Sujet : poésie médiévale, fable médiévale, vieux français, anglo-normand, auteur médiéval, ysopets, poétesse médiévale, poésie satirique, poésie morale Période : XIIe siècle, Moyen Âge central. Titre : D’une corneille et d’une Oeille Auteur : Marie de France (1160-1210) Ouvrage : Poésies de Marie de France Tome Second, par B de Roquefort, 1820
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous vous proposons un retour dans l’univers des fables médiévales et plus précisément des ysopets de Marie de France. Dans ce récit très court, emprunté à Esope donc, la poétesse médiévale nous mettra en présence d’une funeste corneille venue abuser, sans vergogne, de la faiblesse d’une pauvre brebis.
D’Esope à Marie de France
Si 1600 ans la séparent de son inspirateur, Marie de France a opté ici pour une version assez similaire à celle d’Esope. Bien sûr, au verbe du fabuliste grec, elle oppose sa langue d’oïl mâtinée de tournures franco-normandes mais, hormis cela, le récit est le même à peu de chose prés. A l’habitude, il est aussi plus court chez le poète antique. Voici une traduction de cette fable originale d’Esope par Jean Beaudouin :
La Corneille se débattoit sur le dos d’une Brebis, qui ne pouvant se deffendre ; « Asseurément », luy dit-elle, « si tu en faisois autant à quelque chien, il t’en arriveroit du malheur ». « Cela seroit bon », luy respondit la Corneille, « si je ne sçavois bien à qui je me joue ; car je suis mauvaise aux débonnaires, et bonne aux meschants ». Baudoin, Jean. Les Fables d’Esope Phrygien – Fable LXII, De la Brebis et de la Corneille. (1660)
On trouve encore la morale de cette fable formulée ainsi chez certains traducteurs latins : Mali insultant innocenti et miti : sed nemo irritat feroces et malignos. Autrement dit, l’homme mauvais insulte et abuse de l’innocent et du faible, mais se garde bien de s’en prendre aux féroces et aux malicieux, qui auraient suffisamment de répondant pour le lui faire payer.
Le thème de l’abus des faibles sous toutes ses formes, traverse de nombreuses fables antiques. On le trouve repris, plus qu’à son tour, chez Marie de France (voir, par exemple, le voleurs et les brebis). Plus tard, il ressurgira encore, largement, sous la belle plume de Jean de La Fontaine. La nature humaine ayant ses invariants, on notera que, sorti de leur contexte historique, ce type de récits moraux a tendance à plutôt bien résister à l’emprise du temps.
D’une Corneille et d’une Oeille
D’une Cornaille qui s’asist seur une Berbix en franco-normand médiéval
Ensi avint k’une Cornaille S’asist seur le dos d’une Oaille ; Dou bec l’ad féri durement, Sa leine li oste asprement. La Berbiz li a dist pur-coi Chevausche-tu einsi sor moi, Or te remuet si feras bien ; Siete une pièce seur ce Chien , Si fai à lui si cum à mei. Dist la Cornelle, par ma fei Ne t’estuest pas traveillier De mei apanre n’enseignier, Jeo suis piéça tute enssengniée, Tant fu-jeo sage et bien vesiée ; Bien sai seur cui jeo dois séoir E à séur puiz remenoir.
Moralité
Pur ce nus munstre par respit Ke ce est voirs que li Sages Hum dit, Par grant essample et par reproiche Bien seit Chaz cui barbes il loiche Bien s’aparçoit li véziiez Lesquiex il puet aveir souz piez.
Adaptation en français moderne
Ainsi advint qu’une corneille S’assit sur le dos d’une agnelle (ouaille) ; Et, du bec, la frappa durement, Tirant sur sa laine âprement. La brebis demanda « pourquoi Chevauches-tu ainsi sur moi ? Ote-toi de là, tu ferais bien ; Va t’asseoir, un temps, sur ce chien Et fais-lui donc tout comme à moi. » La corneille dit : « par ma foi, Inutile de te soucier De rien m’apprendre ou m’enseigner Je suis de long temps éduquée, Et je suis sage et avisée ; Je sais bien, sur qui je m’assieds Et, en sûreté, où demeurer. »
Moralité
Ainsi, nous montre bien l’adage Comme est vrai ce qu’a dit le sage, en grand reproche et grande prêche : La chat sait bien quelle barbe il lèche, Le fourbe sait bien discerner Qui il peut tenir sous son pied.
En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : les enluminures de cet article sont tirées d’un très beau bestiaire médiéval : The Aberdeen Bestiary (Université d’Aberdeen MS 24). Daté des XIIe-XIIIe siècles, ce codex est conservé à la Bibliothèque de l’université d’Aberdeen au Royaume Uni (à consulter en ligne ici). Pour être précis, l’ovin qui a servi aux illustrations est plutôt un agneau ou une agnelle qu’une brebis.
Sujet : musique, chanson médiévale, poésie médiévale, tenso, troubadour, manuscrit médiéval, occitan, oc, amour courtois, razo, trobairitz Période : Moyen Âge central, XIIe et XIIIe s Auteur : Guiraut de Bornelh, Giraut de Borneil, Guiraut de Borneill, (?1138-?1215) Titre : Si’us Quèr Conselh, Bel Ami Alamanda Interprètes : Hespèrion XX, Jordi Savall Album : Cansos de Trobairitz, España Antigua
Bonjour à tous,
ous vous entraînons, aujourd’hui, du côté du pays d’oc médiéval, en compagnie du troubadour Giraut de Borneil. Cette fois-ci, c’est dans une « tenson » (tençon) que nous le retrouvons. cette forme littéraire occitane qui consistait, au Moyen Âge, en un dialogue ou, si l’on préfère, une joute poétique entre deux protagonistes.
La chanson du jour suivant les razos
En lisant à travers les lignes de la poésie du troubadour, un récit biographique (razo) nous contera que ce dernier s’était épris d’une dame gasconne du nom d’Alamanda d’Estanc. La noble était alors réputée pour son esprit autant que sa beauté et, longtemps, il la courtisa, la suppliant de lui céder, à grand renfort de chansons, de louanges et de promesses courtoises qu’on n’a peine à imaginer.
Le razo nous dit que la dame ne céda jamais totalement aux avances de Giraut mais qu’elle se laissait gentiment courtiser. Pour l’encourager, elle lui avait même laissé son gant en gage, ce qui avait contenté le poète et avait même fait, longtemps, sa joie. Hélas, notre troubadour aurait fini par perdre le gage et en aurait éprouvé beaucoup de peine. Pour couronner le tout, quand la dame l’apprit, elle s’en offusqua grandement, accusa notre homme de trahison et rejeta même, à partir de là, son amour et ses avances. Meurtri, dolent, et dans le plus grand désarroi, Giraut alla demander conseil à une autre damoiselle du nom de Alamanda également. La donzelle, suivante de la dame ou proche d’elle, était très sage. Au fait des choses de l’amour et de la courtoisie, elle aurait même maîtrisé l’art de « trobar ». Aussi, Giraut s’en remit à elle. Cherchant conseil autant qu’une alliée susceptible d’intercéder auprès de la dame, il lui conta ses misères de cœur. C’est là que serait intervenue la tenson du jour : elle met en scène l’échange verbal entre cette deuxième Alamanda et le poète en détresse, suite à ses déconvenues amoureuses.
Le razo original en langue d’oc
« Giraut de Borneil si amava una dompna de Gascoina qe avia nom N’alamanda d’Estanc. Moul era prezada dompna de sen, et de . . . valor e de beutat, & ella si sofria los precs el entendemen d’en Giraut, per lo gran enansamen qu’el li fazia de dretz e d’onor e per las bonas chansos qu’el fasia d’elle, don ella s’en deleitava mout, per qu’elle las entienda ben. Lonc temps la preget, & ella, com bels ditz e com bels honramenz e com bellas promissions, se defendet de luis cortezamen, qe anc noil fetz d’amor nil det nuilla joia, mas un son gan, dont el visquet lonc temps gais e joios, e pueis n’ac mantas tristessas, qant l’ac perdut; que madomna n’Alamanda quan vi qu’el la preissava fort qu’ella li feses plaser d’amor, e saub q’el avia perdut lo gan, ella s’en corozet del gan, dizen que mal l’avia gardat, e qu’ella noil daria nulla joia ni plaser noil faria mais d’amor, e que so qu’elle li avia promes li desmandava, qu’elle vesia ben qu’el era fort loing eissitz de sua comanda. Quant Girautz ausi la novella ocasion el comjat que la domna li dava, mout fo dolens e triz, e venc s’en ad una donzella qu’ell avia, que avia nom Alamanda, si com la domna. La doncella si era mout savia e cortesa, e sabia trobar ben et entendre . E Girautz sil dis so que la domna li avia dit, e demandet le conseil a la doncella que el devia far et dis : Si us quer conselh, bel’ ami’ Alamanda. »
Les Biographies des troubadours en langue provençale – Camille Chabaneau (Ed Edouard Privat -1885)
Trier le vrai du faux ?
Récit alambiqué ? Très certainement romancé en tout cas. En suivant les pas de Michel Zinc, il faut bien se souvenir que les vidas et les razos des troubadours, écrites longtemps après ces derniers, sont d’abord à appréhender comme des récits épiques et littéraires. Ils se basent, d’ailleurs, en majeure partie, sur la poésie de l’auteur qu’ils synthétisent en la prenant au pied de la lettre, puis en la romançant.
