Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, Sainte-Marie. jugement dernier, prière, chant polyphonique Epoque : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Cantiga 421, souviens-toi Mère de Dieu, Nenbre-sse-te, Madrede Deus Interprètes : Micrologus, Patricia Bovi Album : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria (1999)
Bonjour à tous,
ans l’Espagne du XIIIe siècle, féru de lettres, de sciences et de culture, le roi Alphonse X de Castille, dit Alphonse le savant ou le sage, s’entoure d’érudits de tout bord et de disciplines variées. Lui même s’adonne aussi à l’écriture et la poésie et on lui prête d’avoir recompilé, de sa plume, de nombreux récits de miracles qui circulaient alors à propos du personnage biblique de la sainte vierge. Connus sous le nom de Cantigas de Santa Maria, ces chants sont un fleuron de la littérature castillane médiévale. Ils constituent également un grand témoignage du culte marial qui courut, en Europe, à partir du Moyen Âge central et de nombreux siècles plus tard.
Depuis quelque temps, nous avons entrepris de partir à la découverte de ce corpus de plus de 420 chansons, en le commentant, le traduisant, mais en nous accompagnant, aussi, des plus belles formations de la scène musicale médiévale pour vous le faire découvrir. Aujourd’hui, pour cette cantiga 421, nous vous présenterons une belle version à deux voix de l’ensemble Micrologus.
Une prière d’intercession et un appel à la miséricorde
Nous vous avons présenté, jusque là, de nombreux récits de miracles autour de pèlerinages ou de lieux de culte dédiés à la Sainte, ainsi que quelques chants de louanges, La cantiga de Santa Maria 421 sort un peu de ce cadre, puisque c’est un chant assez court qui se présente plus comme une prière d’intercession. A travers elle, le croyant demande à la vierge d’intervenir auprès de Dieu en sa faveur et même de le prier pour qu’il lui accorde sa miséricorde et sa protection, en particulier au moment du jugement dernier.
La cantiga 421 à deux voix par l’ensemble Micrologus
Micrologus et les cantigas Santa Maria
En 1999, la formation italienne Micrologus menée par Patrizia Bovi partait à la conquête des cantigas d’Alphonse le Sage, dans un album intitulé Madre De Deus, Cantigas de Santa Maria. Nous avons déjà eu l’occasion de vous toucher un mot de cette production (voir article). Elle fut, du reste, saluer par plusieurs magasines de la scène des musiques anciennes et médiévales. On peut y retrouver 15 pièces pour 16 cantigas évoquées et, entre versions vocales ou instrumentales, sa durée dépasse légèrement une heure d’écoute.
Cet album est toujours disponible à la vente, en commande chez votre disquaire, sous forme de CD ou même en format MP3, à la vente en ligne. Voici un lien utile pour plus d’informations : Madre de Deus, Cantigas de Santa Maria.
Ajoutons que plus de 20 ans après la sortie de cette production, l’ensemble Micrologus continue toujours de proposer un programme et des concerts autour de ses cantigas de l’Espagne mariale et médiévale.
Musiciens & artistes ayant participé à cet album
Patrizia Bovi (voix et harpe), Adolfo Broegg (oud, guitare), Goffredo Degli Esposti (flutes, percussion, cornemuses), Gabriele Russo (violon, rebec), Alessandro Quarta (voix), Ulrich Pfeifer (vièle à roue, voix), Luigi Germini et Mauro Morini (cuivres), Gabriele Miracle (percussion, darbouka,), Francesco Speziali (riqq, percussions). Chœurs : Alberto Berettini, Francesca Breschi, Barbara Bucci, Flaviana Rossi, Claudia Mortali, Laura Scipioni.
La cantiga 421 version originale galaïco-portugaise et traduction française
Esta undécima, en outro día de Santa María, é de como lle venna emente de nós ao día do jüízio e rógue a séu Fillo que nos haja mercee.
Nenbre-se-te, Madre de Deus, Maria, que a el, téu Padre, rogues todavia, pois estás en sa compania e es aquela que nos guia, que, pois nos ele fazer quis, sempre noit’ e dia nos guarde, per que sejamos fis que sa felonia non nos mostrar queira, mais dé-nos enteira a ssa grãada merçee, pois nossa fraqueza vee e nossa folia, con ousadia que nos desvia da bõa via que levaria nos u devia, u nos daria sempr’ alegria que non falrria nen menguaria, mas creçeria e poiaria e compriria e ‘nçimaria a nos.
