ne petite mention pour vous remercier de votre fidélité et de vos vues, à l’approche des 300 000 visionnages sur notre chaîne Youtube.
Entre vidéos sur les mottes castrales, lectures audio de poésies et textes en vieux français, mais aussi quelques autres surprises maison, la chaîne finit par faire son bonhomme de chemin sur la toile. Nous en sommes d’autant plus fiers que vous n’y verrez pas que des âneries même si, rassurez-vous, vous en trouverez aussi.
Sujet : codex de Montpellier, musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, chants polyphoniques, motets, Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Puisque Bele Dame m’eime Auteur : Anonyme Interprète : Anonymous 4
Album : Love’s Illusion Music from the Montpellier Codex 13th Century (1993)
Bonjour à tous,
ous vous avions déjà présenté, il y a quelques semaines, une pièce du Chansonnier médiéval de Montpellier ( ou Codex de MontpellierH196 ) et nous poursuivons aujourd’hui son exploration.
Pour rappel, ce manuscrit ancien des débuts du XIVe fait un immense tribut aux chants polyphoniques et aux motets du XIIIe siècle. Il présente, en effet, pas moins de 336 pièces de ce type ( voir article précédent sur le Codex de Montpellier). La chanson médiévale que nous vous présentons, ici, est à l’image de la majorité d’entre elles puisqu’il s’agit d’un motet d’amour courtois ayant pour titre « Puisque Bele Dame m’eime ». On peut la trouver interprétée par un certain nombre d’ensembles sur la scène des musiques anciennes et médiévales. De notre côté, nous avons choisi la version de la formation américaine Anonymous 4 pour vous la faire découvrir et nous en profiterons pour vous présenter ce quatuor vocal à la longue carrière.
« Puisque Belle Dame m’eime » par L’Ensemble New-Yorkais Anonymous 4
Anonymous 4 sur les ailes des chants polyphoniques de l’Europe médiévale
L’ensemble Anonymous 4 est le fruit de la rencontre de quatre chanteuses américaines, à l’occasion d’une session d’enregistrement dans un studio new-yorkais, au printemps 1986. Réunies autour d’une même passion pour les chants polyphoniques et de musique médiévale, il n’en fallut pas moins pour donner naissance à cette formation. A plus de trente ans de là, Anonymous 4 s’est produit sur scène au cours de plus de 1500 représentations sur tout le territoire américain. La quatuor a aussi fait connaître et voyager son art dans la bagatelle de trente -cinq pays.
Au cours de cette longue carrière qui a vu son dernier concert en 2015, Anonymous 4 a fait paraître près de 30 albums, incluant quatre anthologies pour saluer leur large contribution à la scène des musiques anciennes et médiévales. La formation ne s’est pas cantonnée au répertoire médiéval et on la retrouve également sur des chants de Noël, des chansons du temps de la guerre civile américaine ou encore sur des chants celtiques ou anglais plus folkloriques. Du côté du Moyen Âge qui reste tout de même son terrain de prédilection, Anonymous 4 a eu l’occasion d’exercer son talent sur de nombreux thèmes : les visions d’Hildegarde de Bingen, les chants dédiés au culte marial médiéval, le répertoire de Francisco Landini, et encore bien d’autres chansons de l’Europe médiévale : France, Angleterre, Hongrie, Espagne, etc…
Membres de la formation Anonymous 4
La dernière formation était composée de Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Jacqueline Horner-Kwiatek. Au départ, elle fut fondée par Ruth Cunningham, Marsha Genensky, Susan Hellauer et Johanna Maria Rose.
Love’s Illusion, l’illusion de l’amour (courtois) autour du chansonnier de Montpellier
En 1993, Anonymous 4 proposait au public un album intitulé « Love’s Illusion » autour du codex de Montpellier et de ses chants courtois polyphoniques. Ces pièces étant courtes, le quatuor féminin décidait d’en proposer un bon nombre et on en retrouve ainsi pas moins de 29 sur cette production.
On retrouve la partition moderne de cette pièce médiévale chez Hans Tischler. En 1978, le compositeur et musicologue américain a, en effet, réalisé un excellent travail de transcription musicale sur les pièces du Codex de Montpellier : The Montpellier Codex Fascicles 6,7 and 8.
Les paroles en vieux français
et leur traduction en français moderne
Puisque bele dame m’eime Destourber ne m’i doit nus; Quar iere si loiaus drus Que je n’iere ja tensus Pour faus amans ne vantanz. Ja li mesdisant N’en seront joiant, Car nul mal ne vois querant; Mes qu’ami me cleime Je ne demant plus.
» Puisque belle dame m’aime Nul ne doit m’en empêcher ; Car j’ai toujours été amant loyal Et jamais on ne m’a accusé d’être Faux amant (infidèle) ou vantard. Désormais, les médisants Ne pourront plus se réjouir, Car nul autre mal, je ne cherche ; Qu’elle me proclame son ami (amant) Je ne demande rien de plus. »
En vous souhaitant une excellente journée
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français, langue d’oïl, chants polyphoniques, motets, manuscrit médiéval Période : XIIe siècle, XIIIe siècle, Moyen Âge central Titre:Ne m’oubliez mie Auteur : Anonyme Interprète : Ensemble La Rota Album : Heu, Fortuna (2007)
Bonjour à tous,
ous revenons, aujourd’hui, vers l’amour courtois avec un chant polyphonique médiéval, daté de la deuxième partie du XIIIe siècle. Cette pièce est demeurée anonyme et on peut la retrouver dans un beau manuscrit ancien dont nous vous dirons un mot ici. Nous partagerons également sa belle interprétation par l’Ensemble La Rota, ensemble médiéval québécois crée au début des années 2000.
Le Chansonnier ou codex de Montpellier H196 : trésor de la polyphonie médiévale
Avec 336 oeuvres polyphoniques et motets, le Codex de MontpellierH196, connu encore comme Chansonnier de Montpellier est un précieux témoin de la musique polyphonique du moyen-âge central. Pour son contenu, autant que ses enluminures et l’état de sa conservation, il est, à juste titre, considéré comme un véritable trésor patrimonial. Les pièces présentées dans ce manuscrit médiéval, daté de 1300, s’étalent, dans leur grande majorité, sur la deuxième moitié du XIIIe siècle.
Ne m’oubliez mie chanson médiévale anonyme par l’Ensemble la Rota
L’ensemble médiéval la Rota
Installés originellement au Québec, le quatuor La Rota s’est spécialisé, dès sa création, dans le répertoire des musiques médiévales. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le nom qu’ils ont choisi pour leur formation, fait référence à une danse du moyen-âge, mais surtout et de leurs propres mots, à la roue de la fortune médiévale dont nous vous avons souvent parlé ici.
Fondé en 2002, l’ensemble a vu ses efforts récompensés quelques années plus tard ; en 2006, il a, en effet, été primé, outre atlantique, pour son travail dans le domaine des musiques anciennes et médiévales par la Early Music América. Un an plus tard, la formation sortait un premier album qui, sauf erreur, n’a pas été suivi d’autres productions à ce jour.
Actualité
Après des débuts très prometteurs sur la scène musicale médiévale, l’Ensemble La Rota ne nous a plus laissé grand chose à nous mettre sous la dent depuis les années 2011-2012. De fait, du point de vue de leur actualité, il semble bien que la formation soit totalement en sommeil, On peut, toutefois, retrouver certains de ses membres toujours affairés dans des projets autour des musiques anciennes et du moyen-âge, notamment outre-atlantique.
Membres de l’ensemble : Sarah Barnes (chant, soprano), Tobie Miller (flûte, vièle à roue, soprano), Baptiste Romain (Vielle), Esteban La Rotta (luth, harpe gothique)
Heu Fortuna, l’album
En 2007, avec son premier album, l’Ensemble La Rota a choisi de mettre en exergue les musiques de la France médiévale de la deuxième partie du XIIIe siècle. Enregistré en l’église Saint-Augustin de Mirabel, au Québec), l’album propose vingt-une pièces de choix puisées dans différents manuscrits médiévaux dont le Codex de Montpellier.
Les compositions anonymes de cette période (chansons, estampies, rondeaux, jeu parti,…) y côtoient des œuvres d’auteurs plus célèbres comme Philippe de Vitry, Blondel de Nesle, Guiot de Dijon, Gillebert de Berneville, Jehan de Lescurel. On peut encore trouver cet album à la vente, au lien suivant : Heu Fortuna : Ensemble la Rota.
« Ne m’oubliez mie » : chant d’amour courtois
Dans cette courte pièce anonyme du XIIIe siècle, l’amant courtois, loin de sa dame, lui chante son amour et sa loyauté, en ne tarissant pas de louanges sur les valeurs tant physiques que morales de cette dernière. Il n’en aimera jamais d’autres et il se tient dolent et affligé, dans la douleur de cet amour de loin qui est le lot coutumier des fine(s) amants médiévaux.
Le vieux-français en usage dans cette chanson ne pose pas de difficultés particulières mais nous vous en proposons, tout de même une traduction simple et sans prétention. Pour les musiciens qui souhaiteraient s’essayer à cette partition, nous l’avons trouvée retranscrite par Han Tischler dans un ouvrage de 1978 (The Montpellier Codex, Fascicles 6, 7 and 8) et nous vous la livrons donc ici.
Les paroles de cette chanson médiévale
dans le vieux français du XIIIe siècle
Ne m’oubliez mie, Bele et avenant : Quant je ne voz voi, s’en sui plus dolens, Car je n’oubli mie Vostre grant valour Ne la compaignie A nul jour. N’avré mes envie D’amors D’autre feme née. C’est la jus en la ramée, Amours ai ! Marions i est alée ! Bone amour ai qui m’agrée !
Ne m’oubliez pas, Belle juste et agréable ! Quand je ne vous vois plus, j’en suis d’autant plus affligé Car je n’oublie jamais Votre grande valeur Ni votre compagnie, A chaque jour qui passe. Et je ne désirerai jamais D’amour D’une autre femme. C’est là-bas, sous le buisson, Je suis amoureux ! Marion y est allée : J’ai bel amour qui m’agrée.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie médiévale, littérature médiévale, fortune, vanité, fabliau, trouvère, langue d’oïl, vieux français, MS Français 837 Période : Moyen-âge central, XIIIe siècle. Auteur : anonyme Titre : la roé de Fortune (roue de fortune) Ouvrage : Jongleurs & Trouvères, d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, Achille Jubinal, 1835.
Bonjour à tous,
u côté de la poésie satirique du moyen-âge central, nous vous proposons, aujourd’hui, la découverte d’un texte du XIIIe siècle, sur le thème, alors très prisé, de la Roue de fortune et son implacabilité.
Sources historiques et manuscrits
Cette pièce est présente dans plusieurs manuscrits médiévaux, quatre en tout, dont trois se trouvent conservés hors de France : le Manuscrit 9411-9426 de Bruxelles, le L V 32 de Turin, le Cod 1709 de la Bibliothèque du Vatican.
Du côté français, on le trouve dans le MS Français 837 de la BnF (ancienne cote Regius 7218), Daté du dernier tiers du XIIIe siècle, cet ouvrage, dont nous vous avons déjà touché un mot, contient plus de 360 feuillets et présente un nombre conséquent de fabliaux, dits et contes de ce même siècle. On y croise de nombreuses poésies et pièces demeurées anonymes mais aussi des noms d’auteurs illustres, tels que Jean Bodel et Rutebeuf, Un fac-similé est consultable sur le site de Gallica au lien suivant.
Sur le fond, notre poésie du jour demeure plus proche du « dit » que du fabliau. Pour autant qu’elle contienne des éléments satiriques, elle est aussi plus morale que comique, comme le sont en général ces derniers. Pour sa transcription dans des caractères plus lisibles que ceux des manuscrits originaux, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Jongleurs & Trouvères d’Achille Jubinal daté de 1835, et dans lequel le médiéviste proposait une large sélection de textes extraits, entre autres, de ce manuscrit.
La roue de Fortune médiévale
« (…) Vez cum Fortune le servi, Qu’il ne se pot onques deffendre, Qu’el nel’ féist au gibet pendre, N’est-ce donc chose bien provable Que sa roé n’est pas tenable : Que nus ne la puet retenir, Tant sache à grant estat venir ? » Le Roman de la rose
(…) Vois comme fortune le servit, Qu’il ne put jamais s’en défendre, Qu’elle le fit au gibet pendre, N’est ce donc chose bien établie Que sa roue ne peut être maîtrisée Que personne ne peut la retenir Aussi haut soit le rang qu’il ait atteint ?
Avec pour thème central la roue de la fortune, le texte du jour reflète certaines valeurs profondes du Moyen-âge occidental ou, à tout le moins, certaines idées dont la récurrence dans sa littérature et sa poésie, laisse à supposer un ancrage certain dans les mentalités médiévales. On notera, du reste, que cette vision d’un « sort » qui, presque mécaniquement, entraîne avec lui les promesses des plus belles ascensions comme des pires déroutes, a perduré, jusqu’à nous, dans les mentalités populaires : « la roue tourne », même si son articulation ne se fait plus nécessairement en relation étroite avec les valeurs chrétiennes comme c’était le cas alors et comme c’est clairement le cas dans ce texte.
Eloge du détachement
La première idée qu’on trouve ici plantée touche à la vanité et la vacuité. Elle est implicitement lié à l’image de la roue de fortune et son invocation : inutile de se glorifier au sujet de son pouvoir, ses richesses, son statut, la « perdurance » n’est qu’illusion. Dans son mouvement perpétuel, la roue de fortune médiévale s’assure de faire chuter, inéluctablement, celui qui a voulu monter trop haut et, au delà de tout critère de réussite sociale, même le mieux portant des hommes, peut se trouver au plus mal, l’instant d’après. Fortune se mêle de tout et nul n’est à l’abri.
Cette leçon en amène une deuxième qui en est le corollaire. Il s’agit de la nécessité (hautement mise en avant par le moyen-âge occidental et ses valeurs chrétiennes) de pratiquer une forme de détachement, vis à vis du monde matériel. Comme la déroute n’est jamais loin de la gloire, tôt viendra le temps de l’hiver et de la mort et, avec eux, le moment de rendre des comptes. Escompter avoir une place dans le monde d’après suppose que l’on ait su s’affranchir de l’actuel, se sera-t-on suffisamment préparé ? L’attachement, au mirage du pouvoir et de l’avoir, est folie, le poète, ici, nous l’affirme. Se fier au monde est le plus court chemin vers la perte ; le salut de l’âme est en cause autant que le salut social : il sera montré du doigt comme fou celui qui pensera se soustraire à ces lois immuables, en s’harnachant aux illusions du monde matériel.
Dans la dernière partie de cette pièce anonyme, on trouvera enfin des arguments qui viendront presque prêcher une forme de non action, susceptible de mener le lecteur en deça des valeurs de la morale chrétienne. Dans un élan satirique, le poète exprimera, en effet là, un dépit plus ciblé sur son temps et sur son monde : le siècle est pourri, la morale compromise et même celui qui s’attache à faire le bien n’en retirera que les pires ennuis. Sur sa voie, l’homme de bien, le prud’homme, trouvera plus d’ennemis et d’embûches que de récompenses. Une raison supplémentaire de ne rien attendre de ce monde ? Désabusé, l’auteur n’ira pourtant pas jusque dire qu’il faille renoncer au bien pour prêcher une forme de « non action » totale (et presque bouddhiste), et le texte rejoindra, finalement, la prêche en laissant au lecteur pour unique refuge, la passion et l’exemplarité christique : résignation à ne pas voir le bien récompensé, acceptation d’une forme de souffrance, apologie encore d’une certaine forme de renoncement pour faire basculer son esprit, sa raison et ses questionnements du côté de la foi ? Sans doute un peu tout cela à la fois.
Du vieux français d’oïl au français moderne
S’il faut en croire le site Arlima, aucune traduction en français moderne n’était jusque là attachée à ce texte. Sans avoir la prétention de la perfection puisqu’il s’agit tout au plus d’un premier jet, ce vide sera, au moins, partiellement comblé.
Biaus sires Diex, que vaut, que vaut La joie qui tost fine et faut, Dont nus ne se doit esjoïr, Que nus ne set monter si haut S’un poi d’aversité l’assaut, Qu’assez tost ne l’estuet chéïr ? J’ai véu tel gent décheir, Dont je me puis mult esbahir Et merveillier, se Diex me saut, Qui ne doutoient nul assaut, Tant erent orguilleus et baut. Or les covient à point venir. Tels cuide aus nues avenir, Quant il se cuide miex tenir, Qui à reculons fet .i. saut.
Beau Sire Dieu, que vaut, que vaut, La joie qui tôt fini et fane* (tombe, s’évanoui, fait défaut), Dont nul ne se doit réjouir, Car nul ne peut monter si haut Qu’un point d’adversité l’assaille Et bien vite le fait choir ? J’ai vu de tels gens déchoir, Dont je peux fort m’ébahir Et m’étonner, que Dieu me garde, Qui ne redoutaient nul assaut, Tant étaient orgueilleux et fiers. Or ils durent au point venir Comme qui croit aux nues parvenir Quand il s’y pense mieux tenir, A reculons, fait un saut.
Qui plus haut monte qu’il ne doit, De plus haut chiet qu’il ne voudroit ; Par maintes foiz l’ai oï dire. Li siècles maint homme deçoit : Mors et honiz est qui le croit ; Quar cil qui plus haut s’i atire, Et qui cuide estre plus granz sire, Fortune vient, sel’ desatire Et le met où estre soloit, Ou encore en plus basse tire ; Quar celui qui li soloit rire Set mult bien qu’il le decevoit. Por ce est fols qui se forvoit, Se il el royaume se voit, Quar tost est entrez en l’empire. Cis siècles maint homme deçoit : Fols-s’i-fie est nommez à droit ; Por ce le doit chascun despire.
Qui plus haut monte qu’il ne devrait Choit de plus haut qu’il ne voudrait Maintes fois, je l’ai ouï dire Ce monde en déçoit plus d’un Blessé* (mordu?) et trompé (déshonoré) qui s’y fie Car celui qui plus haut, s’harnache (s’y accroche, s’y fixe) Et qui croit être plus grand sire, Fortune vient l’en déloger Pour le ramener d’où il venait, Ou en un rang plus bas encore. Mais celui qui avait l’habitude d’en rire Savait très bien qu’il serait déçu Pour ce, fou est qui se fourvoie Si au royaume, il se voit Car il n’est entré qu’en l’Empire. Ce monde maints hommes déçoit Fou-qui-s’y-fie est nommé à droit (à raison) Et (pour cela), chacun le doit mépriser (dédaigner)
En ce siècle n’a fors éur ; N’i doit estre nus asséur, Quar nus n’i a point de demain. Chascuns i doit estre à péur, Quar ainçois que soient méur, Chiéent li franc et li vilain, Ausi com la flor chiet du rain, Ainz qu’ele port ne fruit ne grain, Quant ele n’a fin air ne pur. Por ce point ne m’i asséur, Quar je n’i voi nul si séur, Si jone, si haitié, si sain, Si fort, si aspre ne si dur, Si riche, ne si clos de mur, Ne de si grant noblece plain, S’un petit mal le prent au main, Que n’el rende pâle et obscur, Plus tost c’on ne torne sa main.
En ce monde, n’a guère de bonheur (chance) Personne ne doit s’y sentir sûr (en sûreté) Car, nul n’y a point de demain (d’avenir assuré) Chacun doit être dans la peur, Car avant qu’ils ne soient mûres, Tombent le franc et le vilain. Telle la fleur choit du rameau, Avant de donner fruits ou grains Quand elle n’a d’air pur, ni délicat Pour cela, je ne m’y fie point, Car je ne vois nul si sûr Si jeune, si bien portant, si sain, Si fort, si robuste et si rude, Si riche, ou si enceint de murs Ni si plein de grand noblesse Qu’un petit mal ne le prenne au matin, (à la main?) Qui le rende pâle et obscur, Plus vite qu’on ne tourne sa main. (qu’on ne l’examine)
Que vaut avoir, que vaut richece, Que vaut boban, que vaut noblèce, Que vaut orgueil à demener, Que nus n’est de si grant hautèce, Quant la luete l’i estrece, Que par mort ne l’estuet passer; Et quant il ne puet alener, N’en puet o soi du sien porter La montance d’un grain de vesce, S’il n’a bien fet en sa jonece : Donques n’est-il si grant proece Com de Dieu servir et amer. On doit por fol celui clamer Qui l’entrelet par sa perece, Por ce chétif siècle à amer.
Que vaut avoir, que vaut richesse Que vaut luxe, que vaut noblesse A quoi bon se gonfler d’orgueil (s’abandonner à) Puisque nul n’est de si haut rang (élévation) Lorsque sa gorge se resserre Que par mort il lui faut passer, Et qu’il ne peut plus respirer, Et ne peut plus porter par lui-même La valeur d’un grain de vesce (sainfoin), S’il n’a bien agi dans sa jeunesse : Ainsi, il n’est si grande prouesse, Que de servir et d’aimer Dieu, Et on doit bien traiter de fou Celui qui s’y soustrait par paresse, Pour aimer ce monde fragile.
El monde n’a riens tant chierie, Qui tant déust estre haïe, Com cest siècle c’on a tant chier, Que nus tant i ait seignorie, N’i est asséur de sa vie Demi-jor ne .i. jor entier. Ausi tost l’estuet-il lessier, Le roi, le duc et le princier Com le povre homme qui mendie ; Que la mort fiert sanz manecier, Ne nus hom ne s’en puet guetier Par science ne par clergie. N’i vaut ne guete ne espie, Que tels est toz sainz à complie Qui se muert ainz l’aler couchier; Qui plus en sa santé se fie Maintenant l’estuet trébuchier.
Au monde rien tant on chérie Qu’on devrait en tout point haïr Comme ces temps que l’on chérie tant Ou nul même s’il a seigneurie, Ni est assuré de sa vie Demi-jour ou un jour entier. Qu’aussitôt il lui faut laisser Le roi, le duc et le princier (ses titres) Comme le pauvre homme qui mendie : Que la mort frappe sans prévenir ( menacer), Aucun homme ne s’en peut garder Par savoir (intelligence) ou par science Ni ne sert de guetter ou d’épier (espionner) Quand celui, en santé au soir, (complies dernière prière du soir) Se meurt au moment du coucher : Qui plus à sa santé se fie, Maintenant lui faut choir (trébucher).
El monde n’a riens que je voie Par qoi nus hom amer le doie. Fols est et plains de trahison ; Qui plus i sert plus i foloie; Plus se meffet, plus se desroie, Qui plus i met s’entencion. Quar sovent muer le voit-on En duel et en confusion, Feste, solaz, déduit et joie. Qui est au monde plus preudom, Plus i a persécution, Et je comment m’i fieroie ? Certes grant folie feroie, Quar nus ne va mès droite voie : Chascuns trahist son compaignon ;
Cels qui ne béent s’à bien non Truevent mès plus qui les guerroie, Que li murtrier ne li larron. Jhésus, qui souffri passion, Nous maint trestoz à droite voie, Et à vraie confession.
Amen. Explicit la Roe de Fortune.
En ce monde, n’y a rien que je vois Par quoi nul homme aimer le doive Il est fou et plein de traîtrise (trahison), Qui plus le sert, plus il divague Plus se défie ( s’égare?), plus il dévie, Qui plus y met son intention. Car, souvent changer le voit-on En douleur et en confusion, Fête, plaisir, jouissance et joie. Et plus grand est l’homme de bien, plus il trouve persécutions Et moi comment pourrais-je m’y fier ? Quand nul ne suit plus droite voie : Chacun trahit son compagnon ;
Celui qui ne s’attache qu’à faire le bien, En trouve bien plus qui le guerroient Plus que meurtriers ou larrons. Puisse Jésus qui souffrit la passion Nous guider tous sur le droit chemin Et à sincère (véritable) confession.