Si l’histoire du gant est plausible dans le contexte courtois – Don par la dame d’un gage pour signifier l’existence d’un lien affectif, qui semble au passage provenir d’un rituel vassalique (1) – elle n’est confirmée, à aucun moment, par le troubadour lui-même dans cette chanson. S’agit-il d’une allégorie de la part de l’auteur du razo ? Comme on le verra, s’il a existé, ce gant ou ce gage perdu n’est pas posé, dans cette tenson, comme l’objet véritable de la discorde. Trahison du poète plus loyal amant sur le papier que dans les faits ? Trahison de la dame ? La perte de ce gage ne serait elle pas plutôt une excuse de sa part, pour balayer son prétendant courtois d’un revers de main ? Un autre razo (à prendre avec les mêmes réserves que le premier), penchera clairement en faveur de cette hypothèse, n’hésitant pas à affirmer que la Dame avait trahi plusieurs fois l’amour et la confiance de Giraut. C’est d’ailleurs ce que le poète suggèrera, lui même, ici, pour se défendre.
Une Alamanda peut en cacher une autre
En suivant la piste de la véracité historique, on s’étonne un peu de la coïncidence des deux prénoms au point de se demander si le poète ne joue pas au jeu de la chaise vide, en s’inventant une conseillère imaginaire ou, peut-être même, des amours imaginaires. Si cette deuxième Alamanda a vraiment existé, la relation que Guiraut a entretenu avec elle, apparaît, en tout cas, bien étroite et familière dans cette poésie.
Au jeu habituel des devinettes médiévales et à 800 ans de distance, un certain nombre d’érudits penche, en tout cas, en faveur d’une Alamanda troubairitz réelle contemporaine de Guiraut de Bornelh. Certains auteurs parlent, notamment, d’une certaine Alamanda de Castelneau, troubairitz à la cour de Toulouse. Dans cette hypothèse, elle aurait pu avoir écrit sa part de vers, dans cet échange plutôt rythmé, qui se joue sur fond de franchise. Pour d’autres médiévistes, le tout est plutôt à mettre au crédit de Giraut, ou même totalement de cette dame Alamanda.
De notre côté, nous ne nous aventurerons pas à trancher. Aussi, pour courir après l’historiographie de toutes ces possibles Alamanda, réelles, historiques, fictives ou hypothétiques, vous pouvez vous reporter valablement à l’ouvrage suivant de Robert A Taylor : A Bibliographical Guide to the Study of Troubadours and Old Occitan Literature, sorti chez Medieval Institute Publications, en 2015.
Aux sources de cette chanson médiévale
La présence de cette tenson de Giraut de Borneil dans de nombreux manuscrits médiévaux plaide, en faveur, de sa popularité. Elle a même certainement influencé d’autres textes d’époque (2). On a également pu faire remarquer des parentés de ton entre cette pièce et le serventois de Bertran de Born D’un sirventes no.m cal far loignor ganda et la pièce (3).
Du point de vue des formes, certains philologues ont également souligné des convergences de style et d’argumentaires entre les vers de la trobairitz de cette pièce et la chanson « A chantar m’er de so qu’eu no volria » de la comtesse Béatrice de Die. Du point de vue des sources manuscrites, nous vous la présentons (ci-dessus) dans le Canzionere provenzale de la Bibliothèque d’Estense de Modène, en Italie (cote alfa.r.4.4). Ce recueil de pièces de troubadours est référencé, quelquefois, sous le nom de chansonnier D.
Une belle interprétation d’Hespèrion XX sous la direction de Jordi Savall
Pour son interprétation, nous avons choisi celle que nous proposaient Jordi Savall et son ensemble médiéval Hespèrion XX (désormais rebaptisé Hespèrion XXI), à la fin des années 70.
Cansos de Trobairitz un album en hommage aux trobairitz occitanes
Cette version de la chanson de Giraut de Borneil, par Hespèrion XX est apparue, pour la première fois, dans l’album Cansos de Trobairitz . Enregistré en 1977 et paru en 1978, ce dernier proposait de redonner de la voix aux poétesses et compositrices occitanes, du XIIe siècle au tout début du XIIIe. On y retrouve ainsi, pour une durée de 50 minutes d’écoute, 7 pièces d’exception en provenance du Moyen Âge central et toutes en occitan médiéval. La sélection se partage entre compositions originales (paroles et musiques) et contra factum : soit, dans un esprit très médiéval, l’adaptation ou utilisation, par le directeur catalan, d’une musique existante de la même époque, sur une chanson demeurée, jusque là, sans notation.
Sur Cansos de Trobairitz, aux côtés de la chanson du jour de Guiraut de Bornelh, on pourra découvrir : une pièce de la comtesse de Provence et Gui de Cavaillon sur une musique de Gaucelm Faidit, trois pièces de la Comtesse Béatrice de Die (une sur une musique de cette dernière et deux autres, sur des compositions empruntées à Raimon de Miravla et Bernard de Vendatorn). Enfin, viennent s’ajouter à ce tableau sonore, une pièce anonyme sur une musique de Arnaut de Maruelh et encore, une chanson du troubadour Cadenet (Elias Raimond Bérenger).
