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Revivre l’an 1372 aux Médiévales du château de Tiffauges

Armoirie et blason de la ville de Tiffauges (Vendée)

Sujet :  animations médiévales, reconstituteurs, marché médiéval, compagnies médiévales, histoire vivante, guerre de cent ans.
Période :  Moyen Âge central, XIVe siècle.
Evénement  :  les Médiévales de Tiffauges
Lieu :  château de TiffaugesVendée
Pays de la Loire.
Date :  23 &  24 septembre 2023

Bonjour à tous,

eux qui suivent de près notre agenda médiéval le savent bien, les festivités autour du Moyen-Âge sont tellement à la mode en terres de France que la notion finit par recouvrir des réalités extrêmement disparates.

Bertrand Du Guesclin aux Médiévales du château de Tiffauges 2023 - Affiche officielle.

Il en faut pour tous les goûts et, au fond, ces réalités ne font que refléter les visions souvent un peu fourre-tout d’un Moyen-âge qui a largement débordé de sa réalité historique pour s’étendre à un ailleurs médiéval imaginaire, littéraire ou fantastique.

Dans ce vaste champ de pratiques, certaines fêtes médiévales, plus rares, insistent pourtant, pour se situer du côté d’une évocation historique plus rigoureuse et plus exigeante. Cela va, en général, avec les hauts lieux d’intérêt patrimonial dans lesquelles elles se tiennent, mais c’est aussi souvent le fruit d’une volonté et d’un véritable parti-pris de leurs organisateurs. En fait de simples divertissements librement inspirés de « temps médiévaux » un peu flous, on y trouve alors une ambition plus clairement affichée de transmission et de défense d’une certain patrimoine historique et intellectuel.

Dans ces événements remarquables, les passionnés de Moyen Âge et d’histoire vivante se trouvent heureux comme des poissons dans l’eau. Mais personne n’est exclu et les visiteurs en quête de distraction y trouvent aussi leur compte. Ils peuvent y faire le plein d’émotions et de divertissement tout en revenant, au passage, sur quelques idées reçues (elles sont nombreuses) sur la période médiévale.

Les Médiévales de Tiffauges :
un vrai parti-pris d’évocation historique

La manifestation médiévale que nous vous proposons de découvrir, ce week-end, se situe justement dans cette famille d’événements plus exigeants du point de vue de l’historicité et dont il faut saluer la tenue. Impulsée en 2018 par le département de Vendée et toujours soutenue par lui, elle se tient, une fois l’an, au château de Tiffauges, et affiche clairement son ambition de transmission et d’immersion dans le Moyen Âge historique.

Pour mener à bien ce projet, elle est confiée, depuis son lancement, aux bons soins de la très sérieuse Association Roi Uther de Gérard Paugam et son équipe. Les compagnies médiévales, parmi les plus renommées de France et d’ailleurs, y sont invitées et des centaines de reconstituteurs en armure et en tenues d’époque répondent à l’appel.

Bertrand du Guesclin et l’ost de France
aux portes de Tiffauges

A chaque nouveau cru de ces Médiévales, un nouveau thème et un nouveau scénario sont proposés. Pour cette édition 2023, les organisateurs ont décidé de convier les visiteurs à un voyage au milieu de XIVe siècle qui marquera l’apparition à Tiffauges du célèbre Bertrand du Guesclin.

Armoirie de Bertrand du Guesclin
Blason de Bertrand du Guesclin

Nous sommes en 1372, dans le contexte de la guerre de cent ans et en plein guerre de succession de Bretagne. A la tête de l’ost royal, le connétable de France et de Castille a déjà fait tomber la plupart des villes du secteur. Tiffauges a déjà été reprise et du Guesclin s’apprête désormais à assiéger Thouars. La ville reste à la main d’Amaury de Craon et Péronnelle de Thouars, eux-mêmes alliés des anglais.

