Archives par mot-clé : XIIIe siècle

Un concert d’exception à la rencontre DE L’EUROPE & de l’occitanie médiévales

Concert médiéval enluminure troubadours

Sujet : chanson médiévale, occitan médiéval, troubadours, concert, Europe médiévale, oc, musique médiévale
Titres : 15 pièces médiévales de choix
Auteurs : troubadours & anonymes
Période : Moyen Âge central, XII, XIIIe s
Interprète : Troubadours Art Ensemble
Concert : Université de Stanford, USA, Memorial Church (Mars 2010)

Bonjour à tous,

ur la route des troubadours et des musiques du Moyen Âge central, nous avons le très grand plaisir de partager ici, avec son aimable autorisation, une belle prestation du Troubadours Art Ensemble, avec et sous la direction de Gérard Zuchetto, entouré de Sandra Hurtado-Ròs et de quatre autres musiciens de talent.

Une fois n’est pas coutume, en lieu de compositions isolées, il s’agit d’un concert entier de 15 pièces d’exception. On y partira à l’écoute de nombreux troubadours occitans, mais aussi de musiques séfarades anciennes, avec encore quelques interludes instrumentaux du côté des cantigas de l’Espagne médiévale ou d’estampies italiennes du XIVe siècle.

Un voyage exceptionnel au cœur
de l’Europe méditerranéenne médiévale

L’amateur de musiques médiévales et anciennes ne pourra qu’être conquis par ce beau concert. En effet, tout y est et c’est ce qui en fait un moment totalement unique : l’émotion brute de la parole occitane et de son chant portée par la voix de Gérard Zuchetto, son talent et sa longue pratique de ce répertoire. A ses côtés, les envolées vocales de la soprano Sandra Hurtado-Ròs touchent au cœur et sont un véritable enchantement. Les quatre autres grands instrumentistes viennent compléter la scène avec un accompagnement, des sonorités et des rythmiques qui servent le tout avec une rare justesse.

On ne retrouvera dans tout cela de beaux accents séfarades et même byzantins qui nous porteront jusqu’aux confins de la péninsule ibérique, en s’aventurant même au delà de ses côtes méditerranéennes. En suivant ce voyage temporel au cœur du Moyen Âge central européen, on pourra encore voir d’invisibles et anciennes frontières culturelles se redessiner sous nos yeux : celles d’une certaine Europe médiévale du sud (France, Espagne et plus loin encore, méditerranéenne) faites d’échanges, de paroles en écho et d’influences mutuelles. Et devant cette reconstitution vivante, on pourra être tenté d’embrasser la vision suggérée à demi-mot par nos artistes du jour, d’une culture qui aurait partagé des traits communs sur une carte ne correspondant pas à celle des couronnes d’alors et encore moins à celle des nations actuelles.

Un concert d’exception du Troubadours Art Ensemble à Stanford

Des troubadours à l’université de Stanford

« A la fois interprète et interlocuteur de cette performance, le Troubadours Art Ensemble nous offre une expérience essentielle de la culture médiévale en tant qu’événement : la fusion de la musique et du chant, et celle du poète-chanteur-compositeur et de l’audience. En exposant la communauté de Stanford à la riche texture auditive et verbale du monde médiéval, nous pouvons nous rapprocher de l’environnement de l’interprétation originale qui constitue la vraie nature de la tradition poétique. »

Marisa Galvez – Universitaire, romaniste, spécialiste du français
et de l’italien ancien et médiéval, Université de Stanford

Daté de 2010, ce concert, donné à la Memorial Church de l’Université de Stanford, inaugurait le départ d’une collaboration fructueuse entre le Troubadours Art Ensemble de Gérard Zuchetto et l’université américaine. A ce jour, ces échanges se poursuivent toujours à destination des étudiants comme des enseignants de l’établissement supérieur outre-Atlantique. Ils mettent en œuvre des partenariats croisés entre de nombreux départements de l’université californienne (Centre médiéval, département de Français et d’italien, de Littérature, cultures et langages, de sciences humaines, …) mais aussi la région Languedoc Roussillon, le Centre International de Recherche et de Documentation Occitanes (CIRDOC) et le Trob’Art Productions, association créée, en 2000, par Gérard Zuchetto.

