omme le veut la tradition, nous commençons ce nouvel an, en vous souhaitant une excellente année 2024 avec tous nos vœux de réussite, de santé et de bonheur.
Pour cette carte de vœux de 2024, nous avons choisi une enluminure festive extraite d’un best-seller incontesté du Moyen Âge français : le Roman de la Rose. De la fin du XIIIe siècle jusqu’à la Renaissance et au XVIe siècle, cet ouvrage rédigé par deux plumes très différentes a, en effet, connu un succès retentissant. Ce dernier fut tel qu’on en connait, encore aujourd’hui, près de 300 manuscrits anciens dont un partie importante est conservée en France, au départements des manuscrits de la BnF.
Un best-seller du Moyen Âge sur l’aventure amoureuse
Maintes gens dient que en songes N’a se fables non et mençonges; Mais l’en puet tiex songes songier Qui ne sunt mie mençongier.
LeRoman de la Rose, Guillaume de Lorris (1200-1238)
Guillaume de Lorris, auteur de la première partie du Roman de la Rose, a débuté son récit en nous contant un rêve passé qui, finalement, s’est avéré prémonitoire. Dans ce songe fait quelques années auparavant, le poète s’était trouvé entraîné dans un étrange jardin pour y faire la découverte de l’Amour, de ses attraits et ses charmes comme de ses obstacles.
Quelques années plus tard, le récit de Guillaume de Lorris sera repris par Jean de Meung là où il l’avait laissé. Erudit et clerc à la plume plus critique et acerbe, ce deuxième auteur donnera un nouveau souffle et une nouvelle profondeur au roman. Plus satiriques par endroits, ses ajouts susciteront même quelques débats houleux chez certains penseurs des siècles suivants.
Amour, joie et surtout paix & fraternité pour 2024
Le sujet de l’enluminure du Roman de la rose que nous avons choisi pour notre carte de vœux se retrouve dans de nombreux manuscrits illustrés médiévaux et renaissants. Celle-ci est tirée du manuscrit Français 19137 de la BnF. L’ouvrage, daté du XVe siècle, contient divers textes en français donc le Roman de la Rose, ainsi que La consolation de la philosophie de Boèce traduit par Renaud de Louhans. Ce manuscrit ancien peut être consulté sur le site de Gallica.
L’illustration représente la carole à laquelle assiste l’auteur à son arrivée dans le jardin. Amour mène cette danse joyeuse entouré de plusieurs personnages. Il tient à la main une flèche prête à toucher le poète au cœur. Ce dernier est, pour l’instant, penché sur la fontaine : celle là même qui avait piégé le pauvre Narcisse épris de son image. En fait de s’abîmer dans sa propre contemplation, Guillaume de Lorris apercevra le reflet d’un buisson de roses dans l’eau. Son aventure et sa quête amoureuse est sur le point de commencer.
Joie, amour, danse et insouciance, que pourrait-on souhaiter de mieux pour le monde en 2024 ? Après les tragiques événements de cette année et de la précédente, il nous semble que c’est aussi de paix et de fraternité dont l’humanité ait besoin et de beaucoup moins de va-t-en-guerre de tous bords, et notamment les plus dangereux, ceux qui officient dans les milieux politiques, technocratiques et médiatiques… Alors tant pis ! Même si le message peut encore paraître un peu naïf dans ce monde empreint de cynisme, de notre côté, nous formons le vœux, ou peut-être le rêve, pour marcher dans les pas de Guillaume de Lorris, que cette année 2024 voit enfin le conflit ukrainien se résoudre dans la paix, ainsi que celui qui touche de près le Moyen-Orient et encore tous ceux qui font saigner le continent africain.
Encore une très bonne année 2024 à tous !
Frédéric Effe Pour Moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : musique médiévale, Cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracle, Sainte-Marie, démon, apparition, vin, ivresse. Période : Moyen Âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : CSM 47 « Virgen Santa María, guarda-nos, se te praz« Interprète : ArteFactum Album : En el scriptorium (2006)
Bonjour à tous,
os pérégrinations médiévales du jour nous entraînent à la cour d’Alphonse X de castille, au cœur de l’Espagne du XIIIe siècle. Nous y recroiserons le large corpus des Cantigas de Santa Maria que le sage et savant monarque espagnol compila sous son règne.
C’est la cantiga de Santa Maria 47 qui sera, aujourd’hui, l’objet de notre intérêt. A l’habitude, nous vous proposerons un commentaire de ce chant médiéval, accompagné de sa partition ancienne, de sa traduction en français moderne, mais encore une belle version en musique.
L’importance des cantigas de Santa Maria
Avec plus de 420 chants dédiés à la vierge Marie, les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X restent un témoignage essentiel de la musique comme du culte marial de cette partie du Moyen Âge. C’est aussi une source importante pour l’étude du galaïco-portugais, langue largement en usage dans la littérature de la péninsule ibérique médiévale de cette période.