Mais pour mener à bien son siège et s’y préparer, le chef de guerre français doit d’abord réunir ses hommes et ses alliés. L’objectif est de lancer une vaste revue de troupes mais aussi de s’assurer de les mettre en condition. Ce week-end au château de Tiffauges, on pourra donc suivre de près ce fourmillement d’activités sous la houlette du célèbre héros médiéval, tout au long des deux jours de la manifestation.

Animations médiévales et reconstitution historique à Tiffauges (2023)

Tournois et entraînements militaires

Pour faire bonne mesure et aiguiser les compétences des nobles en présence comme celles des combattants moins titrés, du Guesclin organisera divers tournois à cheval ou à pied. Les combattants spécialistes des armes de jet auront aussi leurs défis à relever, et archers et arbalétriers seront là pour s’entraîner et se mesurer aux épreuves de tir. Pour clore le tableau militaire, l’artillerie sera, elle aussi, présente à la manœuvre avec ses canons d’époque et autres bombardes.

Vie de camp, soins de guerre
& taverne comme au XIVe siècle

Au titre de cette vie médiévale reconstituée sous la houlette de Bertrand du Guesclin, on pourra encore découvrir un camp de soins d’époque avec ses barbiers et ses blessés , mais aussi une taverne avec ses animations et ses jeux. Un grand campement médiéval sera également installé et on pourra y retrouver tout un mélange de vie civile et militaire, avec ses artisans médiévaux dans des domaines divers, et encore les populations et personnels qui suivaient alors les soldats en campagne.

Les dominicains seront également là pour donner une messe à la façon du XIVe siècle et s’assurer du salut des âmes. Enfin, au milieu de cette effervescence, on pourra encore se faire une idée de la vie d’un chef de guerre en campagne, en visitant le logement itinérant de Du Guesclin.

Compagnies médiévales & troupes invitées

Comme nous le disions, pour faire revivre à plein cette ambiance de nombreuses mesnies et troupes de reconstituteurs sont attendues des quatre coins de France, mais aussi de Belgique, d’Angleterre et de République Tchèque.

La Mesnie Enguerran – L’Alliance des Lions d’Anjou – Emptivus Miles – Maisnie de l’Hermine – La Confrérie de la Quintefeuille – L’ost du Castel – Les Tards Venus – Mignoned ar Bro – Ar Soudarded – La guerre des couronnes – Via Historiae – L’Ost du Phénix – Elsass Tempora – Les Chiens de St Martin – Les Armoises – Les Heures de Bedford – les Genz d’Armes 1415 – La Guilde des 3 couronnes – La Grant Compaigne – La Compagnie Gwesclen – Milite Nothie – Les écorcheurs Simwé – Kes Francs Compaings Brabançons – Societas Anglicis – Le Feu Liégeois – Les Plantegênets – Compagnies de république Tchèque – La Volte Gaillarde – Sonj – Smedelyn

Marché médiéval, musique et danses

En plus des nombreux temps forts de la reconstitution, un marché médiéval de 25 artisans dument sélectionnés se tiendra sur place. Musiciens et danseurs seront aussi là pour animer la fête.

Pour plus d’informations sur le programme voir le site du Roi Luther ou Réservations sur le site du département de Vendée


Retrouver nos articles sur les éditions précédentes de cette manifestation : Edition 2019Edition 2022

En vous souhaitant une belle journée et de belles médiévales au château de Tiffauges si vous vous y rendez.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

NB : les photos utilisées dans cet article sont non contractuelles et n’ont vocation qu’à donner une idée de ces Médiévales. Crédit photo @Barry ‘s photography. Pour la superbe affiche 2023, elle a été réalisée par le célèbre illustrateur Ugo Pinson.