Musiciens présents sur cet album :
Montserrat Figueras (voix), Josep Benet (voix), Pilar Figueras (voix), Jordi Savall (vièle & lyre), Hopkinson Smith (lute & guitarre), Lorenzo Alpert (flûte), Gabriel Garrido (flûte et percussion), Christophe Coin (vielle & rebab)
« España Antigua » un voyage en musique du Moyen Âge central à la période baroque
Sauf erreur, l’album original Cansos de Trobairitz n’a pas été réédité récemment. On pourra toujours tenter de le chercher d’occasion en version vinyle. Une autre option est de le retrouver dans une compilation de 8 CDs signés Hespèrion XX et Jordi Savall et ayant pour titre España Antigua. C’est même le premier CD de la série.
Sorti chez Warner Music en 2001, ce coffret assez accessible en terme de prix, au regard de son généreux contenu, est une véritable invitation au voyage à travers l’œuvre du grand maître de musique catalan. En prenant le large, depuis les rives du XIIe siècle, ces 8 CDs d’exception emporteront l’auditeur jusqu’à l’ère baroque espagnole, de la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle : tout un programme à la façon unique de Jordi Savall. Voir ce lien pour plus d’informations : Espana Antigua : Spanish Secular Music (Coffret 8 CD)
Si us quer conselh, bel’ ami’ Alamanda en occitan médiéval et en français moderne
Si us quer conselh, bel ami Alamanda, No.l me vedetz, c’om cochatz lo.s demanda; Que so m’a dich vostra domna truanda Que lonh sui fors issitz de sa comanda Que so que.m det m’estrai er’ e.me desmanda. Que.m conselhatz? C’a pauc lo cor dins d’ira no m’abranda, Tan fort en sui iratz’-
Si je cherche conseil auprès de vous, belle amie Alamanda Ne me le refusez pas, cas c’est un homme en détresse qui le demande ; Puisque votre dame traîtresse m’a dit Que je suis désormais fort loin de son pouvoir Et que ce qu’elle m’avait donné, à présent, elle me le reprend. Que me conseillez-vous ? Car pour peu mon cœur s’embrase de chagrin, De manière si forte que j’en suis affligé.
Per Deu, Giraut, ges aissi tot a randa Volers d’amic no.s fai ni no.s garanda; Car si l’us falh, l’altre conve que blanda, Que lor destrics no crescha ni s’espanda. Pero si.us ditz d’alt poi que sia landa, Vos la.n crezatz, E plassa vos lo bes e.l mals que.us manda; C’aissi seretz amatz.-
Par Dieu, Giraut, les choses ne sont pas ainsi, tout soudain Désir d’amant ne se fait, ni ne se réalise ainsi ; Car si l’un faute, il convient que l’autre s’adoucisse, Afin que leurs peines ne croissent et ne s’étendent. Mais si elle vous dit d’une haute colline que c’est une plaine Vous devez l’en croire. Et que vous plaisent le bien et le mal qu’elle vous envoie; Car c’est de cette façon que vous serez aimé.
No posc mudar que contr’ orgolh no gronda, Ja siatz vos, donzela, bel’ e blonda. Pauc d’ira.us notz e paucs jois vos aonda; Mas ges n’etz primera ni segonda! Et eu que tem d’est’ira que.m confonda, Qe m’en lauzatz, Si.m tem perir, que.’m traia plus vas l’onda? Mal cut que.m chabdelatz!-
Je ne peux me taire et ne pas gronder contre l’orgueil, Bien que vous soyez, Donzelle, belle et blonde. Peu de peine vous afflige et peu de joie vous comble: Mais en cela vous n’êtes ni première, ni seconde ! Et je suis celui qui redoute que ce chagrin ne me détruise, Que me recommanderez-vous (là), Si je crains de périr (noyer), cela ne va t-il pas m’attirer plus encore vers l’onde ? Je crois que vous me guidez bien mal !
Si m’enqueretz d’aital razo preonda, Per Deu, Giraut, no sai com vos responda; Pero, si.us par c’ab pauc fos jauzionda,- Mais volh pelar mo prat c’altre. me tonda. E s’e.us er’oi del plach far dezironda, Ja l’encerchatz Com so bo cor vos esdui’ e.us resconda; Be par com n’etz cochatz!-
Si vous me questionnez à propos d’un sujet si profond Par Dieu, Girau, je ne sais comment vous répondre ; Mais si vous avez pensé que je suis de nature à me satisfaire de peu Je préfère raser (récolter) mon propre champ plutôt qu’un autre ne le tonde. Et si vous êtes désireux d’aboutir à un réconciliation, Vous devez chercher à comprendre d’abord Pourquoi elle éloigne de vous et vous cache son beau corps Ce par quoi vous êtes bien tourmenté !
Donzel, oimais no siatz trop parlera! S’ilh m’a mentit mais de cen vetz primera, Cudatz vos donc que totztems l’o sofera? Semblaria c’o fezes per nescera D’altr’ amistat-er’ ai talan que.us fera, Si no.chalatz! Melhor conselh dera na Berengera Que vos no me donatz.-
Donzelle, ne soyez pas si bavarde ! Car elle m’a mentit cent fois la première, Croyez vous donc que je le supporterai éternellement ? Il semblerait que vous le faites par sottise (Je passerais pour un ignorant). J’aurais envie de trouver d’autres amitiés Si vous ne vous tenez pas coite ! Dame Berengera donnerait de meilleurs conseils Que ceux que vous me donnez.
L’ora vei eu, Giraut, qu’ela.us o mera, Car l’apeletz chamjairitz ni leugera; Per so cudatz que del plach vos enquera? Mas no cut ges que sia tan manera; Ans er oimais sa promessa derrera, Que que.us diatz, Si s’en destrenh tan que ja vos ofera treva ni fi ni patz.-
Désormais je vois, Giraut, comment elle vous récompense en retour Pour la traiter de femme changeante et volage, Vous croyez que cela vous aidera dans cette querelle ? Je ne pense pas que ce soit la chose à faire ; Au contraire, à présent, elle mettra sa promesse plus en arrière encore, Quoi que vous en disiez. Si encore elle prend sur elle de jamais vous offrir (à nouveau) Trêve, foi ou paix.
Bela, per Deu, no perda vostr’ aiuda, Car be sabetz com me fo convenguda. S’eu m’ai falhit per l’ira c’ai aguda, No.m tenha dan; s’anc sentitz com leu muda Cor d’amador, ami’, e s’anc fotz druda, Del plach pensatz; Que be vos dic: Mortz sui, si l’ai perduda, Mas no l’o descobratz!-
Belle, par Dieu, ne me retirez pas votre aide, Quand vous savez bien ce qui m’a été promis Si je me suis égaré par ma tristesse (ma colère) Ne m’en gardez pas dommage ; si vous n’avez jamais senti comment est mu aisément, un cœur amoureux, amie, et si jamais vous fûtes aussi amante Prenez soin de cette réconciliation. Car je vous le dit bien clairement : je mourrai si je l’ai perdu Mais ne lui révélez pas cela !
Senher Giraut, ja n’agr’eu fi volguda, Mas ela.m ditz c’a drech ses irascuda, C’altre.n preietz, com fols, tot a saubuda, Que no la val, ni vestida ni nuda. No fara donc, si no.us gic, que vencuda S’altre.n preiatz? Be.us en valrai, ja l’ai’ eu mantenguda, Si mais no.us i mesclatz.-
Seigneur Giraut, j’aurais déjà voulu que tout cela finisse Mais elle me dit qu’elle a le droit d’être en colère, Quand vous en courtisiez une autre, comme un fou, au vu et au su de tous, Une qui ne la vaut ni vêtue, ni dénudée, Ne ferait-elle, alors, montre de faiblesse, si elle ne vous quittait pas Alors que vous en courtisez une autre ? Mais je vous soutiendrai auprès d’elle, je l’ai toujours fait A condition que vous ne fassiez plus de telles choses (fig commerce charnel ?)
Bela, per Deu, si d’ela n’etz crezuda, per me lo.lh afiatz!-
Belle, par Dieu, si vous avez sa confiance Rassurez la pour moi.
Ben o farai; mas can vos er renduda S’amors, no la.us tolhatz!
Je m’en chargerai, mais quand elle vous aura rendu son amour, ne reprenez pas le vôtre (ne la privez pas du votre ie respectez vos engagementscourtois).
NB : Après m’être attelé un sérieux nombre d’heures à cette traduction, en croisant sources et dictionnaires diverses, versions déjà traduites par d’éminents chercheurs, dans des langues variées (espagnol, anglais, italien, français,…) je dois avouer que certaines zones d’ombre demeurent. A l’habitude, il est donc question d’approcher le sens, quelquefois même de l’extrapoler. Il n’y a aucune prétention de l’épuiser.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
PS : l’enluminure ayant servi à l’image d’en tête est tirée du Manuscrit des Cantigas de Santa Maria de la Bibliothèque de l’Escurial, à Madrid.
Sujet : chanson médiévale, occitan médiéval, troubadours, concert, Europe médiévale, oc, musique médiévale Titres : 15 pièces médiévales de choix Auteurs : troubadours & anonymes Période : Moyen Âge central, XII, XIIIe s Interprète : Troubadours Art Ensemble Concert : Université de Stanford, USA, Memorial Church (Mars 2010)
Bonjour à tous,
ur la route des troubadours et des musiques du Moyen Âge central, nous avons le très grand plaisir de partager ici, avec son aimable autorisation, une belle prestation du Troubadours Art Ensemble, avec et sous la direction de Gérard Zuchetto, entouré de Sandra Hurtado-Ròs et de quatre autres musiciens de talent.
Une fois n’est pas coutume, en lieu de compositions isolées, il s’agit d’un concert entier de 15 pièces d’exception. On y partira à l’écoute de nombreux troubadours occitans, mais aussi de musiques séfarades anciennes, avec encore quelques interludes instrumentaux du côté des cantigas de l’Espagne médiévale ou d’estampies italiennes du XIVe siècle.
Un voyage exceptionnel au cœur de l’Europe méditerranéenne médiévale
L’amateur de musiques médiévales et anciennes ne pourra qu’être conquis par ce beau concert. En effet, tout y est et c’est ce qui en fait un moment totalement unique : l’émotion brute de la parole occitane et de son chant portée par la voix de Gérard Zuchetto, son talent et sa longue pratique de ce répertoire. A ses côtés, les envolées vocales de la soprano Sandra Hurtado-Ròs touchent au cœur et sont un véritable enchantement. Les quatre autres grands instrumentistes viennent compléter la scène avec un accompagnement, des sonorités et des rythmiques qui servent le tout avec une rare justesse.
On ne retrouvera dans tout cela de beaux accents séfarades et même byzantins qui nous porteront jusqu’aux confins de la péninsule ibérique, en s’aventurant même au delà de ses côtes méditerranéennes. En suivant ce voyage temporel au cœur du Moyen Âge central européen, on pourra encore voir d’invisibles et anciennes frontières culturelles se redessiner sous nos yeux : celles d’une certaine Europe médiévale du sud (France, Espagne et plus loin encore, méditerranéenne) faites d’échanges, de paroles en écho et d’influences mutuelles. Et devant cette reconstitution vivante, on pourra être tenté d’embrasser la vision suggérée à demi-mot par nos artistes du jour, d’une culture qui aurait partagé des traits communs sur une carte ne correspondant pas à celle des couronnes d’alors et encore moins à celle des nations actuelles.
Des troubadours à l’université de Stanford
« A la fois interprète et interlocuteur de cette performance, le Troubadours Art Ensemble nous offre une expérience essentielle de la culture médiévale en tant qu’événement : la fusion de la musique et du chant, et celle du poète-chanteur-compositeur et de l’audience. En exposant la communauté de Stanford à la riche texture auditive et verbale du monde médiéval, nous pouvons nous rapprocher de l’environnement de l’interprétation originalequi constitue la vraie nature de la tradition poétique. »
Marisa Galvez – Universitaire, romaniste, spécialiste du français et de l’italien ancien et médiéval, Université de Stanford
Daté de 2010, ce concert, donné à la Memorial Church de l’Université de Stanford, inaugurait le départ d’une collaboration fructueuse entre le Troubadours Art Ensemble de Gérard Zuchetto et l’université américaine. A ce jour, ces échanges se poursuivent toujours à destination des étudiants comme des enseignants de l’établissement supérieur outre-Atlantique. Ils mettent en œuvre des partenariats croisés entre de nombreux départements de l’université californienne (Centre médiéval, département de Français et d’italien, de Littérature, cultures et langages, de sciences humaines, …) mais aussi la région Languedoc Roussillon, le Centre International de Recherche et de Documentation Occitanes (CIRDOC) et le Trob’Art Productions, association créée, en 2000, par Gérard Zuchetto.
Le Troubadours Art Ensemble
Fondé pour Gerard Zuchetto au milieu des années 80, Troubadours Art Ensemble se dédie, comme son nom l’indique, à cet art occitan médiéval. Depuis ses premières productions, en 1985, la formation a continué sa route avec des collaborations à géométrie variable, en privilégiant le répertoire des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. On lui doit notamment la grande Anthologie la Tròba dont nous avons déjà parlée. Aujourd’hui, elle est sous la direction artistique conjointe de son fondateur et de Sandra Hurtado-Ròs.
Programme musical de ce concert
Ar’ resplan la flors enversa, Raimbaut d’Aurenga
Ar’ab la forsa del freis, Raimon de Miraval
A chantar m’er de so qu’eu non volria,La Comtessa de Dia
Sandra Hurtado-Ròs (voix, harmonium, hang), Gérard Zuchetto (direction, voix, clarinette médiévale). Denyse Dowling – Macnamara (flûtes, chalemie), Patrice Villaumé (vielle à roue, psaltérion), André Rochard (guiterne, oud, vièle à archet), Thierry Gomar (percussions anciennes et traditionnelles).
Pour conclure, ajoutons que par les grands mystères de l’algorithme de youtube, ce concert est, pour l’instant, passé largement en dessous du niveau de visibilité qu’il mérite. En le diffusant, nous espérons y remédier. Aussi, s’il vous parle comme il nous a parlé, n’hésitez pas à le partager. Nous n’avons pas de doute que le public l’appréciera autant que les universitaires et étudiants américains de Stanford ont su le faire.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sujet : musique médiévale, poésie, chanson médiévale, amour courtois, trouvère, vieux-français, langue d’oïl, fine amor, manuscrits médiévaux, français 944, chansonnier du roi, cod 389, Trouvère C, manuscrit de Bern, Période : XIIe, XIIIe s, Moyen Âge central Titre:Mes cuers me fait commencier Auteur : Blondel de Nesle (1155 – 1202) Interprète :Dr Matthew P. Thomson (2019) The Oxford Research Center in the Humanities
Bonjour à tous,
n espérant que ce nouvel article vous trouve en joie et en santé, nous vous proposons un nouveau voyage au cœur du Moyen Âge des trouvères. Cette fois-ci, nous nous mettrons en route pour le XIIe siècle avec une nouvelle composition médiévale courtoise. Sur la foi de certains manuscrits, cette chanson d’un amant tourmenté, est attribuée à Blondel de Nesle. Comme nous le verrons, d’autres experts se sont montrés un peu plus réservés sur cette attribution.
Un chevalier trouvère entré dans la légende
Pour en redire un mot, l’œuvre de Blondel de Nesle n’est pas considérable en taille. Un de ses biographes les plus récents, le professeur de littérature et de philologie canadien Yvan G Lepage lui prête, de manière certaine, 23 chansons et en ajoute 4 d’attribution plus douteuse ( L’Œuvre lyrique de Blondel de Nesle, Edition critique, avec introduction, notes et glossaire, Paris, Editions Honoré Champion, 1994). Cette production plutôt modeste n’empêcha pas le trouvère et chevalier picard d’entrer dans la légende notamment grâce aux Récits d’un ménestrel de Reims au treizième siècle, ouvrage encore connu sous le nom de Chronique de Rains.
Ces récits ne sont pas contemporains de Blondel. Ils parurent, en effet, plus de 70 ans après les faits qu’ils relatent et, notamment, le triste emprisonnement de Richard Cœur de Lion, en Autriche, dès son retour de croisades. Dans un long passage consacré à cet épisode, le ménestrel chroniqueur fit état d’un certain « Blondiaus ». Loyal ménestrel élevé à la cour du roi depuis l’enfance, dès après la disparition du souverain anglais, ce dernier aurait écumé tous les recoins et routes à sa recherche. Toujours suivant cette chronique, la persévérance de ce Blondiaus aurait été payante puisqu’il aurait contribué à sa découverte du roi d’Angleterre dans les geôles d’Autriche grâce à une chanson connue de eux seuls :
« Ainsi comme il estoit en ceste pensée, li rois regarda par une archiere; et voit Blondel. Et pensa comment il se feroit à lui connoistre; et li souvint d’une chançon qu’il avoient faite entr’eus deus, et que nus ne savoit que il dui. Si commença à chanteir le premier mot haut et cler, car il chantoit très bien ; et quant Blondiaus l’oï, si sot certainnement que ce estoit ses sires. Si ot en son cuer la graingneur- joie qu’il eust eu onques mais nul jour. »
Récits d’un ménestrel de Reims au treizième siècle, publiés pour la Société de l’Histoire de France, Natalis de Wailly
Conte ou vérité ?
Autant le dire, les nombreuses fantaisies que se permet le même ménestrel à l’égard de l’Histoire dans son ouvrage, permettent de douter largement de la véracité de ses propos. Du reste, si l’objectivité ou la méthodologie n’est, en général, pas le fort des essais historiques datés du Moyen Âge, l’auteur lui-même n’en a pas non plus eu la prétention. Il parle, en effet, de « conte » à l’égard de sa production. Pour préciser encore cette idée, en 1876, dans une édition de cette Chronique, l’historien et archiviste Natalis de Wailly, dira :
« Il y a dans son récit proprement dit des erreurs qu’il peut avoir empruntées à d’autres et qu’il répète de confiance ; mais les discours et les dialogues offrent généralement tous les caractères d’une œuvre d’imagination aussi dénuée de vérité que de vraisemblance historique. »
Récits d’un ménestrel de Reims, Natalis de Wailly
Demeuré encore à ce jour totalement invérifiable, le récit séduit, pourtant, et fit même entrer Blondel dans l’Histoire, ou au moins dans la légende. On note que, quand bien même, l’anecdote serait vraie sur le fond ce qui est loin d’être sûr, la corrélation entre ce Blondiaus et l’autre n’en serait par pour autant établie. Pour reprendre, cette fois, les mots de Yvan G Lepage (op cité) :
« Cette légende allait obtenir un succès considérable. Reprise plusieurs fois aux XIV » et XV » siècle , elle trouva un nouveau souffle, en 158l, quand le philologue Claude Fauchet y fit écho dans son Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise. Mais pour la première fois était établie une distinction entre « Blondiaux », le ménestrel de Richard Cœur de Lion, et le trouvère « Blondiaux de Nesle », auteur de chansons d’amour!, distinction maintenue par l’abbé de La Rue, mais que le premier éditeur de Blondel, Prosper Tarbé, combattit vigoureusement. Pour ce dernier, « Je poète et l’ami [du roi Richard] ne font qu’un ».
Yvan G Lepage – L’Œuvre lyrique de Blondel de Nesle, Editions Honoré Champion (1994)
Des universitaires et chercheurs d’Oxford à la découverte des musiques médiévales
Mes cuer me fait commencier par Matthew P. Thomson
On doit la belle interprétation du jour au Professeur Matthew P. Thomson. Attaché à l’université d’Oxford, cet enseignant et chercheur en musicologie médiévale s’est spécialisé dans la musique des trouvères français du XIIIe siècle et particulièrement des motets et chants polyphoniques.
