Sujet : citations médiévales, sagesse persane, morale médiévale, miroirs des princes, sagesse politique, bonté, charité, bonnes œuvres, mort. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Mocharrafoddin Saadi (1210-1291) Ouvrage : Le Boustan (Bustan) ou Verger, traduction de Charles Barbier de Meynard (1880)
« Que ta main s’emplisse de bonnes œuvres, tandis qu’elle a la vie et la force ; bientôt tu ne pourras plus la tirer hors du linceul. La lune, les pléiades, le soleil continueront à luire dans le ciel, mais ta tête ne soulèvera pas la dalle du sépulcre. »
Citations Médiévales – Mocharrafoddin Saadi – Le Boustan ou verger
Bonjour à tous,
u cœur de la Perse médiévale, le conteur, érudit et voyageur Saadi dispense sa sagesse sous forme d’histoires courtes et d’anecdotes, à l’attention des hommes, en général, et de ceux de pouvoir en particulier. De son « Jardin des Roses », le Gullistan à « son Verger », le Boustan, ses contes philosophiques sont comme autant de petits trésors qui égrainent les travers humains et passent en revue les situations de vie les plus diverses, pour mieux nous distiller l’importance des valeurs morales.
Compassion, mansuétude, charité, justice, amitié, discernement, sagesse, … contre cupidité, orgueil, ignorance, bêtise, aveuglement, mauvaises influences…, les ouvrages de Saadi sont aussi de petits guides éducatifs pour l’action en politique, à l’image de ceux qui émergent alors, du côté du Moyen Âge occidental, et que que l’on nommera les « Miroirs des princes » .
Bonté & charité pendant qu’il en est temps
Aujourd’hui, c’est sur le terrain de la charité et des bonnes œuvres que le conte moral de Saadi nous entraîne. On y croisera un roi d’Egypte qui, aux portes de la mort, réussira tout de même à souffler, à l’oreille des vivants, une dernière leçon sur le sens de la vie.
Au Moyen Âge, du Proche-Orient à l’Occident, conteurs, poètes comme moralistes nous rappellent souvent que la mort devrait toujours éclairer nos actions, en éternelle conseillère. Du côté de la France médiévale, on pourra ainsi trouver quantité de morales assez similaires à celle du jour et qui prônent l’inutilité de s’accrocher aux avoirs de ce monde et la charité contre l’évanescence de la vie et cette mort qui bat le rappel : au fond, semer de bonnes graines avant son dernier souffle. Nous ne citerons ici que deux grands auteurs français, un du XIIe et l’autre du XIVe siècle (on pourra également consulter notre article sur la mort médiévale).
« Pensons que quant ly homs est au travail de mort, Ses biens ne ses richesses ne luy valent que mort Ne luy peuvent oster l’angoisse qui le mort, De ce dont conscience le reprent et remort »
Jean de Meung (1250-1305)– Le Codicille
«Prince, empereurs, rois, dames et barons, Religieus, peuples, considérons Que tuit sommes du monde pèlerin Et qu’en passant nous y trespasserons; Faisons donc bien et le mal eschivons : Il n’est chose qui ne viengne a sa fin.»
Sur ce, voici le conte de Saadi, dans sa traduction par Charles Barbier de Meynard , en 1880.
Les regrets d’un roi d’Egypte
« Un grand prince qui régnait sur l’Egypte venait d’être renversé par le choc de la maladie : son noble et beau visage pâlissait comme le soleil au déclin du jour. Les médecins se désespéraient de ne pas trouver, dans leur art, de remède contre la mort : car toute royauté doit finir et disparaître, excepté celle du Dieu tout-puissant et éternel. Au moment où sa vie allait s’évanouir dans les ténèbres du trépas, on entendit ses lèvres expirantes murmurer ces paroles :
— L’Egypte n’eut jamais un maître aussi puissant que je l’ai été, mais cette puissance n’était que néant, puisque c’est la qu’elle devait aboutir. J’avais amassé les biens de ce monde, au lieu de les dépenser et voici que je m’en vais comme le plus pauvre des hommes !
