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Chanson médiévale : « De gracieuse dame amer » la lyrique courtoise de Jehannot de Lescurel aux portes de l’Ars Nova

musique_poesie_medievale_media_book_livre_disque_jehan_de_lescurel_moyen-age_XIIIe_XIVeSujet : musique médiévale, poésie médiévale, amour courtois, fine amor, langue d’Oil, vieux-français, rondeau, Ars Nova, compositeur médiéval, MS 146
Période : Moyen Âge central, XIIIe, XIVe siècle
Auteur : 
 Jehannot (ou Jehan) de Lescurel(ou L’escurel)
Interprète : Ensemble Syntagma, direction d’Alexandre Danilevsky
Album : 
livre-disque & media book sur Jehan de Lescurel

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous revenons aujourd’hui, en musique et en chanson, au Moyen Âge du XIVe siècle avec Jehannot de Lescurel. Annonciateur de l’Ars nova, pour ses innovations autant que pour sa rigueur dans l’approche des formes, cet auteur et artiste médiéval, n’est déjà plus considéré comme un trouvère mais bien chanson_musique_poesie_medievale_jehannot_de_lescurel_manuscrit_ancien_bnf_francais_146comme un compositeur.

Comme  les autres pièces de l’auteur, la chanson du jour est tirée du MS Français 146. Manuscrit ancien daté du XIVe siècle, conservé à la Bnf, l’ouvrage contient, en plus du célèbre Roman de Fauvel, les dits du clerc Geoffroi de Paris, ainsi que les chansons et compositions de Jehannot de Lescurel. Voici d’ailleurs, ci-contre, le feuillet de ce manuscrit correspondant à la pièce du jour.

« Fine amor » d’Oc en Oil

On s’en souvient, du point de vue thématique, le legs de Jehannot de Lescurel gravite principalement autour de la « fine amor ». La chanson du jour, qui est un rondeau, se situe donc en plein dans cette tradition lyrique courtoise héritée des troubadours du sud de la France et largement retranscrite en langue d’Oil, par les trouvères du nord, dans le courant du XIIIe siècle.

jehannot_de_lescurel_de_gracieuse_dame_amer_musique_chanson_rondeau_medieval_MS_146_moyen-age_XVIe_siecleEn dehors du MS français 146 on peut encore retrouver cette pièce dans l’ouvrage « Chansons, poésies et rondeaux de Jehannot de Lescurel, poète du XIVe siècle » d’Anatole de Montaiglon (1855). Si vous préférez la version papier à la numérique, l’ouvrage a été également réédité en version brochée chez Forgotten books.

Concernant son interprétation, nous la devons à l’Ensemble Syntagma sous la direction de son talentueux directeur Alexandre Danilesky. (voir leur chaîne youtube officielle ici)

« De gracieuse dame amer », Jehannot de Lescurel – Ensemble Syntagma

Comme nous avons déjà consacré un article sur le travail de l’Ensemble Syntagma autour de Jehannot de Lescurel (notamment au sujet du livre disque et média book que la formation a dédié à ce compositeur), nous vous invitons à le consulter pour plus de détails. Vous y trouverez un portrait de la formation et de son directeur, ainsi que des éléments supplémentaires sur le compositeur médiéval.

« De gracieuse dame amer »,
de Jehannot de Lescurel (en français ancien)

De gracieuse dame amer
Ne me quier ( de querre, querir : désirer, vouloir) jamès departir (séparer).
Touz bienz en viennent, sanz douter,
De gracieuse dame amer,
Et tous deduiz* (plaisir, divertissement).N’en veil cesser :
Car c’est ma joie, sans mentir ;
De gracieuse dame amer
Ne me quier jamès departir.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Belle douce dame chiere, une chanson médiévale du trouvère Conon de Béthune

trouvere_chevalier_croise_poesie_chanson_musique_medievale_moyen-age_centralSujet : chanson médiévale, poésie, amour courtois, chevalier, trouvère, trouvère d’Arras, Artois, lyrisme courtois, descort
Période : Moyen Âge central
Auteur : Conon de Béthune  ( ?1170 – 1219/20)
Titre : «Bele douce dame chiere»
Interprètes : Diabolus in Musica
Album :  La Doce Acordance: chansons de trouvères (2005).

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionprès avoir présenté le trouvère et chevalier artésien Conon de Béthune et donné quelques éléments de biographie le concernantvoici une de ses chansons interprétée par l’excellent ensemble médiéval Diabolus In Musica.