En un nouveau jour destiné à Sainte Marie, cette XIe cantiga est pour qu’elle se souvienne de nous, au jour du jugement dernier et qu’elle prie son fils d’avoir pitié de nous.
Souviens-toi, Marie, Mère de Dieu, De prier ton Père, chaque jour, Puisque tu es en sa compagnie Et que tu es celle qui nous guide, Afin que, puisqu’il nous a élevé (créé), Il nous tienne en sa garde, nuit et jour, Et pour que nous soyons assurés Qu’il ne nous veuille point montrer sa colère (sa sévérité), Mais plutôt qu’il nous accorde Sa grande miséricorde. Car il voit notre faiblesse Et notre folie, Qui, avec audace, Nous détourne Du bon chemin ; Celui qui nous conduirait Sans détour Et nous apporterait Toujours la joie (la joie éternelle) Qui ne se tarirait jamais Ni ne nous ferait défaut, Mais qui croîtrait Et grandirait Et nous remplirait Et nous comblerait De sa présence.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : pour l’image en tête d’article, nous nous sommes un peu avancé dans le temps. Elle ne date pas, en effet, du Moyen Âge central, mais de la renaissance italienne et c’est une des superbes madones peintes par le grand Sandro Botticelli (1445-1510)
Sujet : musique, poésie, chanson médiévale, troubadours, occitan, langue occitane, langue d’oc, amour courtois, courtoisie Période : Moyen Âge central, XIIe, XIIIe siècle Auteur : Peire Vidal (? 1150- ?1210) Titre : Anc no mori per amor ni per al Interprètes : Constantinople, Anne Azéma Album : Li tans nouveaus (2003)
Bonjour à tous,
Aujourd’hui, nous partons au XIIe siècle, à la rencontre du troubadour languedocien Peire Vidal et d’une de ses chansons. Comme on le verra, cette pièce s’épanche du côté des désillusions courtoises et le poète occitan nous gratifiera de ses déconvenues face à l’intransigeance de sa dame. A la fin de sa poésie, il passera à tout à fait autre chose avec une référence à la croisade qui prendra même clairement la forme d’un appel.
Le chansonnier Occitan G
Du point de vue des sources, on trouve cette chanson médiévale de Peire Vidal dans un nombre important de manuscrits et chansonniers anciens. Pour en choisir un dont nous n’avons pas encore parlé, nous citerons le Chansonnier occitan G. Cet ouvrage, annoté musicalement et daté des débuts du XIVe siècle, contient pas moins de 202 pièces occitanes médiévales. Il est actuellement conservé à la Bibliothèque Ambrosiana de Milan, sous l’appellation de Canzoniere provenzale R 71 sup. Voici les pages de ce manuscrit correspondant à la chanson de Peire Vidal que nous vous présentons aujourd’hui.
Pour la retranscription de cette poésie en graphie moderne, nous nous appuyons, en majeure partie, sur l’ouvrage Les Poésies de Peire Vidal de Joseph Anglade (chez Honoré Champion, en 1913). Notez que le chansonnier occitan G a également été retranscrit dans son entier par le romaniste italien Giulio Bertoni en 1912, chez Dresden et sous le titre : Il canzoniere provenzale della Biblioteca Ambrosiana R. 71. sup.
Pour nous accompagner dans la découverte de cette pièce de Peire Vidal, nous partirons à la rencontre de l’Ensemble Constantinople qui s’était adjoint, pour l’occasion, la voix de Anne Azéma.
L’Ensemble Constantinople
Formé à l’aube des l’années 2000 par deux frères iraniens résidents au Québec depuis leur adolescence, l’ensemble Constantinople explore un terrain musical et sonore tout à fait original. Depuis leur premiers pas, Kiya et Ziya Tabassian se sont entourés de nombreuses collaborations pour produire un répertoire coloré et même quelquefois « fusion » qui puise son inspiration, à la fois, sur les rives anciennes des civilisations orientales et méditerranéennes, mais aussi dans leurs racines plus traditionnelles : musiques de Grèce, d’Andalousie, mémoires juives et séfarades ou chrétiennes de l’Espagne ancienne, mélodies persanes, tribut aux frasques renaissantes ou au monde de l’Europe médiévale, leur discographie s’est étoffée d’une quinzaine d’albums entre poésie, explorations, échanges et dialogues culturels.
Avec des concerts donnés dans plus de 25 pays, l’Ensemble Constantinople à gardé le goût du voyage et du lointain Québec qui l’a déjà reconnu et primé, ses musiques sont revenues, par les courants océaniques et la magie de la circulation culturelle, jusqu’aux rives de l’Europe. En cherchant un peu sur youtube, vous constaterez que la formation partage généreusement certaines de ses productions, à travers sa propre chaîne. Entre autres morceaux de choix et hors des temps médiévaux qui nous les ramènent ici, vous les trouverez en compagnie de Ablaye Cissoko, de sa Kora et de sa voix envoûtante pour des pièces à la signature unique. Vous pouvez également suivre la formation sur son site web officiel. De notre côté, nous reviendrons à notre période d’élection, le Moyen Âge, et à l’album dont est issue la chanson occitane du jour.
L’album : Li Tans Nouveaus
Sorti en 2003, l’album Li Tans Nouveaux voyait les deux frères musiciens s’associer à d’autres grands noms de la scène médiévale dont la célèbre soprano Anne Azéma.
Avec 12 pièces pour un temps d’écoute légèrement supérieur à 65 minutes, cette sélection partait à la conquête de la poésie courtoise des XIIe et XIIIe siècles et du goût de cette dernière pour le « renouvel » et le printemps. Temps nouveaux, temps de l’amour, on y retrouvera des trouvères comme des troubadours : le Chastelain de Coucy, Guiot de Dijon, Gonthier de Soignies, mais encore quelques pièces dansées de l’Italie ou de l’Angleterre médiévales du temps des Estampies et des Trotto(s). Pour clore le tableau, ajoutons encore deux interludes instrumentaux de Guy Ross et deux belles chansons de Peire Vidal (dont celle du jour) servies toutes deux par la voix de Anne Azéma. On trouve encore des exemplaires de cet album (édité chez Atma classique) à la vente. Voici un lien utile pour plus d’informations : Li Tans Nouveaus de l’Ensemble Constantinople
Musiciens présents sur cet album : Kiya Tabassian (cithare), Anne Azéma (voix), Guy Ross (luth, oud, harpe), Isabelle Marchand (violon), Matthew Jennejohn (flûtes à bec ), Ziya Tabassian (tombak, dayereh, percussion).
Anc no mori per amor de Peire Vidal de l’occitan médiéval au français moderne
NB : pour la traduction et à l’habitude, elle s’inspire, en partie, de celle de Joseph Anglade, mais aussi de recherches plus personnelles en Occitan médiéval ou d’autres traductions comparées. Elle n’a pas la prétention de la perfection. Pour ne pas trop fermer le sens, nous vous proposons même, entre parenthèses, certaines alternatives. A l’occasion nous notons également certaines tournures proposés par Joseph Anglade (JA) que nous n’avons pas nécessairement retenues.
I Anc no mori per amor ni per al, Mas ma vida pot be valer morir, Quan vei la ren qu’eu plus am e dezîr E re no–m fai mas quan dolor e mal. No’m val be mortz, et ancar m’es plus greu, Qu’en breu serem ja velh et ilh et eu : E s’aissi pert lo meu e–l seu joven, Mal m’es del meu, e del seu per un cen.
Je ne suis mort ni d’amour ni d’autre chose, mais ma vie peut bien valoir de mourir quand je vois l’être que j’aime et désire le plus Ne me causer plus que douleur et mal (dommage). La mort ne me sert en rien, et ce qui m’est plus pénible encore, c’est que bientôt ma dame et moi nous serons vieux. Et si ainsi, elle perd ma jeunesse et la sienne, Cela me sera désagréable, pour moi, et pour elle cent fois plus.
II Bona domna, vostr’ ome natural Podetz, si-us platz, leugierament aucir : Mas a la gen vo–n faretz escarnir E pois auretz en peccat criminal. Vostr’ om sui be, que ges no -m tenh per meu, Mas be laiss’ om a mal senhor son feu ; E pois val pauc rics hom, quan pert sa gen, Qu’a Daire–l rei de Persa fo parven.
