Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, pèlerinage médiéval, Rocamadour. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 159 Non sofre Santa María Ensemble : Freiburger Spielleyt Album : Cantigas de Santa Maria, Tales of Miracles (1994)
Bonjour à tous,
l y a quelque temps, nous vous avions présenté, dans le détail, la Cantiga de Santa Maria 159 d’Alphonse X de Castille. Ce chant médiéval, dévot au culte marial, nous rapportait l’histoire d’infortunés pèlerins de Rocamadour auxquels une tranche de viande avait été dérobée. Avec l’aide miraculeuse de la sainte, le récit nous contait comment ils avaient finalement retrouvé l’objet du larcin, tambourinant et sautillant dans un coffre.
Après l’interprétation du Clemencic Consort que nous vous avions alors proposé, nous vous présentons, ici, dans un registre plus lyrique, celle du Freiburger Spielleyt . Elle nous fournira l’occasion de vous toucher un mot de ce bel ensemble suisse qui a fait des musiques médiévales et anciennes un de ses terrains d’élection.
La Cantiga de Santa Maria 159 par le Freiburger Spielleyt
Le Freiburger Spielleyt : à bonne école
Fondé dans le courant de l’année 1990, le Freiburger Spielleyt est composé d’artistes qui se sont rencontrés durant leurs études à l’Université de Musicologie de Fribourg mais aussi, dans le cadre de la célèbre Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Quand on s’intéresse de près à la scène musicale médiévale européenne, on peut difficilement passer à côté de cette prestigieuse école suisse, devenue une référence dans le domaine de l’enseignement des musiques anciennes ; elle a vu naître un nombre considérable de formations prestigieuses (Hespérion, Sequentia, Hirundi Maris, Project Ars Project, … ) et elle a aussi vu passer les professeurs les plus talentueux (voir notamment l’autobiographie intellectuelle de Jordi Savall)
Les membres du Freiburger Spielleyt
Regina Kabis, (soprano), Murat Coskun (percussions), Maria Ferré (luth, guitares anciennes), Bernd Maier (cornemuse, vielle à roue), Jutta Haaf (harpe), Albrecht Haaf (flûtes, organetto, vièle à archet).
Répertoire et productions
Si le Freiburger Spielleyt a affirmé très tôt sa prédilection pour les musiques anciennes et le répertoire médiéval, l’ensemble n’a pas hésité, depuis, à explorer des époques plus tardives (renaissance, période baroque ou encore XVIIIe et IXe siècle). Du point de vue musical et expérimental, il s’est aussi aventuré sur des terrains plus contemporains, à la fusion des sonorités modernes et anciennes, en collaboration avec d’autres formations dont notamment l’ensemble de Jazz oriental FisFüz.
Depuis ses débuts de carrière, le Freiburger Spielleyt a produit un total de douze albums au nombre desquels on pourra trouver, pour ne citer que quelques références, des cantigas de Santa Maria, des cantigas de Amigo, des chants de pèlerins, des chants de Noel, ou même encore chant de fortune et d’infortunes du Moyen-âge. Le tout a donné lieu à des programmes et concerts qui sont proposés sur l’ensemble de la scène européenne et même au delà.
En 1994, la formation partait à la découverte de l’Espagne médiévale et les « récits de Miracles » des Cantigas de Santa Maria. L’album présentait ainsi une sélection de onze pièces auxquelles la soprano Regina Kabis prêtait sa talentueuse voix. Là encore, dans une approche fusion, l’ensemble suisse faisait le choix d’ajouter à leurs instruments anciens, une touche de sonorités plus électroniques et modernes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin, pèlerinage médiéval, Rocamadour. Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 159 Non sofre Santa María Ensemble : Clemencic Consort Album : Troubadours, Cantigas de Santa Maria (1981)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons pour l’Espagne médiévale et la cour d’Alphonse X de Castille avec l’étude d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. Si ces chants dévots à la vierge témoignent de la force du culte marial au Moyen-âge central, la péninsule ibérique est loin d’être la seule à s’y adonner. Des nombreux pèlerinages aux cathédrales que l’on édifie en son nom, dans ce même XIIIe siècle, on le retrouvera sur de nombreuses terres de l’Europe médiévale. Il sera aussi largement présent dans la littérature, et chez de nombreux auteurs, trouvères et troubadours, cet amour de la vierge qui prendra même, par endroit, des formes clairement empruntées à la lyrique courtoise.