En matière de legs, les partitions comme les paroles des cantigas de Santa Maria ont été consignées dans de très beaux manuscrits médiévaux. S’ils n’abondent pas, ils nous sont parvenus en nombre suffisant pour restituer l’ensemble du corpus. Ils sont aussi superbement conservés.
Sur la scène des musiques anciennes et médiévales, les plus célèbres formations comme les plus modestes ont d’ailleurs été nombreuses à s’attaquer à la restitution de ces chants mariaux. Les enluminures foisonnantes de certains manuscrits des cantigas se sont aussi avérées très utiles pour les musicologues et les amateurs d’ethnomusicologie. Elles ont, en effet, permis (et permettent encore) à tous ces musiciens et experts de retrouver les instruments d’époque utilisés pour jouer les cantigas d’Alphonse X.
Un roi troubadour sur les traces du culte marial
Quelle est l’origine des cantigas de Santa Maria ? En suivant leur préface, elles sont nées du désir d’Alphonse X d’exercer son « art de trobar », tout en rendant hommage à la vierge Marie. De fait, on prête généralement au souverain une partie importante de la composition de ces chants aux influences musicales et poétiques troubadouresques. Certaines de ses chansons hors du corpus de CSM nous apprennent, par ailleurs, que le roi espagnol était un grand amateur et connaisseur de l’art de trobar.
Dans cette même tradition des troubadours du sud de la France médiévale, les chants mariaux des CSM restent monodiques. On retrouve aussi, tout au long des textes, un poète très soucieux d’entretenir une relation étroite à son auditoire, un peu à la façon d’un jongleur itinérant ou d’un conteur de fabliau : « on m’a dit », « j’ai entendu dire », « je vais vous conter ici » ….
Des miracles en provenance de multiples lieux
Dans les cantigas de Santa Maria, le souverain espagnol, aussi pieux que féru de littérature, nous invite à parcourir les différentes routes et lieux de pèlerinages médiévaux dédiés à la Sainte. L’angle choisi est principalement celui des miracles mais le corpus contient également des chants de louanges (quarante-quatre en tout) qui viennent rythmer ce corpus et s’insérer entre les récits miraculeux.
Concernant leurs origines, les récits de miracles des CSM viennent en grand nombre des différentes provinces de l’Espagne médiévale. Toutefois, ils peuvent aussi déborder largement des frontières de la péninsule ibérique. Des histoires venues de l’Europe médiévale, de l’Afrique du nord, et même du Moyen-Orient y sont mentionnées. C’est donc un voyage dans le monde spirituel autant que dans la géographie médiévale et ses pèlerinages qui nous est proposé.
Exemplarité et dévotion à portée de tous
En plus des louanges faites à Marie, l’occasion est aussi donnée à l’auteur des cantigas de sensibiliser son auditoire à l’exemplarité de la foi et aux bénéfices directs que tout sujet peut en retirer, si modeste et humble soit-il. Les miracles des cantigas de Santa Maria sont, en effet, presque tout entiers centrés sur les individus, leurs misères et leur dévotion (grande, absente ou défaillante).
Qu’il suffise au lecteur de feuilleter ces récits ou de découvrir leur traduction. Il se rendra vite compte qu’au delà de leur dimension fantastique, la vocation de ces chants mariaux est d’illustrer, dans les grandes largeurs, à quel point la foi mariale peut soulever des montagnes pour tout un chacun, par delà sa condition et même sa religion.
On notera aussi que ces miracles ont toujours des refrains simples à retenir. En scandant le récit, ils semblent inviter l’audience à la reprise en chœur des louanges à la Sainte et on se prend à imaginer leur usage sur les routes des pèlerinages.
Culte marial et dévotion médiévale à la vierge
Au Moyen Âge central et particulièrement au XIIIe siècle, le culte marial est à la génèse d’un grand nombre de récits de miracles qui nourrissent la foi des pèlerins alors nombreux à se rendre vers les lieux saints édifiés en dévotion à la vierge. Les cantigas reflètent cette grande diversité, autant que cette effervescence et cette ferveur à l’endroit de l’image de la vierge.
La dévotion mariale traversera cette partie du Moyen Âge et la suivante en inspirant les auteurs les plus divers, clercs, religieux, troubadours et trouvères. On fait alors appel à la Sainte pour qu’elle intercède auprès de son fils, le Dieu mort en croix. En plus de sa grande mansuétude et sa grande bonté, on lui prête aussi la capacité d’avoir l’oreille du Christ.
Cet amour suscité par Marie prendra des formes diverses, dans des textes profanes comme religieux. Il héritera quelquefois même de certains éléments de la lyrique courtoise pour devenir le plus pur des amours, celui de la dame inaccessible, la fleur des fleurs idéale que l’on ne pourra jamais prétendre approcher tout à fait.
La cantiga de Santa Maria 47 : ivresse démoniaque & salvation miraculeuse
Le récit de la Cantiga de Santa Maria 47 est celui d’un miracle. Il y sera question de vin. Pourtant, nous sommes loin, ici, des noces de Cana ou même de la Cantiga 23 sur le même thème. En fait d’usage divin du breuvage ou de changement d’eau en vin, c’est cette fois le démon qui tentera de tirer partie des vertus alcoolisées du jus de la treille.
Un pauvre moine, dévot d’ordinaire, en fera les frais. Emporté par son élan et la ruse du démon, il en boira plus que son compte. Finalement plongé dans un état avancé d’ébriété, il se décidera tout de même à se rendre à l’église. Hélas ! il en faudra plus pour arrêter le démon et le frère subira ses assauts répétés. Ce dernier prendra même diverses formes dans une sorte de défilé dantesque, pour empêcher le dévot de se rendre à l’office. Il faudra alors une invocation fervente de la vierge et une intercession de cette dernière pour secourir le moine égaré.
Un rappel à l’ordre bénédictin pour le moine dévot
L’histoire ne nous dit pas si le moine était bénédictin. Une fois sauvé des griffes du démon par l’intervention de la Sainte, il se verra toutefois rappeler indirectement un des préceptes déjà cher à Saint Benoit pour régler la vie des moines : « Nous lisons que le vin ne convient aucunement aux moines. Pourtant, puisque, de nos jours, on ne peut en persuader les moines, convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété, mais modérément, car le vin fait apostasier même les sages.«
Métamorphoses, apparitions démoniaques et combat au grand jour du bien et du mal
A l’image d’autres récits des cantigas de Santa Maria, le miracle de la CSM 47 met en scène, de manière particulièrement spectaculaire, l’opposition du bien et du mal et leur intervention directe dans le quotidien de l’homme médiéval. Fourbe et tentateur, le malin peut y prendre les formes les plus diverses pour tenter les plus assidus.
Rien n’est pourtant jamais gagner d’avance pour lui non plus et il se trouve confronté plus d’une fois aux forces divines incarnées par Marie. Elle peuvent apparaître, en un éclair, au secours du malheureux pour peu que ce dernier les invoque avec sincérité. Gare alors au démon qu’elle que soit sa ruse ou ses formes ! Face à la Sainte, il ne pèse guère et le voilà rendu à se carapater.
A travers leur déroulement, les récits des cantigas illustrent parfaitement comment le magique peut surgir au détour de n’importe quel virage au Moyen Âge. On pourra repenser à nouveau ici à cette citation de Jacques le Goff sur « ce diable médiéval si peu avare d’apparitions« . Dans ce monde pétri de transcendance, de craintes de fauter comme d’espoirs de salut, le spirituel et le surnaturel ont acquis le droit de s’inviter et de se manifester, à n’importe quel moment, dans le temporel.
Aux sources médiévales de cette cantiga
Pour les sources, partitions et enluminures de cette cantiga, nous nous sommes accompagnés, tout au long de cet article, du très beau Codice Rico de la Bibliothèque Royale du monastère de l’Escurial à Madrid. Ce manuscrit, médiéval daté de 1280 et référencé Ms. T-I-1, contient l’ensemble des cantigas de Santa Maria et leur notation musicale. Vous pouvez le consulter en ligne sur le site digital officiel de la Bibliothèque. Place maintenant, et comme promis, à une belle version en musique avec ArteFactum !
La Cantiga 47 par l’ensemble médiéval ArteFactum
L’ensemble ArteFactum & les cantigas
Nos lecteurs connaissent désormais Artefactum. Formé en 1995, cet ensemble de musiques médiévales andalou a, depuis, fait montre d’un grand talent pour restituer le monde médiéval et ses musiques.
Discographie & programmes
Au terme d’une carrière de prés de 30 ans, la discographie d’ArteFactum est finalement assez sélective et réduite. Elle compte un total de six albums produits au fil des ans. Les sujets sont aussi variés que les danses du Moyen Âge, les chants de troubadours, les Carmina Burana, ou encore les musiques médiévales de pèlerins ou celles autour des fêtes de Noël. Les Cantigas de Santa Maria ont également fourni le thème d’un album relativement précoce dont est tirée la pièce du jour.
Si cette formation de musiques médiévales, n’a pas sorti grandes quantités d’albums, il faut souligner la grande richesse de ses prestations scéniques. Ses programmes dépassent, en effet, de loin les enregistrements studios en terme de thématique. Enfin, si l’ensemble ArteFactum est particulièrement actif sur la scène médiévale espagnole, on peut également le retrouver sur d’autres scènes européennes. Il a même fait voyager sa passion pour les musiques du Moyen Âge jusqu’en Australie ! Pour suivre Artefactum, vous pouvez retrouver son actualité ici (en espagnol et anglais).
En El Scriptorium l’album un bel hommage aux cantigas d’Alphonse X
En 2006, l’ensemble médiéval partait à la rencontre des cantigas de Santa Maria et quelle rencontre ! Intitulé « En el Scriptorium« , l’album présente onze pièces de haute tenue pour 56 minutes d’écoute.
Les arrangement musicaux, autant que les performances vocales font de cet album une vraie réussite. La voix de la chanteuse soprano Mariví Blasco y apporte aussi une vraie note de fraîcheur. Pour le reste, tout y est joyeux, virevoltant, enlevé et ArteFactum signe, à nouveau là, une très belle production.
En el Scriptorium est, pour le moment, annoncé comme épuisé sur le site officiel de l’ensemble musical. En cherchant un peu, vous pourrez peut-être le débusquer au format CD chez votre meilleur disquaire. Dans l’hypothèse contraire, voici un lien utile pour le trouver en ligne au format MP3.
Musiciens ayant participé à cet album
Mariví Blasco (voix), Francisco Orozco (voix et luth), Vicente Gavira (voix), José Manuel Vaquero (vielle à roue, chœur, organetto), Juan Manuel Rubio (santour, viole, harpe médiévale, chœur), Ignacio Gil (flûtes, chalemie, flûte traversière, chœur), Álvaro Garrido (percussions, tambourin, astrabal, tombak, …)
La cantiga de Santa Maria 47 et sa traduction en français moderne
Esta é como Santa María guardou o monge, que o démo quis espantar por lo fazer perder.
Virgen Santa María, guarda-nos, se te praz, da gran sabedoría que eno démo jaz.
Ce chant raconte comment Sainte Marie protégea un moine que le démon voulut effrayer afin qu’il se perde.
Vierge Sainte-Marie, Sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse Qu’il y a dans le démon.
Ca ele noit’ e día punna de nos meter per que façamos érro, porque a Déus perder hajamo-lo téu Fillo, que quis por nós sofrer na cruz paxôn e mórte, que houvéssemos paz. Virgen Santa María…
Car de nuit comme de jour, il lutte Pour que nous commettions des erreurs, qui nous font perdre Dieu ton fils, qui a voulu pour nous souffrir, La passion et la mort sur la croix, pour que nous connaissions la paix,
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qui réside dans le démon.
E desto, méus amigos, vos quér’ óra contar un miragre fremoso, de que fix méu cantar, como Santa María foi un monge guardar da tentaçôn do démo, a que do ben despraz. Virgen Santa María…
Et à propos de cela, mes amis, je veux vous conter à présent, Un merveilleux miracle, dont j’ai fait mon chant, Et qui conte comment Sainte Marie garda un moine De la tentation du démon qui a le Bien en horreur,
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Este monj’ ordinnado éra, segund’ oí, muit’, e mui ben sa orden tiínna, com’ aprendí mas o démo arteiro o contorvou assí que o fez na adega bever do vinn’ assaz. Virgen Santa María…
Ce moine était ordonné, d’après ce que j’ai entendu Et il suivait la règle avec application, comme j’ai pu l’apprendre Mais le démon plein de ruse le perturba (contorver /détourner) de telle façon Que dans le cellier, il lui fit boire du vin en excès.
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Pero beved’ estava muit’, o monge quis s’ ir dereit’ aa eigreja; mas o dém’ a saír en figura de touro o foi, polo ferir con séus córnos merjudos, ben como touro faz. Virgen Santa María…
Bien que passablement ivre, le moine voulut aller Directement à l’Eglise, mais le démon vint à sa rencontre Sous la forme d’un taureau, et se précipita sur lui pour le charger le front baissé et toutes cornes dehors, comme le fait un taureau.
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Quand’ esto viu o monge, fèramên s’ espantou e a Santa María mui de rijo chamou, que ll’ apareceu lógu’ e o tour’ amẽaçou, dizendo: “Vai ta vía, muit’ és de mal solaz.” Virgen Santa María…
Quand le moine vit cela, il en fut terriblement effrayé Et il appela Sainte Marie avec tant de force Qu’elle apparut sur le champ et menaça le taureau En disant : « Passe ton chemin, toi qui n’est que nuisance.
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Pois en figura d’ hóme pareceu-ll’ outra vez, longu’ e magr’ e veloso e negro come pez; mas acorreu-lle lógo a Virgen de bon prez, dizendo: “Fuge, mao, mui peor que rapaz.” Virgen Santa María…
Puis, le démon apparut cette fois, sous la forme d’un homme, Mince et tout poilu, noir comme la poix ; Mais la Vierge de haute valeur, s’en approcha sans tarder En disant : « Fuis, malin, pire que le pire des laquais » (1).
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Pois entrou na eigreja, ar pareceu-ll’ entôn o démo en figura de mui bravo leôn; mas a Virgen mui santa déu-lle con un bastôn, dizendo: “Tól-t’, astroso, e lógo te desfaz.” Virgen Santa María…
Puis le moine entra dans l’église et lui apparût alors Le démon, sous la forme d’un lion furieux. Mais la vierge très sainte le frappa avec un bâton, En disant : « Ote toi d’ici, oiseau de mauvais augure (2) et disparais sur le champ »
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
Pois que Santa María o séu monj’ acorreu, como vos hei ja dito, e ll’ o medo tolleu do démo e do vinno, con que éra sandeu, disse-ll’: “Hoi mais te guarda e non sejas malvaz.” Virgen Santa María…
Après que Sainte Marie eut secouru son moine, Comme je viens de vous le conter, et que sa peur s’en fut Du démon comme du vin qui l’avaient rendu fou, Elle lui dit : à partir de maintenant, fais plus attention à toi et ne sois pas méchant.(3)
Vierge Sainte-Marie, sauve nous, s’il te plait, De la grande ruse qu’il y a dans le démon.
En vous souhaitant une belle journée. Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Notes :
(1) On trouve en galicien médiéval une forme du mot « rapaz » utilisée, de manière péjorative, pour désigner la rapacité de certains valets, serviteurs. Nous avons donc choisi ici « Laquais ». On trouvera des traductions plus littérales qui prennent comme référence l’oiseau rapace. En langue française, on pourrait peut-être utiliser « vautour » pour raccrocher sur cette idée dépréciative. Concernant les acceptions variées du mot rapace en galicien médiéval, voir ce lien sur l’institut d’études galiciennes de l’Université de Santiago de Compostelle.
Sujet : monde médiéval, histoire médiévale, anthropologie, histoire culturelle, symbole, cochon, animaux, régicide, capétiens, royauté française, anthropologie, médiéviste. Période : Moyen âge central, XIIe et XIIIe siècle Ouvrage : Le roi tué par un cochon (Edition du Seuil, 2015) Auteur : Michel Pastoureau
Bonjour à tous,
e 13 octobre 1131, le jeune prince Philippe, fils et héritier direct de Louis VI le gros déambule à cheval, avec quelques uns de ses gens, dans les rues de Paris. Est-il lancé dans un galop imprudent ? Joue-t-il à se courser avec l’un de ses écuyers ? Les chroniqueurs hésitent.
Pourtant, par un funeste tour du destin, un porc errant viendra se prendre dans les pattes de sa monture, faisant choir le futur roi alors âgé de 15 ans. Quelques heures plus tard, le terrible drame s’abat sur la couronne : le jeune Philippe est mort des suites de ses blessures. Il était l’ainé choyé du souverain. La royauté avait mis en lui tous ses futurs espoirs et même s’il avait été déjà sacré à Reims en 1129, il ne règnera jamais sur la France contre toutes les attentes de son géniteur, Louis VI.
Enluminure de l’accident du prince Philippe dans le Mss 677 de la ville de Besançon – Chronique anonyme, en langue française (fin du XIVe siècle)
Quand le destin des capétiens croisa celui d’un porc « envoyé du diable »
L’événement pourrait passer pour anodin et la « grande histoire » l’a même un peu oublié, mais c’eut été sans compter sur la présence de Michel Pastoureau. Partant du funeste accident, le médiéviste va dérouler ici toute son érudition pour nous entraîner dans un voyage au cœur du Moyen Âge central. Il y mettra même ses larges connaissances des bestiaires, des héraldiques, des couleurs et des symboles du monde médiéval au service d’une hypothèse étonnante : sous l’apparence du simple accident urbain, ce « porcus diabolicus », comme le nomment certains chroniqueurs d’alors, cet animal infâme, ce porc envoyé du diable aurait-il pu, à ce point, affecter le destin de la lignée capétienne pour que, se pensant souillée et presque maudite, elle cherche finalement à se laver de l’infâmie, et à se racheter aux yeux de Dieu, en se drapant de nouveaux symboles propices à conjurer le sort :
D’un côté, le lys, celui de la mère des mères, la vierge Marie, fleur des fleurs du culte marial naissant,
De l’autre, le bleu roi, couleur de la lumière divine, qui avait déjà occupé Michel Pastoureau dans son histoire des couleurs.
Conjugués, ces deux symboles puissants et protecteurs, s’imposeront, en effet, tous deux, quelque temps après l’incident, sur les habits royaux les plus symboliques de la couronne de France.
Ombre et souillure d’un cochon diabolique
Dans une grande aventure, pour passer au crible son étonnante hypothèse, Michel Pastoureau donnera dans ce livre une leçon magistrale de nouvelle histoire, en liant chronologies, histoire des symboles et des mentalités et bien entendu, approche anthropologique et historique.
Il nous parlera du lourd deuil du père du prince : Louis VI le gros a-t-il, par ses exactions et ses conduites par trop libertine, suscité la colère de Dieu ? Il abordera encore la question du possible poids qu’aura fait peser cet héritage du frère défunt sur l’autre fils qui par là, deviendra rien moins que le nouveau roi de France, Louis VII. Suivons un peu Michel Pastoureau sur les traces de ce règne qui, sans le porc errant n’aurait jamais du avoir lieu.
Louis VII ou le règne maladroit d’un héritier de circonstance
Peu préparé à ses fonctions, ce roi par accident, accumulera les maladresses. D’un naturel très pieu et d’un caractère peu amène, il se fâchera avec le pape et d’autres encore, entrera en conflit ouvert avec Thibaut de Champagne. En 1143, et dans le cadre de ses passes d’armes d’avec le puissant comte, les gens de Louis VII seront même à l’origine des terribles incidents conduisant au drame de l’église de Vitry-en-Perthois : un millier de villageois en furent victimes et périrent brûlées en les murs de l’édifice religieux où ils s’étaient réfugiés. Pour le souverain, il fallut bien au moins un départ aux croisades pour tenter d’expier l’horreur de cette tragédie, mais son voyage oriental ne se soldera par aucune victoire flamboyante et bien plutôt par des déroutes.
Enfin, et c’est encore une pierre à l’édifice de sa déroute, Louis VII le jeune ratera totalement son mariage (arrangé par son père), avec Aliénor d’Aquitaine. Il se montrera incapable de concevoir un héritier (ils auront cependant deux filles). Mauvais assortiment, natures incompatibles, jalousie trop grande de Louis le Jeune ou frivolité d’Aliénor ? L’union finira par un divorce qui verra la belle, deux ans plus tard, conclure un remariage avec le roi Henri II d’Angleterre (autre terrible disgrâce). De neuf ans son cadet, le souverain anglois donnera à Aliénor de nombreux descendants dont un nombre incomptable de fils, autre disgrâce par procuration pour Louis VII. L’ombre du porc maléfique encore lui et la punition divine planerait-elle sur tout cela, mais surtout sur l’esprit ou les dispositions psychologiques de la lignée capétienne ? Michel Pastoureau tient son fil et nous le suivons avec plaisir et même, à plus d’un tour, une certaine jubilation. Le sujet est passionnant et l’historien ne perd pas son fil pour le rendre crédible.
Un exercice de synthèse érudit et réjouissant
Afin de servir sa démonstration, le médiéviste fera encore des détours par l’histoire des croisades, les bestiaires médiévaux et notamment l’histoire du porc domestique. Fort répandu dans les villes d’alors, l’animal les nettoie de sa grande voracité. Nous visiterons également avec l’auteur, la symbolique médiévale attachée au cochon, en opposition à celle de son cousin sauvage le sanglier, qu’on affronte à la chasse et dont on tire quelques mérites guerriers. Michel Pastoureau en profitera encore pour disgresser sur le statut du porc et les interdits comparés qui pèsent sur sa consommation dans différentes cultures et religions en tentant de donner des pistes à leur propos : porc attaché à la souillure, porc omnivore, porc (trop) proche de nous du point de vue anatomique, etc…
On croisera encore, dans cet ouvrage finalement très dense, de grands personnages historiques comme Bernard de Clairvaux ou l’abbé et homme d’état Suger animés de leurs propres enjeux. On y sera gratifié d’un bonne dose d’historiographie sur l’incident et on en ressortira copieusement instruit sur l’héraldique, la nature végétale des symboles royaux français contre les animaux préférés par les royaumes de l’Europe d’alors.
Faire de l’histoire sérieuse avec des choses triviales
Pour conclure, on a même un peu de mal a restituer la richesse et la densité de ce petit ouvrage tant Michel Pastoureau y a mis d’information, en faisant des détours et des parenthèses toujours passionnantes sans perdre de vue longtemps son hypothèse. Il reste de ses érudits intarissables qui sait tenir ses lecteurs et ses auditeurs en haleine.
Au passage et pour les apprentis- chercheurs en sciences humaines, il donnera aussi une belle leçon de méthodologie, en démontrant comment à partir d’une hypothèse et de choses qui pouvaient sembler, à première vue triviales, on peut faire sérieusement de la science historique. Dans l’exercice, il aura fait, dans le même temps la nique à l’histoire classique ou « la grande histoire » comme on a pu la nommer, en interrogeant, une fois de plus ses fondements, pour établir dans la lignée de ses pairs, les Duby ou les Le Goff que les dates et les faits importants ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Finalement, pour boucler la leçon de méthode et sur le terrain de l’épistémologie, la falsifiabilité de Poppers demeurera au centre de la conclusion de cet ouvrage ; l’hypothèse, par certains aspects, cocasse, de ce porcus diabolicus et son influence sur les emblèmes royaux de la France capétienne et du bleu de la France actuelle restera une hypothèse, sauf à trouver plus d’éléments ou de documents capables de l’avérer ou de l’infirmer. Entre-temps, le médiéviste nous aura donné beaucoup de plaisir, au long d’un ouvrage qui reste parfaitement accessible à tout type de publics et dont on sent aussi, à son ton plus d’une fois amusé, qu’il a pris beaucoup de plaisir à l’écrire.
Comment se procurer cet ouvrage ?
Ce livre de Michel Pastoureau est disponible au format poche chez Points. Il fait un peu moins de 300 pages mais aucun caractère n’y est perdu. Voici un lien utile pour l’acquérir : le roi tué par un cochon, Michel Pastoureau, Edition Points (2018). Si vous préférez écouter cet ouvrage, notez qu’il est également disponible chez Audible en forma audio, lu par Olivier Martinaud et paru chez l’éditeur Le livre qui parle.
Découvrir d’autres ouvrages de Michel Pastoureau :
Frédéric EFFE. Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : le détail d’enluminure sur l’image d’en-tête est tiré du manuscrit médiéval Royal 16 G VI de la British Library d’Angleterre. Daté du milieu du XIV siècle et superbement illuminé, cette longue série de manuscrits médiévaux présente une édition révisée des Grandes Chroniques de France.
Sujet : musique médiévale, cantigas de Santa Maria, galaïco-portugais, culte marial, miracles, Sainte Marie, Vierge, jeux de dés Epoque : moyen-âge central, XIIIe siècle Auteur : Alphonse X (1221-1284) Titre : Póde por Santa María o mao perdê-la fala… Interprète : Eduardo Paniagua Album : Cantigas de Huesca Santa Maria de Salas, Reino de Aragon (2022)
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nos pérégrinations médiévales nous entraînent vers l’Espagne du XIIIe siècle. Posé à la cour d’Alphonse X de Castille, nous y étudierons une nouvelle pièce musicale et poétique, tirée des Cantigas de Santa Maria avec à l’habitude des éléments sur les sources, une traduction en français actuel, mais encore une version en musique.
Les cantigas de Santa Maria d’Alphonse X
Entre récits de miracles attribuées à la vierge et chants de louanges, ce vaste corpus de 427 pièces, compilé par le souverain de Castille est devenu incontournable pour qui s’intéresse à la musique médiévale tant qu’aux mentalités du Moyen Âge. Si les cantigas galaïco-portugaises d’Alphonse X continuent d’inspirer de nombreux ensembles et formations de musiques anciennes, elles demeurent également un précieux témoin du culte marial qui prit corps dans l’Europe du Moyen Âge central et perdura bien au-delà.
Du point de vue purement factuel, que le lecteur soit sensible ou non à la dimension religieuse de ces récits de miracles, les cantigas de Santa Maria lèvent, indéniablement, le voile sur un Moyen Âge rempli de magie et de fantastique.
Résurrection, apparitions, maladies qui s’effacent en un clin d’œil, objets qui prennent soudainement vie, tentations diaboliques… On y devine, en filigrane, la réalité d’un homme médiéval immergé dans un monde peuplé de champs de possibles extraordinaires, monde dans lequel le matériel et le temporel ne cessent d’interagir et de s’interpénétrer et où la grâce, le merveilleux, le salut ne sont jamais très éloignés, pas plus que leurs pendants du reste : l’obscurité, la chute, la damnation…
Sanction & rédemption pour un joueur invétéré
La cantiga de Santa Maria 163 que nous vous proposons d’étudier, aujourd’hui, est, donc, un nouveau récit de miracles. Son personnage principal est un joueur de dés pris dans les filets du jeu et les tourments que cela suppose.
Pour ceux qui nous lisent régulièrement ou qui sont un peu versés en littérature médiévale, ce protagoniste ne manquera pas d’évoquer indirectement les déboires d’un Rutebeuf et sa grièche d’Hiver. Dans ce texte, le trouvère parisien contait, en effet, ses misères au jeu de dés et comment il se trouvait dépouillé par sa malchance, autant que par son addiction. Quelques siècles après lui, en référence encore à ce jeu de dés et au monde interlope autour duquel il gravitait, on se souvient aussi de Villon faisant allusion aux tricheurs aux dés dans sa ballade de bonne doctrine à l’attention de ceulx de mauvaise vie.
Contre la dépendance au jeu de Rutebeuf et sa désespérance, l’addiction du protagoniste de la Cantiga de Santa Maria 163 trouvera d’abord sa punition dans le blasphème et la mécréance, pour finir par une rémission et une rédemption par le biais d’un pèlerinage. Et c’est auprès de Santa Maria de la Salas (que nous avons déjà croisée dans nos études sur les Cantigas) que l’homme sera sauvé.
Comme on le verra dans cette cantiga, aux temps médiévaux, la Sainte Mère peut se montrer tranchante et impitoyable pour qui la renie, mais elle n’est jamais rancunière et demeure toujours pleine de mansuétude envers le repenti. Du reste, ayant été rejeté par notre joueur de dés invétéré, Dieu en personne aura intercédé pour châtier durement l’outrecuidant, mais trouvant ce dernier sincère dans sa volonté de s’absoudre, la réponse favorable de la mère de « Dieu mort en croix » ne se fera guère attendre. La langue se déliera et le paralysé marchera.
Aux sources manuscrites de la cantiga 163
Pour les sources manuscrites de cette cantiga de Santa Maria 163, nous vous proposons de la découvrir telle qu’elle se présente dans le códice rico ou MS T.I.1 de la Bibliothèque Royale de l’Escurial à Madrid. Par la grâce de l’ère digitale, ce manuscrit médiéval de la fin du XIIIe siècle peut être désormais consulté en ligne sur le site de la Bibliothèque sans avoir à faire tout le voyage jusqu’en Espagne.
Noter que vous pourrez également retrouver la CSM 163 dans le códice de los músicos référencé MS B.I.2 et conservé, lui aussi, à la Bibliothèque de L’Escurial (Madrid). Pour la version musicale de cette cantiga, nous vous proposons une interprétation sous la houlette d’Eduardo Paniagua :
Les cantigas de Sainte-Marie de Salas et du royaume d’Aragon, par Eduardo Paniagua
Dans sa vaste entreprise d’enregistrement de l’ensemble des Cantigas de Santa Maria, le musicien et directeur espagnol Eduardo Paniagua avait déjà produit pas moins de 55 albums, en privilégiant des angles et des regroupements thématiques. S’il n’avait pas encore approché les Cantigas de Huesca et de la province Aragonaise, en particulier les miracles attachés à la vierge de Salas et son ermitage, ce passionné de musique médiévale s’en est, toutefois, acquitté tout récemment.
En octobre 2022, il a ainsi fait paraître un double album riche de 23 cantigas sur ce thème qui montre bien, au passage, l’abondance des références aragonaises dans les Cantigas d’Alphonse X. On peut supposer que le mariage du souverain espagnol avec Yolande de la maison d’Aragon n’y est pas totalement étranger, cette dernière ayant pu alimenter ce dernier en récits du cru, issus des nombreux pèlerinages qu’on y faisait alors.
A présent, ce double album d’Eduardo Paniagua est donc disponible en format CD chez tous les bons disquaires. Vous pourrez également le trouver à la vente en CD ou au format Mp3 sur les plateformes légales en ligne : voir ce lien pour plus d’informations.
Les paroles de la cantiga de Santa Maria 163 et leur traduction en français
Como un hóme d’ Ósca, que jogava os dados, descreeu en Santa María e perdeu lógo a fala; e foi a Santa María de Salas en romaría e cobró-a. Póde por Santa María o mao perdê-la fala, e ar, se se ben repente, per ela póde cobrá-la.
Comment un homme de Huesca qui jouait aux dés, renia Sainte-Marie et, à cette suite, perdit l’usage de la parole ; et comment il alla en pèlerinage à Sainte-Marie de Salas et la retrouva.
Par Sainte Marie, le mécréant* (le méchant) peut perdre l’usage de la parole mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.
E desto fez un miragre a Virgen Santa María mui grand’ en Ósca, dun hóme que ena tafuraría jogara muito os dados e perdera quant’ havía; poren descreeu na Virgen, que sól non quis receá-la. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
A ce propos, la vierge Sainte Marie accomplit à Huesca Un puissant miracle, sur un homme qui, dans une maison de jeu, Joua beaucoup aux dés et finit par perdre tout ce qu’il possédait ; Pour cela, il renia la Vierge et refusa de lui accorder son respect* (la craindre). Refrain …
Tanto que est’ houve dito, foi de séu córpo tolleito polo gran mal que disséra, e, par Déus, foi gran dereito; e lógo perdeu a fala, ca Déus houve del despeito, que lla tolleu a desora, como se dissésse: “cala!” Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
A peine eut-il dit cela, que son corps fut paralysé Pour les mauvaises paroles prononcées, et par la grand justice de Dieu. Et ensuite, il perdit l’usage de la parole, car Dieu qui était dépité, Lui ôta, soudainement, comme pour lui dire: “Tais-toi ! ”. Refrain …
Assí esteve gran tempo que dalí non se mudava, e a cousa que quería per sinaes amostrava; e desta guisa a Salas dalí levar-se mandava, e déu-ll’ a lingua tal sõo como fógo que estala. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
L’homme resta longtemps ainsi, sans bouger de l’endroit ; Et s’il voulait quelque chose, il faisait des signes pour le demander ; Et de cette même façon, à Salas il demanda qu’on l’emmène Où il fit avec sa langue des sons plus forts que le feu qui crépite. Refrain …
E catando a omagen, chorou muit’ e falou lógo e diss’: “Ai, Santa María, que me perdões te rógo, e des aquí adeante, se nunca os dados jógo, a mia lingua seja presa que nunca quéras soltá-la.” Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
Et regardant l‘image* (la statue) de la vierge, il pleura beaucoup avant de dire : “Aïe, Sainte Marie, je te supplie de me pardonner, Et si, à partir de maintenant, je jouais à nouveau aux dés, Que la langue me soit prise et que jamais tu ne veuilles me la rendre !” Refrain …
Lógo que est’ houve dito, foi de todo mui ben são, e quantos aquesto viron loaron porên de chão a Virgen Santa María; e aquel foi bon crischão e des alí adeante punnou sempre en loá-la. Póde por Santa María o mao perdê-la fala…
Après qu’il eut dit cela, il fut parfaitement guéri, Et quand ceux qui étaient là, le constatèrent, ils louèrent ouvertement La Vierge Marie; et dès lors cet homme fut bon chrétien Et à partir de ce moment, il s’efforça toujours de la louer. Par Sainte Marie, le méchant peut perdre l’usage de la parole mais, s’il se repent correctement, il peut aussi la retrouver grâce à elle.
En vous souhaitant une belle journée.
Fred Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes