Sujet : musique, poésie médiévale, chanson, chants polyphoniques, maître de musique, rondeau, loyal amour, amour courtois. Titre : Puis qu’en oubli Auteur: Guillaume de Machaut (1300-1377) Période : XIVe siècle, Moyen Âge tardif Interprétes : Ensemble Oxford Camerata
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’un chant polyphonique composé par Guillaume de Machaut, et interprété par l’ensemble anglais Oxford Camerata.
Nous sommes encore ici dans le registre du loyal et « fine » amour que Guillaume de Machaut a su si bien mettre en paroles et en musique. Dans ce rondeau, le maître de musique du Moyen Âge central nous conte ses déboires amoureux. Le voici donc oublié de son amie, lui promettant pourtant de rester fidèle à l’amour dont il a été confisqué. Le sujet de l’oubli qui l’aborde ici, comme celui de la crainte d’être oublié dans l’éloignement sont des thèmes qu’on recroise à plusieurs reprises dans ses poésies et chansons. Voici d’ailleurs l’extrait d’une autre ballade sur le même thème :
« Loing de vous souvent souspir, Douce dame débonnaire, Pour ce que trop fort désir A veoir vo dous viaire. Mais se vers vous ne puis traire A mon voloir, je vous pri, Ne me mettes en oubli. »
Malgré ses exhortations et ses appels du poète, il semble que ce que l’on redoute le plus finisse quelquefois par survenir et c’est le sujet du chant médiéval que nous vous proposons ici.
L’ensemble Oxford Camerata
Fondé en 1984, en Angleterre, par le chef d’orchestre Jeremy Summerly, l’ensemble Oxford Camerata était à l’origine un groupe de douze choristes. Au fil des concerts et en fonction des projets, l’ensemble s’est produit dans des formations plus réduites ou même plus grandes (jusqu’à vingt choristes), a capela ou accompagné de formation orchestrale.
Dans les six premières années suivant leur création, la formation a proposé principalement un répertoire autour de la période médiévale et renaissance mais depuis les années 90 les artistes ont élargi leur champ à des pièces qui vont des chants grégoriens et polyphoniques du Moyen Âge à un répertoire plus moderne. Entre sa naissance et l’année 2008, l’Oxford Camerata a légué à la postérité près de trente albums et s’est produit activement en concert au niveau européen, jusqu’à l’année 2015.
Puis qu’en oubli :
paroles et adaptation en français moderne
Puis qu’en oubli sui de vous, dous amis, Vie amoureuse et joie à Dieu commant.
Mar vi le jour que m’amour en vous mis,
Puis qu’en obli sui de vous, dous amis.
Mais ce tenray que je vous ay promis,
C’est que ja mais n’aray nul autre amant. Puis qu’en oubli sui de vous, dous amis, Vie amoureuse et joie à Dieu commant.
Puisque je suis oublié de vous, douce amie Je remets à Dieu ma vie amoureuse et ma joie Malheureux* fut le jour où je mis mon amour en vous, Puisque je suis oublié de vous, douce amie Mais je tiendrai ce que je vous ai promis Jamais je n’aurai d’autre amante Puisque je suis oublié de vous, douce amie
Je remets à Dieu ma vie amoureuse et ma joie
* Malencontreux, Mal à propos, vain.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, poésie réaliste, satirique, trouvère, vieux français, langue d’oil, adaptation, traduction Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur ; Rutebeuf (1230-1285?) Titre : La paix de Rutebeuf
Bonjour à tous,
‘il n’a pas inventé l’usage du « Je » dans la poésie médiévale, Rutebeuf s’est mis en scène de telle manière dans son oeuvre qu’il semble bien avoir avoir ouvert les portes d’un genre à part entière dans cet exercice.
Bien sûr, il ne s’agit pas avec lui du « Je » de l’amant transis de l’amour courtois, condamné à convoiter un impossible objet de désir et prisonnier de sa « noble » passion. Non. Le « Je » de Rutebeuf, est bien plus proche de celui de la poésie des Goliards. et c’est aussi celui de l’homme en prise avec son temps, son quotidien, ses travers et ses misères. Il évolue dans un espace tout à la fois, psychologique, ontologique, social et politique. Il ouvre sur la complainte, la moquerie, la satire sociale et l’auto-dérision, et comme toute satire, il contient encore, dans le creux de ses lignes, une forme de poésie morale. Dans cet espace où il se tient à découvert, Rutebeuf fait de lui-même, tout à la fois son perpétuel sujet et objet, geignant autant qu’il se rit de ses propres déboires et de ses infortunes, dans une logorrhée qui pourrait, par instants, par ses redondances, donner le vertige.