Le miracle de la Cantiga 159
Sainte-Marie et la protection des pèlerins
La Cantiga 159 dont il est question aujourd’hui est un nouveau récit de miracle. A l’image d’un grand nombre de pièces de ce corpus, il touche les pèlerins et leur protection. Si les interventions miraculeuses de la Sainte telles qu’on les rapporte au Moyen-âge, sont de toutes sortes, jusqu’aux plus impressionnantes : guérison, résurrection, etc… Dans le cas de cette Cantiga, le miracle prendra une forme presque plus anodine ou moins spectaculaire, pourrait-on dire, puisqu’il s’exercera sur une pièce de viande destinée à nourrir des pèlerins et qu’on leur avait dérobée.
Au niveau symbolique, on ne peut s’empêcher de mettre ici en regard la relative « insignifiance » du morceau de nourriture contre le signifié de sa retrouvaille et de sa mise en mouvement miraculeuses. Si la Sainte peut animer des objets qui ne le sont normalement plus, le récit est surtout clair sur le fait qu’elle n’accepte pas qu’on spolie, de quelque manière, les pèlerins qui viennent l’honorer. Cette protection à l’égard de ses ouailles est si grande qu’elle s’exerce jusque dans les moindres détails et elle répare ainsi toute déconvenue qui peut leur survenir, fut-elle minime. Comme le scandera le refrain : « Non sofre Santa María de seeren perdidosos, os que as sas romarías, son de fazer desejosos. » , Sainte-Marie ne souffre pas que soient « perdants », ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.
Pèlerinage médiéval à Rocamadour,
vierge noire et livre des miracles
De nombreux pèlerinages sont attestés dès le XIIe siècle à Rocamadour. On y vient des quatre coins de France et même d’Europe pour y honorer les reliques de Saint-Amadour, mais aussi pour y prier la vierge noire. L’histoire fait également remonter l’origine de cette madone de bois sculptée à ce même Amadour, ermite local qui, selon la légende, aurait été l’ancien disciple du Christ, connu sous le nom de Zachée et qui, à une époque reculée, serait venu en Gaule, pour y répandre le culte.
En 1166, on découvrit le corps du saint sur le site ce qui renforça grandement la réputation du lieu. Peu après, en 1172, les miracles survenus à Rocamadour donneront le jour à la rédaction d’un Manuscrit en latin qui a été depuis traduit en français moderne (voir Les Miracles de Notre-Dame de Roc-Amadour de Edmond ALBE, Honoré Champion, 1907). Au nombre de 126, ces récits miraculeux, courts et rédigés très simplement, sont là encore de tous ordres – guérison, rémission miraculeuse, protection, fertilité, etc… – et ce manuscrit médiéval contribua, sans doute, à son tour, au succès de l’endroit auprès des pèlerins.
Jusque là, nous n’avons pas trouvé dans cet ouvrage, trace du récit exact de la Cantiga 159 mais il semble qu’il n’ait consigné qu’un nombre restreint des miracles qu’on prêtait alors à Rocamadour et qui devaient circuler dans la tradition orale. Près d’un siècle plus tard, ils étaient, à l’évidence suffisamment vivaces pour traverser les frontières et s’étendre jusqu’à la cour d’Alphonse le Sage. Dans l’esprit de la Cantiga du jour et sans la reprendre mot pour mot. on en retrouve quelques-uns, dans le manuscrit, qui détaillent le sort fait aux brigands et voleurs qui s’en prennent aux pèlerins : rendus aveugles ou muets, paralysés, frappés de folie et d’autres disgrâces, à Rocamadour comme ailleurs, les récits de miracles médiévaux semblent bien s’accorder sur le fait qu’il ne fait pas bon s’en prendre aux pèlerins qui ont abrité leur foi en la vierge.