Les richesses d’ici-bas ne profitent qu’au sage qui sait les dépenser pour lui même et pour les autres. Efforce-toi d’acquérir des biens durables puisque ceux qu’on laisse après soi sont une cause d’inquiétudes et de regrets. Vois ce moribond dont la tête repose sur l’oreiller de l’agonie ; il étend ses bras comme s’il voulait à la fois donner et repousser ; à cette heure suprême où sa langue est paralysée de terreur, il semble te dire par ce geste :
— Étends une main pour faire l’aumône, et repousse de l’autre les passions et l’injustice. Que ta main s’emplisse de bonnes œuvres, tandis qu’elle a la vie et la force ; bientôt tu ne pourras plus la tirer hors du linceul. La lune, les pléiades, le soleil continueront à luire dans le ciel, mais ta tête ne soulèvera pas la dalle du sépulcre. »
Saadi – Le Boustan (op cité)
En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : inquisition, légende noire, idées reçues, définition. monde médiéval, Languedoc, Provence Période : moyen-âge central, XIIIe et XIVe siècle Média : vidéo-conférence, livres. Titre : L’inquisition médiévale Conférencier : Laurent Albaret, historien médiéviste Lieu : Ecole nationale des chartes (2019)
Bonjour à tous,
‘il y a bien une chose à laquelle l’imaginaire populaire lié au moyen-âge aime à s’accrocher, c’est cette vision d’une période médiévale peuplée de bûchers, sur lesquels quelques frères dominicains fanatisés, grillent, à tour de bras et après force tortures, d’ingénus contradicteurs : du bonhomme cathare au guérisseur de campagne, jusqu’à une pauvre marginale dénoncée par son voisin comme suspecte de commerce avec le diable.
Dans cette construction/reconstitution, aussi effrayante que spectaculaire, l’apparition d’un Bernard Gui, glacé et sanguinaire, tout droit sorti du film Le Nom de la Rose ( réalisé par Jean-Jacques Annaud sur la base du roman d’Umberto Eco) tomberait à point nommé. Pour un peu, elle cristalliserait même très exactement (tout en l’alimentant), une « légende noire de l’inquisition » qui se tenait, depuis longtemps, cachée dans les replis de notre imaginaire et qui ne demandait qu’à en sortir.
Méthode historique vs sensationnalisme
Pour faire un peu le tri dans tout cela, plusieurs historiens médiévistes se sont penchés, jusqu’à récemment, sur le sujet de l’inquisition et des hérésies médiévales. Ils l’ont fait avec beaucoup de méthode et de sérieux et nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer quelques-uns d’entre eux ici : Andre Vauchez et son histoire des hérésies médiévales (2014) ou encore Jean-Louis Biget avec son Hérésie et inquisition dans le midi de la France (2007). Aujourd’hui et pour le dire trivialement, c’est au tour de Laurent Albaret de s’y coller. Cet historien, actif dans de nombreux domaines, a également fait de l’inquisition un de ses sujets de recherche, notamment celle des XIIIe et XIVe siècles en Languedoc et dans le midi de la France. Ainsi, en septembre 2019, il était accueilli dans le cadre prestigieux de l’Ecole Nationale des Chartes pour y donner une conférence sur ce thème que nous avons le plaisir de partager, plus bas dans cet article.
Des documents et des faits
Pour autant qu’il soit devenu presque banal de charger l’Eglise catholique romaine à tout propos, sur le sujet de l’inquisition au moyen-âge, il faut s’atteler à détricoter certaines idées reçues pour rétablir un semblant d’objectivité. Cela tombe bien puisque, la conférence du jour se propose justement de réintroduire des éléments factuels sur ce terrain conquis de longue date par un imaginaire débordant. Bien sûr, à travers cela, il s’agira aussi de rendre justice à l’Histoire. A l’attention de ceux qui, pour des biais idéologiques ou des croyances personnelles, pourraient être tentés d’y voir une façon de « trouver des justifications » ou de « fournir des excuses » aux procédés questionnés, la méthodologie historique n’aura qu’une chose à opposer : le principe de réalité, la froideur des chiffres et des faits, et, plus que tout cela encore, des réserves prudentes à l’égard de tout jugement.
Une fois le tableau restauré, si l’inquisition médiévale et les acteurs impliqués s’en tirent plutôt plus favorablement, dans leurs méthodes et leurs statistiques, que l’imagerie populaire et littéraire moderne ne l’avaient jusque là supputé, c’est simplement que les historiens (celui du jour et d’autres avant lui), ont fait parler les sources manuscrites d’époque : soit, principalement, les documents juridiques issus des tribunaux inquisitoriaux, avec leurs minutes, leurs sanctions, leurs relaxes et leurs chiffres.
Une « légende noire » pour des « Dark Ages »
Pour le reste, pas plus que Laurent Albaret ne le fait dans cette conférence, nous n’allons prétendre décortiquer, ici, les raisons complexes (historiques, idéologiques, littéraires, …) ayant favorisé la promotion (sensationnaliste) d’une inquisition médiévale essentiellement aveugle et massivement « meurtricide », au point de forger à son égard, ce que l’on a pu quelquefois appeler « une légende noire ».
Sans entrer dans le détail, on pourrait s’en tirer avec une généralité. A l’image de la notion anglaise de « Dark Ages », un voile noir à été jeté sur les 1000 ans du moyen-âge propice à bien des fantasmes et des instrumentalisations : plus sales, plus méchants, plus ignorants, plus barbares, plus fanatiques, plus injustes et, finalement, moins « civilisés ». Notre belle modernité rationaliste, matérialiste et progressiste brille de mille feux en comparaison de cette ombre tremblante, peuplée de tristes fantômes, que nous avons formée au sujet des temps médiévaux. Grâce à elle, nous pouvons occulter, un peu plus aisément, le fait que ce siècle et le précédent ont emporté dans leur barbarie, des dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants pour des raisons géo-politiques, économiques, religieuses même, et souvent, très cyniquement pour des visées d’appropriation.
Sur le sujet de l’inquisition médiévale, si, à bien des égards, les morts à compter pourront toujours nous sembler de trop, remis dans leur contexte, les chiffres sont très loin d’égaler d’autres massacres perpétrés dans l’histoire. Quant à l’arbitraire et la barbarie supposés des méthodes et des sanctions, jusqu’à ce jour et en accord avec l’historiographie récente, l’examen des faits et des statistiques semble plaider en leur défaveur.
Des confusions « classiques »
Pour finir cette introduction sur les représentations autour de l’inquisition médiévale, notons que de nombreuses choses sont venues s’y mêler dans une sorte de confusion générale : 1/ Les périodes : l’inquisition du moyen-âge n’est pas celle des siècles suivants, 2/ Les « justices » et les tribunaux concernés : les tribunaux inquisitoriaux et le bras séculier (justice royale, seigneurial, civile, politique) sont deux choses différentes. Les enjeux politiques et économiques sont souvent à démêler (procès des templiers, méandres de l’affaire Gille de Rais, etc…) 3/ Il faut encore dissiper les confusions qui planent entre l’histoire de l’inquisition française des XIIIe et XIVe siècles et celle de l’inquisition espagnole de la fin du XVe siècle.
Enfin, il faut aussi le comprendre, bien souvent, c’est l’ignorance qui nous fait « tout mettre dans le même sac », comme on le dit l’expression populaire. Quand on s’approche avec sérieux et méthode de la réalité, en général, les visions grossières et sans nuance fondent comme neige au soleil. Demandez-le à quiconque est engagé dans des recherches de haut vol. Quelque soit sa matière scientifique, la première chose qu’il fera est de border très précisément son sujet et son champ d’observation. Tout en le faisant, vous verrez qu’il vous parlera d’humilité, bien avant de vous parler de certitudes. Tout cela bien compris, nous vous souhaitons une excellente conférence.
La conférence de Laurent Albaret sur l’inquisition médiévale
Laurent Albaret : esquisse de Biographie
Après une formation en histoire et une spécialisation dans le domaine des Inquisitions médiévales dans le Sud de la France, Laurent Albaret a enseigné plus d’une dizaine d’années dans le secondaire (1991-2002), puis dans le monde universitaire (2002-2006), avant de voguer vers d’autres horizons.
Sur le terrain de l’Histoire et de la Culture
Ayant laissé derrière lui sa carrière dans l’enseignement, on le retrouvera bientôt très impliqué dans le secteur de la culture, du patrimoine et de la muséographie. Dans le même temps, il restera fortement présent dans le domaine de l’Histoire. A ce titre, et pour ne citer que ces deux charges, il est de longue date membre associé de la Société des Historiens Médiévistes de l’enseignement supérieur public, ou encore administrateur de la Société des Amis du Musée de Cluny. Actuellement, il termine un doctorat à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales sous la direction de Jacques Chiffoleau. Notons qu’il avait effectué son DEA sous la direction de André Vauchez (directeur de l’Ecole Française de Rome, spécialisé dans les hérésies médiévales).
Histoire contemporaine & présence médiatique
Les années 2010-2020 verront Laurent Albaret investi du côté de l’Histoire postale (conservateur au Musée de la poste) mais aussi de l’Histoire de l’Aviation (secrétaire général et secrétaire de la commission Histoire, Arts & Lettres de l’Aéro-Club de France). A côté de cela, il lancera également des opérations dans le domaine culturel et patrimonial (Association Parix Louxor ou encore Un soir, un musée, un verre) auxquelles viendront s’ajouter des activités dans le monde de la presse au sein de divers magazines. Aujourd’hui, dans le champ de l’Histoire médiévale ou plus contemporaine, on le trouve très actif sur de nombreux médias : conférences, interviews, podcasts, publications diverses. Il intervient même, à titre de conseiller historique, auprès d’émissions télévisuelles (voir son site web pour plus de détails).
Présence dans le domaine du consulting digital
A ces nombreuses activités, Laurent Albaret a encore ajouté, dernièrement, une présence dans le secteur de la création et de la communication digitale. En 2016, il a, en effet, créé, une agence web baptisée Le doigt sur le truc. C’est en occupant divers postes à responsabilité au sein de pôles numériques et médias sociaux de diverses filiales du groupe La poste (2010-2015), qu’il s’est forgé des compétences dans cette matière. Il y a, depuis, ajouté de nombreuses autres références.
Deux ouvrages de Laurent Albaret pour en savoir plus sur l’inquisition médiévale
Pour approcher de plus près les éléments abordés dans cette conférence, voici deux ouvrages de Laurent Albaret sur le sujet de l’Inquisition médiévale.
Les Inquisiteurs : portraits de défenseurs de la foi en Languedoc
Privat (2001) – Acheter en ligne
Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne Médiévale, citation médiévale, monde féodal, Europe médiévale, devoirs des princes, fable Période : Moyen Âge central ( XIVe siècle) Auteur : Don Juan Manuel (1282-1348) Titre : ex XXII, De ce qu’il advint au lion et au taureau Ouvrage : Le comte Lucanor, traduit par Adolphe-Louis de Puibusque (1854)
« Ne laisse pas les dires de perfides menteurs,
Briser ton amitié avec gens de valeur. » Don Juan Manuel – Le comte Lucanor,
« Por dichos y por obras de algunos mentirosos,
no rompas tu amistad con hombres provechosos (1)« Don Juan Manuel – El conde Lucanor
(1) provechosos : bons, serviables, loyaux
Bonjour à tous,
etournements, alliances, trahisons, au Moyen Âge central, les conseillers perfides et manipulateurs semblent, souvent, plus redoutés encore que les princes dotés d’une mauvaise nature. La dimension divine conférée au pouvoir monarchique a sans doute contribué, dans certains cas, à mettre les souverains à l’abri de ce genre de soupçons mais peut-être aussi que la prudence a joué. Aux temps médiévaux, quand l’injure se double du blasphème, l’exercice de la critique directe envers les plus grands peut s’avérer périlleux, d’autant que ce pouvoir personnifié n’hésite pas, au besoin, à punir durement l’outrecuidant jusque dans sa chair (on pourra, à ce sujet, relire utilement quelques pages du Surveiller et punir deMichel Foucault ) .
Quoiqu’il en soit, au Moyen Âge, le mauvais conseiller est invoqué plus qu’à son tour, contre le « mauvais » roi, prince ou même encore le « mauvais » Pape et si, par mésaventure, ces très grands puissants de l’Europe médiévale se fourvoient dans l’exercice de leur pouvoir politique, il est à supposer qu’ils sont mal conseillés ou, même plus perfidement encore, manipulés.
Un conte politique sur fond de vécu
Pour revenir à la citation en tête de cet article et à notre auteur du jour, sans doute le grand seigneur et chevalier Don Juan Manuel ne pouvait-il s’empêcher, en écrivant ces lignes dans le courant du XIVe siècle, de songer à son propre vécu. Passé de protecteur de la famille royale et même tuteur du jeune dauphin Alphonse XI, il finit, en effet, par en devenir l’un des pires ennemis pendant de longues années. Sous la pression de la couronne, les tensions et conflits entre les deux hommes entraînèrent d’ailleurs d’autres mésalliances et trahisons dans l’entourage proche du duc et prince de Villena.
Aujourd’hui, les spécialistes de l’Espagne médiévale hésitent à mettre cette histoire incroyable faite de pièges, de meurtres et de retournements au compte de la personnalité d’un roi qui aurait été terrible et cruel « par nature ». On trouve même plutôt des thèses qui penchent en faveur de la perfidie de conseillers ayant su tirer partie du jeune âge du roi pour tirer leur épingle du jeu.
Du côté des sources historiques, on pourra retrouver la fable dont cette citation est extraite dans lecomte Lucanor du manuscrit Ms 6376, conservé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne. De datation imprécise (entre 1300 et 1500), cet ouvrage ancien ne contient que les œuvres de Juan Manuel (consulter ici).
Une fable sur l’alliance du lion et du taureau
Dans l’histoire de Don Juan Manuel, le noble comte Lucanor interroge son conseiller Patronio sur le revirement apparent et soudain de l’amitié d’un autre puissant à son encontre. Qu’elle pourrait bien en être la cause ? Le sage Patronio lui conte alors l’histoire d’une alliance que le lion et le taureau avaient faite ensemble, asseyant ainsi leur domination sur les prédateurs comme sur les herbivores. Or, il advint que certains animaux désireux d’échapper à ce puissant pouvoir fomentèrent un complot pour rompre leur amitié, en les dressant l’un contre l’autre.
« Il n’y aura de sûreté pour nous, se dirent-ils entre eux, que lorsque nous aurons divisé nos deux oppresseurs ; il faut que leurs favoris le renard et le mouton mettent tout en oeuvre pour les brouiller. »
Sur l’avis du renard, on décida de faire intervenir l’ours. Le prédateur redoutable, second après le lion, fut chargé d’aller convaincre ce dernier que le taureau ourdissait quelques complots dans son dos. Le cheval, prestigieux herbivore d’entre les herbivores, se chargea, quant à lui, de conter un mensonge semblable au Taureau : qu’il reste vigilant, le lion voulait sa peau.
Devant la puissance des délateurs, les deux amis ne furent pas dupes. Pourtant la graine du doute avait était semée, les poussant, chacun, à consulter leur proche favori ; le renard pour le lion, le mouton pour le taureau. Il ne restait plus qu’à prendre soin de faire éclore et fructifier cette semence empoisonnée : il n’y a pas de fumée sans feu, Sire, si vous ne cessez d’y penser, c’est peut-être vrai. Les deux conseillers perfides manœuvrèrent finement et patiemment, en continuant d’instiller le doute dans l’esprit des deux puissant. Les animaux en ligue se joignirent aussi à la cohue, tant et si bien qu’à la fin les deux amis finirent par se haïr. Isolés et fragilisés, leur alliance déchue, il fut alors facile pour les autres bêtes, montées en rébellion, de s’en emparer et de les mettre tous deux à mort. Et Patronio de conclure :
« Et vous, Seigneur comte Lucanor, que cet exemple vous éclaire ! Examinez bien si les gens qui cherchent à rendre votre ami suspect à vos yeux agissent dans le même but que les animaux à l’égard du taureau et du lion. Cela vérifié, si vous reconnaissez que votre ami et un homme loyal et que sa conduite est toujours droite, fiez-vous à lui comme à un bon fils ou à un bon frère. »
En suivant les pas de A de Puibusque (opus cité), cette histoire, qui s’apparente, en tout point, à une fable, trouve quelques-unes de ses inspirations directes dans un ouvrage sanskrit datant du IIIe siècle avant notre être : Le Pantcha Tantra ou les 5 ruses de Vishnusharman. Enfin, pour ce qui est de la morale de cet « exemple XXII » du comte Lucanor, le biographe et auteur français l’adaptera ainsi, très librement mais de belle manière :
« Repousse les soupçons qui te viennent d’un traître, Bien plus que l’amitié la haine est prompte à naître. »
Sujet : musique médiévale, galaïco-portugais, lyrisme médiéval, culte marial, miracle Période : XIIIe siècle, Moyen Âge central Auteur : Alphonse X de Castille (1221-1284) Interprète : Esther Lamandier Titre : Cantiga Santa Maria 384, « A que por gran fremosura é chamada Fror das frores » Album : Alfonso el Sabio. Cantigas de Santa Maria (1981)
Bonjour à tous,
e qui nous suivent de près le savent, nous avons entrepris, depuis quelques années déjà, l’étude et la traduction des Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X de Castille. Récits de miracles autour de la sainte, témoignages de pèlerins, ou encore chants de louanges, avant d’être recompilées et retranscrites au XIIIe siècle et en galaïco-portugais par le souverain de Castille, un grand nombre de ces histoires circulait déjà sous diverses formes dans l’Europe médiévale.
On le sait, à partir du XIIe siècle, le Moyen Âge central s’est enflammé pour le culte marial. Dans la littérature médiévale, on trouvera ainsi de nombreux Ave Maria en hommage à la Sainte, chez quantité de nos auteurs, trouvères, poètes, clercs ou même religieux, de Rutebeuf à Villon. La vierge Marie est alors, cette mère pleine de compassion et de piété, qui peut entendre et qui sait écouter. Elle est aussi celle qui, par sa bonté et l’oreille qu’il lui prête, pourra peut-être intercéder en faveur du prieur ou du dévot auprès de son fils le Christ, la chair de Tout Puissant, Dieu mort en croix.
Le Salut pour un moine dévot à la vierge
La cantiga d’aujourd’hui est un nouveau récit de miracle. On y apprendra, ou en tout cas le poète nous contera, que dans les manières de louer la Sainte, entre imagerie, iconographie, prières, et autres, celle qui consiste à louer son nom est une des plus appréciées. Ici c’est un moine qui s’adonnant à la calligraphie, l’écrira même, ce nom, avec de belles couleurs. L’histoire se posera aussi comme une confirmation déjà acquise dans le culte marial : la dévotion à la sainte peut ouvrir, au croyant, les portes du salut.
Dans la foi chrétienne, la mort n’est rien si, au bout du chemin de vie et quelque soit sa durée, se trouve un nouveau commencement pour l’éternité. L’important est dans le salut. Dans cette cantiga de Santa Maria 384, comme nous l’avions vu dans le miracle de la jeune fille malade de la cantiga 188, le corps du protagoniste périra. Sa vie prendra fin et seule son âme sera sauvée. Pas de « transhumanisme ici, pas plus que de défi lancé à la longévité dans ce monde-ci, au Moyen Âge, les désirs d’éternité ne sont pas, ici-bas, mais dans le monde suivant.
La cantiga de Santa Maria 384 par Esther Lamanthier
Esther Lamandier et Alphonse le Sage
En 1980, la belle et talentueuse chanteuse soprano, harpiste et instrumentiste, Esther Lamandier décida de faire une incursion du côté de l’Espagne médiévale et du répertoire d’Alfonso el Sabio.
Tout entière dédiée aux Cantigas de Santa Maria, la production fut enregistrée à l’Abbaye de l’Épau, dans la Sarthe. A sa sortie, en 1981, l’album proposait 20 pièces interprétées par la musicienne et artiste, accompagnée de son seul
talent vocal et instrumental. La cantiga 384 que nous vous présentons aujourd’hui ouvre ce très bel album que l’on peut encore trouver à la vente en ligne. notamment au format mp3. Voici un lien utile pour plus d’informations : Les Cantigas de Santa Maria par Esther Lamandier.
La Cantiga de Santa Maria 384
Du galaïco-portugais au français moderne
Como Santa Maria levou a alma dun frade
que pintou o seu nome de tres coores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Comment Sainte Marie emmena au paradis l’âme d’un frère qui avait peint son nom de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Desto direi un miragre, segundo me foi contado, que aveo a un monge bõo e ben ordinado e que as oras desta Virgen dizia de mui bon grado, e mayor sabor avia desto que d’outras sabores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
A ce propos, je vous dirai d’un miracle, selon qu’il me fut conté, Qui arriva à un bon moine bien ordonné, Qui disait les heures de la Vierge avec grande joie Et prenait en cela un plaisir plus grand que tout autre plaisir.
Celle qui, pour sa beauté, on nomme la Fleur des fleurs, Plus que tout autre louange, préfère de loin quand on loue son nom.
Este mui bon clerigo era e mui de grado liia nas Vidas dos Santos Padres e ar mui ben escrivia; may[s] u quer que el achava nome de Santa Maria fazia-o mui fremoso escrito con tres colores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
C’était un bon prêtre qui, avec enthousiasme, lisait Les vies des Saints Pères et qui écrivait aussi très bien ; Et, à chaque fois, qu’il arrivait au nom de Sainte Marie, Il l’écrivait de très belle manière et de trois couleurs.
Celle qui, pour sa beauté…
A primeyra era ouro, coor rica e fremosa a semellante da Virgen nobre e mui preçiosa; e a outra d’azur era, coor mui maravillosa que ao çeo semella quand’ é con sas [e]splandores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La première était d’or, couleur riche et belle Semblable à la Vierge noble et très précieuse ; L’autre était d’azur, couleur très merveilleuse Qui ressemble au ciel quand il se montre dans toute sa splendeur.
Celle qui, pour sa beauté…
A terçeyra chamam rosa, porque é coor vermella; onde cada a destas coores mui ben semella aa Virgen que é rica, mui santa, e que parella nunca ouv’ en fremosura, ar é mellor das mellores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
La troisième, est appelée rose, car c’est une couleur vermeille ; Et chacune de ces couleurs ressemble donc en tout point à la Vierge qui est splendide et très sainte, et qui jamais n’eut d’égale en beauté, et demeure la meilleure entre toutes.
Celle qui, pour sa beauté…
Ond’ aqueste nome santo o monge tragia sigo da Virgen Santa Maria, de que era muit’ amigo, beyjando-o ameude por vençer o emigo diabo que sempre punna de nos meter en errores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Ainsi, ce moine portait toujours avec lui ce nom saint de la vierge Sainte Marie, à laquelle il était fermement dévoué, L’embrassant souvent pour vaincre le diable ennemi Qui s’acharne toujours pour nous faire tomber dans l’erreur.
Celle qui, pour sa beauté…
Onde foi a vegada que jazia mui doente da grand’ enfermidade, de que era en possente; e pero assi jazia, viinna-lle sempre a mente de seer da Virgen santa un dos seus mais loadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Mais vint un temps où il tomba gravement souffrant D’une grande maladie, qu’il avait contracté. Et bien qu’il gisait ainsi, il lui venait toujours à l’esprit De rester un des plus grands faiseurs de louanges de la vierge Sainte.
Celle qui, pour sa beauté…
O abade e os monges todos veer-o veron, e poi-lo viron maltreito, un frade con el poseron que lle tevesse companna; e pois ali esteveron un pouco, foron-se logo. Mais a Sennor das sennores
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé et les moines vinrent tous le voir, Et en le voyant en si piteux état, ils assignèrent un frère Pour lui tenir compagnie; puis ils restèrent un moment, avant de s’en aller. Cependant, la reine des reines
Celle qui, pour sa beauté…
Apareçeu ao frade que o guardav’, en dormindo, e viu que ao leyto se chegava passo yndo, e dizia-lle: «Non temas, ca te farey ir sobindo mig’ ora a parayso, u veerás os mayores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Apparut en rêve au frère qui gardait le moine, Et il vit qu’elle s’approchait du lit, Et disait au moine alité : « n’aies crainte, car je te ferai monter Avec moi au paradis où tu verras tous ceux qui s’y trouvent déjà (les anciens).
Celle qui, pour sa beauté…
Ca por quanto tu pintavas meu nome de tres pinturas, levar-t-ey suso ao çéo, u verás as aposturas, e eno Livro da Vida escrit’ ontr’ as escrituras serás ontr’ os que non morren, nen an coitas nen doores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puisque, en effet, tu as peint mon nom de trois couleurs, Je t’emmènerai au ciel et tu verras ce qui est droit et juste Et dans le livre de la vie, tu seras inscrit entre les écritures entre ceux qui ne meurent pas, et qui n’ont ni peine ni douleur.
Celle qui, pour sa beauté…
Enton levou del a alma sigo a Santa Reynna. E o frade espertou logo e foy ao leyt’ agynna; e pois que o achou morto, fez sõar a campaynna segund’ estableçud’ era polos seus santos doctores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, la sainte reine prit l’âme du moine avec elle, Et le frère s’éveilla et s’approcha de son chevet, Et comme il le trouva mort, il fit sonner la cloche Ainsi qu’il a été établi par les Saints Docteurs de l’Eglise.
Celle qui, pour sa beauté…
Mantenente o abade chegou y cono convento, que eram y de companna ben oyteenta ou çento; e aquel monge lles disse: «Sennores, por cousimento o que vi vos direy todo, se m’ en fordes oydores».
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
L’abbé s’en vint rapidement avec ses moines, Qui était une communauté de près de 80 ou 100 Et le frère leur dit : « Messieurs, pour en avoir été témoin ( pour le connaître ) Je vous dirais tout ce que j’ai vu, si vous voulez bien m’entendre ».
Celle qui, pour sa beauté…
Enton contou o que vira, segundo vos ey ja dito; e o abade tan toste o fez meter en escrito pera destruyr as obras do emigo maldito, que nos quer levar a logo u sempr’ ajamos pavores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Puis, il leur dit tout ce qu’il avait vu et que je vous ai déjà conté; Et l’abbé, sans attendre, le fit consigner par écrit Pour détruire les œuvres de l’ennemi maudit (le diable) Qui toujours veut nous entraîner en des lieux où nous vivons dans la peur.
Celle qui, pour sa beauté…
E pois souberon o feyto, loaron de voontade a Virgen Santa Maria, a Sennor de piedade; e se en alga cousa ll’ erraran per neçidade, punnaron de se guardaren que non fossen peccadores.
A que por gran fremosura é chamada Fror das frores, mui mais lle praz quando loam seu nome que d’outras loores.
Et après avoir entendu le miracle, ils louèrent avec joie La Vierge Saint Marie, dame de Piété ; Et si, en quelques occasions, ils avaient pu errer par négligence, Ils s’efforcèrent après cela, de se garder de commettre des pêchés.