De l’auteur à la scène et du je au jeu
De fait, sans parler de ses jeux de langage et de mots qu’il nous coûte parfois de comprendre avec le recul du temps, la limite est si ténue chez lui du drame au rire qu’on a encore du mal, quelquefois, à remettre en perspective son humour. Il est jongleur et trouvère. Ces textes sont donc souvent, on le suppose, joués devant un public de nobles et de gens de cour mais pas uniquement (voir article sur la place de Grève).
Dans ce passage de l’écrit à l’oral, ou dit autrement des textes qui nous sont parvenus de Rutebeuf au personnage scénique qu’il s’était composé, on peut se demander jusqu’à quel point il forçait le trait dans ses lectures publiques. Allait-il jusqu’à la caricature? Pardon d’avance pour cet anachronisme, mais par instants, il est plaisant d’imaginer que, peut-être, il mettait dans son jeu une touche de Comedia dell’arte, ou disons, pour être plus conforme à son époque, de « farce », que la lecture de ses textes ne peut seule refléter: des rires ajoutés, des regards silencieux et des sous-entendus, le jeu peut-être de ses mains, le mouvement de ses yeux qui roulent de manière comique, etc… Tout s’éclairerait alors différemment et c’est un autre Rutebeuf qui prendrait vie sous nos yeux. Dans sa dimension scénique et la distance de la personne au personnage, dans celle encore du texte littéral à sa représentation, le poète et ses mots prendraient, tout à coup, une autre épaisseur faisant naître une infinité de nuances et de degrés que nous avons peut-être perdu en cours de route.
Bien sûr, dans cette vision théâtralisée et hypothétique qui n’engage que notre imagination et, à travers la « farce » que deviendrait alors sa prestation, les lignes du drame demeureraient sous le vernis des facéties de l’acteur. Mais pour faire rire en public, avec certains de ses textes, ne fallait-il pas que son jeu rééquilibre ce « Je » en déséquilibre permanent et en perpétuel disgrâce ? Ou n’est-ce qu’un effet du temps que de penser qu’il fallait nécessairement que Rutebeuf en rajoute pour couvrir d’un voile de pudeur et d’humour cette inflation de « Je » qui sombre, si souvent, dans l’auto-apitoiement ? Alors, un brin de caricature scénique pour ne pas que le tout demeure trop indigeste est-il plausible ? L’hypothèse reste séduisante, mais hélas invérifiable.
Bien sûr, peut-être encore que certains de ses textes, en forme de règlement de compte « moral », laissent si peu de place à l’humour qu’ils n’étaient pas destinés à être lus publiquement ou peut-être seulement devant une audience choisie? Comment faire le tri? Nous en savons, au fond, si peu sur lui. C’est un peu le cas de cette poésie du jour aux traits satiriques, amers et acides dans laquelle on n’a tout de même du mal à entrevoir l’humour, même en le cherchant bien. De la même façon, si nous ne savons plus avec certitude à qui Rutebeuf destinait les vers de cette « paix », on s’imagine bien que certains de ses contemporains ne pouvaient l’ignorer. Le texte en question pourrait prendre alors les contours d’un véritable affront pour celui auquel il se destinait et on a du mal à l’imaginer jouer devant un parterre de nobles visés directement ou indirectement par ses lignes. Et s’il l’a fait, on a du mal croire que la barrière du pseudonyme dont il s’est affublé comme une excuse préalable de sa rudesse ait pu suffire, seule, à lui servir de rempart.