Le Troubadours Art Ensemble

Fondé pour Gerard Zuchetto au milieu des années 80, Troubadours Art Ensemble se dédie, comme son nom l’indique, à cet art occitan médiéval. Depuis ses premières productions, en 1985, la formation a continué sa route avec des collaborations à géométrie variable, en privilégiant le répertoire des troubadours des XIIe et XIIIe siècles. On lui doit notamment la grande Anthologie la Tròba dont nous avons déjà parlée. Aujourd’hui, elle est sous la direction artistique conjointe de son fondateur et de Sandra Hurtado-Ròs.

Programme musical de ce concert

  1. Ar’ resplan la flors enversa, Raimbaut d’Aurenga
  2. Ar’ab la forsa del freis, Raimon de Miraval
  3. A chantar m’er de so qu’eu non volria, La Comtessa de Dia
  4. La serena, Anonyme Séfarade
  5. Per dam, Peirol
  6. Lanquan li jorn son lonc en mai, Jaufre Rudel
  7. Ben aja’l cortes esciens, Raimon de Miraval
  8. Principio di vertu, Estampie Instrumentale
  9. Como la rosa, Anonyme Séfarade
  10. Tuchia Mazmoume, Instrumental
  11. Quan vei la lauzeta mover, Bernart de Ventadorn
  12. Alli en el midbar, Anonyme Séfarade
  13. Cantiga Instrumental
  14. Reis glorios verais lums e clartatz, Giraut de Bornelh
  15. Scalerica, Anonyme Séfarade

Musiciens et artistes

Sandra Hurtado-Ròs (voix, harmonium, hang), Gérard Zuchetto (direction, voix, clarinette médiévale). Denyse Dowling – Macnamara (flûtes, chalemie), Patrice Villaumé (vielle à roue, psaltérion), André Rochard (guiterne, oud, vièle à archet), Thierry Gomar (percussions anciennes et traditionnelles).

Pour conclure, ajoutons que par les grands mystères de l’algorithme de youtube, ce concert est, pour l’instant, passé largement en dessous du niveau de visibilité qu’il mérite. En le diffusant, nous espérons y remédier. Aussi, s’il vous parle comme il nous a parlé, n’hésitez pas à le partager. Nous n’avons pas de doute que le public l’appréciera autant que les universitaires et étudiants américains de Stanford ont su le faire.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Quant je parti de m’amie, une pièce courtoise du Codex de Montpellier h196

Enluminure amour courtois

Sujet :   codex de Montpellier,  musique médiévale, chanson médiévale, amour courtois, vieux-français,  chants polyphoniques, motets, fine amor, traduction.
Période :   XIIIe siècle, Moyen Âge central
Titre:  
Quant je parti de m’amie
Auteur :   Anonyme
Interprète :  Ligeriana
Album : 
De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle  (2005)

Bonjour à tous,

armi les manuscrits de musiques et de chansons médiévales que nous explorons, le précieux Codex de Montpellier se pose comme un des plus grands témoignages des chants polyphoniques du Moyen Âge central, particulièrement du XIIIe siècle.

Référencé H196 à la Bibliothèque Historique de Médecine de Montpellier où il est encore conservé, ce chansonnier ancien contient plus de 340 pièces, dont 275 motets, rondeaux et pièces en vieux français, annotés musicalement. Très courtes, les compositions vocales et instrumentales du manuscrit de Montpellier ont pour thème principal la lyrique courtoise et se présentent comme autant de petites odes à cette expression amoureuse du Moyen Âge central. Quant je partie de m’amie, le motet que nous vous proposons aujourd’hui n’y déroge pas.

Codex de Montpellier, chanson médiévale courtoise

Une séparation douloureuse pour deux amants

Le poète nous y contera ici sa séparation contrainte d’avec son aimée. Il ne nous en donne pas la cause, mais comme il n’est pas rare qu’une certaine courtoisie fleurte avec les interdits sociaux (dame déjà engagée ou d’un milieu social plus élevé, amants en proie aux médisants et aux dénonciations), on peut en imaginer les raisons (sans avoir le moyen de les établir). Pour ce qui est de la référence à la fin’amor, s’il n’est pas question dans ce motet de désir en attente ou d’espoir de la part du prétendant, mais bien de séparation définitive, l’attitude de ce dernier reste celle de l’amant courtois. Plus victime passive et en souffrance qu’acteur de la relation, il nous assure même qu’il se tiendra toute sa vie dans la douleur inconsolable de cette déchirure.