L’interprétation de la Cantiga 159par le Clémencic Consort
Troubadours, Cantigas de Santa Maria,
un quadruple album de choix du Clemencic Consort
On trouve cette Cantiga 159 reprise par de nombreux ensembles de musique médiévale. Loin des multiples interprétations lyriques qui peuvent avoir leur charme, nous avons choisi, aujourd’hui, la version largement plus « terrienne » ou « terrestre » du Clemencic Consort. En plus d’un orchestration enthousiaste et festive, la voix de René Zosso n’a pas son pareil pour ramener les musiques médiévales dans une certaine « vision » de leur ferment d’origine. Il nous propose encore ici quelque chose de rugueux et d’enlevé à la fois qui se livre généreusement et sans sophistication et finit par créer une vraie relation de proximité. La magie opère. Nous voilà presque revenu au cœur d’une cité médiévale, face à un troubadour ou devant un groupe de pèlerins festifs du Moyen-âge et l’on se plait à imaginer qu’en dehors des cours royales et princières, les Cantigas de Santa Maria ont pu aussi être cela : des chants proches du peuple et qu’on pouvait entendre dans les rues.
Enregistrée à la toute fin des années 70, chez Harmonia Mundi, on peut retrouver cette interprétation de la Cantiga 159 dans un superbe album d’anthologie du Clémencic Consort qui réunit pas moins de 4 CDs : les deux premiers présentent vingt-deux pièces choisies parmi les plus prestigieux troubadours du moyen-âge central. Les deux autres sont entièrement dédiés aux Cantigas d’Alphonse le Sage et proposent 27 d’entre elles. On peut encore trouver à la vente cette production, qui fait honneur à cette grande formation médiévale. Voici un lien utile pour plus d’informations : Troubadours / Cantigas De Santa Maria.
Paroles et traduction de
La Cantiga de Santa Maria 159
Como Santa María fez descubrir ũa pósta de carne que furtaran a ũus roméus na vila de Rocamador.
Voilà comment Sainte Marie fit retrouver une tranche de viande qu’on avait dérobé à des pèlerins en route pour Rocamadour.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos os que as sas romarías | son de fazer desejosos.
Sainte Marie ne souffre pas que soient perdants ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.
E dest’ oíd’ un miragre | de que vos quéro falar, que mostrou Santa María, | per com’ éu oí contar, a ũus roméus que foron | a Rocamador orar como mui bõos crischãos, | simplement’ e omildosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et à ce propos, j’ai entendu un miracle, dont je veux vous parler, Que fit Sainte Maria, comme je l’entendis conter Pour des pèlerins qui étaient partis prier à Rocamadour Comme de très bons chrétiens, avec simplicité et humilité.
refrain
E pois entraron no burgo, | foron pousada fillar e mandaron comprar carne | e pan pera séu jantar e vinno; e entre tanto | foron aa Virgen rogar que a séu Fillo rogasse | dos séus rógos pïadosos
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et quand ils entrèrent dans le bourg, ils y cherchèrent un refuge Et s’en furent acheter de la viande et du pain pour leur dîner Ainsi que du vin : Et entre temps, ils s’en allèrent prier la vierge Pour qu’elle intercède auprès de son fils de ses pieuses prières
refrain
Por eles e non catasse | de como foran errar, mais que del perdôn ouvéssen | de quanto foran pecar. E pois est’ ouvéron feito, | tornaron non de vagar u o séu jantar tiínnan, | ond’ éran cobiiçosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Afin qu’il ne tienne pas compte de leurs errances passés Mais qu’il leur accorde son pardon pour tous leurs péchés. Et une fois cela fait, ils revinrent sans s’attarder Sur les lieux de leur dîner, dont ils se faisaient d’avance une joie.