D’un lombard cupide et d’un miracle de saint Dominique dans l’exemple XIV du Comte Lucanor

Sujet : auteur médiéval, conte moral, Espagne médiévale, littérature médiévale, Europe médiévale, avidité, cupidité, mentalités médiévales, miracle, saint Dominique.
Période  : Moyen Âge central ( XIVe siècle)
Auteur  :   Don Juan Manuel (1282-1348)
Ouvrage : Le comte Lucanor traduit par  Adolphe-Louis de Puibusque (1854) & versions originales espagnoles de l’ouvrage.

Bonjour à tous,

os pérégrinations du jour nous entraînent du côté de l’Espagne médiévale, pour l’étude d’un nouveau conte moral de Don Juan Manuel. Ecrit autour de 1330-1335 par ce noble de Castille et Leon aux nombreux titres, « le Comte Lucanor » demeure un ouvrage important pour la littérature hispanique du Moyen Âge.

Le Comte Lucanor est-il facile à lire ?

Le Comte Lucanor est un ouvrage agréable à parcourir et à lire. Son principe est simple : un noble seigneur fait face à toutes les difficultés qui touchent un homme de son rang et de sa charge ( tensions avec ses voisins, trahisons qui guettent, stratégies diplomatiques, exercices du pouvoir et gestion de ces domaines ou terres, etc…) mais il se pose aussi des questions qui touchent de plus près la vie, la mort et la morale de tous les jours.

Entouré de relations pas toujours avisées, ni désintéressées, notre personnage principal, le comte Lucanor, n’a pour seul recours que son propre valet, un conseiller du nom de Patronio qui répond à ses interrogations avec sagesse et au moyen d’exemples et d’anecdotes. Il en résulte de petits contes moraux de deux à trois pages chacun et qui peuvent se lire dans n’importe quel ordre et pas nécessairement d’une traite. Le lecteur aura également l’occasion d’y faire quelques rapprochements culturels intéressants sur l’Europe d’alors et ses territoires.

Qui est le Comte Lucanor ?

Le comte Lucanor a été écrit entre 1330 et 1335 par un Don Juan Manuel qui approche la cinquantaine. S’il lui reste encore quelques belles années à vivre, c’est alors un homme expérimenté, avec une carrière bien remplie de combats et d’exercice du pouvoir. Issu de la famille royale d’Espagne, il a côtoyé et servi les plus puissants à la cour. Respecté et craint, il compte, lui même, comme un des plus puissants seigneurs du nord de la péninsule et règne sur de nombreux duchés et seigneuries.

A l’automne de sa vie, il a sans doute voulu mettre cette longue expérience du pouvoir et de la stratégie, au service de ce comte Lucanor. Sur le fond, ce noble de papier est donc un peu son double littéraire. Certains de ces contes évoquent même, assez directement, les propres questionnements de Don Juan Manuel auxquels il répond, en se servant du miroir de Patronio (1).

En dehors des chapitres qui touchent plus particulièrement l’exercice du pouvoir ou du bon gouvernement, les exemples du conte Lucanor sont traversés d’interrogations plus existentielles et philosophiques. Les problématiques soulevées, comme les réponses, illustrent alors assez bien les valeurs qui traversent l’occident médiéval chrétien : relation à la vie, à la mort, au salut, relation à l’argent, au sens moral et aux qualités morales (honneur, renommée, postérité, mansuétude, etc…) , aux bonnes œuvres, etc. L’exemple du jour se range, sans doute plus, dans cette dernière catégorie.

Exemple XIV : le cœur pourri d’un homme avide

L'exemple XIV du comte lucanor dans le  manuscrit ancien Ms 6376 de la Bibliothèque National d'Espagne.

Les histoires de Don Juan Manuel sont assez variées du point de vue des références — il faut se souvenir qu’avant lui, cette branche royale de Castille a donné naissance à des hommes férus de littérature, de la trempe d’Alphonse X le savant — . Il peut arriver à l’auteur d’emprunter ses anecdotes à des faits survenus en Espagne ou à d’autres endroits d’Europe, ou encore à des fables ou à des récits et contes en provenance de terres plus lointaines et de temps plus anciens.

L’exemple du jour est le récit d’un miracle qui fait intervenir une prédiction spectaculaire de saint Dominique, à l’occasion d’un enterrement. Il nous transporte en Italie, aux pays des Lombards, riches marchands, banquiers et usuriers, montrés du doigt et critiqués par de nombreux textes satiriques médiévaux, ainsi que par les sociétés populaires d’alors, pour le commerce qu’ils font de l’argent (voir Histoire et littérature médiévale satirique autours des Lombards ).

Les freins médiévaux à l’usure

Si le monde est, aujourd’hui, ultra financiarisé, au delà même de toute raison, un fait demeure et ceux qui s’aventurent à le nier n’ont, sans doute, jamais mis le nez, sérieusement, dans des textes médiévaux : le Moyen Âge chrétien occidental s’est posé, dans ses valeurs morales et dans sa littérature, comme un frein sérieux à la spéculation, à la course aux trésors et à l’accumulation effrénée de richesses à n’importe quel prix. Cela ne l’a pas empêché de se servir de prêts pour financer sa croissance, ni de connaître des abus et des pillages, mais, sur le fond, ce frein était bien là pour brider certains abus, tant du point de vue des taux d’usure que du point de vue de certaines prédations.

L’Eglise elle-même et le clergé, qui étaient les porteurs officiels de ces valeurs chrétiennes, en ont été victimes quand, la voyant trop s’enrichir au goût de certains moines ou certains hommes, de nouveaux prédicateurs ont voulu s’en extraire pour fonder des choses comme les hérésies vaudoises, cathares, ou les ordres mendiants. Du moine replet et rassasié (ou du riche et productif cistercien), au moine ermite itinérant, dans l’ombre de saint Benoit et de sa règle, il semble qu’un mouvement pendulaire ait fait émerger, à plusieurs reprises, durant ce long Moyen Âge, des envies insatiables de chemins plus dépouillés et plus christiques, des appels à des vocations monacales plus rudimentaires.
D’une certaine façon, la présence de ses mouvements, comme la morale chrétienne qui traversent la littérature semble prouver à quel point le christianisme et ses valeurs débordaient alors de la simple institution qui avait en charge de les représenter, pour se tenir dans tous les cœurs ou, au moins, dans tous les esprits.

Si ce monde médiéval a critiqué les « Lombards » pour leur pratique de l’usure, il a eu, tout autant, en horreur, l’avidité et la cupidité. Sur fond de valeurs chrétiennes, sa littérature, sa poésie satirique et morale et ses poètes n’ont cessé de le crier haut et fort. Pour n’en donner qu’un exemple (même si notre long périple au sein des textes médiévaux nous a amené à en croiser plus d’un), on citera ici, le, Roman de la Rose. Il avait fait, lui aussi, en son temps et de manière édifiante, la verte critique de l’avidité et, partant, l’apologie du contentement ou du dépouillement :

Si ne fait pas richesce riche
Celi qui en trésor la fiche :
Car sofîsance solement
Fait homme vivre richement.

Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris & Jean de Meung.

Encore une fois, nous parlons de représentations et de valeurs partagées. L’objectif n’est pas, non plus, de dépeindre un Moyen Âge idyllique ou idéalisé. Dans la pratique, les entorses existaient. On voit bien, d’ailleurs, dans ce conte que l’accumulation d’avoirs n’est pas tant condamné que son obsession au détriment de tout le reste. Disons, au moins, que le contexte social et les mentalités médiévales ne leur étaient pas favorables.

Le dépouillement comme passeport pour le ciel

Dans l’exemple du Comte Lucanor, du jour, on retrouvera, encore, cet éloge du dépouillement que nous avions abordé avec Jacques le Goff et cette idée de « testament qui devient le passeport pour le ciel. » Le médiéviste nous expliquait alors que l’homme aux portes de la mort, terrorisé de ne pas obtenir le salut, pouvait léguer toutes ses richesses à l’église en dépouillant totalement, au passage, ses héritiers. Il est amusant de retrouver, très concrètement, cette idée dans le conte du jour. On trouvera même bien réel la peur de ces derniers, au point qu’ils vont même empêcher le père de trouver le repos éternel, en congédiant le moine dominicain. Hériteront-ils, ce faisant, de la malédiction du trésor et son obsession tenace ? L’histoire ne le dit pas.

Pour finir, on notera encore une parenté relative entre le conte du jour et l’exemple XXXVIII du Comte Lucanor, que nous avions déjà étudié. Ici, un homme ne voulant se dessaisir d’une seule de ses pièces, pour traverser une rivière, finissait par y périr noyé. Non content de l’avoir rendu stupide, son avidité finissait, donc, par le condamner. Dans l’exemple ci-contre, l’homme avide et, en l’occurrence, de peu de morale et de peu de cœur, sera poursuivi jusque après la mort par ses choix de vie et même le salut de l’âme lui sera refusé, par Dieu, par ses proches et par saint Dominique. Crêpe, jambon fromage, œuf à cheval, la totale.


Exemple XIV, du miracle que fit saint Dominique lors de l’enterrement d’un usurier


NB : pour la traduction, nous nous sommes d’abord appuyés sur celle de  Adolphe-Louis de Puibusque. Puis, finalement, nous sommes remontés aux sources directes du texte pour la reprendre sérieusement quand nous le jugions nécessaire. A cet effet, nous nous sommes servis de la version ancienne du Comte Lucanor, mais aussi de la version en Espagnol moderne actualisée de Juan Vicedo (2004).

Le comte Lucanor s’entretenait un jour avec son conseiller et ce faisant lui disait :

Patronio, quelques personnes me conseillent d’accumuler le plus grand trésor possible, en me disant qu’il faudrait que je m’y consacre plus qu’à toute autre chose ; aussi, je vous prie de me dire ce que vous pensez de cela ?
— Seigneur comte, répondit Patronio, bien qu’il soit certainement utile, aux grands seigneurs de disposer d’un trésor et d’argent en de nombreuses occasions, en particulier, pour avoir les moyens de faire tout ce qui est nécessaire et convenable, ce serait une erreur de croire que vous ne devez amasser ce trésor en ne pensant plus qu’à cela, en cessant de faire votre devoir auprès de vos sujets, et au détriment de votre honneur et de vos intérêts même. Car si vous agissiez de la sorte, vous pourriez connaître le sort d’un certain Lombard qui vivait à Bologne.
Le comte demanda alors ce qu’il était advenu à ce Lombard.

— Seigneur comte, il y avait à Bologne, poursuivit Patronio, un Lombard qui avait accumulé un grand trésor, sans jamais s’inquiéter de savoir s’il était bien ou mal acquis. Son unique pensée était de le grossir de quelque manière que ce fût. Or, il advint que ce Lombard tomba gravement malade ; son état empira rapidement, et un de ses amis, le voyant proche de la mort, lui conseilla alors de se confesser à saint Dominique, qui prêchait alors à Bologne. Le Lombard y consentit et envoya quérir saint Dominique.


Quand on le fit appeler, Saint Dominique comprit tout de suite que ce n’était la volonté de Dieu que ce mauvais homme n’endure aucune peine pour tout le mal qu’il avait causé. Il ne souhaita pas se déplacer, mais envoya un autre moine pour qu’il se rende sur place
(2).
Dans le même temps, comprenant que leur père avait fait quérir saint Dominique, les enfants du lombard s’en inquiétèrent, craignant que le bon saint ne requiert du mourant la donation de tous ses biens en échange du salut de son âme, en les laissant dans la misère. Aussi, lorsque le moine se présenta, ils lui firent savoir que leur père était en pleine crise de fièvre et qu’ils l’avertiraient sitôt que ce dernier irait mieux.

Peu de temps après, le Lombard perdit l’usage de la parole et mourut, de sorte qu’il ne put prendre aucune disposition pour le salut de son âme. Le lendemain, on s’occupa de l’enterrer, et, sur la demande de ses enfants, saint Dominique consentit à venir faire son oraison funèbre. Quand le saint dut parler du défunt, il cita ces paroles de l’Evangile : « Ibi est thesaurus tuus, ibi est cor tuum », c’est-à-dire, « où est ton trésor là est ton cœur ». Puis, il ajouta, en se tournant vers l’assistance :
— Mes amis, pour vous convaincre de la vérité des paroles de l’Evangile, faites rechercher le cœur de cet homme et vous verrez que vous ne le trouverez pas à sa place, mais bien plutôt dans le coffre où il tenait son trésor enfermé. »

En effet, on alla chercher le cœur du mort dans son corps et il ne s’y trouvait plus ; comme saint Dominique l’avait indiqué, on le trouva dans le coffre. Et il était plein de vers et exhalait la pire odeur de putréfaction qu’on n’est jamais pu sentir.

 » Et vous seigneur comte Lucanor, même si, comme je le disais précédemment, posséder de l’argent peut être utile, prenez garde à deux choses si vous désirez former un trésor : d’abord, que ce trésor soit de bonne et honorable provenance ; ensuite, que vous ne mettiez pas autant d’attachement dans ce trésor au point de vous condamner à faire ce que vous ne devriez pas faire, ou à négliger votre honneur et les devoirs que vous devez remplir. Avant toute chose, vous devez tenter de réunir un trésor de bonnes œuvres, pour mériter la grâce de Dieu et l’estime des hommes (une bonne renommée auprès des gens). »

Le comte apprécia beaucoup ce conseil de Patronio ; il le suivit et s’en trouva bien ;

Et Don Juan jugeant aussi que la leçon était utile à retenir, la fit écrire dans ce livre, avec deux vers qui disent ceci :

« Cherche, par-dessus tout, le trésor véritable
Et garde toi toujours de l’avoir périssable.
 » (3)


En vous souhaitant une bonne journée.

Frédéric EFFE
Moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes


Notes :

(1) L’exemple XV du conte Lucanor : « De ce qui advint à Don Lorenzo Suarez Gallinato à la porte de Séville » semble faire clairement référence aux relations houleuses et dangereuses qui virent, durant de longues décennies, le roi d’Espagne Alphonse XI s’opposer au grand seigneur et prince de Villena : faux promesse de mariage et séquestration durant de longues années de la fille de Don Juan Manuel, que le roi n’épousa jamais, complots et tentative d’assassinat sur la personne de Don Juan Manuel, pour finalement, voir les deux hommes se rabibocher bon gré mal gré. L’introduction de l’exemple XV commence par : « Patronio lui dit-il, j’ai eu le malheur de mettre contre moi un roi très puissant, et comme cette inimitié durait déjà depuis bien des années, nous finîmes de guerre lasse par nous accommoder ensemble (…) Malgré cette réconciliation et les rapports pacifiques qui existent entre nous, il nous est impossible de nous fier l’un à l’autre. »

(2). Ici le traducteur original se contente de : Le Lombard y consentit et envoya chercher saint Dominique qui, ne pouvant venir chargea un moine de le remplacer auprès du malade.

(3) La formule choisie par  Adolphe-Louis de Puibusque est assez heureuse et claire : « Là-haut est le seul bien, le trésor véritable , Tâche de le gagner ; Tout autre est périssable. » , nous ne l’avons remplacé que pour coller un peu plus à la version originale espagnole qui sous-entend ce qu’est le trésor véritable, alors que notre auteur du XIXe siècle a décidé de rendre le tout un peu plus explicite. L’Espagnol ancien original donne : Gana el tesoro verdadero, et guárdate del falleçedero. En Espagnol moderne, Juan Vicedo opte pour :  » Amarás sobre todo el tesoro verdadero,
despreciarás, en fin, el bien perecedero. »
Autrement dit : en aimant par dessus-tout le trésor véritable, tu finira par déprécier les biens périssables.

L’adieu à une « douce dame jolie » du maître de musique Francesco Landini

Sujet : musique médiévale, musiques anciennes, chants polyphoniques, Ars nova, chanson. amour courtois, loyal amant, trecento, compositeur florentin, virelai.
Période : Moyen Âge tardif, XIVe siècle
Auteur : Francesco Landini (1325-1397)
Titre : Adiu, adiu, dous dame jolie
Interprètes : Alla Francesca.
Album : Landini and Italian Ars Nova (1992)

Bonjour à tous,

ujourd’hui, nous vous invitons à bord du vaisseau Moyenagepassion, pour un voyage en direction du trecento italien. Nous sommes, donc au début de la Renaissance italienne, dans un XIVe siècle qui correspond encore au Moyen-Âge tardif français et nous y découvrirons une nouvelle pièce de Francesco Landini.

La douleur du partir de l’amant courtois

La chanson du jour est un virelai. Elle appartient au registre de l’amour courtois, à l’image des autres compositions qui nous sont parvenues du maître de musique florentin. Cette pièce se distingue, toutefois, de celles que nous avons étudiées précédemment par sa langue ; elle est, en effet, en français ancien et non en italien, comme le reste de l’œuvre de Landini.

Sur le fond, le compositeur et poète nous contera la douleur de l’amant courtois, au moment de se séparer d’avec sa dame. Cette dernière est, ici, désignée par l’auteur comme sa « douce dame jolie » et on ne pourra s’empêcher de voir là, une claire évocation à la célèbre chanson de Guillaume de Machaut portant le même titre. Contemporain de Landini, le maitre de l’Ars Nova Français le précède d’une petite vingtaine d’années. On sait aussi que l’Ars nova français a notablement influencé la musique italienne de cette période, même si l’Ars nova qui s’est développé sur la péninsule italienne s’en démarque par son style et ses particularités.

Aux sources anciennes de cette chanson

La chanson "Adieu douce dame jolie" de Landini dans le codex Squarcialupi, de la Bibliothèque Laurentienne de Florence
Une « Douce dame Jolie » » à la façon de Francesco Landini

Du point de vue des sources anciennes, on pourra retrouver cette chanson de Francesco Landini, avec sa partition dans le célèbre codex Squarcialupi (le Med Palat 87). Daté du XV siècle, ce manuscrit richement enluminé est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. En cherchant un peu, on peut également le trouver en ligne, sous une forme digitalisée.

L’hommage à Landini et à l’Ars Nova,
de l’ensemble ‘Alla Francesca

Pour la version en musique de ce chant polyphonique, nous vous proposons l’interprétation qu’en avait fait la célèbre formation médiévale française Alla Francesca, il y a déjà quelque temps déjà.

En 1991, soit l’année suivant sa création, l’ensemble de musiques anciennes et médiévales Alla Francesca partait, donc, à la découverte de Francesco Landini et de l’Ars Nova italien. Ce thème leur a même fourni l’occasion de leur toute première production. En terme de discographie, Alla Francesca en est, désormais à son vingtième album pour plus de trente ans de carrière. C’est dire le chemin parcouru par cette excellente formation depuis ses premiers pas.

L'album de musiques médiévales et d'Ars Nova de Alla Francesca

Cet album, sorti en 1992 sous le titre « Landini and Italian Ars Nova » propose un total généreux de 17 pièces, pour 55 minutes d’écoute. La formation attachée au Centre de musique médiévale de Paris signait là un vibrant hommage à l’Ars Nova florentin. Et si l’œuvre de Francesco Landini y trouve une place de choix, elle y côtoie aussi des pièces de Jacopo da Bologna, Ghirardello et Lorenzo da Firenze, et encore quelques autres compositeurs italien de cette période, dont des anonymes.