La « Paix » de Rutebeuf
Aujourd’hui, l’auteur médiévalnous parle encore de ses déboires en amitié comme il le faisait dans son « dit de l’Œil ». Il en profite pour dresser le portrait acide d’un « ascenseur social » qui élevant vers les sommets « l’homme de condition moyenne » (en réalité un noble de petite condition) au rang de seigneur lui fait laisser derrière lui ses amis, et notamment l’auteur lui-même. En un mot Rutebeuf règle ici ses comptes. Jeux de cour, flatterie, voilà l’ami transfiguré, manipulé et entouré de parasites. Et lui encore, pauvre Rutebeuf, victime laissée à la porte d’une réussite et d’une amitié qui se sont refermées devant lui, trace de sa plume vitriolée l’ingratitude de l’ami, tout en nommant sa poésie d’un titre qui vient, tout entier, en contredire le propos. Il est en paix, dit-il et pourtant, il tire à boulets rouges tout du long, sur celui qui, à la merci de ses flatteurs et plein de son nouveau statut, l’a trahi.
Pour le reste, « Benoit est qui tient le moyen » dira quelques deux siècles plus tard Eustache DESCHAMPS paraphrasant Horace et Rutebeuf encense ici, d’une certaine façon, cette même médiocrité dorée ou la « voie moyenne » qui préfère la fraicheur de l’ombre aux lumières du pouvoir et de la trop grande richesse affichée. Assiste-t’on ici à la naissance d’une poésie « bourgeoise »? Plus que de bourgeoisie, en terme de classe, nous sommes bien plutôt face à la petite noblesse et à la poésie de clercs qui en sont issus. La référence à cet « homme de condition moyenne » ou ce « moyen » là se situe déjà au dessus des classes populaires ou bourgeoises d’alors.
Les paroles en vieux français
& leur adaptation en français moderne.
C’est la paiz de Rutebués
Mon boen ami, Dieus le mainteingne! Mais raisons me montre et enseingne Qu’a Dieu fasse une teil priere: C’il est moiens, que Dieus l’i tiengne! Que, puis qu’en seignorie veingne, G’i per honeur et biele chiere. Moiens est de bele meniere Et s’amors est ferme et entiere, Et ceit bon grei qui le compeingne; Car com plus basse est la lumiere, Mieus voit hon avant et arriere, Et com plus hauce, plus esloigne.
Mon bon ami, Dieu le protège! Mais la raison m’invite et m’enseigne A faire à Dieu une prière: S’il est de condition moyenne, Dieu l’y maintienne! Car quand il s’élève en seigneur. J’y perds bon accueil et honneurs, L’homme moyen a de belles manières Son amitié est droit et sincère. Et traite bien ses compagnons (sait gré à qui le fréquente) Car plus basse est la lumière, Plus elle éclaire de tous côtés, Et plus elle s’élève, plus elle s’éloigne.
Quant li moiens devient granz sires, Lors vient flaters et nait mesdires: Qui plus en seit, plus a sa grace. Lors est perduz joers et rires, Ces roiaumes devient empires Et tuient ensuient une trace. Li povre ami est en espace; C’il vient a cort, chacuns l’en chace Par groz moz ou par vitupires. Li flateres de pute estrace Fait cui il vuet vuidier la place: C’il vuet, li mieudres est li pires.
Quand le moyen devient grand Sire, Lors vient flatterie et médisance: Qui mieux les pratique, plus reçoit ses grâces. Lors sont perdus les jeux, les rires, Son royaume devient empire Et tous prennent ce même chemin. L’ami pauvre en est écarté; S’il vient à la cour, on l’en chasse Par l’injure ou les grossièretés. Le flatteur de vil extraction Vide l’endroit de qui il veut: Et s’il veut, fait passer le meilleur pour le pire.
Riches hom qui flateour croit Fait de legier plus tort que droit, Et de legier faut a droiture Quant de legier croit et mescroit: Fos est qui sor s’amour acroit, Et sages qui entour li dure. Jamais jor ne metrai ma cure En faire raison ne mesure, Ce n’est por Celui qui tot voit, Car s’amours est ferme et seüre; Sages est qu’en li s’aseüre: Tui li autre sunt d’un endroit.
L’homme puissant qui croit le flatteur Fait souvent plus de tord que de bien, Et facilement manque de droiture Puisque aisément il donne ou reprend sa confiance: Fou est celui qui se fie à son amitié* (*bons sentiments) et sage, qui reste auprès de lui sans cesse. Jamais plus je ne mettrai mes attentions sans compter et sans mesurer, Si ce n’est pour celui qui voit tout, Car son amitié est ferme et solide; Sage est qui se fie à lui: Les autres sont tous les mêmes.