refrain
E mandaran nóve póstas | meter, asse Déus m’ampar, na ola, ca tantos éran; | mais poi-las foron tirar, acharon end’ ũa menos, | que a serventa furtar lles fora, e foron todos | porên ja quanto queixosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et ils décidèrent de mettre neuf tranches de viande, que Dieu me garde Dans la marmite, car c’était leur nombre, Mais quand ils allèrent les chercher Ils virent qu’il en y avait une en moins, que la servante leur avait dérobé Et pour cette raison, ils se plaignirent grandement (ils furent très contrariés)
refrain
E buscaron pela casa | pola poderen achar, chamando Santa María | que lla quisésse mostrar; e oíron en un’ arca | a pósta feridas dar, e d’ ir alá mui correndo | non vos foron vagarosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et ils cherchèrent dans toute la maison, pour pouvoir la retrouver Appelant Sainte-Marie pour qu’elle veuille bien leur montrer, Et ils entendirent alors dans un coffre, la tranche qui donnait des coups, Et alors ils se précipitèrent dans cette direction, sans faire de détour.
refrain
E fezéron lóg’ a arca | abrir e dentro catar foron, e viron sa pósta | dacá e dalá saltar; e saíron aa rúa | muitas das gentes chamar, que viron aquel miragre, | que foi dos maravillosos
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Et, ensuite, ils firent ouvrir le coffre et à l’intérieur ils regardèrent et virent le morceau de viande qui sautait de tous côtés Et ils sortirent dans la rue, pour appeler grande quantité de gens Qui assistèrent à ce miracle, qui fut parmi les merveilles
refrain
Que a Virgen grorïosa | fezéss’ en aquel logar. Des i fillaron a pósta | e fôrona pendorar per ũa córda de seda | ant’ o séu santo altar, loando Santa María, | que faz miragres fremosos.
Non sofre Santa María | de seeren perdidosos…
Que la vierge glorieuse accomplit en ce lieu. A partir de là, ils prirent la pièce de viande et la suspendirent A un cordon de soie, devant l’autel de Sainte-Marie En louant cette dernière pour ses merveilleux miracles.
Sainte Marie ne souffre pas que soient perdants ceux qui sont désireux de faire ses pèlerinages.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, vierge, pèlerin Période : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : 26 « Non é gran cousa » ou le pélerin de Saint-Jacques Compostelle Ensemble : Evo Medieval Music, Efren Lopez Média : chaîne youtube de la formation
Bonjour à tous,
n route pour l’Espagne du XIIIe siècle et la cour de Castille, à la découverte d’une nouvelle Cantiga de Santa Maria. Témoin de la grande dévotion au culte marial médiéval, ce grand legs du souverain Alphonse X de Castille nous est aussi demeuré précieux pour sa rédaction en galaïco-portugais, cette langue longtemps prisée par les poètes et les troubadours de la péninsule ibérique et qui allait donné naissance au Portugais et au Galicien.
Aux sources de la Cantiga 26
Connue aussi sous le titre du « le pèlerin de Saint-Jacques« , la Cantiga de Santa Maria 26 fait partie des récits les plus célèbres de ce corpus, autour du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Durant le moyen-âge, il semble même qu’une fête lui était dédiée dans la cathédrale de la ville.
L’histoire est, à nouveau, celle d’un Miracle et quel miracle, puisque bien au delà d’une simple guérison, il s’agit ici rien moins que d’une résurrection. Notons que ce récit, repris dans les Cantigas d’Alphonse X, est connu dès les XIe, XIIe siècle. On le trouve, en effet, mentionné dans plusieurs sources dont notamment le Codex Calixtinus, Liber Sancti Jacobi ou Livre de Saint Jacques, daté de la première moitié du XIIe. Sous certaines de ses formes originelles, ce miracle fait une place plus mesuré à la vierge contre le Saint, mais sous la plume du souverain espagnol ou de ses scribes, il était bien naturel que la Sainte Mère de Dieu mort en croix, y retrouve une place centrale.
L’interprétation de Evo medieval music
Pour l’interprétation musicale de ce chant qu’on trouve repris par un certain nombre de formations (sous une forme souvent tronquée car elle est assez longue), nous avons choisi la belle approche de l’ensemble espagnol Evo Medieval Music. Datée de 2011, la prestation fut donnée dans le cadre du IVe cycle des arts scéniques et des musiques historiques de León. Conduit par son talentueux fondateur Efren Lopez, Evo y était accompagné, pour l’occasion, de l’Almodí Chamber Choir de Valencia.