Noble dame, votre vassal sincère (JA. « homme lige ») Pouvez, à votre gré, aisément tuer, Mais par les gens, vous en serez blâmée (raillée) Et puis vous commettrez aussi un péché mortel. Je suis bien votre homme, puisque je ne m’appartiens en rien ; Mais on laisse volontiers à mauvais seigneur son fief ; Et il vaut bien peu l’homme puissant qui perd ses gens (JA. « vassaux ») Comme il le fut démontrer à Darius, le roi de Perse.
III Estiers mon grat am tot sol per cabal Leis que no–m denha vezer ni auzir. Que farai doncs, pos no m’en posc partir, Ni chauzimens ni merces no m’en val ? Tenrai m’a l’us de l’enoios romeu, Que quier e quier, car de la freida neu Nais lo cristals, don hom trai foc arden : E per esfortz venson li bon sufren.
Contre mon gré, j’aime seul et sans réserve (de tout mon cœur) Celle qui ne daigne ni me voir ni m’entendre ; Que ferai-je donc, puisque je ne m’en puis séparer Et que ni l’indulgence ni la pitié ne me sont d’aucune utilité ? Je me conformerai aux usages du pèlerin ennuyeux (importun), Qui mendie d’un côté et d’autre ; car de la froide neige Naît le cristal, dont on tire le feu ardent ; Et, par leurs efforts, les bons amants qui patientent triomphent. (JA. « les bons [amants] qui patientent arrivent à triompher ».)
IV Anc mais no vi plag tan descomunal, Que quant eu cre nulha ren far ni dir, Qu’a leis deja plazer ni abelir, Ja pois no pens de nulh autre jornal. E tot quan fatz par a leis vil e leu, Qu’anc per merce ni per amor de Deu No pose trobar ab leis nulh chauzimen ; Tort a de mi e peccat ses conten.
Jamais je ne vis de différent si étrange : Puisque quand je pense ne rien faire, ni rien dire D’autre qui ne lui plaise ou ne lui convienne, Et que je ne pense à nulle autre chose (travail) Tout ce que je fais lui semble vil et cavalier (léger, de peu de cas) Et jamais, par pitié ou pour l’amour de Dieu, Je ne puis trouver auprès d’elle aucune indulgence; Sans conteste, elle se comporte envers moi injustement (JA sans conteste elle a tort et se rend coupable envers moi),
V Aissi m’en sui gitatz a no m’en cal, Com lo volpilhs que s’oblid’ a lugir, Que no s’auza tornar ni–s pot gandir, Quan l’encausson sei enemic mortal. No–i sai conort, mas aquel del juzeu, Que si–m fai mal, fai lo ad eis lo seu ; Aissi com cel qu’a orbas se defen, Ai tot perdut, la fors’ e l’ardimen.
Aussi me suis-je jeté dans l’insouciance, Comme le renard qui s’oublie dans sa fuite, Et qui n’ose se retourner, ni ne peut trouver refuge quand ses ennemis mortels le poursuivent. Et je n’ai d’autre consolation que celle du juif Qui, s’il me fait du mal, en fait autant à lui-même ; Et comme celui qui se défend sans rien voir, J’ai tout perdu, la force et la hardiesse.
VI Doncs que farai ? sufrirai per aital, Co-l près destreitz, cui aven a sufrir Que li fai mal, mas ben saupra grazir Qui -m fezes ben en loc d’amic leial. Quar s’eu volgues, domna, per autrui feu Honrat plazer agra conquist en breu. Mas res ses vos no-m pot esser plazen Ni de ren al gaug entier non aten.
Donc que ferais-je ? Je souffrirai de la même façon Que le prisonnier contraint, qui avait à souffrir, Et à qui on faisait mal, mais qui saurait bien être reconnaissant Envers celui qui me (lui ?) ferait du bien comme un loyal ami. Car si je voulais, dame, prendre le fief d’un autre, J’en aurais bientôt conquis le plaisir avec honneur. Mais rien sans vous ne peut m’être plaisant et je n’attends que de vous une joie parfaite.