J’avoie un boen ami en France, Or l’ai perdu par mescheance. De totes pars Dieus me guerroie, De totes pars pers je chevance: Dieus le m’atort a penitance Que par tanz cuit que pou i voie! De sa veüe rait il joie Ausi grant com je de la moie Qui m’a meü teil mesestance! Mais bien le sache et si le croie: J’avrai asseiz ou que je soie, Qui qu’en ait anui et pezance.
J’avais un bon ami en France, La malchance* me l’a fait perdre. (malheur) De toute part Dieu me guerroie, De toute part, je perds mes moyens de subsister: Dieu me compte pour pénitence Que d’ici peu, je ne verrais plus! Qu’avec sa vue, il ait tant de joie Qu’il m’en reste avec la mienne Celui qui m’a mis dans un tel pas! Mais qu’il sache bien et qu’il le croit: J’aurais assez ou que je sois, Qui que cela gène ou ennuie.
Explicit.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour Moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet ; poésie médiévale, littérature, vieux français, François 1er, roi poète, chevalier et mécène, honneur, chevalerie Période : moyen-âge tardif, début renaissance Ouvrage : Poésie du roi François 1er, de Louis de Savoie…, Aimé Champollion Figeac (1847)
Bonjour à tous,
ous approchons aujourd’hui la toute fin du moyen-âge et même le début de la renaissance avec le roi François 1er qui prit Clément Marot sous son aile et qui fut un roi mécène, grand amateur d’art, autant qu’un roi poète. On en fait, à raison, le roi de la transition du moyen-âge finissant vers le siècle des lumières et pour autant qu’il se situe dans cet entre-deux, il est aussi un roi chevalier, symbole et porteur de valeurs de bravoure et d’honneur héritées du monde médiéval.
Dans les vers que nous vous proposons aujourd’hui, le roi de France nous relate sa capture à la bataille de Pavie contre les armées de l’empereur Charles Quint et, à travers cet extrait, il nous donne aussi une définition du sens de l’honneur.
(ci-contre, le roi François 1er capturé sur le champ de bataille à Pavie 1525.)
Il est intéressant de voir comment après avoir été mis à mal par la guerre de cent ans et les archers longs d’Angleterre à l’occasion de diverses batailles, après avoir encore été remis en question dans son efficacité même par l’artillerie et la poudre qui prend sur les champs de bataille de plus en plus d’importance, la chevalerie, et surtout son esprit, demeurent encore prégnants dans ce moyen-âge finissant.
Pourtant si cet esprit chevaleresque et ses valeurs traversent le moyen-âge littéraire et militaire sans pour autant toujours se superposer parfaitement, de Roland de Roncevaux à François 1er, sans doute faut-il voir quelques nuances ou quelques variations dans cette notion d’honneur dont il est ici question. Si cette dernière reste au centre des valeurs chevaleresque et si elle commande, à travers les âges et depuis l’antiquité, de ne pas fuir au combat, elle voit Roland se sacrifier et mourir, quand François 1er ne va pas jusqu’à y perdre sa vie mais rend les armes sur le champ de bataille. Il ne s’agit donc plus ici de triompher ou périr, mais de ne point fuir tout en préservant sa vie, dusse-t-on se retrouver vaincu et captif. Il n’est pas question bien évidement, en disant cela, de juger mais simplement de souligner qu’au fond et, entre les deux, les valeurs attachées à l’héroïsme ont un peu glissé et changé, même s’il faut encore rappeler les précautions que nous prenions plus haut et se souvenir que chevalerie littéraire et faits historiques ne se recoupent pas nécessairement.
Portrait de François 1er à cheval, peinture de Jean CLOUET (1480-1541)
Valeurs chevaleresques
contre stratégie militaire ?
travers tout cela, i demeure intéressant de voir combien les valeurs de la chevalerie française et leur prégnance dans les mentalités médiévales ont fini, à de nombreuses reprises, par s’imposer sur le terrain, presque à l’encontre de la stratégie militaire.