La Cantiga de Santa Maria 26 par Evo & Almodí
Le Miracle de la Cantiga 26
Un pèlerin avait l’habitude de se rendre, chaque année, à Saint-Jacques de Compostelle, mais une de ces nombreuses fois, avant de se mettre en chemin, il s’acoquina avec une femme de petite moralité et passa la nuit avec elle. Facteur aggravant, nous conte le poète, l’homme n’était pas marié avec sa partenaire de passage, mais, pire encore, il ne se lava pas de son péché (en le confessant), avant de prendre la route de Compostelle. C’est ainsi que le diable, attiré par l’odeur du coupable péché, lui apparût en chemin. « Blanc comme une hermine« , le Malin, qui avait pris l’apparence de Saint-Jacques de Compostelle, prétendit vouloir sauver le pécheur et lui demanda pour cela de s’amputer du membre par lequel il avait fauté, avant de se trancher le cou.
Désireux d’échapper aux affres de l’Enfer, le dévot pèlerin suivit scrupuleusement les perfides consignes et, après s’être émasculé, il mit fin à ses jours, en s’ouvrant la gorge. De crainte d’être accusés de l’avoir occis, ceux qui l’accompagnaient s’enfuirent et les démons vinrent bientôt chercher l’âme de l’infortuné pour la porter avec eux, aux enfers. L’affaire ne fut pourtant pas si simple car, comme leur cortège passait devant une belle chapelle dédiée à Saint-Pierre, Saint-Jacques en personne, en sortit pour s’interposer. Le pèlerin avait été trompé en son nom et l’âme égarée ne pouvait être conduite aux enfers ; c’est la ruse du Diable, autant que la grande foi de l’homme en la parole usurpée du Saint, qui l’avaient, en effet, conduit au suicide et non sa propre volonté. Les démons, de leur côté, argumentèrent que, comme le pécheur s’était donné la mort de ses propres mains, il devait être conduit, sans délai, devant l’ange déchu.
Voyant que le débat demeurait sans issue, Saint-Jacques fit appel au jugement de la Sainte-Mère, dont même les démons ne pourraient que convenir de l’impartialité. Dans sa grande mansuétude, la vierge ne donna pas cause à ces derniers et l’âme du pèlerin que la perfidie du Malin avait poussé à l’irréparable, fut retournée dans son corps, afin qu’il puisse vivre : « Non é gran cousa se sabe bon joyzo dar a Madre do que o mundo tod’ á de joigar.« . Ce n’est pas très étonnant qu’elle sache bien juger, la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose.
Suite à cela, l’homme put faire pénitence et servit Dieu, le reste de sa vie. L’appendice par lequel il avait péché ne lui fut, toutefois, pas restitué.
La Cantiga de Santa Maria 26 d’Alphonse X
NB : concernant la traduction, merci de prendre en compte qu’elle n’a la prétention que d’être indicative. Comme ce n’est pour l’instant qu’un premier jet, elle comporte encore certaines imperfections.
Esta é como Santa María juïgou a alma do Roméu que ía a Santïago, que se matou na carreira por engano do dïabo, que tornass’ ao córpo e fezésse pẽedença.
Celle-ci raconte comment Marie a jugé l’âme d’un pèlerin qui allant à Santiago de Compostelle, s’était tué en chemin après avoir été trompé le diable, de sorte qu’elle la fit retourner dans son corps pour qu’il fasse pénitence.
Mui gran razôn é que sábia dereito quen Déus troux’ en séu córp’ e de séu peito mamentou, e del despeito nunca foi fillar; porên de sen me sospeito que a quis avondar.
Non é gran cousa se sabe | bon joyzo dar a Madre do que o mundo | tod’ á de joigar.
Il est très juste que celle qui fit croître Dieu dans son corps, le nourrit de son sein, et ne l’a jamais mécontenté, soit capable de juger justement, car j’ai confiance qu’il l’a doté en abondance (de grands dons).
Ce n’est pas chose étonnante qu’elle sache bien juger
la Mère de celui qui, dans le monde entier, est juge de toute chose.