VII Lai vir mon chant, al rei celestial, Cui devem tug onrar et obezir, Et es be dreitz que l’anem lai servir On conquerrem la vid’ esperital : Que -l Sarrazi desleial, canineu, L’an tout son regn’ e destruita sa pleu, Que sazit an la crotz e -l monumen : Don devem tug aver gran espaven.
J’adresse mon chant au roi céleste, Que nous devons tous honorer et exaucer pleinement; Et il est fort juste que nous allions le servir là-bas Où nous conquerrons la vie spirituelle ; Car les Sarrasins déloyaux de Canaan Lui ont ôté son royaume et détruit son empire ; Et qu’ils se sont saisis de la croix et du sépulcre, Ce dont nous devons tous frémir (concevoir grande épouvante).
VIII Coins de Peiteus, de vos mi clam a Deu E Deus a me per aquel eis coven, Qu’amdos avetz trazits mout malamen El de sa crotz et eu de mon argen. Per qu’en devetz aver gran marrimen.
IX Coms de Peiteus, bels senher, vos et eu Avem lo pretz de tota l’autra gen, Vos de ben far et eu de dir lo çen.
Comte de Poitiers, je me plains de vous à Dieu Et Dieu se plaint de même à moi, Puisque vous nous avez trahi tous deux si durement Lui pour sa croix et moi pour mon argent. Ce pour quoi vous devriez avoir grand tristesse.
Comte de Poitiers, beau Seigneur, vous et moi Nous sommes loués par le reste du monde, Vous pour bien faire et moi pour bien conter.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : musique, chanson et poésie médiévale, troubadours, biographie, vida, razo, manuscrit médiéval, chansons, occitan, langue d’oc, trobar leu Période : Moyen Âge central, XIIe & XIIIe s Auteur : Giraut de Borneil, Guiraut de Bornelh Guiraut de Borneill, (?1138-?1215)
Bonjour à tous,
oilà longtemps que nous ne sommes partis en direction du pays d’Oc médiéval, à la découverte de nouveaux troubadours, mais il est temps de rattraper cela. Aujourd’hui, nos pas vont nous entraîner à l’ère « classique » des premiers troubadour occitans. Nous sommes donc au Moyen Âge central, entre les deux derniers tiers du XIIe et les premières années du XIIIe siècle et le poète que nous vous présentons se nomme Guiraut de Borneill ou Bornelh. C’est un grand de sa génération et Dante l’a même classé parmi ses troubadour favoris, après Arnaut Daniel, en le qualifiant même (dans son De Vulgari eloquentia), de “poète de la rectitude“.
D’aprés les chronologies usuelles, Guiraut de Bornelh aurait vécu entre 1138 et 1215. Pour le situer, il arrive un peu après Guillaume IX d’Aquitaine. Le très talentueux Marcabru, maître du trobar clus, le précède également dans le temps. Même si les dates suggèrent qu’ils ont pu être contemporains, Guiraut n’a pas encore engagé sa carrière quand Marcabru termine la sienne. Il est donc plus de la génération d’un Bernard de Ventadorn. Chez les trouvères qui commencent déjà à répandre, traduire ou s’inspirer de l’art musical et poétique occitan, des poètes comme Gace Brûlé ou Blondel de Nesle ont officié en même temps que lui.
La biographie de Guiraut de Bornelh suivant les vidas et les razos.
Avec toutes les réserves qu’on doit y mettre, sa vida, ainsi que quelques razos nous content quelques éléments supposés de sa vie. Comme tous les récits de cette famille, ceux de Guiraut de Borneill ne peuvent guère être étayés par des documents et des sources historiques avérées. De fait, rédigés longtemps après la vie de troubadours, vidas et razos sont, bien souvent, basés, en grande partie, sur le contenu des poésies de leurs auteurs.
« Guiraut de Bornelh si fo de Limozí, de l’encontrada d’Esiduòlh, d’un ric castèl del viscomte de Lemòtges. E fo òm de bas afar, mas savis òm fo de letras e de sen natural. E fo mèlher trobaire que negús d’aquels qu’èron estat denan ni foron après lui ; per que fo apelatz maestre dels trobadors, et es ancar per totz aquels que ben entendon subtils ditz ni ben pausats d’amor ni de sen. Fòrt fo onratz per los valentz òmes e per los entendenz e per las dòmnas qu’entendian los sieus maestrals ditz de las sous chansos. E la soa vida èra aitals que tot l’invern estava en escòla et aprendia letras, e tota la estat anava per cortz e menava ab se dos cantadors que cantavon las soas chansos. Non volc mais mulhèr, e tot çò qu’el gazanhava dava a sos paubres parenz e a la eglesia de la vila on el nasquèt, la quals glesia avia nom, et a encara, Saint Gervàs. «
La Biographie des troubadours en Langue Provençale – Camille Chabaneau – Editeur Edouard Privat, Toulouse (1885) (1)
Lettré, sage et talentueux : le « maître » des troubadours selon son biographe médiéval
Suivant sa vida, Guiraut naquit, donc à Excideuil, en Limousin, dans l’actuel département de la Dordogne, à moins que, comme l’a fait remarquer le romaniste et philologue Jean-Pierre Chambon, il ne s’agisse, plus vraisemblablement d’Exideuil, dans le canton de Chabanais, en Charente (2). On ne connait pas grand chose de l’enfance de ce troubadour mais pour ce qui est de sa condition, son biographe médiéval nous le présente comme un homme de modeste extraction, plein de sagesse, lettré et de “bon sens” (ou doté naturellement d’intelligence et de raison, si l’on préfère).
A propos des talents du poète, l’auteur de sa vida n’hésite pas à qualifier Giraut de Borneil de « meilleur des troubadours » pas seulement auprès de ses contemporains mais également de ses prédécesseurs. Il nous dit même encore qu’il fut appelé « maître des troubadours ». Quant à sa postérité du temps de sa vida, elle se poursuit dans la même veine puisque « tout ceux qui, de nos jours, comprennent les paroles subtiles et bien agencées à propos d’amour et de bons sens (jugement, raison, intelligence » continuent, de le considérer comme un maître.
Certains linguistes et experts semblent être de l’avis que ce « maître » pourrait designer la profession de Giraut plutôt qu’une supériorité absolue sur ces pairs : maître de rhétorique ou maître dans le sens d’enseignant ? (3) Cela nous parait un peu surprenant, au vue du contexte et du ton général de cette vida, d’autant que dans la continuité de ce grand éloge, on trouve encore la phrase suivante : “Il fut aussi fort honoré ( apprécié, loué) par les hommes nobles de son temps et par les dames qui comprenaient les paroles magistrales de ses chansons.”. Bref, selon l’auteur de cette biographie tardive, nous avons affaire à un troubadour hors du commun.
Cette vida nous dit encore que, l’hiver, Giraut enseignait les lettres et était à l’école et que l’été il se rendait auprès des cours, “emmenant avec lui ses deux chanteurs qui chantaient et jouaient ses compositions”. Cela semble assez étonnant mais explique que, sur un certain nombre de miniatures de manuscrit médiéval, on le voie accompagné de près d’autres personnages. Ainsi, on devine quelqu’un derrière lui sur l’enluminure du MS 854 que nous nous sommes permis de rafraîchir un peu (plus haut dans l’article). Quant à l’enluminure du MS 12473 (ci-dessus également), cette fois, Giraut de Borneil y est bien suivi de deux personnes qui ne peuvent que correspondre à ces « assistants » jongleurs et chanteurs.
Quelques éléments supplémentaires sur sa vie
Il n’est pas rare que les vidas des troubadours nous content des romances entre les poètes occitans et des dames, voire même de grandes dames. Celle de Giraut de Borneil y fait exception. Elle nous dépeint, en effet, un homme qui « jamais ne voulut se marier et qui donnait tout l’argent qu’il gagnait à ses pauvres parents, mais encore à l’église de sa ville de naissance, qu’on nommait et qu’on nomme toujours Saint Gervais.”
Il faut chercher dans les 6 razos qu’on trouve encore sur lui pour débusquer un peu plus d’éléments sur ses histoires de cœur (op cité Chabaneau). Dans certains d’entre eux, il est notamment fait allusion à une dame de Gascogne : Alamanda d’Estanc, « dame très prisée pour son intelligence, sa beauté et sa valeur« . Las, l’histoire s’est, semble-t-il, mal finie et les razos nous disent que le poète en souffrit beaucoup.
Pour finir le tour de ces éléments de biographie, un autre razo nous conte que Guiraut partit avec Richard Coeur de Lion pour la 3ème croisade et au siège d’Acre. Dans ses autres protecteurs, ces mêmes sources et ses poésies mentionnent encore Alfonse VIII de Castille : ce dernier, avec d’autres nobles de sa cour, lui auraient même fait cadeau d’un palefroi ferré ainsi que d’autres riches présents« . On peut aussi y ajouter des personnages tels que Aimar vicomte de Limoges, vraisemblablement Adémar V (1138 1199), le dauphin d’Auvergne, un comte de Toulouse, sans doute Raimon V selon Alfred Jeanroy (4) et Boemond III, Prince d’Antioche. Enfin, dans ces mêmes sources, on trouve encore mentionnés Raimbaut d’Orange et Ramons Bernartz de Rovigna (Raymond Bernat de Rouvenac ?).
Sources manuscrites : Mss 854 et Mss 12473 deux chansonniers du XIIIe siècle
On citera les deux manuscrits déjà mentionnés à propos des enluminures. Tous deux sont conservés à la BnF et consultables en ligne sur le site de Gallica. Le premier, le Ms Français 854 est également connu sous le nom de Chansonnier provençal A. Daté du XIIIe siècle, ce manuscrit médiéval, d’origine italienne, contient vidas et razos de troubadours, ainsi que leurs oeuvres, dont celles de Guiraut de Borneill.
Dans le même registre, le manuscrit médiéval MS Français 12473 est, sans doute, encore plus célèbre. Connu sous le nom de Chansonnier provençal ou Chansonnier K, il est daté de la deuxième partie du XIIIe siècle et présente également un large nombre de troubadours et poètes de langue occitane médiévale avec leurs biographies tardives. Copié en Italie, cet ouvrage, richement illuminé, se tint longtemps à la Bibliothèque du Vatican (cote Vat. 3204), avant de revenir à la BnF où il se trouve actuellement conservé.
Au vu des similitudes entre les deux manuscrits, les conservateurs et archivistes de la BnF ont conclu qu’ils furent probablement réalisés dans le même atelier italien (Marie-Pierre Laffitte archives et manuscrits sur bnf.fr).
Legs poétique et oeuvre de Giraut de Bornelh
Giraut de Bornelh a laissé un legs poétique assez conséquent : plus de 80 pièces dont un très petit nombre seulement sont notées musicalement. Son oeuvre contient, en majeure partie, des compositions profanes : poésies, chansons, sirvantois et pièces satiriques, pastourelle, etc… Sur un plan plus liturgique, on retiendra une composition religieuse et deux chansons d’appel à la croisade.
D’abord versé dans le Trobar clus à la façon d’un Marcabru, Giraut finit par privilégier, dans ses compositions, un style plus clair et accessible : Trobar leu (léger, ouvert). De fait, il le mit en avant et le défendit de telle manière, qu’on en a parfois fait l’inventeur ou, à tout le moins, le défenseur. Dans de prochains articles, nous aurons l’occasion, de présenter son oeuvre et certaines de ses pièces plus en détail.
En vous souhaitant une excellente journée. Fred pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
Sources & notes
(1) La biographie des troubadours en langue provençale – Camille Chabaneau (1885) (2)Sur le lieu de naissance de Guiraut de Bornelh. Jean-Pierre Chambon Romania, tome 101 n°404, 1980 (3)La literatura en la corte de Alfonso VIII de Castilla – Antonio Sánchez Jiménez (2001) (4) La poésie lyrique des troubadours – Alfred Jeanroy – T2-(1934)
Sujet : citations médiévales, sagesse persane, conte moral, vanité, orgueil, science, apprentissage, humilité. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : Le Boustan (Bustan) ou Verger, traduction de Charles Barbier de Meynard (1880)
« Le vase qui déborde ne peut plus rien recevoir. (…) Suivez l’exemple de Saadi : parcourez le monde en renonçant à toute chose et vous reviendrez le cœur plein de science.«
MocharrafoddinSaadi – Chapitre IV De l’Humilité – Le Boustan
Bonjour à tous,
ous le savez, il nous arrive de sortir des frontières de l’Europe médiévale pour aller voir, un peu plus loin, ce qui se pense et ce qui s’écrit. Durant ces pérégrinations, nos pas nous ont souvent entraîné du côté du Moyen-Orient ; c’est encore le cas aujourd’hui, puisque nous revoilà dans la Perse du XIIIe siècle : celle du conteur et voyageur Mocharrafoddin Saadi.
La pire des ignorances
« Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. »
Socrate – Platon, l’Apologie de Socrate
Le petit conte du jour est une anecdote édifiante contre l’orgueil et la vanité intellectuelle. Saadi nous y enseigne qu’il n’est plus grand ennemi de la connaissance que la prétention de celui qui pense déjà tout savoir ; ajoutons pour notre compte que c’est même, sans doute, la pire forme d’ignorance.
Ainsi donc, pour pouvoir se remplir de « science », il faut être vide d’aprioris, mais surtout ne pas être plein de soi-même. En creux, on retrouvera l’idée d’une certaine humilité nécessaire dans l’apprentissage. Même si les philosophes grecs anciens ne l’ont pas toujours mise en exergue, on la retrouve relativement présente dans l’histoire de l’éducation et de la pédagogie.
L’humilité, valeur morale, de Saadi à l’Occident médiéval
En tant que valeur morale en soi, l’humilité est omniprésente dans l’histoire des religions et des spiritualités. Les récits de transmission de la tradition asiatique et les relations de maître à disciple en sont remplis et, cinq siècles avant notre ère, Lao Tseu nous en contait déjà les vertus : « Toute noblesse vient de l’humilité. »
Cette même humilité sera louée par Saadi, à plusieurs reprises, dans ses œuvres. Il y consacrera même un chapitre entier du Boustan dont est tirée l’histoire du jour.
« L’humilité, voilà la règle (tarikat) du derviche. Toi qui aspires à la grandeur, sois petit et humble, c’est par là seulement que tu parviendras au faîte ; l’homme doué d’une raison supérieure s’incline humblement, comme l’arbre qui penche vers la terre ses rameaux chargés de fruits.
Saadi – Chapitre IV De l’Humilité – Le Boustan
Devant les hommes, devant Dieu, valeur sociale, valeur morale, valeur d’apprentissage, comme dans de nombreuses spiritualités, c’est, chez lui, une valeur à tiroirs, extensible du monde spirituel au monde réel. Dans le conte du jour, en « contrepoison de l’orgueil » pour paraphraser Voltaire, cette leçon d’humilité sera personnifiée par Abou’l-Hassan Gouschiar (442- 494), grand astronome du cinquième siècle, originaire de la province iranienne du Guilan ; le célèbre personnage refusera même de délivrer son enseignement à un prétendant à l’apprentissage, trop imbu de lui-même.
Au même moment, à des lieues de là, dans le Moyen Âge occidental et sous l’égide du christianisme, l’humilité trouvera également de nombreux arguments sous la plume d’un certain nombre d’auteurs. Ainsi, entre autres exemples, Rutebeuf, contemporain de Saadi, nous en montera la voie dans ses œuvres :
« Humiliteiz est si grant dame Qu’ele ne crient home ne fame, Et li Frere qui la maintiennent Tout le roiaume en lor main tiennent »
RutebeufCi encoumence li diz de la mensonge
Un peu plus tard encore, Eustache Deschamps écrira : « Humilité attrait le cuer des gens » exhortant les puissants à la pratiquer, en en faisant, presque même, un argument de séduction.
Gouschiâr et l’astrologue vaniteux
Un homme qui joignait a quelques connaissances astrologiques un orgueil insensé, fit un long voyage pour aller chez Gouschiâr ; il se présenta, le cœur plein du désir d’apprendre et la tête troublée par les fumées de l’orgueil. Le savant se détourna de lui sans lui apprendre un mot de la science qu’il enseignait ; mais lorsque l’étranger, déçu dans son attente, se préparait à partir, l’illustre astrologue lui dit :
— Tu crois être un savant accompli : mais le vase qui déborde ne peut plus rien recevoir. La vanité remplit ton cœur et voilà pourquoi tu t’en vas les mains vides. Il fallait te présenter à moi sans prétentions, si tu voulais partir riche de connaissances.
– Suivez l’exemple de Saadi : parcourez le monde en renonçant à toute chose et vous reviendrez le cœur plein de science.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.