sempre as vigias el jajava da Virgen e guardava os seus dias; e porend’ o guardou ela e feze-lle no mar vias que o non tangess’ a agua e lle non fezesse guerra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et ensuite il leur a conté comment toujours il gardait Le jeûne pour la Vierge et célébrait ses fêtes : Et c’est pour cela qu’elle le protégeait et le faisait sur les voies maritimes Pour qu’il ne tombe pas à l’eau et qu’on ne lui fasse pas la guerre.
«E porque entendeu ela que prendera eu engano, log’ entre mi e as aguas pos com’ en guisa de pano branco, que me guardou senpre, per que non recebi dano; poren por servir a ela seerei en esta guerra.»
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Et parce qu’elle a compris qu’on m’avait trompé Alors, entre moi et les eaux, elle a posé, comme un drap (tissu) Blanc, qui m’a protégé sans cesse, afin que je ne sois pas blessé; Aussi, pour la servir, je participerais à cette guerre.
Quando os da nav’ oyron esto, mui grandes loores deron a Santa Maria, que é Sennor das sennores; e pois foron eno porto, acharon os traedores e fezeron justiça-los como quen atan muit’ erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Quand ceux des navires entendirent cela, de très grandes louanges Ils firent à Sainte Marie, qui est la dame d’entre les dames : Et puis ils allèrent au port, livrer les traîtres Et leur firent justice comme on le fait à ceux qui agissent mal.
Poi-la jostiça fezeron, o mercador entregado foi de quanto lle fillaran quando foi no mar deitado; e el dali adeante sempre serviu de grado a Virgen Santa Maria sen faliment’ e sen erra.
Sobelos fondos do mar e nas alturas da terra…
Lorsque le châtiment fut appliqué, le marchand retrouva tout ce qu’ils lui avaient pris avant de le jeter à la mer. Et lui, à partir de ce jour, servit toujours de bon gré La Sainte-Vierge sans faille et sans péchés.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, Gethsémani Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 29 « Nas mentes sempre teer » Ensemble : Micrologus Album : Madre de Deus (1998)
Bonjour à tous,
u cour de nos nombreuses pérégrinations autour du Moyen Âge, nous avons entrepris, il y a quelque temps, l’exploration et la traduction des Cantigas de Santa Maria. Rédigés en galaïco-portugais, ces chants dévots du XIIIe siècle furent compilés, et peut-être même écrits pour certains, de la main du roi Alphonse X de Castille. Un grand nombre d’entre eux ont trouvé leur inspiration dans les récits de miracles liés au culte marial qui circulaient alors en Espagne et même au delà. Certains provenaient d’ouvrages écrits par divers religieux, d’autres plus directement de récits de pèlerins.
La cantiga 29 ou l’apparition de l’image
de la vierge sur une pierre
Aujourd’hui, nous nous penchons sur la Cantiga de Santa Maria 29. Il s’agit donc d’un nouveau récit de miracle. Il conte l’apparition miraculeuse d’un image de la vierge à l’enfant sur une « pierre » et se réfère à un récit de pèlerins s’étant rendu à Gethsémani. Nous tenterons de jeter quelques lumières sur tout cela. Pour illustrer cette présentation, nous vous proposons également l’interprétation de ce chant marial par l’ensemble italien Micrologus dirigé par la talentueuse Patrizia Bovi.
La Cantiga de Santa Maria 29 par l’Ensemble Micrologus
Les cantigas d’Alphonse X par Micrologus
Si l’on peut trouver la pièce du jour sur la chaîne Youtube de Micrologus, elle provient d’une production de l’ensemble médiéval, datée de 1998 et dédiée aux Cantigas de Santa Maria d’Alphonse X. Intitulé Madre de Deus, l’album présente quinze cantigas. On le trouve disponible à la vente en ligne sous forme CD et même sous forme de fichiers MP3. Lien utile : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.
Pour en apprendre plus sur cette formation médiévale italienne, vous pouvez également consulter l’article suivant : portrait de Micrologus.
La vierge de Gethsémani : aux origines de la cantiga de Santa Maria 29
Dans les Évangiles, Gethsémani est désigné comme le lieu de la dernière cène. Avec le temps, on l’a associé à plusieurs endroits. Situé à l’est de Jérusalem, il peut désigner le mont des Oliviers ou, de manière plus spécifique, son jardin ou même encore la grotte de Gethsémani qui se situe non loin. En l’occurrence et dans la cantiga de Santa Maria 29, il est vraisemblablement fait référence à l’église du sépulcre de la Sainte Vierge. Suivant le récit ayant inspiré ce chant, c’est, en effet, à l’intérieur du tombeau supposé de Marie et sur une de ses colonnes, que se trouvaient les représentations dont l’auteur nous conte qu’elles n’étaient ni des peintures, ni des sculptures, mais des apparitions miraculeuses.
Le Liber Mariae de Juan Gil de Zamora
Ci-contre, miniature du
Manuscrit médiéval MS T.I 1
de la Biblioteca del Monasterio
de El Escorial, Madrid
D’après les sources, la datation de ce miracle est contemporaine de l’Espagne d’Alphonse X. Il est toujours possible qu’elle soit antérieure, mais, factuellement, on le retrouve dans le Liber Mariae du franciscain Juan Gil de Zamora (1241(?)-1318). Secrétaire du roi et tuteur de son fils Sancho, l’homme était lui-même un érudit. Il collabora aux différentes œuvres du monarque espagnol et, entre les nombreux ouvrages qu’il a légués, son Liber Mariae, compilation de divers récits de miracles mariaux, a, semble-t-il, compté pour la rédaction des Cantigas de Santa Maria.
Hypothèse de médiévistes sur la cantiga 29
Deux historiens américains, spécialisés dans la littérature médiévale espagnole et contemporains du XXe siècle, se sont penchés sur le miracle de la Cantiga 29 (Keller John Esten and Richard P. Kinkade, Myth and Reality in the Miracle of Cantiga 29, la Corónica, 1999). De leurs côtés, ils ont rattaché l’origine possible de ce récit à la Basilique de la Nativité de Bethléem, elle-même sur la route des pèlerinages. On aurait trouvé, en effet, sur les colonnes de cette dernière, des images peintes, dont notamment une de la vierge à l’enfant. Ces peintures ont été datées de 1130 et la technique utilisée pour les exécuter aurait été particulièrement novatrice pour l’époque ; elle permettait, en effet, de peindre sur le marbre préalablement poli. Selon ces deux auteurs, plus d’un siècle après l’exécution de cette oeuvre représentant la vierge et face à la particularité de la technique usitée et son effet d’incrustation, certains pèlerins auraient pu voir là la trace d’un miracle.
A plus de 700 ans de là et quelle que soit la validité de cette hypothèse, voici les paroles de cette Cantiga de Santa maria 29, accompagnées d’une traduction en français moderne, effectuée par nos soins.
La Cantiga de Santa Maria 29 : traduction
du galaïco-portugais au français moderne
Esta é como Santa Maria fez parecer nas pedras omages a ssa semellança.
Celle-ci (cette cantiga) conte comment Sainte-Marie fit apparaître sur des pierres des images à sa ressemblance (des images d’elles).
Nas mentes sempre tẽer devemo-las sas feituras da Virgen, pois receber as foron as pedras duras.
Dans nos esprits, toujours nous Devons garder les prouesses* (actions, œuvres ?) De la vierge car elles furent Gravées sur des pierres dures.
Per quant’ eu dizer oý a muitos que foron i, na santa Gessemani foron achadas figuras da Madre de Déus, assi que non foron de pinturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Parce que j’ai entendu dire Par de nombreuses personnes qui allèrent là bas En la Sainte Gethsémani Qu’on y a trouvé des images De la mère de Dieu, telles Qu’elles n’étaient pas des peintures.
Refrain…
Nen ar entalladas non foron, se Déus me perdôn, e avia y fayçôn da Sennor das aposturas con séu Fill’, e per razôn feitas ben per sas mesuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Elles n’avaient pas non plus été sculptées, Et, que Dieu me pardonne, On y voyait les traits Et l’élégance de la dame Avec son fils, et elles étaient bien faites,
Avec raison et de justes mesures (dimensions, proportions).
Refrain…
Porên as resprandecer fez tan muit’ e parecer, per que devemos creer que é Sennor das naturas, que nas cousas á poder de fazer craras d’ escuras.
Nas mentes sempre tẽer …
Par conséquent, il (Dieu) les fit resplendir Et apparaître de manière si parfaite Que nous devons croire Qu’elle est la dame de la nature Qui, sur les choses, a le pouvoir De changer l’obscurité en clarté.
Refrain…
Déus x’ as quise figurar en pédra por nos mostrar que a ssa Madre onrrar deven todas creaturas, pois deceu carne fillar en ela das sas alturas.
Nas mentes sempre tẽer …
Dieu voulut la figurer Sur la pierre pour nous montrer Que toutes les créatures
Doivent prier sa mère Car il est descendu pour s’incarner En elle, depuis les hauteurs (le ciel).
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, guérison, El Puerto de Santa Maria Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 375 En todo nos faz merçee Ensemble : Grupo de Música Antigua, dir Eduardo Paniagua Album : Remedios Curativos(1997)
Bonjour à tous,
u côté du culte marial médiéval, voici une nouvelle Cantiga de Santa Maria tirée du corpus d’Alphonse X de Castille. C’est un nouveau récit de miracle qui porte, cette fois, sur la guérison d’un cheval mourant sauvé par l’intervention de la Sainte. Il fait partie d’un groupe de chants dédiés a Santa Maria del Puerto.
Alphonse X et Santa Maria del Puerto
En 1260, le souverain de Castille reprit le port et la cité d’Alcanatif (Alcanate) des mains des conquérants musulmans qui l’occupaient depuis les débuts du VIIIe siècle. Il rebaptisa alors le lieu Santa Maria del Puerto. Un château y fut bientôt édifié (le Castillo de San Marcos) sur le site de l’ancienne mosquée et une église dédiée à Sainte-Marie del Puerto fut fondée. L’Ordre de Santa María de España crée par Alphonse X y fut également établi.
Aujourd’hui, El puerto de Santa María est visitée pour ses attraits balnéaires mais on peut encore y croiser des pèlerins. Une procession y est aussi organisée, chaque année, en septembre, autour de la Sainte, également connue sous le nom de la vierge des Miracles.
Le Cancionero de Santa Maria de El Puerto
Les chants dédiés a Sainte-Marie du port sont au nombre de vingt-quatre dans l’ensemble du corpus des Cantigas d’Alphonse le Savant. Ils sont généralement regroupés sous le nom de Cancionero de Santa Maria de El Puerto ( Santa Maria do Porto).
Eduardo Paniagua et les Remèdes curatifs
dans les Cantigas de Santa Maria
Nous vous avons déjà touché un mot ici de Eduardo Paniagua (Voir portrait détaillé ici). Ce passionné de musiques médiévales s’est forgé une grande réputation du côté de la péninsule ibérique. S’il ne s’est pas limité au répertoire des Cantigas d’Alphonse X, il leur a néanmoins dédié un nombre impressionnant d’albums, au moyen de divers regroupements thématiques. Il a même réussi à couvrir ainsi l’ensemble de ce corpus et, à ce jour, c’est une des seuls, à notre connaissance, à l’avoir fait.
En 1997, entouré de sa formation le Grupo de Música Antigua, le grand directeur de musique espagnol proposait un album de onze Cantigas de Santa Maria sur le thème des remèdes curatifs (pour une autre pièce issue de cet album, voir aussi Cantiga 189 : dragon, poison et guérison miraculeuse pour un courageux pèlerin) Il est toujours disponible à la vente et voici un lien qui vous permettra de le découvrir ou de l’acquérir au format CD ou MP3 : Remedios Curativos – Cantigas de Santa Maria
La Cantigas de Santa Maria 375
et sa traduction en français moderne
Como Santa María do Porro guariú un cavalo dun escrivá del Rey que lle quería morrer.
Comment Sainte-Marie du Port guérit le cheval mourant d’un scribe du roi.
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Elle nous est miséricordieuse (fait grâce) en tout La Dame qui voit tout
Merçee por humildade nos faz, e por sa bondade acorre con pïadade a quen lle pede merçee.
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Elle nous fait miséricorde par humilité
et par sa grande bonté
Et secourt avec piété, Qui lui demande sa grâce.
Refrain
Sequer enas bestias mudas nos mostra muitas aiudas grandes e mui conosçudas a Senor que todo vee.
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Au moins pour les bêtes muettes, Elle nous montre ses nombreuses aides Grandes et très célèbres La Dame qui voit tout.
Refrain
E de tal razon fremoso miragre maravilloso a Madre do Glor’ioso fezo , comprida merçee,
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Et sur ce beau sujet,
La Mère du Glorieux fit Un miracle merveilleux (démontrant sa) parfaite Miséricorde.
Refrain
Na çibdade de Sevilla, que é grand’ a maravilla, mostrou a Madr’ e a Filia de Deus que nos sepre vee,
En todo nos foz merr¡ee a Sennor que todo vee.
Dans la cité de Séville, Qui est grande par ses merveilles Elle a montré la mère et fille De Dieu qui toujours nous voit
Refrain
A Bonamic, que avía seu cavall’ e lle morría. Porend’ a Santa María do Porto pidiu merçee
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
A Bonamic (1), qui avait Son cheval qui se mourait Et pour cela, avait demandé grâce
à Sainte-Marie du Port.
Refrain
Que, se ll’o cavalo désse vivo, porende possesse un de cera que sevesse ant’ ela que todo vee.
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Que, si elle sauvait la vie du cheval, Il ferait don d’un de cire qu’il possédait, Devant celle qui voit tout (en son sanctuaire).
Refrain
Est’escrivan del Rey era, que do cavalo presera mui gran coita e soubera que morría; e merçee
En todo nos faz mercee a Sennor que todo vee.
Et celui-là qui était scribe du roi, Etait pris pour ce cheval, De grande douleur, sachant Qu’il allait mourir: et miséricorde.
Refrain
Pidiú aa Glorfosa que é Sennor pïadosa, que de ll’o dar poderosa é, ca nossas coitas vee.
En todo nos faz mercee a Sennor que todo vee.
Il a demandé à la Glorieuse Qui est dame de piété Qu’elle accorde de son pouvoir Car elle voit toujours nos ennuis.
Refrain
E ú iazía tendudo ia come mort’ e perdudo, fez-ll’o a que noss’escudo é viver por sa merçee.
En todo nos faz mercee a Sennor que todo vee.
Et à celui qui était étendu Comme mort et déjà perdu, Celle qui est notre bouclier le fit, Vivre par sa miséricorde.
Refrain
E tan toste deu levada e comeu muita çevada. E porem foi mui loada a Senor que todo vee.
En todo nos faz merçee a Sennor que todo vee.
Et aussitôt que la bête fut levée; Elle mangea de grandes quantités d’orge Et La dame qui voit tout
fut, de tous, grandement louée. .
Refrain
(1)Bonamic Zavila, clerc et scribe du roi établi à Murcia, qui, selon l’universitaire Jesús Montoya Martínez ( Cancionero de Santa María de El Puerto) a également accompagné le souverain Alphonse X durant un voyage qu’il effectua à Beaucaire pour visiter le pape.