Même si la notion d’honneur dont nous parle François 1er dans cette poésie, n’est déjà plus tout à fait la même qu’un siècle auparavant, nous retrouvons ici ce même constat qui a peut-être, en partie, expliqué la défaite d’Azincourt. En ne reculant pas et en se laissant prendre dans un acte certes héroïque, mais finalement militairement peu judicieux, le roi fait prisonnier devra concéder la Bourgogne et bien d’autres choses encore, à l’occasion du traité de Madrid (1526). Il en mesurera d’ailleurs lui–même le lourd prix dès le lendemain de sa capture en écrivant ces lignes à sa mère, la duchesse d’Angoulême :
« Madame, pour vous faire savoir comment se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est sauve. » François 1er, à sa mère, la Duchesse d’Angoulême,
De nos jours, on admettrait aisément qu’un chef de guerre puisse reculer pour ne pas être pris, quitte à revenir plus tard à ou un moment plus propice, sans que son honneur soit en péril. Et si l’on voulait encore se convaincre des nuances changeantes que peuvent revêtir les mots dans leur traversée du temps, on se souviendra encore que l’honneur, au sens d’homme d’honneur « moderne », soit respectueux de sa parole donnée ou de ses engagements, ne s’applique pas non plus dans le contexte puisque peu après la bataille de Pavie, François 1er signera le traité de Madrid et une fois relâché, ne le respectera pas. Devant l’histoire, il ne sera pas, cela dit, le premier roi qui s’engagera sur des traités avec ses ennemis pour ensuite ne pas les respecter.
L’honneur chevaleresque
à travers la poésie de François 1er
Trop tost je veiz ceux-là qu’avoys laissez De tout honneur et vertu délaissez ; Les trop meschants s’enfuyoient sans combat Et entre eulx tous n’avoyent autre débat Si n’est fuyr ; laissant toute victoire, Pour faire d’eulx honteuse la mémoire. Malheureux las ! et qui vous conduisoit A telle herreur, ne qui vous advisoit Habandonner, fuyans en désaroy, Honneur, pays, amys et vostre roy ?
Maie pour venir à mon premier propos Quand, indignes de vertus et repoz, Je \eiz mes gens par fuyte trop honteuse A leur honneur et à moy dommaigeuse. Triste regret et peine tout ensemble, Deuil et despit en mon coeur si s’assemble : Autour de moi en regardant ne veiz Que peu de gens des miens à mon advys ; Et à ceulx-là confortay sans doubtanoe De demourer plustost en espérance D’honneste mort ou de prise en effect, Qu’envers l’honneur de nous fut rien forfaicl.
De toutes pars lors despouillé je fuz, Rien n’y servit deffence ne refuz , Et la manche de moi tant estimée (3) Par lourde main fut toute despecée. Las ! quel regret en mon cueuir fut bouté. Quant sans deffence ainsy me fut ostá L’heureux présent par lequel te promys Point ne fouyr devant mes ennemys. Mais quoy ! j’estois soub mon chevàl en terre, Entre ennemys alors porté par terre. Las ! que diray, cela ne. veulx nyer, Vaincu je fuz et rendu prisonnier.
(3) Manche. pièce d’étoffe que les chevaliers portaient dans les tournois en souvenir de la dame de leurs pensées.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.
Sujet : poésie morale, littérature médiévale, ballade, vieux français, études, sciences. Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle Auteur : Eustache Deschamps (1346-1406) Titre : « Car tout desplais fors estude et sience»
Bonjour mes amis,
oici encore un peu, aujourd’hui de la poésie d’Eustache Deschamps, poète prolifique du XIVe, dans une ballade où il nous dévoile ses intérêts pour l’étude et la science qui, contrairement à d’autres occupations, nous dit-il, ne lassent jamais.
L’oeuvre que nous a laissée Eustache Dechamps dit Morel est, nous l’avons déjà dit ici, colossale. S’il s’est essayé au genre de l’amour courtois, il lui a largement préféré le registre de la poésie satirique, morale ou même réaliste. C’est heureux pour nous car, ainsi, son legs a le grand avantage de nous éclairer sur un large pan de la société du moyen-âge tardif, qui est aussi celle de la guerre de cent ans et des épidémies de peste. Valeurs morales, moeurs et pratiques, costumes, tournois, jeux de cour, duels, etc.., ses textes sont une source inépuisable d’enseignement sur le monde médiéval du XIVe siècle.