Sobr’ esto, se m’ oissedes, diria dun joyzo que deu Santa Maria por un que cad’ ano ya, com’ oý contar, a San Jam’ en romaria, porque se foi matar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
A ce propos, si vous m’écoutez, je vous parlerai d’un jugement que fit Sainte Marie pour un qui chaque année, allait, comme je l’entendis conter, en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle où il se donna la mort.
Refrain ….
Este romeu con bõa voontade ya a Santiago de verdade; pero desto fez maldade que ant’ albergar foi con moller sen bondade, sen con ela casar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Ce pèlerin de bonne volonté se rendait vraiment à Santiago mais, il se comporta mal, car avant de prendre la route, il coucha avec une femme de peu de moralité, sans être marié avec elle.
Refrain ….
Pois esto fez, meteu-s’ ao caminno, e non se mãefestou o mesquinno; e o démo mui festinno se lle foi mostrar mais branco que un arminno, polo tóst’ enganar.
Cela fait, il se mit en chemin sans confesser son péché, le mesquin, et le démon très rusé se manifesta à lui, plus blanc qu’une hermine, pour le tromper totalement.
Refrain ….
Semellança fillou de Santïago e disse: “Macar m’ éu de ti despago, a salvaçôn éu cha trago do que fust’ errar, por que non cáias no lago d’ iférno, sen dultar. Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…
Sous l’apparence de Saint-Jacques , il lui dit « Même si je devrais te donner le bâton, je vais t’apporter le salut car tu t’es égaré, pour que tu ne tombes pas dans le lac de l’enfer, qui t’attend sinon. »
Refrain ….
Mas ante farás esto que te digo, se sabor ás de seer méu amigo: talla o que trages tigo que te foi deitar en poder do ẽemigo, e vai-te degolar.” Non é gran cousa se sabe | bon joízo dar…
Mais avant cela tu feras ce que je te dis, si tu as le désir d’être mon ami coupe la partie de toi qui t’as fait tomber au pouvoir de l’ennemi et ensuite, tranche toi la gorge.
Refrain ….
O romeu, que ssen dovida cuidava que Santiag’ aquelo lle mandava, quanto lle mandou tallava; poi-lo foi tallar, log’ enton se degolava, cuidando ben obrar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Le pèlerin, qui était persuadé que Santiago était celui qui lui avait commandé de tout couper, trancha tout et ensuite il s’ouvrit la gorge, en croyant bien faire.
Refrain ….
Séus companneiros, poi-lo mórt’ acharon, por non lles apõer que o mataron, foron-s’; e lógo chegaron a alma tomar démões, que a levaron mui tóste sen tardar.
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Ses compagnons, par la suite, trouvèrent le mort et de peur qu’on les accuse de l’avoir tué, s‘enfuirent; et après cela, les démons arrivèrent pour prendre l’âme et l’emportèrent sans tarder.
Refrain ….
E u passavan ant’ ha capela de San Pedro, muit’ aposta e bela, San James de Conpostela dela foi travar, dizend’: «Ai, falss’ alcavela, non podedes levar Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Et ainsi ils passèrent devant une chapelle de Saint Pierre, très belle et bien entretenue. Et Saint-Jacques de Compostelle est venu vers eux, en disant: » Ohé, faux trafiquants !, vous ne pouvez emporter
Refrain ….
A alma do méu roméu que fillastes, ca por razôn de mi o enganastes; gran traïçôn i penssastes, e, se Déus m’ampar, pois falssament’ a gãastes, non vos póde durar.”
Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
L’âme de mon pèlerin que vous avez prise de force et qu’en vous servant de moi, vous avez trompé. Grande trahison vous fîtes là et si Dieu me protège, vous ne pouvez persister dans cette erreur, à votre guise,
Refrain ….
Responderon os demões louçãos: «Cuja est’ alma foi fez feitos vãos, por que somos ben certãos que non dev’ entrar ante Deus, pois con sas mãos se foi desperentar.» Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Les démons répondirent : « Ceci est une âme dévoyée (rendue vide), car nous sommes bien certains qu’elle ne doit pas se présenter face à Dieu, puisque qu’elle s’est donnée la mort de ses propres mains ».
Refrain ….