Pour la version en graphie moderne de ce motet, nous continuons de nous appuyer sur l’ouvrage de Gaston Raynaud : Recueil de motets français des XIIe & XIIIe siècles, Tome premier (Bibliothèque française du Moyen Âge – 1881). Quant à son interprétation, elle nous fournira l’occasion de vous présenter une nouvelle formation de grande qualté : l’Ensemble médiéval Ligeriana.

Quant je parti de m’amie par l’Ensemble Ligeriana

Ligeriana, la passion des musiques médiévales sous la direction de Katia Caré

Fondé dans le courant de l’année 2000 par la chanteuse, flutiste, soliste et directrice Katia Caré, l’ensemble Ligeriana a exploré, depuis, un répertoire largement centré sur le Moyen Âge central. Depuis 20 ans, au plus proche des manuscrits et de l’ethnomusicologie, la formation et sa directrice ont ainsi mis à l’honneur la musique médiévale des XIIe et XIIIe siècle, avec même des incursions sur la fin du haut-Moyen Âge.

Ensemble de musiques anciennes Ligeriana

Au cours de sa belle carrière, Ligeriana a déjà gratifié son public et la scène médiévale de 9 albums de haut vol. Ces productions s’étendent sur des thèmes aussi variés que les musiques carolingiennes, les chansons de toiles, les musiques sacrées de l’Espagne médiévale, mais aussi la place de la dame et de sa « voix » dans la lyrique courtoise et encore d’autres belles anthologies et florilèges de pièces en provenance du Moyen Âge. Quant à sa directrice, si son grand parcours l’a amenée à faire de nombreuses recherches autour de la musicologie et des manuscrits médiévaux, il faut aussi rappeler ses contributions à quantité d’autres productions. On pourra ainsi la retrouver aux côtés de l’Ensemble Perceval, mais encore de l’Ensemble Sanacore et enfin, sans être exhaustif, dans plusieurs albums au côté de Gérard Zuchetto.

Visitez le site de l’Ensemble Ligeriana pour suivre leur actualité

De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle,
Le Manuscrit de Montpellier

Sorti en 2005 chez Calliope, pour un enregistrement à l’Abbaye royale de Fontevraud, daté de 2004, cet album du Ligeriana propose pas moins de 29 pièces pour 30 motets issus du Codex H196.

Album de musique médiévale, codex Montpellier

Superbe tribut au codex de Montpellier, De Amore – Polyphonie française du XIIIe siècle a été qualifié par Le Monde de la Musique de véritable anthologie du célèbre chansonnier médiéval. Le magazine n’a pas été le seul à saluer cette sortie puisque Katia Caré et sa formation ont reçu, à cette occasion comme à d’autres, les honneurs mérités de la scène des musiques anciennes et médiévales. Aux côtés des musiciens de talent ayant contribué à cet hommage au chansonnier de Montpellier, on aura plaisir à retrouver Guy Robert, complice de longue date de la directrice, notamment dans le cadre de l’Ensemble Perceval.

A noter que cette belle performance vocale et musicale de Ligeriana est encore disponible et éditée. Voici un lien utile pour acquérir cet album en ligne : De Amore – Polyphonie française du XIIIe s, Le Manuscrit de Montepellier

Artistes et musiciens ayant participé à cet album

Katia Caré, Florence Carpentier, Estelle Filer, Déborah Flornoy,
Caroline Montier, Laure Pierredon, Yves Lenoir (voix), Caroline Montier (organetto), Jean Luc Lenoir (vièle, harpe, jeu de cloches), Guy Robert (harpe, luth médiéval, percussion).


Quant je parti de m’amie
motet dans le Vieux-Français du XIIIe siècle

Quant je parti de m’amie,
Si li dis qu’en desconfort
Seroie toute ma vie
Mès li amoros recort
Du soulas et du deport
Et de sa grant cortoisie
N’en tout les maus que je port.
Mès ce me greva trop fort
Quant vint a la departie,
Et je li dis
« A Diu !amie »
plourer la vi, si m’a mort.