Bele douce dame chiere, de Conon de Bethune par Diabolus in Musica

Diabolus en Musica
à la rencontre des trouvères

N_lettrine_moyen_age_passionous avions déjà eu l’occasion de présenter ici cette formation d’origine française, dirigée par Antoine Guerber, ainsi que son travail autour du répertoire médiéval (voir article).

La pièce de Conon de Béthune que nous partageons ici est tirée de l’album La Doce Acordance sortie en 2005 dont nous avions également dit un mot dans un autre article. On se souvient que l’album ayant pour thème les trouvères des XIIe et XIIIe chanson_poesie_musique_medievale_trouveres_diabolus_in_musica_album_doce_acordance_XIIe_XIIIe_siècle_moyen-age_centralsiècles fut largement salué et primé sur la scène des musiques classiques et anciennes. On le trouve encore disponible à la vente en ligne sous forme CD ou même encore sous forme digitalisée et MP3 : La Doce Acordance; Chansons de trouvères.

Actualité et concerts

Toujours très actif depuis sa création en 1992, Diabolus in Musica continue d’explorer, sans relâche, le vaste champ des musiques médiévales et anciennes pour les faire redécouvrir au public. Dans le courant de l’année 2017, la formation a ajouté à son ample programme les requiem(s) de deux grands compositeurs des XVe et XVIe siècles : Johannes Ockeghem et Pierre de la Rue.

antoine_guerber_ensemble_diabolus_in_musica_chanson_musiques_repertoire_medieval_moyen-ageEn juin prochain, si vous êtes dans la région des Hauts de France, vous pourrez d’ailleurs avoir l’opportunité d’aller entendre ces œuvres d’exception qui comptent parmi les premiers requiem(s) polyphoniques de la fin du Moyen Âge et des débuts de la renaissance. Le concert sera donné le 23 juin 2018, à 20h30, à l’Eglise Saint-Léger de Gosnay.  Pour plus de détails sur ce programme ainsi que sur l’agenda de l’ensemble, n’hésitez pas à consulter leur site officiel ici : Diabolus in Musica.

Belle do(u)ce Dame chiere

Belle doce Dame chiere,
Vostre grans beautés entière
M’a si pris
Ke, se iere* (*de estre : si j’étais) em Paradis,
Si revenroie je arrière,
Por convent* (* à condition) ke ma proiere
M’eùst mis
La ou fuisse vostre amis

Ne vers moi ne fuissiés fiere,
Car aine ens nule manière
Ne forfis
Par coi fuissiés ma guerrière* (*pour que vous me fassiez la guerre).

Ne lairai ke je ne die
De mes maus une partie
Come irous.
Dehaiz ait* (*maudit soit) cuers covoitos,
Fausse, plus vaire*(*changeante) ke pie,
Ki m’envoia en Surie !
Ja por vous
N’avrai mais les ieus plorous.
Fous est ki en vous se lie,
Ke vos estes l’Abeïe
As Soffraitous* (*aux misérables),
Si ne vous amerai mie.

Analyse et interprétation

L_lettrine_moyen_age_passione titre autant que certaines inspirations de cette chanson semblent clairement dériver du descort en cinq langues de Raimbaut de Vaqueiras : Eras quan vey verdeyar. On trouve, en effet, la strophe suivante chez le troubadour provençal :

Belle douce dame chiere,
A vos mi doin e m’otroi;
Je n’avrai mes joi’ entiere
Si je n’ai vos e vos moi.
Mot estes male guerriere
Si je muer per bone foi;
Mes ja per nulle maniere
No.m partrai de vostre loi.

Certaines rimes identiques utilisées par Conon de Béthune viennent encore confirmer cette référence : « entière »,  « guerrière », « manière » et il semble donc bien que nous soyons ici face à une transposition d’Oc vers Oil aux inspirations non voilées.

Pour ce qui est du sens, dans la première strophe, le trouvère exprime sa loyauté envers celle qui fait l’objet de sa chanson. Ayant loué sa grande beauté, en bon loyal amant et dans la veine de la lyrique courtoise, il affirme ne jamais l’avoir trahi et aurait même renoncé pour elle au paradis (à condition tout de même qu’elle cède clairement à ses avances). Dans la deuxième strophe, le ton est largement plus conflictuel et exprime la discorde. Plus question de grand transport ici et même plutôt le contraire puisque le chevalier déçu y épanche sa colère et sa désillusion.