Santiago diss’: «Atanto façamos: pois nos e vos est’ assi rezõamos, ao joyzo vaamos da que non á par, e o que julgar façamos logo sen alongar.» Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar…
Santiago dit : « Regardons les choses en face, puisque vous et moi ne pouvons nous accorder, faisons appel au jugement de celle qui est impartiale afin de nous fier ensuite à son jugement, sans plus tergiverser.
Refrain ….
Log’ ante Santa Maria veron e rezõaron quanto mais poderon. Dela tal joiz’ ouveron: que fosse tornar a alma onde a trouxeron, por se depois salvar. Non é gran cousa se sabe | bon joizo dar..
Puis ils vinrent face à Sainte-Marie et argumentèrent autant qu’ils purent Et celle-ci rendit tel jugement que l’âme fut renvoyée d’où elle venait pour qu’elle puisse ensuite, être sauvée.
Refrain ….
Este joízo lógo foi comprido, e o roméu mórto foi resorgido, de que foi pois Déus servido; mas nunca cobrar pod’ o de que foi falido, con que fora pecar.
Ce jugement fut bientôt exécuté et le pèlerin mort fut ressuscité après quoi il servit Dieu le reste de sa vie ; Mais sans jamais retrouver ce par quoi il avait failli et avec quoi il avait péché.
Refrain ….
Sujet : musique médiévale, chanson, cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte-Marie, Dragon, Vierge, lèpre. Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon Interprète : Eduardo Panigua Album : Remedios Curativos (1997)
Bonjour à tous,
otre exploration du culte marial du moyen-âge central se poursuit, aujourd’hui, à travers l’étude des Cantigas de Santa Maria du roi de Castille Alphonse X. Est-il un miracle que la Sainte ne puisse accomplir pour l’homme médiéval doté de foi véritable ? Il semble que non et cette Cantiga 189 va encore nous le démontrer.
Le récit d’une guérison miraculeuse
On croise bien des dangers sur les chemins de pèlerinage, a fortiori quand l’on décide de les arpenter seul, mais l’égaré, guidé par sa foi en la Sainte mère du Christ, peut compter sur la protection de cette dernière ou sur son intervention pour réparer et effacer les plus terribles des disgrâces et des incidents de parcours. Sur les rives les plus fantastiques de ces chants dévots du XIIIe siècle, il est ici question, tout à la fois, de dragon, de poison, de lèpre (on se souviendra que ce dernier terme désignait alors un grand ensemble d’affections) et de guérison miraculeuse.
La Cantiga de Santa Maria 189 par Eduardo Paniagua
« Remedios Curativos », les remèdes curatifs
dans les Cantigas de Santa Maria
Comme nous l’avions déjà indiqué, en présentant dans un article précédent Eduardo Paniagua, on doit à ce grand musicien espagnol, passionné de répertoire médiéval, l’enregistrement de l’ensemble des Cantigas d’Alphonse X de Castille. Il y a ainsi consacré un grand nombre d’albums en opérant souvent, pour se faire, des regroupements thématiques particuliers au sein de ce vaste corpus.
En 1997, sous le titre Remedios curativos, avec sa formation spécialisée dans les musiques anciennes et médiévales, il proposait ainsi un bel album regroupant onze Cantigas de Santa Maria (dont trois en version instrumentale) sur le thème de la guérison miraculeuse. L’album est toujours édité et vous trouverez ici un lien permettant de le pré-écouter ou de l’acquérir au format CD ou MP3 : Remedios Curativos – Cantigas de Santa Maria
L’ermitage de Sainte-Marie de Salas
Le pèlerinage dont il est question dans cette chanson est celui de Sainte-Marie de Salas, à Huesca, au Nord de l’Espagne et dans l’Aragonais. Un ermitage y fut construit au début du XIIIe qui fit l’objet de nombreux récits de miracles. Comme dans nombre d’autres cas, certains d’entre eux furent sans doute forgés, au départ, autour des lieux Saints par ceux-là même qui y officiaient afin d’attirer plus de pèlerins. De fait, le lieu connut une grande popularité et vit affluer de nombreux croyants dans le courant du moyen-âge central.
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon, Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison
Note : cette traduction du galaïco-portugais vers le français moderne a été effectuée, comme à l’habitude, par votre serviteur, à l’aide de sources et recherches diverses. Elle n’a pas la prétention de la perfection mais simplement de s’approcher, au plus près, du sens général du texte.
Esta é como un ome que ya a Santa Maria de Salas achou un dragon na carreira e mató-o, e el ficou gafo de poçon, e pois sãou-o Santa Maria.
Celle-ci conte comment un homme qui allait à Sainte-Marie de Salas, croisa un dragon en chemin et le tua, et il en devint lépreux et, suite à cela, Sainte Marie le guérit.
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon, pois madr’ é do que trillou o basilisqu’ e o dragon.
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison Puisqu’elle est la mère de celui qui terrassa le basilic* et le dragon.
(* bête légendaire, symbole biblique de Satan)
Dest’ avo un miragre a un ome de Valença que ya en romaria a Salas soo senlleiro, ca muit’ ele confiava na Virgen Santa Maria; mas foi errar o camynno, e anoiteceu-ll’ enton per u ya en un monte, e viu d’estranna faiçon
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon…
De là, un miracle survint à un homme de Valence allé en pèlerinage
à Salas, seul et sans compagnie, car il avait une grande confiance en la Vierge Sainte-Marie; Mais il se trompa de chemin et la nuit le surprit tandis qu’il se trouvait sur une montagne, et il vit une étrange face
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison…
A ssi vir ha bescha come dragon toda feita, de que foi muit’espantado; pero non fugiu ant’ ela, ca med’ ouve se fogisse que seria acalçado; e aa Virgen beita fez logo ssa oraçon que o guardasse de morte e de dan’ e d’ ocajon.
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon…
Venir jusqu’à lui, toute semblable à un dragon, dont il fut très effrayé: Mais il ne s’enfuit pas face à elle, de crainte qu’elle ne le poursuive; Et à la Vierge bénite, il fit alors sa prière, Pour qu’elle le garde de la mort, des dommages et des disgrâces.
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison…
A oraçon acabada, colleu en ssi grand’ esforço e foi aa bescha logo e deu-ll’ ha espadada con seu espadarron vello, que a tallou per meogo, assi que en duas partes lle fendeu o coraçon; mas ficou enpoçõado dela des essa sazon. Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon…
La prière finie, il prit sur lui et, dans un grand effort, s’approcha de la bête
Et il lui donna un coup avec sa vieille épée qui la trancha en deux moitiés
De sorte qu’il lui fendit le cœur en deux
Mais à partir de là, il fut empoisonné
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison…
Ca o poçon saltou dela e feriu-o eno rosto, e outrossi fez o bafo que lle saya da boca, assi que a poucos dias tornou atal come gafo; e pos en ssa voontade de non fazer al senon yr log’ a Santa Maria romeiro con seu bordon.
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon…
Car le poison surgit et le toucha au visage, ainsi que la vapeur Qui sortait de la bouche de la bête, de sorte que quelques jours après, il devint comme un lépreux; Et il mis toute sa volonté à ne faire rien d’autres, sinon de se rendre avec son bâton de pèlerin, jusqu’à Sainte Marie.
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison…
Aquesto fez el muy cedo e meteu-ss’ ao camo con seu bordon ena mão; e des que chegou a Salas chorou ant’ o altar muito, e tan toste tornou são. E logo os da eigreja loaron con procisson a Virgen, que aquel ome guariu de tan gran lijon.
Ben pode Santa Maria guarir de toda poçon…
Ainsi, fit-il cela sans délai, et il se mit en chemin, son bâton à la main;
Et dès qu’il arriva à Salas, il se mit à beaucoup pleurer en face de l’autel, et, aussitôt, il se trouva soigné.
Et après cela ceux de l’église ont loué, en procession,
La vierge qui avait guéri cet homme d’une si grande blessure.
Sainte-Marie peut bien nous guérir de tout poison…
Pour les plus mélomanes d’entre vous, n’hésitez pas à consulter le site suivant : Cantigas de Santa Maria. Animé par un expert du sujet, il est en anglais, mais vous y trouverez de nombreuses indications musicales et rythmiques sur les Cantigas d’Alphonse le Sage.