Son goût pour les ballades, encore en usage durant son siècle et qui le resteront quelque temps encore, pour tomber dans l’escarcelle du génial François Villon, lui en a fait écrire plus de mille. Il ne s’arrêtera pourtant pas à ce seul genre dont on dit même qu’il le fixera et il laissera encore des rondeaux, des virelais, des farces, mais aussi des traités didactiques dont l’un ‘L’art de Dictier » qui deviendra célèbre. Digne héritier d’ESOPE, Eustache Deschamps excellera encore dans le genre des fables, qui, maintes fois réécrites d’une Marie de France jusqu’au XVIIe siècle d’un Jean de la Lafontaine, traverseront l’ensemble du moyen-âge et fourniront le prétexte à un genre satirique, politique et moral, qui avancera, à couvert, sous le bouclier de la métaphore animalière.
Et le voilà clerc et savant, Eustache le sage, Eustache le désabusé aussi, revenu pour nous aujourd’hui, de six cents ans d’Histoire pour nous faire l’éloge de l’Etude et des « Sciences », cette large appellation de « sciences » qui, au moyen-âge, recouvre les nombreuses disciplines qui font de l’homme « un savant », un détenteur du savoir dans les « matières savantes ».
Formé dans sa jeunesse à la prestigieuse Université d’Orleans qui, depuis le début de ce XIVe qui l’a vu naître, dispense notamment le Droit, sa longue et variée carrière d’employé de cour lui fournira l’occasion de l’exercer, mais au delà, cette formation lui donnera sans doute aussi une rigueur qu’il mettra jusque dans son exigence de style.
Revenu de tout. il a vécu longtemps et certains lisent quelquefois à travers ses rimes, l’aigreur d’un homme qui a servi sa vie entière les rois et les puissants, sans pour autant en retirer ni le prestige, ni la fortune. Le sens critique n’est pas une valeur de cour. A-t-il payé le prix d’une plume trop acerbe et trop prompte à souligner de ses traits les abus de pouvoir de tous bords? Sans doute. Pourtant indéniablement de son travail et ses loyaux services, Eustache Deschamps se démarque encore d’autres poètes de son temps en ce qu’il ne dépend pas de sa plume pour subsister. Si elle a pu lui jouer des tours, elle demeure affranchie de toute contrainte alimentaire et c’est un fait qui éclaire largement l’oeuvre de ce poète médiéval et les libertés qu’il y prend.
Et s’il y a, par instants, un peu d’écume amère au bord de certaines de ses lignes, ce serait une erreur de ne s’arrêter qu’à cela et de ne pas voir encore à travers sa poésie l’oeil du temps, le témoin, un chroniqueur atypique entre les lignes versifiées duquel le XIVe siècle se donne à observer. Au delà de cela, ce grand auteur médiéval reste encore le témoin d’une période de transition dans l’art de la poésie, une page qu’il aura lui-même contribuée à tourner. Ami de Guillaume de Machaut, dont il se déclare le disciple, notre auteur est un amoureux des formes et du langage, un adepte de la rigueur stylistique. Et dans ses réflexions sur une poésie qu’il déclare innée et qui ne s’apprend pas, il valorisera encore l’art de la rime et du vers comme une musique en soi, un art du langage affranchi de toute composition musicale apprise et qui entend bien se livrer au lecteur, entier et sans artifice, dans sa propre musicalité.
Car tout desplaist fors estude et science
dans le verbe d’Eustache Deschamps
Des plaisirs de l’Etude et de la Science. Il n’est délit, joie, feste, soûlas, Joustes, tournois, déduit, esbatement, De quoy chascuns ne soit à la foiz las, Combien que tout plaise au commencement. Continuer telz choses longuement Engendre ennui ou quelque desplaisance; Estudier n’a pas ce mouvement : Car tout desplaist fors estude et science.
Et ce puet-on veoir en pluseurs cas Chascun le scet qui a entendement, De grans festes dient pluseurs, Hélas! Et des deliz de chacier ensement, Et de voler, et de tournoiement, De dame avoir, et de mener la dance; Vanitez sont , croy donc certainement : Car tout desplaist fors estude et science.
Mais plus vit homs, et plus passe le pas De l’aage humain, plus quiert diligemment L’art de sçavoir dont il veult faire un tas; De jour en jour croist l’estudiement, Sanz lui lasser , et continuelment, Pour acquérir renommée et prudence, Mais trop petit lui chaut du rémanent: Car tout desplaist fors estude et science.
Prince, qui a terre et gouvernement Doit voulentiers aprandre dès s’enfance, Pour soy garder et vivre saigement: Car tout desplaist fors estude et science.
En vous souhaitant une merveilleuse journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes