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Naviguer : les représentations navales dans le manuscrit de l’amiral Louis Malet de Graville.

es navires médiévaux ne sont pas ignorés de la recherche, il nous est même possible de dire qu’ils sont bien connus, grâce aux écrits contemporains, mais aussi aux manuscrits médiévaux qui offrent une grande richesse de représentation de ce sujet. Le manuscrit Français 364 en est un témoin majeur puisqu’une dizaine de miniatures y sont consacrées à la représentation de navires, en toute circonstance : embarquements et débarquements, flottes navigant en pleine mer, mais aussi batailles navales, naufrages, ou encore incendie d’une flotte. Le récit que nous livre ce manuscrit, un exemplaire du Romuléon, n’est autre que l’histoire de Rome, depuis sa fondation par Remus et Romulus jusqu’à l’empereur Constantin. De ce fait, il nous semble logique d’y voir représenter à plusieurs reprises des navires dans le contexte de guerre et de conquête qui a jalonné l’histoire de Rome et de ses territoires, parfois lointains. Cette récurrence d’un tel thème iconographique s’explique d’autant plus que son commanditaire n’était autre que Louis Malet de Graville : lieutenant général du roi en Normandie et Amiral de France à partir de l’année 1487.

Enluminure médiévale d'un bateau
Figure 1 : bateau de Pompée, folio 294 (détails)

À travers une sélection de miniatures issues de ce manuscrit, nous vous proposons de découvrir la représentation des navires de la fin de la période médiévale, mis en perspective avec un traité rédigé en 1516 par Philippe de Clèves, amiral des Pays-Bas entre 1485 et 1488 : Instruction de toutes manières de guerroyer tant par terre que par mer.

L’expérience de l’amiral Philippe de Clèves

Bien que rédigé au début du XVIe siècle, ce traité fut nourri de l’expérience personnelle de Philippe de Clèves, de ses lectures, ainsi que de ses rencontres avec des marins aguerris au cours de sa carrière d’amiral. Ces personnages contemporains nous permettent d’obtenir un certain nombre d’informations concernant les navires et l’art de la navigation au XVe siècle. L’une des plus grandes, mais aussi des plus belles représentations de navire du manuscrit de Louis Malet de Graville se trouve au folio 294 (fig. 1) et représente le bateau de Pompée, rival de César. Il s’agit de l’une des images les plus détaillées représentant une nef, pour reprendre le terme employé dans le manuscrit. Nous y retrouvons certains éléments détaillés avec précision dans les écrits de Philippe de Clèves et qui nous permettent de redécouvrir le vocabulaire entourant l’architecture d’un navire.

Tout d’abord nous pourrions tenter d’identifier le type de navire représenté sur cette miniature. De nombreux bateaux de toute sorte et de toute architecture naviguaient au XVe siècle, de la célèbre caravelle utilisée pour découvrir de nouvelles terres aux galères encore en usage. Philippe de Clèves mentionne plusieurs types de navires dans ses écrits, notamment les Galéasses : d’imposants navires à trois mâts qui étaient souvent renforcés par de l’artillerie. La Galéasse était un navire particulièrement utilisé en Europe du Nord-Ouest, pour les batailles navales entre autre. On retrouve ici un bateau à trois mâts – l’un des éléments caractéristiques de ce type de navire – , très imposant ; cependant certaines caractéristiques ne correspondent pas à la définition exacte d’une Galéasse, nous empêchant d’identifier avec certitude la nef représentée.

Qu’est-ce qu’un bon navire à la fin du XVe s ?

Le navire parfaitement adapté que nous décrit Philippe de Clèves possède plusieurs caractéristiques : il doit pouvoir supporter les tempêtes, le gros temps, posséder de bonnes voiles. Sur la plupart des miniatures du manuscrit qui nous intéressent ici les navires sont pourtant figurés voiles remontées, notamment lors des scènes de bataille (folio 194, fig. 2).

Enluminure médiévale, Bataille navale
Figure 2 : Bataille entre romains et carthaginois (-207), folio 194 (détails)

Peut-être étaient-elles remontées afin d’éviter qu’elles ne soient abimées lors du combat. On retrouve cependant des flottes entières aux voiles remontés dans des scènes tout à fait calmes (folio 302, fig. 3). Il évoque aussi à de nombreuses reprises le gaillard d’avant et le gaillard d’arrière, particulièrement visible sur la première miniature évoquée (fig. 1). Il s’agit des deux parties surélevées au- dessus de la proue et la poupe du navire, le rendant si imposant sur l’image ; ce sont là deux éléments caractéristiques des bateaux à voiles.

Enluminure médiévale, flotte romaine manuscrit ancien
Figure 3 : Flotte romaine, folio 302 (détails)

Enfin, la coque arrondie, qui permet de différencier les navires ayant servi à la navigation maritime et littorale – comme nous pouvons l’observer ici – des embarcations destinées à la navigation fluviale, présentant pour cette raison une coque plate. Cette différence a notamment pu être étudiée, entres autres choses, grâce au développement de l’archéologie sous-marine, dont les comptes-rendus ont enrichi ce domaine d’étude au cours de ces cinquante dernières années. Ainsi, nous retrouvons une coque similaire sur l’Aber Wrac’h 1, une épave découverte en 1985 et fouillée entre 1987 et 1989. Cependant, les restitutions 3D qui ont pu être réalisées révèlent un navire d’apparence plus simple que ceux représentés dans le manuscrit du Français 364. La comparaison reste intéressante puisque l’épave est actuellement datée de la première moitié du XVe siècle grâce à l’étude des correspondances du duc Jean V de Bretagne qui mentionne un naufrage, en 1435, pouvant correspondre à l’Aber Wrac’h 1. Il s’agit de l’une des seules épaves connue à ce jour et correspondant au siècle que nous étudions ici.

L’amiral de Clèves insiste tout particulièrement sur la manière de décorer les navires. L’apparence de ce genre de bâtiment était essentielle afin de défendre le prestige du souverain, du prince et de l’intégralité de sa flotte. Ces nombreux drapeaux, étendards, bannières permettaient aussi de statuer et d’identifier le navire en pleine mer. Philippe de Clèves est particulièrement précis concernant le nombre de drapeaux et leurs positions, il mentionne par exemple qu’il faudrait que les navires soient pourvus de cinq à six drapeaux de chaque côté des gaillards d’avant et d’arrière, ce que l’on retrouve précisément sur la miniature représentant le bateau de Pompée (fig.1).

Contextes maritimes & contexte historique

Enluminure médiévale, incendie flotte navale
Figure 4 : incendie de la flotte carthaginoise, folio 216.

Une autre caractéristique du manuscrit Français 364 concerne la variété de contextes maritimes représentés. Nous l’avions brièvement évoqué en introduction, les flottes sont aussi bien représentées au moment de l’embarquement que lors des batailles navales. Un bel exemple d’une telle représentation se retrouve au folio 194 que nous avons déjà évoqué (fig. 2) mais les scènes sont parfois bien plus violentes comme le montre la miniature du folio 216 (fig.4) représentant l’incendie de la flotte carthaginoise en 202 av. J.-C. Bien que ces scènes prennent place dans le contexte de l’histoire antique de Rome, il est possible d’effectuer un parallèle avec le contexte contemporain de la réalisation de ce manuscrit. Le XVe siècle fut, à n’en pas douter, un temps que nous pouvons qualifier d’insécurité maritime, entre piraterie, conflits, batailles navales. Les conflits maritimes étaient nombreux, entre génois et vénitiens par exemple, les combats s’effectuaient alors par corsaires interposés. Philippe de Clèves mentionne le danger des naufrages, les ordres de combats au sein des navires, l’organisation de la défense, des batailles. Il fait cela en connaissance de cause, puisqu’il se voit confier, en 1501, une flotte de 28 navires qu’il doit mener au combat face aux Turcs en mer Méditerranée. L’expédition fut un échec, il fut donc confronté à ce type de scénario catastrophique. Les différents types de navires connaissent d’ailleurs plusieurs adaptations durant cette période afin d’accueillir une artillerie performante, mais pas seulement. La structure même de la coque de l’épave de l’Aber Wrac’h 1, mentionnée plus haut, a surpris les chercheurs lors de la restitution réalisée. Le navire faisait vraisemblablement près de 26 mètres de long pour 7 mètres de large, des dimensions qui correspondent, pour cette période, à celles d’un grand navire. Mais la nef reste très fine dans sa forme générale, ce qui la distingue des navires médiévaux antérieurs, cela pourrait s’expliquer par le contexte d’insécurité maritime qui régnait alors : un navire plus fin se manœuvre plus aisément lors des conflits.

De ce fait, nous pouvons nous questionner : dans quelles mesures ces miniatures peuvent-elles être qualifiées de réalistes ? Il faut en vérité garder une certaine mesure dans cette notion de réalisme dans les manuscrits de cette période. Les représentations s’inscrivent dans un contexte qui a pu les influencer, mais le peintre n’était pas toujours au fait de l’architecture complexe et technique des navires qu’il représentait. Cependant nous y retrouvons un goût du détail qu’il ne nous faut pas négliger. Longtemps les textes d’époque et les manuscrits ont été, pour les chercheurs, la meilleure façon de comprendre un navire, du moins de l’extérieur. En comparant les Instructions de Philippe de Clèves et ce manuscrit du Romuléon, nous pouvons retrouver un certain nombre de caractéristiques respectées et mises en avant, qui nous laissent entrevoir l’art des chantiers navals du Moyen Âge tardif.

Julie Gallais
Histoire de l’art et archéologie, spécialisation Moyen Âge,
Ecole Pratique des Hautes Etudes
Actuellement au sein du département des manuscrits de la BnF

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Manuscrits :

– DA IMALA Benvenuto, Romuléon, Français 364 (traduction de Sébastien Mamerot), 1485-1490, manuscrit numérisé : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000786m/f1.item.zoom
– Base Mandragore, Romuléon, manuscrit Français 364, miniatures numérisées : http://mandragore.bnf.fr/jsp/rechercheExperte.jsp
– CLEVES (de) Philippe, Instruction de toutes manières de guerroyer par terre que par mer, Français 1244, 1516

Bibliographie :

– CONNOCHIE-BOURGNE Chantal, Mondes marins du Moyen Âge, éditions Presses universitaires de Provence, collection Senefiance, 2006, 430 pages
– DUBOIS Henri, HOCQUET Jean-Claude et VAUCHEZ André, Horizons marins, itinéraires spirituels (Ve-XVIIIe siècles). Volume II, Marins, navires et affaires, éditions de la Sorbonne, Paris, 1987 325 pages
– PERRET Paul-Marie, Notice biographique sur Louis Malet de Graville, amiral de France (144 ?-1516), Paris, Libraire des archives nationales et de la société de l’école des Chartes, 1889, 271 pages
– SICKING Louis, “Philip of Clèves’ Instruction de toutes manières de guerroyer and the fitting out of warships in the Netherlands during the Habsburg-Valois Wars” dans Entre la ville, la noblesse et l’état : Philippe de Clèves (1456-1528) Homme politique et bibliophile, sous la direction de CAUCHIES Jean-Marie, éditions Brepols, collection Burgundica, 2007, Turnhout, Belgique pp. 117-142

A propos de l’Aber Wrac’h 1 et autres liens :

https://www.cnrtl.fr/definition/gal%C3%A9asse
https://www.universalis.fr/encyclopedie/voile-latine/
https://associationavena.wordpress.com/lepave-aber-wrach-1/
https://archeologie.culture.fr/archeo-sous-marine/fr/aber-wrach-1-finistere

Le Villon de jean favier et 5 médiévisteS pour un programme d’exception signé france culture

Sujet  : poésie médiévale, moyen-français,  historiens médiévistes, littérature médiévale, biographie.
Auteur : François Villon    (1431-?1463)
Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle.
Titre Les Lundis de l’Histoire, France Culture
Ouvrage :  François Villon, Jean Favier, Fayard (1982)

Bonjour à tous,

e 1966 à 2014, France Culture a présenté, chaque début de semaine, en milieu d’après-midi, un programme dédié à la passion de l’Histoire et à ses plus grands auteurs et chercheurs. Cette émission d’anthologie avait pour titre Les Lundis de l’Histoire. Las ! après une longue aventure de presque 50 ans, elle s’est finalement, arrêtée avec le décès de Jacques le Goff qui l’avait animée, de son brillant esprit, dès 1968.

Cinq experts pour éclairer la biographie et l’oeuvre de François Villon

Actuellement, on peut trouver, sur le site de France Culture, un nombre important de podcasts des Lundis de l’Histoire. Ils couvrent une période allant de 2005 à 2014. Pourtant, à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait d’archives publiques sur les éditions précédentes de cette grande émission. Tout en étant heureux de retrouver déjà près de 400 opus sur le site de la radio, on peut le déplorer, en espérant que le futur verra naître un tel projet. En près d’un demi-siècle, ce programme radiophonique a, en effet, vu passer, sous la houlette du médiéviste Jacques Le Goff, les plus prestigieux historiens et esprits du temps ; elle a aussi traité tous les thèmes, finissant, par entrer, à son tour, dans l’Histoire, mais aussi dans l’Histoire de l’Histoire, soit l’Historiographie.

Dans l’attente de voir, peut-être un jour, des archives complètes, aujourd’hui, il nous faut rendre grâce à la très littéraire chaîne Youtube Eclair Brut de Arthur Yasmine (jeune auteur qui a, par ailleurs, déjà fait publier plusieurs ouvrages de poésies) pour être parvenue, une fois de plus, à débusquer une pièce rare. Issue d’une édition des Lundis de l’histoire diffusée à l’automne 1982, ce programme réunit quatre éminents experts du moyen âge, auxquels on ajoutera, bien sûr, l’animateur lui même : l’historien Jacques le Goff. Le thème de cette émission nous est cher puisqu’elle traite de François de Montcorbier, que nous connaissons tous mieux sous le nom de François Villon ; ce programme d’exception fut enregistré à l’occasion de la sortie, cette même année 1982, par Jean Favier (lui-même grand historien de la période médiévale) de son ouvrage : « François Villon » chez Fayard.

Villon, son oeuvre et sa vie, sous l’œil de grands chercheurs et historiens du XXe siècle

Un Villon plus réel que jamais

« Des écoles aux tavernes, du port en Grève au cimetière des Innocents, de la cour chevaleresque du roi René au bouge de la Grosse Margot, les véritables héros de ce livre sont la vie et la mort, Dieu et la Fortune, l’amour et la haine, la justice et la misère. Mais l’oeil du poète est malicieux, et il a cent facettes. »

François Villon, Jean Favier ( Fayard, 1982)

Plus qu’un tour complet de l’œuvre de Villon, on abordera, dans ce programme, des éléments au plus près de la vie de cet auteur du Moyen Âge tardif. C’est même d’ailleurs tout l’intérêt de cette émission même si, bien entendu, les deux ne peuvent être démêlées si facilement : comme pour bien des auteurs de cette période, l’œuvre alimente nécessairement une partie de ce que les historiens tentent de déduire de sa biographie, même en y mettant, bien sûr, tous les guillemets que cela suppose. Sur Villon, il existe heureusement quelques sources historiques et juridiques sur lesquels on peut s’appuyer pour effectuer quelques croisements supplémentaires.

Loin des caricatures faciles

On le doit sans nul doute aux esprits éclairés qui l’ont animé voilà près de 40 ans, mais un des atouts majeurs de ce programme est de soulever des questions tout à fait ouvertes sur la vie véritable de Villon. Pour peu, on y découvre presque un nouveau Villon, petit clerc, qui pourrait bien s’être démené pour tenter de devenir un auteur suffisamment reconnu pour en vivre. Aurait-il conçu son testament comme une sorte de book ? Angles nouveaux, hypothèses plus qu’affirmations, discussions et réflexions nourries en tout cas. On n’y tombe jamais dans la caricature facile et un peu romanesque d’un Villon repris à la sauce du XXe siècle : mauvais garçon, poète maudit, fornicateur et jouisseur patenté, voleur, criminel notoire, peut-être même coquillard, etc… Le tableau est impressionniste, il se découvre par petites touches entre ombre et lumière.

Au sortir, vous en apprendrez sur Villon dans cette émission qui remet un peu les pendules à l’heure, tout en se défendant de trancher aveuglément. On s’y posera des questions sur l’itinéraire professionnel comme sur les errances de Villon. On interrogera aussi, au passage, cette Ballade contre les ennemis de la France que nous avons déjà abondamment commentée. Était-elle une commande ou plutôt l’oeuvre spontanée d’un Villon naturellement attaché aux valeurs de la France ? Elle laissera nos intervenants un peu désaccordés aux portes du mystère. On y fera encore de belles incursions dans le Paris du milieu du XVe siècle et dans le cœur de ses tavernes.

De la vulgarisation en histoire

Au sortir de cette approche tout en nuances, qui ne craindra pas de laisser en chemin de belles interrogations et quelques espaces vides habités de mystère, on ne pourra s’empêcher de se dire que Jacques le Goff faisait encore, ici, la démonstration d’une chose : on pouvait (et on peut sans doute toujours) réunir autour d’une table d’excellents chercheurs universitaires et de brillants historiens tout en réussissant à faire une émission qui s’adresse à tout le monde, au public averti comme au grand public. Le tout sans tomber dans une histoire schématique, simplifiée, ni dans une sorte de « vulgate » narrative à un seul degré. Et s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation » (concept un peu fourre-tout dont il faut quelquefois se défier en ce qu’il commence à la sortie des laboratoires pour finir on ne sait où, et quelquefois jusque dans des productions à des lieues des vérités historiques sous prétexte de les mettre à portée), mais, soit, s’il s’agit là d’une forme de « vulgarisation », disais-je, alors elle devrait donner le La ou au moins de vraies lettres de noblesses à sa définition.

Jean Favier : grand historien-archiviste des XXeme-XXIeme siècle

Eléments de biographie

Jean Favier (1932-2014) est un historien archiviste chartiste des XXe et XXIe siècles. Egalement agrégé d’histoire, il suivit une brillante carrière universitaire débuté à Rennes puis Rouen et qui le conduisit finalement à être directeur d’Etudes à la prestigieuse Ecole Pratiques des Hautes Etudes. Il y officia de longues années, avant d’aller enseigner la Paléographie médiévale à la Sorbonne.

Au cours de son parcours, il a également été très actif dans le domaine de la culture ; il a notamment conduit, pendant plus de 20 ans, de grandes œuvres et travaux pour les archives nationales. Entre autres fonctions notables, on le retrouvera également président de l’Académie des Belles Lettres et, dans le domaine de la publication, directeur de la Revue Historique pendant 25 ans. Son action dans le domaine de la Culture, de l’Histoire et des Archives lui ont valu de nombreux titres honorifiques. Pour l’ensemble de son parcours et de ses contributions, Jean Favier est à juste titre, reconnu, à la fois comme un grand historien médiéviste et comme un grand serviteur de l’Etat.

L’ouvrage de Jean Favier sur François Villon

Ce livre est encore édité chez Fayard au format broché. Voici un lien utile pour plus d’informations : François Villon

Quelques autres publications

Si les contributions et publications de Jean Favier ne se sont pas cantonnées au Moyen Âge, il a tout de même produit un nombre considérable d’ouvrages dans ce domaine. Citons pour exemple : Philippe le Bel (1978, Fayard), La Guerre de Cent Ans (sorti chez Fayard en 1980 et qui lui vaudra plusieurs prix), La France féodale (1995, GLM ). Sur les circuits des affaires et le monde économique médiéval, on pourra également lire De l’Or et des épices : naissance de l’homme d’affaires au Moyen Âge (1987, Fayard), ou encore le Bourgeois de Paris au Moyen Âge (2012, Tallandier). Enfin, on pourra compléter cette esquisse de bibliographie par des ouvrages comme Louis XI (2001, Fayard) ou Les Plantagenêts  : origines et destin d’un empire (2004, Fayard), et on mentionnera encore son impressionnant Dictionnaire de la France Médiévale, sorti en 1993, chez Fayard également.

Les autres intervenants de cette émission

Philippe Contamine grand historien et universitaire, longtemps enseignant d’histoire du Moyen Âge à Paris X, puis à Paris V (voir son excellente conférence sur les Français aux temps médiévaux)

Félix Lecoy (1903-1997): philologue, romaniste et universitaire, spécialisé en littérature médiévale. Enseignant au Collège de France (chaire de langue et littérature française du Moyen Âge).

Bernard Guénée (1927-2010) : enseignant-chercheur, académicien et historien français, normalien, professeur émérite d’Histoire médiévale à La Sorbonne, directeur d’études  à l’EPHE.

Jacques le Goff (1924-2014) : historien-médiéviste, directeur de l’EPHE, co-directeur de la revue Les Annales, co-producteur et présentateur de l’émission les Lundis de l’Histoire. A l’image des trois autres, il est difficile de résumer son parcours en 2 phrases, mais disons que dans la ligne de la Nouvelle histoire, il a fait de l’histoire des mentalités du Moyen Âge et de l’anthropologie historique de l’Occident médiéval ses grandes spécialités. (voir d’autres articles à son sujet sur le site)

 En vous souhaitant une belle journée.

Fred
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes.

« Lassés d’amour » : un rondeau désabusé de Blosseville à la cour d’Orléans

Sujet  : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois,  loyal amant,  poésie de cour.
Période  : Moyen Âge tardif, XVe siècle
Auteur : Blosseville
Manuscrit ancien  : MS français 9223
Ouvrage  : Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle  de Gaston Raynaud (1889)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionu XVe siècle, les nobles défilent  à la cour de Charles d’Orléans et on s’y adonne à la poésie,  encouragé par les goûts et le talent du prince lettré. Revenu  de longues années de capture en Angleterre, ce dernier y avait eu le temps de se consacrer longuement à la poésie et aux lettres. On se souvient, en effet, que la bataille désastreuse d’Azincourt  lui avait coûté 25 ans de sa liberté.

Aux sources : le français  Ms 9223, recueil de ballades, rondeaux et bergerettes

Du point de vue des sources, un grand nombre des ballades, rondeaux et pièces, échangés, alors, à cette cour, peut être retrouvé  dans le manuscrit Français 9223. Conservé de nos jours, au département des manuscrits de la BnF, cet ouvrage médiéval contemporain du XVe siècle, contient, en effet, 195 pièces d’auteurs variés.

blosseville-francais-ms-9223-amour-courtois-poesie-medievale-moyen-age-sVers la fin du XIXe siècle, le célèbre  historien et philologue Gaston Raynaud se proposa de présenter ces poésies  en graphie moderne, sous le titre Rondeaux et autres poésies du XVe  siècle.  Pour ceux que cela intéresse, on peut encore trouver cet ouvrage réédité sous forme papier aux éditions   Hachette Livre Bnf.

Pour revenir à cette poésie de cour, on y trouve nombre de petites pièces variées, mais aussi la retranscription de  concours ou exercices de styles  partagés demeurés célèbres : « En la forêt de longue attente« ,…  Une belle place y est faite aussi à la courtoisie dont ce rondeau de Blosseville que nous partageons ici.   

Cet auteur, dont on sait finalement peu de chose (voir éléments de biographie ici), semble avoir été  relativement présent dans ce cercle d’apprentis poètes et on lui attribue même la copie du MS français 9223. Sur le thème du sentiment amoureux, les compositions qui  lui sont attribuées par ce manuscrit vont du classique jeu de séduction, à des textes plus distanciés, voir même humoristiques et grinçants à l’encontre du jeu courtois. Le rondeau  du jour le trouvera plutôt désabusé. Comme cette pièce est dans un moyen-français relativement intelligible, nous vous laissons la découvrir  dans sa langue originale.


Lassé d’amours de Blosseville

Lassé d’amours et des faiz de fortune,
Tanné d’espoir et d’aimer trop fort une,
Encloz d’ennuy, maintenant je demeure,
Car Desplaisir prent en moy sa demeure,
De par Maleur qui tresfort me fortune.

Dont je me treuve sans que joye nés une
Soit en mon cueur secrete ne commune :
Pour quoy je dis que je suis a ceste heure
Lassé d’amours.

Merencolie, Douleur et Infortune,
Dueil et Soussy, Desespoir et Rancune,
En languissant me font plus noir que meure,
Et n’ay desir fors que de bref je meure,
Puisque je suis le plus dessoubz la lune
Lassé d’amours.


En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes

« Triste plaisir et douloureuse joye », un rondeau médiéval du Manuscrit de Bayeux

manuscrit-de-bayeux-chansons-medievales-poesie-moyen-age-tardif-XVe-siecleSujet :  rondeau, chanson, musique, médiévale, poésie médiévale,  manuscrit de Bayeux
Période  : Moyen Âge tardif (XVe)
Auteur :  anonyme, Alain Chartier ?
Titre :   Triste plaisir et douloureuse joye
Interprète  : Ensemble La Maurache
Album :  Ambroise Paré et la Musique (2012)

Bonjour à tous,

A_lettrine_moyen_age_passionujourd’hui, nous partons au Moyen Âge tardif, à la découverte d’un rondeau tiré du Manuscrit de Bayeux. Au XVe siècle, cette chanson a connu d’autres versions que celle présentée ici et, jusqu’à  nos jours, une variation de Gilles Binchois  a même eu tendance à l’éclipser. Il faut donc rendre grâce à l’ensemble  médiéval La Maurache pour s’être attaché à nous faire redécouvrir la pièce tirée du Ms de Bayeux.

Source  médiévale : le Manuscrit de Bayeux

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Nous avons déjà eu l’occasion de  vous présenter quelques chansons du Manuscrit de Bayeux. Cet ouvrage  du XVIe siècle,  très coloré et plutôt  bien conservé, est aussi connu sous la référence Ms   Français 9346 à la BnF où il est précieusement gardé.  Il contient  un peu plus de 100 compositions d’époque avec leur notation musicale (version d’époque consultable ici). Pour la version en graphie moderne du rondeau du jour,  nous nous appuyons, quant à nous, sur les travaux de Thédore Gérold, daté de 1921 :  Le manuscrit de bayeux, texte et musique d’un recueil de Chansons du XVe. Pour les musiciens, cet ouvrage (qu’on trouve encore réédité) a l’avantage de fournir, en plus des textes du manuscrit médiéval, leurs   partitions modernes. 

La version de Gilles  Binchois  & Alain Chartier

Comme indiqué en introduction, il existe une version médiévale sensiblement différente de ce rondeau du Manuscrit de Bayeux.   Composée par Gilles Binchois, sa mélodie diffère même de la pièce du jour. Si elle  contient également le même refrain, « Triste plaisir et douloureuse joye, … »,  son texte varie aussi de nombreux points.

On peut retrouver cette version de Gilles de Binche dans le manuscrit médiéval MS Misc Canonici 213 de la librairie Bodléienne d’Oxford. Ce dernier est d’une datation antérieure à celui de chanson-medievale-triste-plaisir-ms-canonici-213-gilles-binchois-alain-chartier-moyen-age_sBayeux. Les vers sur lesquels s’est appuyé Gilles Binchois sont attribués à Alain Chartier (1385-1430). Cette chanson de Chartier, datée du XVe, connut même une popularité assez tardive puisqu’on la retrouve, jusque dans le courant du XVIe siècle, avec une mention dans le Pantagruel de  Rabelais.  Notons que dans la version du Manuscrit de Bayeux, l’auteur n’est pas mentionné et demeure anonyme.

Registre courtois pour une poésie absconse

Dans les deux cas,  ce rondeau semble faire référence au registre courtois, même si le rapprochement peut paraître, de prime abord, un peu abstrait, du moins par rapport à d’autres poésies du genre :    la dame n’y est pas citée, ni même complimentée, le texte s’étale sur des états émotifs sans en donner vraiment  les causes, …  Pourtant,  si le poète ne fait pas l’effort d’être très clair, au point de basculer (assez tardivement pour son temps) dans  un jeu poétique qui pourrait évoquer  les  trobar clus des XIIe/XIIIe siècles,   les sentiments contradictoires qu’il exprime pourraient aisément être rattachés  au registre de la fine amor : souffrance et joye, présence « d’envieux » ou de médisants qui veulent lui nuire.  On sait  que la courtoisie fait son nid dans les émotions contradictoires :  plaisir et douleur, tension et relâchement, désir et frustration, distance et proximité. Cette référence tout de même un peu brouillée, à la courtoisie,  est plus clair dans la version de Chartier.

Figures de style et oxymorons

Quoiqu’il en soit, les tensions émotionnelles donneront lieu ici à de très beaux  oxymorons (ou oxymores) : « triste plaisir », « douloureuse joye », « Ris en plorant », « souvenir oublieux ». C’est aussi d’époque. Ces énoncés  qui jouent sur les contradictions et les oppositions,  sont un procédé assez prisé  dans la poésie du XVe siècle. On les retrouve chez Charles d’Orléans (sous l’influence, sans doute, de Chartier) mais  également chez François Villon qui en sera, lui aussi très friand (voir la ballade des contre-vérités, par exemple). D’autres poètes médiévaux suivront également et, même jusqu’à nous, un nombre important d’illustres auteurs modernes (Molière, La Fontaine, Corneille, Victor Hugo, Balzac, Baudelaire, Rimbaut, sans oublier  le  silence assourdissant de la Chute chez Albert Camus).

« Triste plaisir et douloureuse joye »,   Ensemble Médiéval La Maurache 

L’Ensemble La Maurache :   de l’art des trouvères du XIIe aux airs de cour du XVIIe siècle

l’Ensemble La Maurache a été fondé en  1978 par  le compositeur,  chanteur et musicien Julien Skowron.  Ce multi-instrumentiste n’en était pas à son galop d’essai puisque on lui devait,  depuis le début des années 60, la participation à un certain nombre d’autres formations de musiques médiévales et renaissantes. On se souvient notamment des Ménestriers qui avaient reçu, en leur temps, une belle reconnaissance   de la presse et de    la scène musicale.

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Pendant plus d’une vingtaine d’années, La Maurache s’est concentrée sur un répertoire qui partait du Moyen Âge central et du XIIe siècle  pour aller jusqu’à la musique du XVIIe siècle, sur des terrains à la fois religieux et profanes. Sous la houlette de son directeur  qui  a fêté, cette année, ses quatre-vingt printemps (et que nous saluons au passage), la formation a été très active jusqu’à l’année 2005.  Depuis lors,   elle ne semble plus s’être produire.

Album : Ambroise Paré et la Musique 

Originellement, on trouvait l’interprétation de la pièce du jour par la Maurache dans un double album daté de 2005. L’opus était dédié très à propos aux musiques du temps de François Villon« Le Paris de François Villon : Ballades au XVe siècle sous la direction de  Julien Skowron. Nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir  dans un futur article.

la-maurache-album-musique-medievale-renaissance-ambroise-pare-XVIe-XVe-pleiadePour revenir à l’album du jour, qui propose à nouveau ce rondeau du Manuscrit de Bayeux, il a pour titre   Ambroise Paré et la Musique. Daté de 2012, comme son titre l’indique, c’est une compilation de pièces contemporaines de  la vie de Ambroise Paré (1510-1590). On y découvre donc plutôt des musiques et chansons du XVIe siècle, plus « post-pléiades » que médiéval tardives. Sur les 17 pièces proposées, trois sont interprétées par l’ensemble la Maurache. A sa suite, on retrouve un bon nombre d’interprètes et formations : l’Ensemble Madrigal, l’Ensemble Bourscheid, Jean-Paul Lécot, Bernard Soustrot, François-Henri Houbart, … L’album est toujours disponible à  la distribution au format  MP3 ou Cd   : Ambroise Paré et la Musique (Ambroise Paré Music Favorites)


Triste plaisir et douloureuse joye,

La version du manuscrit de Bayeux

Triste plaisir et douloureuse joye
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’accompaignent, combien que seul je soye.

Se j’ay soulas* (joie, plaisir), d’aultre part je lermoye ;
J’ay bon support, maiz danger d’envyeux.
Triste plaisir et douloureuse joye,
Apre(s) doulceur, reconfort anuyeux.

Je suis hermé (entouré, cerné?) de mensonge et de soye.
L’ung me trahit ; l’aultre m’est cauteleux* (fourbe, rusé).
D’estranges tours l’on joue en plusieurs lieux.
Pompeux* (glorieux) je suis, mais l’on deffend la soye.

La rondeau de Alain Chartier
(version de Gilles Binchois)

Triste plaisir et douloureuse joye,
Aspre doulceur, desconfort ennuieux,
Ris en plorant, souvenir oublieux
M’acompaignent, combien que seul je soye.

Embuchié sont, affin qu’on ne les voye
Dedans mon cueur, en l’ombre de mes yeux.
Triste plaisir et amoureuse joye !

C’est mon trésor, ma part et ma monoyé ;
De quoy Dangier est sur moy envieux
Bien le sera s’il me voit avoir mieulx
Quant il a deuil de ce qu’Amour m’envoye.
Triste plaisir et douloureuse joye.


Découvrir d’autres chansons du ms de Bayeux :     le roy  engloys  –  La belle se sied

En vous souhaitant une belle journée.
Fred
Pour moyenagepassion.com
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