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Eustache Deschamps, une ballade médiévale acerbe contre la vie curiale

eustache_deschamps_ballade_poesie_medievale_enluminure_clerc_etudes_science_savant_moyen-age_tardifSujet : poésie médiévale, littérature médiévale, poésie morale, satirique ballade, moyen français, vie curiale
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  « Va à la court, et en use souvent »
Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps GA Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici une nouvelle ballade en moyen-français du XIVe siècle, signée de la plume d’Eustache Deschamps. L’auteur du moyen-âge tardif nous y entraîne à nouveau du côté de la poésie satirique, en mettant au banc les artifices de la vie curiale.

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Vie dissolue, excès, règne des apparences et des faux-semblants, jeux de pouvoir et phrases assassines sous le fard grimaçant du rire, les rois et les princes changent, les cours et les courtisans demeurent. Avec son caractère trempé d’un seul bloc, on imagine assez mal, notre poète médiéval, tout pétri de valeurs de loyauté et de droiture et si souvent impitoyable envers les travers de ses contemporains, se couler aisément dans le moule de cette vie de cour pleine de vacuité et de fatuité. C’est encore sans doute plus vrai de ses poésies tardives. Devenu encore moins souple, le Eustache vieillissant a fait son deuil d’une certaine réussite et il est en plus désabusé par le peu de prestige et d’avantages qu’il a pu retirer d’une longue vie au service de la couronne.

Quoiqu’il en soit, par ses fonctions autant, certainement que par ambition,  notre poète médiéval s’est suffisamment frotté à la vie curiale durant ses jeunes années pour s’en trouver échaudé et c’est un thème qu’il a  coeur de traiter et de dénoncer  ( voir pourquoi viens-tu si peu à la cour  ?  ou encore deux ballades sur la cruauté des jeux de cour ).

Du point de vue de la forme c’est une ballade dialoguée. Un peu à la manière de la lyrique courtoise, le poète s’adresse dans les premières lignes à une Dame pour le guider dans sa quête, ici, d’élévation sociale. En fait de lui donner de beaux conseils, elle l’invitera plutôt, de manière ironique, à cultiver tous les vices et à les exercer à la cour.

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« Va à la court, et en use souvent »
des moyens de parvenir à la cour

Apprenez-moy comment j’aray estat (1)
Soudainement, dame, je vous en prie,
Et en quel lieu je trouveray bon plat
Pour gourmander et mener glote* (*gloutonne) vie.
– 
Je le t’octroy : Traïson et envie
Te fault sçavoir, ceuls te mettront avant :
Mentir, flater, parler de lécherie* (*débauche, libertinage) :
Va à la court, et en use souvent.

Pigne-toy* (*de peigner) bel, ton chaperon abat,
Soies vestus de robe très jolie,
Fourre-toy bien quoy qu’il soit de l’achat ; (2)
Ten-toi brodé d’or et de pierrerie ;
Ment largement afin que chascuns rie,
Promet asse, et tien po de convent* (*promesse).
Fay tous ces poins, ne te chaille (de chaloir, importer) qu’om die :
Va à la court, et en use souvent.

A maint l’ay veu faire qui s’i embat,(3)
Soi acointier de l’eschançonnerie, (4)
Jouer aux dez tant qu’il gaingne ou soit mat,
Qu’il jure fort, qu’il maugrie ou regnie* (*de regnïer : blasphémer, jurer),
Et lors sera de l’adroite mesgnie.
Fay donc ainsi, met-toy tousjours devant ;
Pour avoir nom tous ces vices n’oublie :
Va à la court, et en use souvent.

Envoy

Princes, bien doy remercier folie,
Qui m’a aprins ce beau gouvernement ,
Et qui m’a dit : A ces poins estudie
Va à la court, et en use souvent.


NOTES

(1) Comment j’aray estat : comment  je pourrais m’élever socialement,  comment je pourrais conquérir une position sociale élevée, 

(2) Fourre-toy bien quoy qu’il soit de l’achat : de forrer : couvrir, garnir, tapisser : ie  Pare-toi des plus beaux habits sans regarder à la dépense.

(3) A maint l’ay veu faire qui s’i embat :  embatre :  se précipiter, pousser, insinuer, s’adonner,… Je l’ai vu faire à nombre d’entre eux qui s’y adonnent, qui s’y précipitent.

(4)Soi acointier de l’eschançonnerie : lie-toi d’amitié avec l’échansonnerie. avec les officiers en charge de servir les boissons.
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En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Fay ce que doiz et adviengne que puet » un ballade morale d’Eustache Deschamps à son fils

eustache_deschamps_ballade_poesie_medievale_enluminure_clerc_etudes_science_savant_moyen-age_tardifSujet : poésie médiévale, littérature médiévale, poésie morale, ballade, moyen français, valeurs morales, loyauté,honneur,
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre :  Fay ce que doiz et adviengne que puet
Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps GA Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

C_lettrine_moyen_age_passionap sur le XIVe siècle avec une nouvelle ballade d’Eustache Deschamps. Le poète médiéval la destina explicitement à son fils et comme dans nombre de ses poésies morales, il y est question de droiture, d’honneur, de loyauté, de non-convoitise, bref d’un code de conduite pour soi mais aussi, bien sûr, valeurs chrétiennes obligent, devant l’éternel.  Comme il se plait souvent à le souligner, (il le fera à nouveau ici) ces valeurs et ce code transcendent les classes sociales et s’adressent à tous. Par elles, tout un chacun peut s’élever mais aussi se « sauver ».

Pour le reste, à la grâce de Dieu donc et advienne que pourra :  Fay ce que doiz et adviengne que puet. Dans le refrain de cette balladeon retrouve le grand sens de la formule et la plume incisive du maître de poésie  du moyen-âge tardif.

Georges Adrien Crapelet
et la renaissance d’Eustache Deschamps

ballade_poesie_medievale_eustache_deschamps_moyen-age_XIVeOn peut trouver cette ballade dans plusieurs oeuvres complètes de l’auteur médiéval et notamment dans l’ouvrage de Georges Adrien Crapelet (1789-1842) cité souvent ici : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps. Pour rendre justice à cet écrivain et imprimeur des XVIIIe, XIXe siècles, il faut souligner qu’après de longs siècles d’un oubli pratiquement total de la poésie d’Eustache Deschamps, c’est lui  qui l’exhuma patiemment des manuscrits, en publiant, en 1832,  l’ouvrage  en question et sa large sélection de poésies et de textes.

Les experts littéraires et historiens contemporains de Crapelet ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en reconnaissant alors les grandes qualités de son travail autant, du même coup, que celles de la poésie d’Eustache Deschamps. Si vous en avez la curiosité, on trouve dans le Journal des Savants de la même année 1832, un article fort élogieux de l’historien François Just Marie Raynouard  à propos de l’ouvrage de Crapelet et de ses travaux.

Près de deux cents ans après sa parution, ce livre est toujours ré-édité par diverses maisons d’éditions, en version papier. C’est, pour l’instant, l’éditeur Forgotten books qui est le mieux positionné du point de vue tarifaire, avec une édition brochée de belle finition. En voici le lien, s’il vous intéresse: Poésies Morales Et Historiques D’Eustache Deschamps, Ecuyer,  Huissier D’Armes Des Rois Charles V Et Charles VI, Chatelain de Fismes Et Bailli de Senlis.

A la suite de G.A. Crapelet, Le Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Gaston Reynaud, et d’autres auteurs encore du XIXe se décidèrent à leur tour, à publier les oeuvres complètes de l’auteur médiéval. S’il n’est pas devenu aussi célèbre qu’un Villon, Eustache Deschamps  a tout de même, grâce à tout cela et depuis lors, reconquis quelques lettres de noblesse bien méritées.

Sans minimiser aucunement le rôle joué par Crapelet dans la redécouverte de cette oeuvre conséquente, il faut se resituer dans le contexte historique et ajouter que les XVIIIe et le XIXe furent de grands siècles de redécouverte de l’art, de la poésie et de la littérature médiévale.

« Fay ce que doiz et adviengne que puet »
dans le moyen-français d’Eustache Deschamps

Soit en amours, soit en chevalerie,
Soit ès mestiers communs de labourer,
Soit ès estas grans, moiens, quoy c’om die,
Soit ès petis, soit en terre ou en mer,
Soit près, soit loing tant come on puet aler,
Se puet chascun net maintenir qui veult,
Ne pour nul grief ne doit a mal tourner :
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

Car qui poure est, et vuiz* (dépourvu) de villenie,
Devant tous puet bien sa teste lever ;
Se loiaulx est l’en doit prisier sa vie
Quand nul ne scet en lui mal reprouver ;
Mais cilz qui veult trahir ou desrober
Mauvaisement, ou qui autrui bien deult* (doloir, faire du tort),
Pert tout bon nom, l’en se seult* (souloir : avoir coutume) diffamer.
Fay ce que doiz et adviengne que puet.