Les différents manuscrits qui la contiennent proposent des variantes de cette chanson. La version que nous publions ici est celle de Axel Wallenskôld (Les chansons de Conon de Béthune (1921), Honoré Champion). Ainsi, au début de la deuxième strophe, dans certaines variantes, au lieu de :

Ne lairai ke je ne die
De mes maus une partie
Come irous.

On trouve :

Por une k’en ai haïe
ai dit as autres folie,
come irous.

Pour une autre que j’ai haïe,
j’ai dit des folies de toutes les autres
n’écoutant que ma colère.

Le trouvère fait-il référence à un autre de ses déboires amoureux ou s’adresse-t-il simplement à son public ? Quoiqu’il en soit, la suite de la strophe entérine la rupture après une référence quelque peu obscure aux croisades. L’expression « l’Abeïe As  Soffraitous » (l’abbaye des misérables) reste sujette à interprétation. Avec quelques réserves, on peut sans doute en déduire que la dame ne filtre pas tellement ses relations (amoureuses?) et qu’elle ne s’est donc pas montrée très fiable ou loyale envers le trouvère. Il est assez difficile de mesurer à quel point l’expression clairement mâtinée d’ironie, prend ou non un tour un peu graveleux (1).

Concernant le dernier vers on trouvera encore comme variante, celle utilisée ici par Diabolus In Musica : « Si ne vous nomerai mie » au lieu de « Si ne vous amerai mie. »

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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(1) Pour creuser le sujet et affiner encore l’interprétation de cette chanson de Conon de Bethune autant que ses références, voir l’article de Luca Barbieri sur le portail de l’Université de Warwick

Nouveauté : Thibaut de Champagne, son art poétique, ses chansons et leurs variantes mélodiques chez Honoré Champion

thibaut_le_chansonnier_troubadour_trouvere_roi_de_navarre_comte_de_champagneSujet : chansons, musique, poésie médiévale, amour courtois, poésie lyrique, trouvère, vieux français. livre,
Période : Moyen Âge central
Auteur : Thibaut IV de Champagne (1201-1253), Thibaut 1er de Navarre
Ouvrage : « Thibaut de Champagne, textes et mélodies »
Auteurs : Christopher Callahan, Marie-Geneviève Grossel, Daniel E. O’Sullivan
Editeur : Honoré Champion (avril 2018)

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis près d’un siècle et demi, la prestigieuse maison d’édition Honoré Champion publie de diffuse les plus grands titres de la recherche universitaire de l’espace francophone. De fait et sur le sujet qui nous préoccupe, nous lui devons nombre des ouvrages sur la littérature, la poésie médiévale et ses auteurs que nous avons déjà cités ici. Depuis ses premières parutions, la maison a poursuivi son oeuvre sans relâche et avec plus de 10 000 titres déjà parus, elle s’est s’imposée comme une référence incontournable dans son honore_champion_edition_livres_litterature_poesie_medievaledomaine de prédilection.

Sur la partie médiévale, à la lumières des nouvelles découvertes et des avancées des romanistes ou médiévistes, elle revisite régulièrement des œuvres ou des auteurs déjà édités longtemps auparavant. C’est le cas de l’ouvrage que nous vous présentons aujourd’hui puisqu’elle nous fait le grand plaisir de publier un livre tout entier consacré à Thibaut de Champagne et à ses chansons. Un siècle s’étant écoulé depuis le dernier ouvrage en date dédié au grand roi poète du XIIIe siècle, il était grand temps de réexaminer son œuvre et c’est désormais chose faite.

Exhaustif & ambitieux : art poétique, chansons adaptées & variations mélodiques

Avec un ouvrage qui déborde les huit-cent pages, les auteurs ne se sont pas contentés ici de présenter et d’adapter en français moderne le legs poétique de Thibaut le Chansonnier, ce qui aurait déjà représenté, en soi, un travail conséquent. Au delà des traductions de ses œuvres, ils ont aussi compilé les nombreuses variantes mélodiques associées à ses chansons. De ce point de vue, en plus des férus d’histoire, de littérature et de moyen-âge, ce livre devrait encore ravir les amateurs de musique ancienne désireux de restituer, au plus près, l’art du roi de Navarre et seigneur-trouvère de thibaut_de_champagne_trouvere_chansonnier_livres_chansons_partitions_lyrique_courtoise_honore_championChampagne.

Comme nous l’indiquions plus haut, l’ouvrage bénéficie encore des éclairages les plus récents en matière de littérature médiévale. En plus des éléments biographiques rassemblés sur Thibaut de Champagne, mais aussi  de la revue des manuscrits anciens dans lequel on peut retrouver  ses chansons, une large partie du livre est ainsi consacrée à l’analyse de sa poétique; il s’agit ici de remettre en perspective son originalité et son art dans le contexte de la lyrique courtoise de son siècle.


Un mot des auteurs

Trois  grands experts de littérature, de vieux-français d’oil et de lyrique courtoise  se sont attelés à cet ambitieux projet. Il s’agit de Christopher Callahan, Marie-Geneviève Grossel, et Daniel E. O’Sullivan et il convient d’en dire quelques mots.

Christopher Callahan est professeur de français et de littérature médiévale et renaissante à l’Université Wesleyan de Bloogmington, dans l’Illinois, Passionné par cette période historique, cet universitaire américain s’est fait une véritable spécialité de la poésie lyrique du moyen-âge et on lui doit nombre de contributions, articles et parutions dans ce champ. Au sujet des trouvères des XIIe et XIIIe siècle, on retiendra notamment sa participation à deux ouvrages sur Les Chansons de Colin Muset, parus également chez Honoré Champion en 2005.

thibaut_de_champagne_oeuvres_chansons_musiques_poesies_medievales_vieux_français_oilMaître de conférence à l’Université de Valenciennes où elle enseigne le français médiéval et le latin, Marie-Geneviève Grossel, est, de son côté, une spécialiste reconnue de la Champagne du XIIIe siècle et de son bouillonnement littéraire et artistique d’alors. L’art et les chansons des trouvères de cette période, ainsi que les codes de l’amour, de la séduction et de la lyrique courtoise font donc partie de ses grands sujets de prédilection et on lui doit des ouvrages reconnus sur la question ou sur des sujets connexes: Le Milieu littéraire en Champagne sous les Thibaudiens: 1200-1270, (1994), Les chansons de langue d’oïl: l’art des trouvères (2008), pour ne citer que ces deux-là. On peut encore retrouver nombre de ses contributions ou articles dans des ouvrages collectifs ou actes de colloques portant sur le moyen-âge.

Enfin, « last not least« , professeur de français médiéval à l’Université du Mississippi, Daniel E. O’Sullivan s’est fait une spécialité de l’approche comparative et interdisciplinaire de la musique, la littérature et la culture de l’Europe médiévale. Il a lui aussi, à son actif, de nombreuses parutions sur la période, sur des thèmes aussi variés que le culte marial dans la lyrique française du XIIIe siècle (Marian Devotion in Thirteenth-century French Lyric, 2005), la formation et la naissance de la courtoisie dans la France médiévale (Shaping Courtliness in Medieval France, 2013) ou même encore sur le jeux d’échecs du moyen-âge à l’entrée de l’ère moderne. On doit également à cet universitaire des articles de référence sur la lyrique de Thibaut de Champagne.

Il fallait bien l’oeil aiguisé et la collaboration de ces trois érudits pour approcher de manière complète et avec toute la rigueur que l’on pouvait en attendre, l’oeuvre du seigneur trouvère croisé, élevé dans la grande effervescence culturelle et artistique de la cour de Champagne des débuts du XIIIe siècle (1).


Où se procurer l’ouvrage ?

Ce nouvel ouvrage autour de Thibaut de Champagne avec lequel il faudra désormais compter vient juste de paraître. Vous le trouverez donc dans  toutes les bonnes librairies et il est aussi disponible en ligne, sur le site de l’éditeur et à l’adresse suivante :   Thibaut de Champagne, Chansons, Textes et Mélodies

thibaut_champagne_chansonnier_trouvere_poesie_chanson_partition_medievale_traduite_moyen-age

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
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(1) Sur le sujet de la cour de Champagne et des trouvères champenois de la fin du XIIe et des débuts du XIIIe siècle, on pourra valablement consulter nos articles sur Blondel de Nesle, sur Gace Brûlé et bien sûr sur Thibaut de Champagne.