Plus de trois décennies après sa sortie, ce bel album peut encore se trouver à la vente au format CD, chez votre disquaire habituel ou encore en ligne. Voici un lien utile à cet effet : Landini and Italian Ars Nova, Alla Francesca (1992).

Musiciens ayant participé à cet Album

Catherine Joussellin (voix, vièle, percussion), Brigitte Lesne (voix, harpe, percussion), Emmanuel Bonnardot (voix, vièle, rebec), Pierre Hamon (instruments à vents, cornemuses, flûtes, percussion)


Adiu, adiu, dous dame jolie,
dans la langue d’oïl de Landini

Adiu, adiu, douce dame jolie,
kar da vous si depart lo corps plorans
Mes a vous las l’esprit et larme mie.

Lontan da vous, aylas, vivra dolent.
Byen che loyal sera’n tout ma vie.

Poyrtant. ay! clere stelle. vos prie
Com lermes e sospirs tres dous mant
e
Che loyaute haies pour vestre amye.

Les paroles en français actuel

Adieu, adieu, douce dame jolie,
Car de vous je me sépare le corps en pleurs,
Mais je laisse près de vous mon esprit et mon âme.

Loin de vous, hélas, je vivrai dans la peine,
Bien que je vous demeurerai loyal toute ma vie.

Voilà pourquoi, hélas, claire étoile, je vous prie
Avec larmes et très doux soupirs et vous enjoins
De garder votre loyauté pour votre amant.


En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

Pour clore les fêtes de Pâques, des enluminures & miniatures médiévales de la passion

Bonjour à tous,

ne fois n’est pas coutume, en cette fin de week-end de Pâques, nous partageons avec vous quelques enluminures médiévales autour de la passion du Christ. Au Moyen Âge, les bibles ou livres d’heures illustrées sont nombreux. Avec force détails, ils fournissent un moyen efficace de marquer les esprits, tout en soulignant les temps les plus forts de la religion catholique et du Christianisme.

Manuscrit médiéval, Add MS 49999

Ce livre d’heures du Moyen Âge central, daté de 1240, est actuellement conservé à la British Library. Référencé Add MS 49999, il y est connu également sous le nom de Livre d’heures de De Brailes ou The Dyson Perrins Hours. Vous pouvez le consulter en ligne sur le site de la bibliothèque nationale anglaise.

La crucifixion du Christ dans le Kings MS 5

Cette superbe bible médiévale un peu plus tardive est datée de la fin du XIVe siècle. Référence Kings MS 5 à la British Library où elle est conservée, on la connait encore sous le nom de Biblia Pauperum. Ce manuscrit ancien est originaire de Hollande et aurait appartenu à Marguerite de Clèves (1375-1411), épouse de Albert Ier de Hainaut . Vous pourrez, également le retrouver, dans son entier, sur le site de la British Library. Ici, nous n’avons sélectionné que les miniatures et enluminures en relation à la passion du Christ.

La passion dans le Ms Lat Nouv. Acq 183

Le MS latin Nouvelle aquisition 183 est un livre d’heures en latin très bien conservé et joliment enluminé, sur un peu moins de 170 feuillets. Daté du courant du XVe siècle, cet ouvrage ancien est actuellement conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France. Il peut lui aussi être consulté librement sur gallica.

La crucifixion dans le Royal MS 19 CI

Pour clore cette courte sélection autour de la passion du Christ, nous vous proposons la découverte du Bréviaire d’Amour de Maître Ermengaud. Daté du courant du XIVe siècle, ce manuscrit de Moyen Âge tardif en langue occitane est originaire de la région de Béziers. Il est également conservé en Angleterre et consultable directement sur le site de la British Library. Vous pourrez l’y retrouver sous la référence Royal MS 19 CI.

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.