N’aies orgueil ne d’autrui bien envie,
Veueilles toudis aux vertus regarder,
T’ame aura bien, le renom ta lignie ;
L’un demourra, l’autre est pour toy sauver :
Dieux pugnist mal, le bien remunerer
Vourra aux bons; ainsi faire le suelt*(de souloir).
Ne veuillez rien contre honeur convoiter.
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

L’ENVOY

Beaus filz, chascuns se doit loiaulx porter,
Puisqu’il a sens, estre prodoms l’estuet* (estoveir: falloir,être nécessaire)
Et surtout doit Dieu et honte doubter :
Fay ce que doiz et aviengne que puet.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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Montcornelles, une cité médiévale du XIVe sort de terre en plein XXIe siècle

heraldique_armoires_blason_ecu_bugeySujet : lieu d’intérêt, chantier, projet expérimental, parc médiéval, sortie historique,  cité médiévale.
Période :  Moyen-âge central, XIVe siècle
Lieu :  Montcornelles, chantier/cité médiévale Plateau de Hauteville, Aranc, Bugey, Ain, Auvergne Rhône Alpes

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu début des années 2010, dans le département de l’Ain et au coeur du Bugey est né dans la tête d’un ingénieur en matériaux de formation, un rêve un peu fou qui, à force de persévérance, est devenu en quelques années, un véritable projet et finalement, une réalité.  Son idée ? Construire une « cité » médiévale  ex-nihilo.

regis_navarro_cite_medievale_montcornelles_lieu_interet_tourisme_moyen-ageAprès de bien longues démarches pour viabiliser le dossier, pour convaincre et mettre d’accord aussi l’ensemble des acteurs (étatiques, territoriaux et locaux) impliqués, et encore pour trouver des appuis, Regis Navarro, c’est son nom (portrait ci-contre), concepteur et porteur du projet, accompagné de Anne Siegfried Adamovicz, attachée au service du patrimoine culturel du département de l’Ain, ont réussi à rallier à leur cause les collectivités et obtenu le feu vert autant que les premiers financements. Une des dernières étapes clés a été franchie à la mi -décembre 2017 avec une vote largement majoritaire de la communauté de communes du Plateau d’Hauteville, en faveur du projet. Le rêve est donc devenu réalité.

Tout est donc en bonne marche et il devrait y avoir sur place, au coeur du plateau de Hauteville, à quelques lieues d’Ambérieu-en- Bugey (une vingtaine de kilomètres), un parc/chantier expérimental sur le thème médiéval, ouvert aux visites et au public. La cité aura pour nom Montcornelles.

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Un parc/chantier expérimental sur le thème du monde médiéval et de ses bâtisseurs

La construction de cet ambitieux projet s’étalera sur une quarantaine d’année et le site se présente à la fois comme un chantier à visées pédagogiques et comme un parc à thème fournissant un cadre et un support propice à la découverte, à la sensibilisation, mais aussi au divertissement autour du monde médiéval. La période visée est le XIVe siècle.

Même s’il n’est pas question ici de bâtir un château-fort,  du point de vue du concept et des ambitions, on ne peut s’empêcher d’évoquer ici  le chantier de château Guédelon et Michel Guyot, grand précurseur en la matière et dont la formule et le succès auront indéniablement inspiré un certain nombre de nouveaux sites sur les terres de France, ces dernières années. Le territoire étant vaste, le public friand de divertissements médiévaux  et les informations qu’on peut tirer de ce genre d’expériences toujours intéressantes en terme d’ingénierie, de sciences et techniques et d’architecture ancienne, il reste quoiqu’il en soit, largement du champ pour que Montcornelles trouve sa place et son public.

Reconstitution, restitution, ambitions, réalisme?

Du point de vue de son emplacement, la future cité médiévale ne se situe pas sur un site historique connu et daté, mais sur un site à nu, occupé précédemment par des terres agricoles. Il ne s’agit donc pas ici d’archéologie expérimentale ou d’archéosite, pas d’avantage que l’idée n’est de reconstituer  un lieu ayant existé.

batisseurs_enluminure_chantier_experimental_medieval_montcornelles_bible_Maciejowski Du côté du réalisme, l’intention reste tout de même de se situer résolument au carrefour des possibles, autrement dit d’approcher au plus près la réalité (plausibilité) historique du point de vue des bâtiments, des outils ainsi que des technologies et des matériaux en usage.

Le porteur de projet ne cache d’ailleurs pas les ambitions du chantier, eu égard à une meilleure appréhension des  techniques des bâtisseurs de l’époque : « Mieux comprendre en refaisant recréant », le modo restera de se tenir au plus près des normes du moyen-âge central, tout en se pliant aussi à celles applicables et incontournables, à l’heure actuelle, en matière de chantier.

Quoiqu’il en soit, une Société coopérative d’intérêt collectif a été créée afin de mener à bien l’entreprise, mais aussi pour recruter l’équipe de bâtisseurs, tailleurs de pierre, charpentiers, forgerons, etc, en charge de faire sortir de terre cette cité médiévale imaginaire, et encore les personnels destinés à l’accueil des visiteurs. Le nombre de permanents devrait au départ se situer autour d’une dizaine. La SCIC entend bien également s’entourer d’experts, chercheurs et universitaires qui viendront donner à Montcornelles leur appui documenté et avisé, autant qu’une caution « historique ». Certains d’entre eux se sont d’ailleurs déjà rapprochés, avec enthousiasme, du porteur de projet. Autant le dire, toutes les bonnes volontés sont aussi mises à contribution dans cette aventure qui se veut résolument « participative et coopérative ».

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Divertissement, animations « hors chantier » :
faire revivre le moyen-âge culturel et festif

Autour du chantier et de la découverte du quotidien des bâtisseurs/artisans tout autant que des techniques  de construction médiévale, on compte bien aussi recréer à Montcornelles, des animations et une ambiance permettant d’immerger les visiteurs dans le moyen-âge du XIVe siècle. Dans cette optique, une association a aussi été créée, l’Association BCM Monts et Cornelles. Déjà à l’oeuvre sur le terrain, elle a pour vocation de prendre en charge les parties les plus « culturelles » de la cité médiévale naissante : organisation d’événements, d’animations à thèmes, festivités et temps forts saisonniers agenda_soiree_sortie_2018_bugey_veillees_contes_fabliaux_monde_medieval_bugey_montcornelles_bugeyou annuels. A terme, elle constituera aussi la troupe permanente  d’animations du lieu.

Pour ceux qui sont dans les environs du Bugey, elle organise d’ailleurs, le samedi 27 janvier prochain, une soirée « veillée » autour de contes,  fabliaux médiévaux, chants et danses d’époque. (affiche ci-contre)

Active sur le web, elle joue également à plein son rôle en terme de communication sur le projet, mais aussi de recrutement de passionnés et  bénévoles voulant se joindre à l’aventure.

Du point de vue de la « scénarisation » de Montcornelles et de son « histoire » imaginaire, le travail de conception est en cours. Les barrières les plus difficiles ayant été franchies, les acteurs impliqués dans le projet vont pouvoir prendre désormais le temps de s’y concentrer.

Liens utiles, information, détails pratiques :
Site web – Facebook  – Association  BCM Monts et Cornelles

Pour conclure

Le chantier de Montcornelles devrait être ouvert à l’année, d’avril à octobre. En terme de fréquentation, les objectifs sont ambitieux puisque les estimations de montée en charge projettent d’atteindre, sur les cinq à six premières années, près de 80 000 visiteurs par an, pour un volume attendu d’une quinzaine de milliers sur la première année et un seuil équilibre budgétaire autour de 40 000.

batisseurs_enluminure_chantier_experimental_monde_medieval_bugey_montcornelles_bible_-MaciejowskiAjoutons que le lieu représente aussi pour le Bugey un bel enjeu touristique. Le chantier médiéval expérimentale et les animations de Montcornelles devrait en effet permettre de prouver, si c’était nécessaire, qu’en plus de ses montagnes et de sa belle nature, propices à de merveilleuses ballades, en plus encore des généreux produits de terroirs qui ont fait sa célébrité – ses volailles, son gamay, ses fromages, son ramequin et j’en passe –  cette belle région a encore bien des choses à nous raconter de son histoire mais aussi, de manière plus large, de la notre. De notre côté, nous leur souhaitons, en tout cas, tout le meilleur, ainsi qu’une grande réussite.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
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le paysan et le serpent, une fable médiévale d’Eustache Deschamps en forme de ballade

poesie_fable_litterature_monde_medieval_moyen-ageSujet : poésie médiévale, morale, satirique, ballade, moyen français, fable, ingratitude
Période : moyen-âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Eustache Deschamps  (1346-1406)
Titre : « le paysan et le Serpent»
Ouvrage : Poésies morales et historiques d’Eustache Deschamps , Georges Adrien Crapelet (1832)

Bonjour à tous,

V_lettrine_moyen_age_passion copiaoici, pour aujourd’hui, une nouvelle fable médiévale à la façon d’Eustache Deschamps. Comme on le verra, elle n’est pas sans rappeler  le fabliau du pêcheur   (ou  fabliau des deux compères), que nous avions publié ici il y a quelque temps et dont nous avions même proposé une lecture audio.

Il y était question du peu de gratitude d’un homme manquant de se noyer, et qui, sauvé des eaux par un pêcheur charitable et étant malencontreusement blessé à l’oeil pendant l’opération, finissait, après avoir largement goûté à l’hospitalité de son bienfaiteur, par l’attaquer devant le tribunal pour en obtenir réparation.  Sous la forme d’un proverbe alors bien connu du moyen-âge, et même au delà de la France d’une partie de l’Europe médiévale, la morale du fabliau restait  implacable:

Raember de forches larron
Quant il a fait sa mesprison,
Jamès jor ne vous amera

Sauvez un larron de la potence
Une fois qu’il a commis son crime
Il ne vous aimera jamais pour autant

En fait de larron, la fable du jour met en scène un serpent et elle adresse plus largement l’ingratitude sous toutes ses formes. Elle fait partie des ballades de moralité de Eustache Deschamps et de ses poésies critiques dont il avait le secret.

A l’image des autres fables de l’auteur médiéval (voir Le Corbeau et le renard et encore les Souris et les Chats) celle-ci lui a été  directement inspirée par Esope (Le Laboureur et le Serpent). Elle a été aussi été reprise par La Fontaine, quelques siècles plus tard, sous le titre Le villageois et le serpent.  On se souvient de la morale enlevée qu’en tirait ce dernier :

    Il est bon d’être charitable,
            Mais envers qui ? c’est là le point. 
            Quant aux ingrats, il n’en est point 
            Qui ne meure enfin misérable.

Jean De LafontaineLe villageois et le Serpent

Dans le style de la ballade qu’il affectionne particulièrement, Eustache Deschamps oppose ici à une morale finale un joli vers qui scande la poésie tout du long et qui, au passage, invite à réfléchir par son « on » inclusif, même s’il ne l’est, au fond, pas tant que ça, pour l’auteur au moins :  « Mais on rent mal en lieu de bien, souvent. »

Ballade :  le paysan et le Serpent
d’Eustache Deschamps

J’ay leu et veu une moralité
Où chascuns puet assez avoir advis,
C’uns païsans, qui par neccessité
Cavoit terre, trouva un serpent vis
Ainsis que mort ; et adonques l’a pris,
Et l’apporta ; en son celier l’estent.
Là fut de lui péus* (de paistre, nourri, reconforté), chaufez, nourris :
Mais on rent mal en lieu de bien, souvent.

Car li serpens , plains de desloyauté,
Roussiaulx* (traître), et fel* (perfide,félon), quant il se voit garis
Au païsant a son venin getté ;
Par lui li fut mal pour bien remeris :
Par bien faire est li povres homs punis,
Qui par pitié ot nourri le serpent.
Moult de gens sont pour bien faire honnis :
Mais on rent mal en lieu de bien, souvent.

C’est grant doleur quant l’en fait amisté
A tel qui puis en devient ennemis ;
Ingratitude est ce vice appellé ,
Dont pluseurs gens sont au monde entrepris,
Rétribuens le mal à leurs amis,
Qui leur ont fait le bien communément.
Ainsis fait-on; s’en perdront paradis :
Mais on rent mal en lieu de bien, souvent.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com.
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.