Traduction en français moderne de ce motet

Quand je me suis séparé de mon aimée,
Je lui ai dit que, dans la désolation,
Je demeurerai tout le reste de ma vie.
Mais le souvenir amoureux
(le doux souvenir)
Du réconfort et de la joie
Et de sa grande courtoisie
N’en ôte pas pour autant les douleurs que je porte.
Mais ce qui m’affligea le plus
Quand vint le moment de la séparation,
Et que je lui dis,
«Adieu, mon amour!»
Je l’ai vue pleurer, et cela m’a meurtri.

En vous souhaitant une  excellente journée

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.

une chanson de Raimbaut de Vaqueiras servie par le talent de Gerard Zuchetto

Sujet : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, cantiga de amigo
Titre : « Altas undas que venez suz la mar »
Auteur : Raimbaut de Vaqueiras (?1150-1207),
Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe s
Interprètes : Gérard Zuchetto
Album : Canso viva – Troubadours d’Italie (1996)

Bonjour à tous,

ous repartons, aujourd’hui, entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe à la recherche de l’art des troubadours, en compagnie de Raimbaut de Vaqueiras. La pièce que nous partageons ici nous sera servie par le talent de Gérard Zuchetto. Elle est tirée d’un album consacré aux troubadours d’Italie dont nous dirons aussi un mot.

Si notre auteur médiéval est né, comme son nom l’indique, en Provence et même à Vacqueyras dans la province d’Orange, il a fini par rejoindre, plus tard, le nord de l’Italie et la province de Montferrat, dans le Piémont. A partir du début des années 1190, il y a même passé le reste de sa vie, au service du marquis Boniface de Montferrat (1150-1207) avec lequel Raimbaut partit même à la croisade (la 4eme). C’est d’ailleurs en 1207, au cours de ce grand périple, qu’on perd la trace du chevalier troubadour, en Thessalonique et sur le territoire de l’actuelle Macédoine. On suppose qu’il y périt à la bataille, en même temps que le marquis, en septembre de cette même année.

Des airs troublants de cantiga de amigo

Concernant la chanson du jour, ceux d’entre vous qui connaissent l’œuvre du troubadour Martín Códax ou qui ont, peut-être, lu nos articles à son sujet et à propos des cantigas de amigo, ne pourront qu’être frappés par la similitude entre ces célèbres pièces galaïco-portugaises et la pièce de Raimbaut de Vaqueiras que nous présentons aujourd’hui.

Pour dire un mot des cantigas de amigo, dans ces exercices de style issus de la littérature galaïco-portugaise (Espagne et Portugal médiéval principalement), une jeune fille est, la plupart du temps, mise en scène, dans l’attente de son « ami » (promis, amant) parti au loin, souvent d’ailleurs par delà les mers. « Ô mer, Ô vagues apportez-moi des signes de mon aimé », le thème de l’onde et des vagues est, en tout cas, particulièrement récurrent chez Martín Códax. Autres signes distinctifs des cantigas de amigo, ces poésies sont, en principe, courtes, d’un vocabulaire assez simple et épuré, avec un refrain qui crée la montée en tension et met en exergue la tristesse ou, quelquefois même, l’espoir de la jeune fille de voir son amant revenir.

Or, comme on le verra dans cette chanson « attribuée » à Raimbaut de Vaqueiras, tous les ingrédients y sont. C’est au point même d’avoir soulevé, chez certains érudits, quelques doutes quant à la paternité exclusive du genre des cantigas de amigo à la littérature galaïco-portugaise, d’autant qu’en terme de chronologie, on situe plutôt les auteurs de la péninsule hispano-portugaise au XIIIe siècle, voire dans sa deuxième moitié (cf Lourenço Jugrar ou le Roi Denis du Portugal). Nuançons un peu. On retrouvera encore un peu de l’esprit de ses cantigas de amigo dans les chansons de toile et les choses ne sont donc pas aussi cloisonnées en terme de genre. On peut, également, imaginer que ces objets culturels aient pu circuler en Europe du Sud et en Provence, par le biais des jongleurs galaïco-portugais ou des troubadours et jongleurs provençaux et occitans voyageurs. On sait, d’ailleurs, que Raimbaut de Vaqueiras possédait, lui même, des notions de cette langue qui aurait pu lui en faciliter la compréhension.

Sources & débats sur l’attribution

Pour corser un peu l’affaire, les choses se compliquent du point de vue des sources. Un seul manuscrit attribue, en effet, cette pièce à notre auteur provençal. Or, la fiabilité du dit codex n’a pas tardé à être mise en cause et les experts se sont empressés de débattre sur la véritable paternité de cette chanson médiévale. Était-elle véritablement de Raimbaut de Vaqueiras ? Contre la foi du manuscrit, une partie des érudits était enclin à l’attribuer plutôt à Cerveri de Girona, également présent dans le même ouvrage.

Erreur de copiste ? Main un peu légère dans un monde de l’oralité où la notion d’auteur n’était pas encore autant fixée qu’elle finirait par l’être quelques siècles plus tard (pour finir par se diluer, à nouveau, à l’ère de la nova culture et du piratage numérique) ? Dans un article de 2008, le philologue et académicien italien Giuseppe Tavani venait heureusement à notre secours. Ayant étudié de très près la question, il a fini par pencher (à l’image d’une majorité de spécialistes depuis la découverte du manuscrit), en faveur de l’attribution au troubadour de Vaqueyras (1). Nous le suivrons donc sagement sur cette question, tout comme Gérard Zuchetto l’avait fait. Tout cela posé, disons un mot de ce manuscrit médiéval.

Le précieux cançoner Gil ou cançoner Sg

Manuscrit médiéval Cançoner Gil, troubadour Raimbaut de Vaqueiras

Découvert au début du XXe siècle, dans la collection d’un professeur et historien de Zaragoza (Sarragosse), le chansonnier provençal Gil (du nom de l’intéressé Pablo Gil y Gil) est actuellement conservé en la Bibliothèque Nationale de Catalogne, à Barcelone. Avec un total de 285 pièces pour 128 feuillets, ce manuscrit ancien est considéré comme une des pièces les plus précieuses de l’établissement et c’est en tout cas, l’un des plus ancien manuscrit catalan en matière de poésie médiévale.

Dans ce cançoner Gil, on trouve notamment la presque totalité de l’œuvre de Cerverí de Girona, troubadour catalan du XIIIe siècle. Elle y côtoie de nombreuses autres pièces de troubadours provençaux de l’ère classique : Raimbaut de Vaqueiras, Bertran de Born, Guiraut de Bornelh, Arnaut Daniel, Guilhem de Saint Leidier, Bernart de Ventadorn, Pons de Capduelh, Jaufre Rudel, ou encore Guilhem de Berguedan. Viennent s’y ajouter, en fin de manuscrit, des auteurs de l’Ecole de Toulouse comme Joan de Castellnou, Raimon de Cornet, ou Gaston III Foix de Béarn.

Grâce au site Cervantes Virtual, ce manuscrit médiéval, daté du XIVe siècle, est consultable en ligne ici. Pour plus d’information à son sujet, nous vous renvoyons également à l’article très complet de Miriam Cabré et Sadurní Martí dans un numéro de Romania daté de 2010 (2).

L’interprétation de cette chanson médiévale par Gérard Zuchetto

Canso viva – Troubadours d’Italie des XIIe et XIIIe s sous la direction de Gerard Zuchetto

C’est au milieu des années 90 que le célèbre passionné de musiques et poésies anciennes, de musicologie et d’occitan médiéval, Gérard Zuchetto décida de rendre un beau tribut aux troubadours d’Italie du Moyen Âge central, et en particulier ceux des XIIe et XIIIe siècles.

Album de musique médiévale de Gérard Zuchetto

Avec huit pièces pour un peu plus d’une heure d’écoute, l’album Canso Viva présente, aux côtés de Raimbaut de Vaqueiras, des troubadours qui ont peu l’occasion d’être mis à l’honneur dans le répertoire habituel des ensembles médiévaux français : Bonifaci de Castellana, Ramberti de Buvalel, Sordel, Bertran d’Alamanon ou encore Peire de la Mula.

Saluée par la scène médiévale, on retrouvera également cette production, 20 ans après sa sortie, en 2016, dans les coups de cœur des bibliothécaires de Paris, ce qui prouve bien que la qualité en matière de musique ancienne et de vinification, c’est un peu la même chose. Si vous désirez acquérir ce bel album (de garde) ou obtenir plus d’informations à son sujet, on peut le trouver encore à la distribution sous forme CD. A commander chez votre libraire ou même, bien sûr, en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Canso Viva de Gerard Zuchetto .

Membres ayant participé à cet album :

Gérard Zuchetto (Chant, direction, composition et arrangements et direction musicale), Guy Robert (luth, harpe), Patrice Brient (citole, rebec), Jacques Khoudir (percussions).

La Tròba, une anthologie chantée
sur l’art des troubadours

Anthologie des troubadours du Moyen Âge

A l’approche de Noël, nous nous permettons aussi de vous rappeler la disponibilité de la Tròba, grande œuvre de Gérard Zuchetto et son Troubadours Art Ensemble.

A ce jour, cette Anthologie chantée des troubadours n’a absolument aucun équivalent musical et artistique dans le monde. Avec 5 grands coffrets thématiques pour un total de 22 Cd’s, ce témoignage unique de l’art médiéval occitan présente 248 pièces en provenance directe du Moyen Âge (notre troubadour du jour est approché dans le coffret numéro 3). Près de 50 musiciens et chanteurs sont également invités sur l’ensemble de cette fresque musicale et chaque coffret vient avec ses livrets complets en français et occitan pour ne rien perdre de ce patrimoine.

Pour plus d’informations, nous vous invitons à consulter télécharger la brochure complète de la Troba en pdf ici .


« Altas ondas que venez suz la mar »
les paroles de Raimbaut de Vaqueiras

.
Altas undas que venez suz la mar,
que fay lo vent çay e lay demenar,
de mun amic sabez novas comtar,
qui lay passet? No lo vei retornar!
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi et ad hora dolor!

Hautes vagues qui venez sur la mer
Que le vent fait, ça et là, s’agiter,
De mon ami qui a traversé par delà la mer

Saurez-vous me conter des nouvelles ? Je ne le vois pas revenir !
Et oh, Dieu, pour cet amour (à cause de)!
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

Oy, aura dulza, qui vens dever lai
un mun amic dorm e sejorn’ e jai,
del dolz aleyn un beure m’aporta.y!
La bocha obre, per gran desir qu’en ai.
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi e ad hora dolor!

Oh! Douce brise qui vient de là-bas
Où mon ami dort, réside et repose,
Apporte-moi ici une effluve de son doux haleine
Ma bouche s’ouvre, du grand désir que j’en ai
Et oh, Dieu, pour cet amour !
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

Mal amar fai vassal d’estran païs,
car en plor tornan e sos jocs e sos ris.
Ja nun cudey mun amic me trays,
qu’eu li doney ço que d’amor me quis.
Et oy Deu, d’amor!
Ad hora.m dona joi e ad hora dolor!

Il est douloureux d’aimer un chevalier* d’un pays étranger,
Car, et ses jeux et ses rires, se changent en pleurs
Jamais je n’aurais pensé que mon ami me trahirait
Puisque je lui ai donné l’amour qu’il m’a demandé
Et oh, Dieu, pour cet amour!
Parfois, j’ai de la joie et, parfois, de la douleur !

*vassal, jeune homme, guerrier


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes

Voir également l’article de Gerard Zuchetto au sujet de Guillaume IX d’Aquitaine, premier des troubadours

(1) Giuseppe Tavani, Raimbaut de Vaqueiras « Altas undas que venez suz la mar«  (BdT 392.5a), Lecturae tropatorum 1, 2008

(2) « Le Chansonnier Sg au carrefour occitano-catalan » de Miriam Cabré et Sadurní Martí (Institut de Universität Llengua i de Cultura Girona Catalan, Romania 2010, Persée).

NB : sur l’image d’en-tête, l’enluminure qui tient compagnie à Gerard Zuchetto est tiré du Ms Français 854 conservé à la BNF. Nous l’avons un peu retouchée et rafraîchie mais elle correspond bien à notre troubadour du jour Raimbaut de Vaqueiras.

Saadi, robe de Bure contre robe de soie pour un sage

Sujet    : citations médiévales, sagesse persane,  conte moral, liberté, indépendance, soumission.
Période    : Moyen Âge central, XIIIe siècle
Auteur  :   Mocharrafoddin Saadi  (1210-1291)
Ouvrage   :  Le Boustan  (Bustan) ou Verger,  traduction de  Charles Barbier de Meynard   (1880)

Bonjour à tous,

ans notre vaste exploration de ce que l’on nomme en Occident, la période médiévale, nous menons de front plusieurs études de textes. La plupart des productions vient de France ou même d’Europe médiévale avec une prédilection pour le Moyen Âge central et tardif. D’autres puisent leurs origines hors du monde occidental chrétien pour nous apporter la saveur du contraste ou quelquefois celle de la parenté.

Dans ce corpus hors frontières, nous avons inclus les œuvres du conteur persan Saadi. Au même siècle, en pays d’Oc, les dernières générations de troubadours prendront le relai de leurs prédécesseurs pour chanter l’amour. L’ombre de Simon de Montfort et des croisades intérieures contre les cathares viendront bientôt mettre à mal l’indépendance de la Provence médiévale et ses véritables petits royaumes. Culturellement, ce treizième est aussi le temps de Thibaut de Champagne, celui où les trouvères commencent à se répandre dans le nord de la France. C’est le siècle de Adam de la Halle, celui encore qui verra musarder Rutebeuf en Place de Grève et y déployer son talent.

Convergences et coïncidences de valeurs

Durant ce long et riche treizième, presque à l’autre bout du monde, dans la Perse d’antan et les provinces de l’Iran actuel, le conteur Saadi harangue ses contemporains : les émirs et les sultans, les puissants, les faux religieux, les savants pompeux, les mauvais conseillers ou les ignorants. A tous, il délivre des conseils et des perles de sagesse. Toute comparaison simpliste mise à part, entre son monde et le notre, des convergences existent. Ce sont elles qui font qu’à 800 ans du poète, nombre de ses contes nous parlent encore.

Quelquefois, c’est un certain socle religieux et mystique qui les rapproche : bonnes œuvres, charité, mansuétude, défiance envers les illusions du monde matériel, humilité face au destin, face à ses propres privilèges, et finalement, devant la transcendance. D’autres fois, elles peuvent se nicher dans une sagesse et un bon sens qui débordent largement les frontières géographiques. On peut alors retrouver ces coïncidences de valeurs morales dans la volonté de border le devoir politique et l’exercice de la gouvernance, mais aussi, plus largement, dans la préoccupation de penser l’humain et ses travers, avec ses tentations-répulsions qui nous sont familières : cupidité, envie, fausseté, malhonnêteté, perfidie, sècheresse de cœur, abus, mépris du plus faible, etc… Autant de choses qu’on retrouve dans la réalité de notre condition humaine et, du même coup, dans les mythes, les contes et les fables.


La robe de soie

Un pieux personnage reçut en cadeau de l’Emir du Khoten une robe de soie. Il s’épanouit comme un rosier, revêtit le riche vêtement et baisa les mains du prince; puis il ajouta :  » Si magnifique que soit le présent dont l’Emir m’honore, ma robe de bure a plus de prix à mes yeux. »

Si tu as le souci de ton indépendance, couche par terre plutôt que de te prosterner humblement pour obtenir un tapis précieux.

Chapitre VII – Le Boustan – Mocharrafoddin Saadi 


Simplicité et indépendance, contre dette et soumission

Cette petite histoire très courte de Saadi est tirée de son Chapitre VII du Boustan, intitulé « Modération dans les désirs et renoncement. » Le voyageur, diplomate et poète nous y donne une leçon de liberté et d’indépendance que n’aurait pas désavouer certains de nos sages médiévaux. On pense à ceux qui nous enseignaient à nous garder de la convoitise ou de l’appât de la richesse et du confort. Conformément à l’adage « Il n’y a pas de repas gratuit« . Dans bien des cas, tout cela s’échange à prix d’or et voilà le convoiteux pendu à sa propre corde (voir par exemple, cet extrait du Roman de la Rose).

Les historiens ne m’en tiennent pas rigueur mais dans le monde des contes, les distances s’estompent et tout devient possible. Autour de la même période, le moine Eihei Dōgen (1200-1253) revenu de Chine pour importer, dans son Japon d’origine, la graine du Zen, n’aurait, sans doute pas, lui non plus, désavoué cette parabole de Saadi : pour le moine bouddhiste, mieux vaut une Kesa et une robe faite de vieux tissus rapiécés comme celle du Bouddha plutôt qu’une étoffe cousue de fils d’or reçue en cadeau et qui enchaîne celui qui l’accepte.

En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge  sous toutes ses formes.

NB : la photo de l’image d’entête est celle d’un manuscrit enluminé du Boustan de Saadi datant des débuts du XVIe siècle. Cette pièce se trouve actuellement conservée au Musée d’Art métropolitain de New-York, USA. Crédits photo : Marie-Lan Nguyen