L’enregistrement du jour a été effectué en juin 2019, à Oxford, à l’occasion d’une conférence récital. Organisé par le Oxford Research Center in the Humanities, l’événement avait réuni des universitaires et interprètes sur le thème de la musique médiévale des XIIIe et XIVe siècle. On sait, par ailleurs, le grand rôle joué par l’université anglaise et ses chercheurs dans le domaine de la littérature médiévale française et européenne. Loin de se limiter à des publications et contributions de qualité sous forme d’ouvrages papier, Oxford a aussi produit nombre de supports et de documents en ligne pour qui s’intéresse à ces sujets.
Sources et attribution de la chanson du jour
Si Prosper Tarbé attribua cette chanson à Blondel de Nesle (Les Oeuvres de Blondel de Neele, 1862), Yvan Lepage se montrera plus tiède sur la question en la rangeant aux côtés d’autres pièces qualifiées de douteuses. L’explication de ces doutes est simple ; elle réside dans les manuscrits médiévaux.
Sur les quatre manuscrits dans laquelle on retrouve cette composition, deux d’entre eux l’attribuent à Blondel (Blondiaus). Il s’agit du Chansonnier du Roi ou Manuscrit du Roy, référencé Ms Français 844et du Ms Français 12615 connu sous le nom de Chansonnier de Noailles (image en-tête d’article), tous deux conservé à la BnF. Un autre manuscrit ne reconnait pas d’auteur à cette chanson : c’est le célèbre Chansonnier Trouvère C dit manuscrit de Bern, encre référencé comme le Cod 389 de la Burgerbibliothek (à consulter en ligne ici). Enfin, un quatrième manuscrit donne la paternité de cette pièce à Gace Brûlé : le Français 847 ou manuscrit Cangé 65. Devant cette disparité relative, Yvan G Lepage fait simplement le choix de ne pas trancher en faveur de l’un ou l’autre de ces manuscrits médiévaux.
Cette parenthèse sur les sources historiques étant faite, la chanson médiévale du jour est une pièce dans la pure tradition de l’amour courtois. Le poète s’y montre dolant et souffrant et s’en plaint tout en ne s’en plaignant pas tant que ça. Pas de doute, voilà l’attitude correcte pour gagner ses galons de fine amant.
Mes cuers me fait commencier dans le vieux français de Blondel de Nesle
Mes cuers me fait commencier, Quant je déusse finir , Por ma grant dolor noncier Cele qui me fet languir. Mès onc ne sout mon désir ; Si ne m’en doi merveillier , Se j’en ai angoisse et ire.
Mon cœur me fait commencer ma chanson Quand je devrais la terminer, Pour annoncer ma grande douleur A celle qui m’affaiblit Mais jamais elle n’a connu (savoir ou soldre ? soulagé) mon désir Aussi ne dois-je pas me surprendre D’en éprouver souffrance et chagrin.
Uns autres déust morir , S’il fust en tel désirier. Mès espérance et souffrir Me font assez mains grégier (faire tord, léser, opprimer, etre préjudiciable) Et mes grant maus alégier, (alléger, soulager) Dont ja ne quiers départir. Chançonete, va li dire.
Un autre en mourrait S’il se trouvait dans un tel désir Mais l’espérance et l’attente Ne me causent pas tant de torts Et mes tourments sont allégés Et je ne cherche pas à m’en défaire Chansonnette, va le lui dire.
Par Dieu ! trop i puis targier. Biau sire , à vostre plaisir. Volez me vous plus chargier ? — Oil ; mes ainc ne l’os géhir ; Car li félon losangier Me font maint ennui sentir. Mès garde toi de mesdire.
Par Dieu ! Trop tu puis tarder (à lui porter, il parle, semble-t-il, à la chanson) — Qu’il en soit selon votre plaisir, beau sire, Voulez-vous me confier autre chose ? — Oui, mais je n’ose l’avouer : (1) Car les félons médisants Me causent maints ennuis Mais garde-toi d’en mesdire (de dire du mal, de lui en parler).
Qui bien aime sans trichier, El qui veut Amors servir, Ne se doit pas esmaier (emouvoir, troubler, effrayer) Ne por paine repentir. Bien a povoir de mérir (meriter, gagner, recompenser) La dolor et l’encombrier (charge, malheur, embarras, difficulté) Amors, qu’ele est maus et mire. (le mal et le remède)
Celui qui aime sans détour (sans tricherie, avec courtoisie) Et qui veut amour servir Ne doit pas s’en émouvoir Ni, pour sa peine, s’en repentir (cesser d’aimer), Car l‘amours a bien le pouvoir de récompenser, La douleur et la difficulté puisqu’il est à la fois le mal et le remède (la maladie et le médecin).
(1) Variantes manuscrits 0 je, maiz ne l’os gehir, Car tant me fait mal sentir Que ne m’en sai conseillier; Maiz guarde toi de mesdire.
Oui, mais je ne l’ose avouer, Car elle me fait tan souffrir Que je ne sais quoi faire, Mais garde toi d’en dire du mal.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com. A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.