« Volez oïr la muse Muset? » une belle version d’une chanson du trouvère, en provenance d’Allemagne

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, humour,  trouvère, ménestrel, auteur médiéval, vieux-français, lyrique courtoise, fine amor
Période : moyen-âge central, XIIIe siècle.
Auteur ; Colin Muset (1210-?)
Titre :  « Volez oïr la muse Muset ? »
Interprètes : Ensemble für frühe musik Augsburg
Album :
Amours & Désirs, Lieder der Trouvères Christophorus Records (1993)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passion‘est toujours un grand plaisir de revenir vers la poésie médiévale de Colin Muset parce que l’on sait que l’on va très certainement y trouver de la joie. Le trouvère manie le code courtois autant qu’il le malmène ou le détourne et ses textes regorgent souvent d’un humour rafraîchissant. Sa nature de bon vivant l’emporte en effet, la plupart du temps, sur le reste et il semble qu’il ne cède à la lyrique courtoise que pour nous entraîner sur d’autres terrains. deco_medievale_enluminures_trouvere_Affaire de goût bien sûr et de moments sans doute, il faut bien avouer que la masse de textes qui gravite autour d’une fine amor aux frustrations et aux douleurs sans cesse remâchées peut devenir parfois un peu lassante. Avec la chanson médiévale du jour, nous somme loin de tout cela.

Ajoutons que pour autant qu’on puisse apprécier certaines interprétations lyriques (et elles sont légion) des pièces en provenance des troubadours et des trouvères du moyen-âge, ici, sous des accents qui pourraient sonner presque « folk », la voix franche et enjouée du chanteur/conteur semble finalement s’approcher au plus près de l’esprit du poète du XIIIe siècle. Pour un peu, on imaginerait les convives autour en train de rire et festoyer au son du trouvère et de son instrument. Tout y est retraduit : le rythme enlevé, l’orchestration minimaliste, mais aussi l’enthousiasme, la farce, la nature légère de la poésie de Colin Muset et cette version pleine d’énergie que nous partageons avec vous, aujourd’hui, demeure, de ce point de vue, une totale réussite et un véritable enchantement. Nous la devons à une formation allemande qui n’a plus fait parler d’elle depuis quelque temps déjà et que nous vous présenterons un peu plus bas :  L’Ensemble für frühe musik Augsburg.

Colin Muset par l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsburg

L’Ensemble für frühe musik Augsburg

F_lettrine_moyen_age_passion-copiaondé en 1977 par le musicologue, chanteur et instrumentiste Hans Ganser, accompagné de deux autres artistes et musiciens Rainer Herpichböhm et  Heinz Schwamm,  l’Ensemble für frühe musik Augsburg (l’Ensemble pour la musique ancienne d’Augsbourg) se dédia entièrement au répertoire médiéval.

Des musiques profanes au religieuses, des chants d’Hildegarde de Bingen ou des pèlerins du moyen-âge central aux chansons des trouvères français ou des minnesängers allemands, la formation a ensemble_medieval_musiques_poesies_moyen-age_Ensemble_fur_-fruhe_musik_Augsburgété active durant près d’une trentaine d’années. Durant cette longue carrière, elle a sorti près d’une vingtaine d’albums, donné des centaines de concerts en Europe et outre-atlantique et connu une véritable popularité  en Allemagne dans le champ des musiques médiévales et anciennes.

Leur dernier album remonte à 1997, date à partir de laquelle il semble que la formation musicale médiévale n’ait plus rien produit. De son côté et en 1999, Hans Ganser a fondé l’Ensemble vocal Celsitonantes dédié aux chants grégoriens, aux chants sacrés médiévaux et aux premières compositions polyphoniques du moyen-âge.

Consulter le site web de l’ensemble (en allemand)

« Amours et désirs », une heureuse incursion dans le moyen-âge des trouvères

En 1993, l’Ensemble musical allemand décidait de s’attaquer, à son tour, aux chants des trouvères, du XIIe siècle aux débuts du XIIIe. L’album avait pour titre « Amours & Désirs. Lieder der Trouvères » (chansons de trouvères). Comme son titre l’indique, plus que d’amour courtois, il y était question de couvrir le thème de l’amour et du désir, mais aussi de refléter l’effervescence créatrice de cette période dont nous avons déjà parlé ici. C’est un moment où l’art des troubadours trouve un terrain favorable en Oil, sous la plume des poètes du nord que le transposent et l’adaptent. C’est encore le siècle de floraison des grandes universités.

chanson_trouveres_musique_poesie_medievale_colin_muset_Ensemble_für_frühe_musik_AugsburgAvec 15 pièces au total, l’album nous gratifie de chansons de Colin Muset, Moniot d’Arras, Blondel de Nesle, Thibaut de Champagne, Jean Erart et contient même une pastourelle de  Jehan Bodel. Un grand nombre de pièces puise aussi dans le répertoire anonyme des XIIe, XIIIe siècles entre chants de croisades, pastourelles, chansons de toile et encore quelques estampiesIl est encore disponible en ligne au lien suivant : Amour & Desirs [Import anglais]

« Volez oïr la muse  Muset ? »
dans la langue d’oil de Colin Muset

Là où la lyrique courtoise s’épanche plus souvent qu’à son tour du côté de la frustration, de l’attente et des désirs insatisfaits, Colin Muset nous entraîne ici dans la « réalisation ». Sur le fond pourtant, l’amour de référence dont il est question reste bien « courtois » et le trouvère s’y décrit, en tout cas, de manière conventionnelle, comme un amant loyal : « Je l’aim tant,  De cuer loiaument ».

deco_medievale_enluminures_trouvere_Au sujet de la « muse » dont il est question ici et qu’il se propose de nous faire entendre, le sens est un peu sujet à caution. La « musette » désignait en effet un instrument à vent ou une cornemuse mais comme le poète nous parle de vièle et d’archet, il semble qu’il faille entendre « muse » dans le sens médiéval de muser : « faire de la musique » (Dictionnaire Godefroy), autrement dit et dans le contexte, une chanson (1).

Le poète joue aussi de son sobriquet en faisant allusion à une composition qui lui est propre. Cette « muse » désigne ainsi une pièce de son cru, connue de l’époque et Colin Muset nous conte même ici l’histoire de cette chanson qui, nous dit-il, quand il la chanta à une demoiselle chère à son coeur, en un « vergier flori », lui permit de la séduire. En entendant les vers du trouvère, la demoiselle (« dancelle », « donzelle ») dont il est question lui aurait donc cédé bien volontiers et avec force baisers, mais aussi (et cela semble pour lui et comme toujours d’égale importance) en le régalant de « bons morceaux » et de vin à profusion. La poésie s’épanche ainsi en de joyeuses ripailles copieusement arrosées à la célébration de ce moment.

Volez oïr la muse Muset ?
En mai fu fête, un matinet,
En un vergier flori, verdet,
Au point du jour,
Ou chantoient cil oiselet
Par grant baudor,* (gaiété)
Et j’alai fere un chapelet* (couronne de fleurs)
En la verdor.
Je le fis bel et cointe et net
Et plain de flor.
Une dancele* (demoiselle) 
Avenant et mult bêle,
Gente pucele,
Bouchete riant,
Qui me rapele :
« Vien ça, si vïele
Ta muse en chantant
Tant mignotement. »

J’alai a li el praelet* (prairie, petit pré) 
Atout la vïele et l’archet,
Si li ai chanté le muset
Par grant amour :
« J’ai mis mon cuer en si bon cuer
Espris d’amors… »,
Et quant je vi son chief blondet
Et sa color
Et son gent cors amoreusct
Et si d’ator,
Mon cuer sautele
Pour la damoisele ;
Mult renouvelé
Ma joie souvent.
Ele ot gounele
De drap de Castele
Qui restencele.
Douz Deus, je l’aim tant
De cuer loiaument !

Quant j’oi devant li vïelé
Pour avoir s’amour et son gré,
Elle m’a bien guerredoné* (récompensé)
Soe merci,
D’un besier a ma volenté,
Deus ! que j’aim si !
Et autre chose m’a donné
Com son ami,
Que j ‘a voie tant desirré :
Or m’est meri !
Plus sui en joie
Que je ne soloie,
Quant celé est moie
Que je tant désir ;
Je n’en prendroie
N’avoir ne mounoie ;
Pour riens que voie
Ne m’en qier partir ;
Ançois vueil morir.

Or a Colin Muset musé
Et s’a a devise chanté
Pour la bêle au vis* (visage) coloré,
De cuer joli.
Maint bon morsel li a doné
Et départi
Et de bon vin fort a son gré,
Gel vous affi.
Ensi a son siècle mené
Jusques ici.
Oncor* (encore) dognoie,
En chantant maine joie,
Mult se cointoie,
Qu’Amors veut servir,
Si a grant joie
El vergier ou dognoie,
Bien se conroie,
Bon vin fet venir
Trestout a loisir.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
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(1)  Les chansons de Colin Muset, par Joseph Bédier, Ed. Honoré Champion (1938)